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Date : 20110322

Dossier : IMM‑2673‑10

Référence : 2011 CF 350

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BOIVIN

 

 

ENTRE :

 

KARLA MARTINEZ VERGARA

OMAR MUNGUIA ALBARRAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision du 19 avril 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

Contexte factuel

[2]               La demanderesse principale, Karla Martinez Vergara et son mari, Omar Munguia Albarran, sont des citoyens du Mexique.

 

[3]               Mme Vergara travaillait comme avocate pour le Parti révolutionnaire institutionnel (P.R.I.) à Coacalco de Berriozabal. Elle s’occupait des plaintes formulées contre le parti. Elle était également membre d’un autre parti politique affilié au P.R.I., l’Acción Revolucionaria Mexicanista.

 

[4]               En 2005, le parti l’aurait incitée à se présenter comme conseillère municipale de la ville de Coacalco (Mexique). Ayant obtenu 90 % des votes, elle est devenue conseillère municipale.

 

[5]               Le 23 juillet 2007, alors qu’ils sortaient de la maison, Mme Vergara et son mari ont été interpellés par deux hommes qui, allègue‑t‑on, étaient des policiers armés. Mme Vergara a indiqué que l’un d’eux lui a dit qu’il valait mieux qu’elle ne retourne pas au parti si elle ne voulait pas qu’il lui arrive quelque chose. Au moment où son mari tentait d’intervenir, l’un des deux hommes l’a frappé à la tête. Après son hospitalisation, des représentants du ministère ont recueilli sa version des faits.

 

[6]               Mme Vergara a cessé de travailler pour le parti. Le 8 août 2007, son mari a remarqué la présence à son lieu de travail des deux policiers qui l’avaient attaqué. Il a immédiatement laissé son emploi.

 

[7]               Le 26 août 2007, Mme Vergara et son mari ont vu les deux individus en question en regardant par le judas de leur porte d’entrée. Un de leurs voisins a appelé la police, et conseillé aux demandeurs de déposer une plainte auprès du ministère public. Pendant qu’elle se rendait aux bureaux du ministère public, Mme Vergara a appelé son frère au Canada et lui a fait part de ce qui était arrivé le 23 juillet et le 26 août 2007. Son frère lui aurait alors dit qu’elle devrait envisager de venir au Canada.

 

[8]               Le 27 août 2007, les demandeurs ont obtenu leurs passeports et réservé un vol vers le Canada le 8 septembre 2007. Mme Vergara a reçu un appel d’un représentant du ministère public, qui lui a demandé de se présenter aux bureaux du ministère le 7 septembre 2007 pour confirmer la plainte déposée le 26 août 2007.

 

[9]               Le 7 septembre 2007, Mme Vergara et son mari se sont rendus aux bureaux du ministère public pour confirmer la plainte. On leur a demandé d’identifier les individus qui les avaient menacés et battus parmi quelques détenus. Ils ont désigné un individu. À leur sortie, ils ont rencontré le deuxième individu qui avait battu M. Albarran; le policier a menacé de les tuer.

 

[10]           Les demandeurs ont quitté le Mexique le 8 septembre 2007. Ils ont demandé l’asile en arrivant au Canada. Depuis leur départ du Mexique, le père de Mme Vergara aurait reçu des menaces par téléphone.

 

Décision contestée

[11]           Après avoir relevé plusieurs contradictions, incohérences et omissions dans leurs témoignages, la Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. La Commission a aussi conclu que Mme Vergara n’était pas crédible parce qu’elle n’était pas en mesure d’expliquer pourquoi elle était incapable d’obtenir une copie de la plainte qu’elle et son mari avaient déposée le 23 juillet 2007. La Commission était d’avis que Mme Vergara n’avait pas déployé les efforts voulus pour en obtenir copie.

 

[12]           La Commission a relevé des contradictions entre le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de Mme Vergara et son témoignage. Elle a indiqué que son avocat l’avait appelée pour obtenir des copies de la plainte. Mais, il n’a pas été fait mention de ce point avant l’audience. Lorsqu’on lui a posé des questions à ce sujet, elle a modifié sa version des faits et elle a blâmé son autre avocat. Plus tard, elle a à nouveau changé sa version des faits, cette fois pour blâmer la secrétaire de l’avocat, disant qu’elle était raciste. La Commission a jugé que ces contradictions avaient entaché sa crédibilité.

 

[13]           Par ailleurs, la Commission a décidé d’accorder peu de poids au document juridique soumis. Elle souligne qu’il ne comporte aucune description des agresseurs et qu’il n’y est pas précisé qu’il s’agissait de policiers. Le document indique en outre que les demandeurs étaient blessés et qu’ils avaient reçu des menaces.

 

[14]           Dans le cadre de l’analyse concernant la protection offerte par l’État, la Commission a traité des différentes possibilités qui s’offraient aux demandeurs. Elle a aussi souligné que la plainte initiale avait été déposée le 23 juillet 2007, la deuxième le 26 août 2007 et que la première avait été confirmée le 7 septembre 2007. Toutefois, les demandeurs avaient des passeports et étaient prêts à partir le jour suivant la confirmation de leur plainte initiale. La Commission constate que la police n’a pas eu le temps de donner suite aux plaintes.

 

[15]           S’appuyant sur la jurisprudence de notre Cour, la Commission a estimé que les demandeurs ne s’étaient pas prévalus des mesures que l’État pouvait prendre pour les protéger.  

 

Dispositions législatives

[16]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au méP.R.I.s des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Points en litige

[17]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

a)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs?

b)            La Commission a‑t‑elle mal interprété la preuve qui lui a été présentée?

c)            L’analyse de la Commission concernant la protection offerte par l’État est‑elle erronée?

 

La norme de contrôle

[18]           Par suite de la récente décision rendue par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9,[2008] 1 R.C.S. 190, (Dunsmuir), il est maintenant bien établi en droit que les conclusions sur la crédibilité et sur les faits sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Comme il a été établi dans Dunsmuir, précité, au par. 47, le caractère raisonnable s’intéresse « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[19]           En ce qui concerne la question du caractère approprié de la protection offerte par l’État, il faut procéder à une analyse des faits, de sorte que la norme applicable est celle de la raisonnabilité (Jabbour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 831, [2009] A.C.F. no 961, par. 18).

 

Analyse

a)            La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son évaluation de la crédibilité des demandeurs?

 

[20]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de leur crédibilité parce qu’elle n’a pas compris les explications fournies par Mme Vergara concernant l’obtention de l’original ou d’une copie de la plainte. Après examen des transcriptions, la Cour constate que le témoignage de Mme Vergara était confus et qu’il ne confirmait pas sa thèse.

 

[21]           Comme il s’agissait d’un point crucial, il a été question du dépôt de documents additionnels pour étayer le récit des demandeurs tout au long de l’audience devant la Commission. Il incombait aux demandeurs de présenter une preuve permettant d’établir le bien‑fondé de leur demande. Il n’était donc pas déraisonnable que la Commission arrive à une conclusion défavorable en ce qui concerne leur crédibilité en raison de leur omission de présenter une preuve concernant des aspects importants de leurs allégations.

 

[22]           Les demandeurs font également valoir que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion négative concernant la crédibilité du fait que Mme Vergara ait omis dans son FRP de faire mention des démarches qu’elle aurait effectuées pour obtenir une copie de sa plainte déposée le 23 juillet 2007. La Cour estime qu’il était raisonnable pour la Commission de rejeter les explications des demandeurs en raison des faits omis dans le FRP.

 

[23]           Enfin, les demandeurs soutiennent que les demandeurs d’asile ne sont pas tenus sur le plan juridique de fournir une preuve corroborant tous les éléments clés des témoignages. Ils n’étaient donc pas tenus d’obtenir une copie de la confirmation de leur plainte initiale, datée du 7 septembre 2007. (Mahmud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 729, 167 F.T.R. 309.

 

[24]           En l’espèce, la Cour estime que le défaut de fournir une confirmation de la plainte initiale, datée du 7 septembre 2007, constitue une omission importante, jouant un rôle déterminant dans la présente affaire. Il était raisonnable de que la Commission conclue qu’elle entachait la crédibilité des demandeurs.

 

b)            La Commission a‑t‑elle mal interprété la preuve qui lui a été présentée?

 

[25]           Les demandeurs font valoir que la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la preuve soumise à son attention en faisant un compte rendu inexact de la preuve. Ils allèguent qu’en examinant la pièce P‑9, soit la plainte déposée par les demandeurs le 26 août 2007 – la Commission a donné à penser que Mme Vergara s’était contredite en indiquant dans son exposé des faits que la plainte avait été déposée le 26 août 2007, alors que le document était daté du 27 août 2007. De plus, le document fait référence aux policiers qui auraient menacé les demandeurs. La Cour est d’avis que la Commission n’a pas écarté le document en question en raison de cette contradiction. Elle a accepté la preuve, mais elle ne lui a pas accordé beaucoup de poids parce qu’elle ne confirmait pas les allégations des demandeurs. Il n’était pas déraisonnable que la Commission conclue que cette preuve n’était pas suffisante pour établir l’identité des agresseurs présumés ou les détails des événements.

 

[26]           Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en ne considérant pas d’autres éléments de preuve corroborants, dont les rapports médicaux (P‑5, P‑6) ainsi que l’examen médical qui a été effectué au bureau du ministère public (P‑8). De fait, ces rapports font mention des déclarations que les demandeurs ont eux‑mêmes faites concernant les circonstances dans lesquelles ils auraient été blessés. Il était donc loisible à la Commission de ne pas accorder une valeur probante à ces documents.

 

c)            L’analyse de la Commission concernant la protection offerte par l’État est‑elle erronée?

 

[27]           Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas correctement analysé la question de la protection offerte par l’État en ce qu’elle n’a pas considéré l’efficacité de telles mesures au Mexique. Or, il n’existe tout simplement pas de preuve permettant de conclure que la protection de l’État était inexistante ou inefficace. Ainsi, les demandeurs ont quitté leur pays sans savoir ce qu’il advenait de leurs plaintes. Une seule journée s’est écoulée entre le moment où les demandeurs se sont rendus au bureau du ministère public pour confirmer leur première plainte et le moment où ils ont quitté le Canada. Les demandeurs avaient de toute évidence accès à la police.

 

[28]           Notre Cour a reconnu qu’il est bien établi en droit que les demandeurs doivent se réclamer de la protection que leur pays est en mesure de leur offrir avant de venir au Canada (voir Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376, 206 NR 272; Alvarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 190, [2010] A.C.F. no 233). En l’espèce, notre Cour ne peut conclure que les demandeurs ont eu recours à toutes les mesures dont ils disposaient étant donné qu’ils ont quitté leur pays de façon prématurée, sans attendre de voir si l’État pouvait assurer leur protection. Les policiers ont rapidement réagi et ils ont donné suite à la plainte en vue de les protéger. La preuve montre que l’État avait non seulement intérêt à protéger les demandeurs, mais aussi la capacité de le faire.

 

[29]           Pour ces motifs, la Cour conclut que la décision de la Commission était raisonnable. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[30]           Aucune question à certifier n’a été proposée et le présent dossier n’en soulève aucune.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR statue comme suit :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    IMM‑2673‑10

 

INTITULÉ :                                                   KARLA MARTINEZ VERGARA et al. c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 22 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 22 mars 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Arash Banakar

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sylvianne Roy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Le cabinet d’Arash Banakar

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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