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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


Date : 20110317

Dossier : IMM-4738-10

Référence : 2011 CF 325

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 mars 2011

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

JENNY PATRICIA MARTINEZ MUNOZ ROBINSON BARBOSA CEBALLOS

LIZBETH VANESSA TOVAR MARTINEZ JOCELIN BARBOSA MARTINEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne la demande d’asile d’une famille colombienne qui cherche à obtenir une protection contre les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC). Essentiellement, selon la demande, le père demandeur exploitait une entreprise de vente en gros d’avocats à Cali en avril 2004 et a commencé à être victime d’extorsion d’argent de la part des FARC. En décembre 2004, parce qu’il avait été incapable d’effectuer les paiements, on l’a sévèrement battu, et des menaces de mort ont été dirigées contre sa famille. Par conséquent, la famille a pris la fuite et a finalement présenté, le 25 mars 2008, une demande d’asile au Canada.

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande. Il importe de souligner qu’aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité n’a été tirée relativement à la véracité de la preuve présentée à l’appui de la demande. En rejetant la demande, la SPR a tiré les conclusions suivantes :

Je suis convaincu que les demandeurs d’asile n’ont pas démontré que la protection de l’État qui leur serait offerte à Cali, où ils demeuraient dans le passé, ne serait pas suffisante ou, à titre subsidiaire, que Bogota ne satisfait pas aux deux conditions assorties à une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable. Je rejette donc les demandes d’asile.

 

Analyse :

 

À Cali, les demandeurs d’asile n’ont fait aucun effort pour demander l’aide des autorités lorsqu’ils se sont fait extorquer. Même après avoir été agressé, le demandeur d’asile n’a pas signalé l’incident aux autorités à la fin de 2004.

 

Le demandeur d’asile a déclaré ne pas avoir signalé l’incident parce que les FARC l’avaient sommé de ne pas le faire. Il croyait que la situation s’envenimerait s’il s’adressait aux autorités parce que les FARC découvriraient qu’il avait établi un rapport.

 

Je n’ai pas connaissance de rapports fiables qui indiquent que des gens d’affaires ont été blessés à Cali à la fin de 2004 ou par la suite parce qu’ils ont refusé de se soumettre à l’extorsion.

 

La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) n’a pu trouver d’éléments de preuve qui démontrent que des personnes ont été blessées dans de grandes villes urbaines pendant cette période.

 

Des universitaires ont déclaré qu’ils estiment que les FARC ont la capacité d’agir ainsi mais, même si c’était le cas, aucun élément de preuve digne de foi ne démontre que les FARC ont agi ainsi pour blesser des personnes comme le demandeur d’asile ou sa famille dans des milieux urbains comme Cali lorsque les victimes se sont adressées aux autorités et n’ont pas obtempéré à leurs demandes.

 

Les faits en l’espèce m’amènent à croire que le père du demandeur d’asile s’est fait voler son camion par des guérilléros en 2005. Au moment de l’audience, il s’agissait du seul incident qui avait été porté à l’attention des autorités par un membre de la famille du demandeur d’asile. Le père du demandeur d’asile demeure toujours à Cali.

 

Le vol du camion a été dénoncé, mais rien n’indique que le père du demandeur d’asile croyait que cela était lié aux difficultés que son fils éprouvait.

 

Aucun élément de preuve ne démontre que les guérilléros ont pris des mesures de représailles parce qu’un rapport de police a été établi à l’égard du vol du camion.

 

Comme le père du demandeur d’asile a établi un rapport et qu’il peut encore vivre à Cali, je suis convaincu que les craintes de représailles du demandeur d’asile s’il avait agi de la même façon ne sont pas fondées.

 

En conséquence, je suis convaincu que les demandeurs d’asile n’ont pas démontré que la protection de l’État qui leur aurait été fournie aurait été insuffisante s’ils s’en étaient prévalus en 2004 avant de quitter la Colombie.

 

À titre subsidiaire, est-ce que Bogota constitue une PRI viable parce qu’il existe une protection de l’État adéquate aujourd’hui? Je suis convaincu que oui.

 

[Renvoi omis.]

 

(Décision, paragraphes 13 à 24)

 

[3]               Ainsi, le motif du père demandeur pour ne pas solliciter la protection de l’État est la crainte que les renseignements aillent, d’une manière ou d’une autre, de la police aux FARC. Le critère applicable à l’acceptation de ce motif dans le cadre d’une demande d’asile est énoncé dans Hinzman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 57 :

[…] Selon l’ensemble de ces précédents, le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile. Compte tenu du fait que les États‑Unis sont une démocratie ayant adopté un ensemble complet de mesures garantissant que les personnes s’objectant au service militaire font l’objet d’un traitement juste, je conclus que les appelants n’ont pas produit suffisamment de preuve pour satisfaire à ce critère exigeant. En conséquence, je conclus qu’il était objectivement déraisonnable pour les demandeurs de ne pas avoir pris de mesure tangible pour tenter d’obtenir la protection des États‑Unis avant de demander l’asile au Canada.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

 

[4]               J’estime que la SPR a omis de tirer la conclusion à laquelle le demandeur avait droit. Au lieu de convenablement déterminer si la crainte de dénoncer du demandeur était « objectivement déraisonnable », la SPR a formulé une opinion sur une question différente, soit de savoir si des gens d’affaires ayant refusé de se soumettre à l’extorsion des FARC avaient été blessés à Cali ou dans d’autres grandes villes en 2004. Le fait que le père du demandeur n’ait pas eu de difficulté à signaler le vol du camion à la police n’a aucune pertinence : il ne dénonçait pas l’extorsion délétère par crainte de représailles. Il ressort clairement des motifs que la SPR était prête à rejeter la demande d’asile en se fondant sur l’omission de dénoncer l’extorsion. J’estime qu’agir en ce sens équivaudrait à rendre une décision entachée d’une erreur susceptible de contrôle, car la nature et la qualité du motif du demandeur pour ne pas avoir dénoncé l’extorsion n’ont pas été examinées en fonction du droit comme il est mentionné dans Hinzman, précité; cela n’est donc pas justifiable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47). En effet, il semble qu’afin de parer à une telle issue lors d’un contrôle judiciaire, la SPR a tiré une conclusion de possibilité de refuge intérieur « [à] titre subsidiaire ».

 

[5]               Lors de l’audition de la présente demande, j’ai porté l’erreur à l’attention des avocats de chacune des parties, mais j’ai néanmoins demandé leurs observations sur la conclusion subsidiaire. Après avoir mûrement réfléchi à la question, j’ai conclu que cela était inapproprié. À mon avis, si une conclusion centrale est tirée dans une décision de la SPR qui peut potentiellement mettre un terme à l’espoir d’un demandeur d’obtenir l’asile, et si on vient à juger que cette conclusion est erronée, nonobstant le mérite allégué de n’importe quelle conclusion subsidiaire, je crois que ce n’est que justice que d’annuler cette décision. J’estime qu’il s’agit de la solution juste dans la présente affaire.


ORDONNANCE

 

            Par conséquent, la décision faisant l’objet du contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

            Aucune question n’est certifiée.

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4738-10

 

INTITULÉ :                                       JENNY PATRICIA MARTINEZ MUNOZ; ROBINSON

BARBOSA CEBALLOS; LIZBETH VANESSA TOVAR

MARTINEZ; JOCELIN BARBOSA MARTINEZ

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 MARS 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 17 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard P. Eisenberg

POUR LES DEMANDEURS

 

Leanne Briscoe

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Howard P. Eisenberg

Avocat

Hamilton (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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