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Date : 20110308

Dossier : IMM‑4089‑10

Référence : 2011 CF 265

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 mars 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

INGRID ZAMIRK DIAZ JARMA

ANDRES JOSE VILLA VILLA

OSCAR ANDRES VILLA DIAZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Les demandeurs, Andres Jose Villa Villa, sa femme, Ingrid Zamirk Diaz Jarma, et leur fils mineur, Oscar, sont des citoyens colombiens qui demandent l’asile en raison des menaces dont ils ont fait l’objet en liaison avec des tentatives d’extorsion. Ils demandent le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’ils n’avaient pas établi de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention et que le risque auquel ils seraient exposés n’était pas personnalisé. Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

CONTEXTE

 

[2]               Les demandeurs adultes sont des médecins originaires de Barranquilla, en Colombie. En 2007 et en 2008, le Dr Villa a reçu plusieurs appels téléphoniques anonymes dans lesquels un inconnu a exigé de l’argent. Il a en conséquence pris un certain nombre de mesures pour se protéger et protéger sa famille : il a ainsi notamment demandé une mutation de l’hôpital où il travaillait, changé son numéro de téléphone cellulaire, demandé à la police de le protéger et envoyé son fils chez sa grand‑mère. En novembre 2008, après avoir reçu d’autres menaces par téléphone, il s’est de nouveau adressé aux autorités, qui lui ont dit qu’elles ne pouvaient rien faire sans éléments de preuve permettant d’identifier les agresseurs. Il a consulté un avocat et celui‑ci lui a dit de porter plainte devant le Cabinet du procureur général parce que l’avocat croyait que les extorqueurs appartenaient aux Aguilas Negras (« Aigles noirs »), un groupe de paramilitaires qui refaisait surface.

 

[3]               Le 23 mars 2009, les demandeurs ont reçu à leur domicile une carte funéraire et une lettre de menaces dans lesquelles il était écrit que les trois demandeurs étaient déjà morts. Le père et la mère ont quitté leur emploi et leur maison. Ils ont envoyé chercher leur fils et se sont enfuis tous les trois de la Colombie le 28 mars 2009 vers le Canada, en passant par les États‑Unis. Ils n’ont pas demandé l’asile aux États‑Unis, étant donné que la sœur de la Dr Jarma, qui vivait au Canada depuis des années, leur avait conseillé de présenter leur demande au Canada. Comme elle résidait au Canada depuis que sa demande d’asile avait été acceptée en 2001, ils ont bénéficié d’une exception à l’Entente sur les tiers pays sûrs.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE

 

[4]               La Commission a jugé non crédible l’affirmation des demandeurs suivant laquelle les menaces provenaient des Aguilas Negras, estimant plutôt que les extorqueurs étaient de simples criminels qui avaient ciblé les demandeurs à cause de leur présumée aisance matérielle. La Commission a jugé que, même si les menaces provenaient des Aguilas Negras, les demandeurs n’avaient pas réussi à établir un lien entre la persécution et les opinions politiques qu’on leur imputait parce que les Aguilas Negras s’étaient transformés en une bande de criminels et qu’ils n’étaient plus un groupe de paramilitaires. La Commission a par conséquent estimé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

 

[5]               Après avoir examiné l’explication suivant laquelle les demandeurs s’étaient fiés au conseil qui leur avait été donné d’attendre d’être arrivés au Canada avant de demander l’asile, la Commission a conclu que le défaut des demandeurs de demander l’asile pendant les cinq jours qu’ils avaient passés aux États‑Unis permettait de conclure à une absence de crainte subjective.

 

[6]               Enfin, la Commission a conclu que l’extorsion des gens riches était à la hausse en Colombie et que les risques auxquels les demandeurs seraient exposés en Colombie seraient des risques généralisés, de sorte que les demandeurs ne pouvaient se prévaloir de la protection prévue à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[7]               Les demandeurs admettent que, s’il n’y a pas de lien avec la Convention, ils ne peuvent se prévaloir de l’article 97 pour réclamer une protection contre un risque généralisé de crime. Ils affirment que la preuve objective présentée appelait une conclusion différente en ce qui concerne le mobile des menaces d’extorsion. La seule question à trancher est donc celle de savoir si la Commission a mal interprété la preuve ou a ignoré des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions.

 

ANALYSE

 

[8]               Les questions soulevées par la présente affaire sont factuelles et commandent l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[9]               Les demandeurs affirment que la Commission a omis de tenir compte de certains éléments de preuve pour conclure que les Aguilas Negras n’étaient pas responsables des menaces dont ils avaient fait l’objet. Ils ajoutent que, dans ses motifs, la Commission n’a pas analysé en profondeur la preuve documentaire qu’ils lui avaient soumise. Ils affirment par ailleurs que la Commission a commis une erreur en concluant que, même si les menaces provenaient des Aguilas Negras, elles n’avaient rien à voir avec les opinions politiques qu’on leur attribuait. Les demandeurs font valoir qu’ils ont soumis des éléments de preuve documentaire suivant lesquels les Aguilas Negras continuent d’exercer leurs activités en tant que groupe de paramilitaires plutôt que comme une simple bande de criminels. Il suffit qu’un des mobiles de la persécution fasse partie des motifs prévus par la Convention, et ce, même si la persécution est aussi motivée par des motifs non prévus par la Convention, comme la simple criminalité (Sopiqoti c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 95, 34 Imm LR (3d) 126).

 

[10]           La Commission disposait d’une preuve documentaire abondante suivant laquelle l’extorsion des riches est à la hausse en Colombie. La preuve indiquait également que des groupes comme les Aguilas Negras continuaient à sévir dans diverses parties du pays et qu’on assistait même à une recrudescence de ces groupes. D’après la lecture que je fais de la décision, le commissaire n’a pas omis de tenir compte de ces éléments de preuve.

 

[11]           À l’audience qui s’est déroulée devant la Commission, le conseil du demandeur a reconnu que les menaces provenaient des Aguilas Negras [traduction] « ou d’une organisation criminelle qui se livre à de l’extorsion. C’est l’un ou l’autre ». Il a admis que, si la Commission concluait que les extorqueurs n’étaient pas des membres des Aguilas Negras, il n’y avait pas de lien avec un des motifs prévus par la Convention. Le conseil a ajouté que la preuve démontrait que les menaces provenaient des Aguilas Negras. Cette preuve consistait en le récit que le Dr Villa avait donné au sujet de ce que l’avocat colombien lui avait dit et en un dessin de ce qui semble être un aigle noir sur l’un des documents comportant les menaces. L’avocat ne pouvait affirmer avec certitude que les menaces provenaient des Aguilas Negras, mais il soupçonnait que ces derniers en étaient les auteurs. Les extorqueurs ne se sont jamais identifiés lorsqu’ils ont appelé le Dr Villa.

 

[12]           Compte tenu de l’insuffisance de la preuve, il était raisonnablement loisible à la Commission de conclure que les menaces ne provenaient pas des Aguilas Negras. Il n’était pas absolument nécessaire que la Commission se prononce sur la provenance des menaces pour imputer des mobiles politiques, mais sa conclusion suivant laquelle les menaces provenaient d’une bande de criminels n’était pas déraisonnable. Cette conclusion est appuyée par une quantité considérable d’éléments de preuve documentaire au dossier portant sur la hausse des tentatives d’extorsion dont des Colombiens riches sont victimes de la part de bandes de criminels.

 

[13]           Ainsi que la Cour l’a déclaré dans Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 FTR 35, 83 ACWS (3d) 264, au paragraphe 17, l’obligation du tribunal de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. La présomption suivant laquelle la Commission a examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait, ou une affirmation générale en ce sens, ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont la Commission n’a pas traité dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion de fait. Mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Il n’y a pas d’éléments de preuve directs qui contredisent la conclusion de la Commission. Il ressort en effet de la preuve documentaire que certains des anciens groupes de paramilitaires, dont les Aguilas Negras, se sont tournés vers le crime pour survivre. Le fait qu’ils peuvent éprouver du ressentiment contre des éléments de la société colombienne ne démontre pas qu’ils poursuivent des objectifs politiques, comme c’était le cas lors des conflits qui divisaient autrefois ce pays.

 

[14]           La preuve appuie la conclusion de la Commission suivant laquelle même si les extorqueurs font partie des Aguilas Negras, la tentative d’extorsion était motivée par la richesse que l’on imputait aux demandeurs et non aux opinions politiques qu’on leur attribuait. D’ailleurs, le dossier ne renferme aucun élément de preuve au sujet des opinions politiques présumées ou véritables des demandeurs. Certains des éléments de preuve fournis par les demandeurs indiquent que des individus et des groupes qui sont actifs sur le plan politique et qui sont bien connus du public comme des journalistes, des défenseurs des droits de la personne et des politiciens ont été ciblés. Les demandeurs ne répondent pas à cette définition.

 

[15]           Les demandeurs invoquent un article de journal concernant un médecin de Barranquilla qui a été abattu à sa sortie de l’hôpital. Suivant cet article, les mobiles du crime et l’identité de ses auteurs font l’objet d’une enquête. Il n’y a aucun élément de preuve qui établisse un lien entre cet assassinat et un groupe quelconque ou qui permette de penser qu’il a été perpétré en raison des opinions politiques de la victime ou se de son refus de céder à une tentative d’extorsion. Comme ces éléments de preuve ne contredisent pas les conclusions de la Commission, celle‑ci n’était pas tenue de les mentionner dans ses motifs.

 

[16]           Les demandeurs affirment qu’ils seront ciblés par les Aguilas Negras s’ils retournent en Colombie parce qu’ils les ont dénoncés aux autorités. Le dossier ne renferme aucun élément de preuve qui appuie une telle assertion. Les demandeurs ont laissé derrière eux en Colombie de nombreux proches et rien ne permet de penser que les Aguilas Negras s’en sont pris à eux ou qu’ils ont pris des mesures de représailles contre eux en raison de la dénonciation des demandeurs.

 

[17]           Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de tirer une inférence négative de leur défaut de demander l’asile aux États‑Unis. Les précédents cités par le commissaire dans sa décision portaient tous sur des cas de retards importants pour lesquels les demandeurs d’asile n’avaient pas fourni d’explications raisonnables. Ce n’était pas le cas en l’espèce. Bien que le caractère raisonnable de l’explication donnée pour justifier la décision de ne pas demander l’asile dans un pays tiers sûr constitue un facteur dont on doit tenir compte, un retard de quelques jours alors que l’intéressé est en transit ne devrait pas avoir d’incidence sur la validité de l’allégation de crainte subjective (Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 75, 307 FTR 48).

 

[18]           L’inférence négative que la Commission a tirée du défaut des demandeurs de demander l’asile à la première occasion dans un pays tiers sûr n’a toutefois pas joué un rôle déterminant dans sa décision. Elle n’a tiré cette conclusion qu’après avoir conclu qu’il n’y avait pas de lien avec un motif prévu par la Convention et que le risque auquel les demandeurs seraient exposés était d’ordre général. Il n’était pas nécessaire de tirer cette inférence pour justifier l’une ou l’autre conclusion.

 

[19]           La décision de la Commission appartenait donc aux issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et la présente demande doit donc être rejetée. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4089‑10

 

INTITULÉ :                                                   INGRID ZAMIRK DIAZ JARMA

                                                                        ANDRES JOSE VILLA VILLA

                                                                        OSCAR ANDRES VILLA DIAZ

 

                                                                        et

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 28 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Terry Guerriero

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

TERRY GUERRIERO

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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