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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110310

Dossier : IMM-1706-10

Référence : 2011 CF 289

[traduction française certifiée, mais non révisée]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

MARIA DEL CARMEN MARRERO NODARSE (alias MARIA DEL CARME

MARRERO NODARSE)

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 18 février 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a estimé que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.R. 2001, ch. 27 [la LIPR]. La Commission a estimé que la demanderesse n'avait pas une crainte justifiée de persécution.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[3]               La demanderesse, Maria Del Carmen Marrero Nodarse, est une citoyenne de Cuba. Elle demande l’asile au Canada au motif qu’elle craint d’être persécutée du fait de ses opinions politiques.

 

[4]               La demanderesse occupait un poste de spécialiste commerciale. Son mari travaillait pour le ministère de l’Investissement étranger, et la demanderesse l’accompagnait lorsqu’il était affecté à l’étranger, en Espagne et au Canada.

 

[5]               La demanderesse affirme qu’elle a commencé à s’attirer l’attention du Comité pour la défense de la révolution (le CDR) à la suite de la défection de son fils au Canada en 2002. Le CDR a interrogé la demanderesse et a commencé à surveiller sa maison.

 

[6]               Ce n’était toutefois pas la première fois que la famille de la demanderesse s’attirait l’attention non désirée des autorités cubaines. Le mari de la demanderesse avait été interrogé après que leur fille avait émigré au Canada pour y rejoindre son mari canadien en 2000, mais il avait réussi à apaiser les craintes que le gouvernement avait au sujet de sa loyauté. Toutefois, en 2001, la demanderesse a commencé à exprimer des opinions gênantes à son travail. Elle a notamment dit que l’économie centralisée de Cuba stagnait et qu’elle était trop étroitement contrôlée par le gouvernement. La demanderesse attribue le retrait de son nom d’une liste d’éventuels gestionnaires par intérim à ces commentaires. Elle a donc décidé de prendre sa retraite avant d’avoir plus d’ennuis avec les autorités communistes.

 

[7]               À la suite de la défection de son fils en 2003, le CDR a invité la demanderesse, qui était alors à la retraite, à occuper un poste de « surveillance » au sein de l’exécutif du CDR. La demanderesse a refusé et a réduit sa participation aux activités du CDR. Suivant le récit des faits que la demanderesse a donné au sujet de cette période, le CDR a tenté de l’intimider en la menaçant de nuire à ses chances d’obtenir des visas de sortie pour rendre visite à ses enfants au Canada. Le CDR a également accusé la demanderesse de recevoir de l’étranger des paquets qui contenaient des articles interdits. Les paquets contenaient en fait des médicaments que ses enfants lui avaient envoyés du Canada et qui lui avaient été remis par leurs amis. La même année, la demanderesse a tenté d’obtenir un autre emploi. Après vérification de ses références, sa candidature a été rejetée. La demanderesse a déclaré qu’elle avait fini par réaliser qu’elle ne pourrait jamais se trouver un autre emploi.

 

[8]               La demanderesse s’est quand même rendue au Canada en avril 2003 et est rentrée à Cuba en juillet 2003. Elle a refait le même voyage en juin 2005, pour revenir à Cuba en septembre 2005.

 

[9]               La demanderesse explique que, par suite de ses convictions politiques, elle et son mari ont décidé de se séparer, étant donné qu’il croyait que l’attitude de la demanderesse compromettait sa carrière au sein du gouvernement.

 

[10]           La demanderesse allègue que sa situation a empiré en juillet 2006 parce que le climat politique à Cuba est devenu de plus en plus répressif en raison des problèmes de santé de Fidel Castro. La demanderesse affirme qu’un de ses amis lui a montré un document sur lequel figurait une photographie de la demanderesse et qui la qualifiait de personne à surveiller. Malgré cette présumée surveillance, la demanderesse a pu se rendre au Canada en juillet 2006 et revenir à Cuba en septembre 2006.

 

[11]           Les problèmes de la demanderesse avec le CDR ont atteint leur paroxysme en juin 2007 lorsque la demanderesse a accueilli des amis de sa fille. Le CDR a soumis au Bureau des travailleurs sociaux un rapport dans lequel il accusait la demanderesse d’avoir loué sa maison à des étrangers. La demanderesse a néanmoins réussi à obtenir un visa de visiteur et un visa de sortie en octobre 2007 et elle s’est rendue au Canada pour rendre visite à ses enfants.

 

[12]           La demanderesse affirme qu’elle n’avait pas l’intention de demeurer au Canada, mais qu’à la suite de l’élection de Raul Castro en février 2008, elle avait estimé que sa situation à Cuba était devenue encore plus précaire, étant donné que les autorités recourraient encore plus aux « dispositions relatives à la dangerosité » contre les personnes qu'elles ne jugeaient pas fiables sur le plan politique. Craignant d’être ciblée, la demanderesse a présenté une demande d’asile le 3 mars 2008.

 

B.         La décision contestée

 

[13]           La Commission a conclu que le fait que la demanderesse était retournée à Cuba à trois reprises au cours de la période 2003 à 2006 était incompatible avec une crainte justifiée de persécution.

 

[14]           La demanderesse affirmait qu’elle faisait l’objet de soupçons de la part du gouvernement cubain du fait que ses deux enfants avaient quitté Cuba, qu’elle avait fait l’objet de menaces de la part du président du CDR, qu’elle s’était vu refuser un emploi, qu’elle avait été qualifiée de personne peu fiable sur le plan politique et qu’elle faisait l’objet d’une surveillance du CDR. Malgré tout cela, elle a expliqué qu’elle n’avait pas demandé l’asile au cours d’aucune de ses trois visites au Canada parce qu’elle se sentait alors simplement harcelée, mais pas menacée par le CDR.

 

[15]           La Commission a estimé que cette explication était invraisemblable et qu’elle était contredite par la preuve documentaire. La Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’était pas perçue négativement par le gouvernement et qu’elle n’avait pas donné d’explications raisonnables pour justifier comment elle avait pu rentrer librement à Cuba à trois reprises.

 

[16]           La Commission a également estimé qu’il était peu vraisemblable que la demanderesse aurait été surprise par les résultats des « élections » de février 2008 qui avaient gardé Raul Castro au pouvoir. La Commission a par conséquent conclu que la demanderesse n’avait pas expliqué de façon raisonnable pourquoi elle avait laissé s’écouler quatre mois avant de demander l’asile au Canada. Ce facteur minait encore plus la crédibilité de la demanderesse ainsi que son allégation de crainte subjective.

 

[17]           La Commission a ensuite procédé à une analyse du risque de préjudice en vertu de l’article 97. Comme elle s’était absentée de Cuba pour une période excédant la période autorisée de onze mois, la demanderesse était justiciable du Code pénal cubain et risquait de se voir infliger une peine à son retour à Cuba.

 

[18]           La Commission a estimé que la demanderesse avait en fait créé une situation artificielle pour pouvoir demander l’asile. La Commission s’est dite d’avis que, comme elle serait infligée en vertu d’une loi d’application générale, la peine ne constituait pas un risque de préjudice, ajoutant que la demanderesse n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle risquait personnellement de faire l'objet d'un préjudice grave.

 

II.         Questions en litige

 

[19]           La présente demande soulève les questions suivantes :

a)         La Commission a-t-elle ignoré ou mal interprété des éléments de preuve pour arriver à la conclusion que la demanderesse manquait de crédibilité?

b)         La Commission a-t-elle commis une erreur dans son analyse fondée sur l’article 97 en concluant que la peine qui pourrait être infligée par suite de l’application des dispositions du Code pénal cubain ne constituait pas un risque de préjudice?

 

III.       Norme de contrôle

 

[20]           Il est de jurisprudence constante que les décisions de la Commission sur la crédibilité et la vraisemblance sont des décisions d’ordre factuel et qu’elles commandent donc un degré élevé de déférence. La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable (Dong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 575, au paragraphe 17; Lawal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 11; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, 42 ACWS (3d) 886 (CAF), au paragraphe 4). De même, l’importance relative de la preuve et l’interprétation et l’appréciation de la preuve sont toutes assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Oluwafemi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] CFJ No 1286 , au paragraphe 38).

 

[21]           Ainsi qu’il est précisé dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, pour déterminer si une décision est raisonnable, on doit s’interroger sur la justification de la décision, et sur la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, et se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[22]           C’est la norme de la décision correcte qui s’applique à la seconde question. La Cour se demandera donc si la Commission a correctement conclu que l’emprisonnement pour violation des lois cubaines en matière de droit de sortie ne constitue pas de la persécution (Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 833, au paragraphe 10).

 

IV.       Arguments et analyse

 

A.        L’analyse de la crédibilité effectuée par la Commission était raisonnable

 

[23]           La Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas de crainte subjective de persécution. La Commission est arrivée à cette conclusion après avoir tenu compte du fait que la demanderesse avait pu rentrer librement à Cuba à trois reprises après avoir présumément attiré l’attention du CDR et qu'elle avait tardé à demander l’asile à son arrivée au Canada en 2007, le tout sans fournir d’explications valables. La Commission a estimé que les explications de la demanderesse étaient invraisemblables et qu’elles contredisaient la preuve documentaire. Les retours répétés à Cuba, le retard à demander l’asile et les conclusions d’invraisemblance ont eu comme effet cumulatif de miner la crédibilité de la demanderesse.

 

[24]           La demanderesse affirme que, pour arriver à ces conclusions, la Commission a mal interprété la preuve.

(1)        Profil de la demanderesse

 

[25]           La demanderesse soutient que la Commission a mal interprété la preuve et qu’elle n’en a retenu que certains éléments, dressant ainsi un profil inexact de la demanderesse. La demanderesse est d’avis que, si la Commission avait bien compris qu'elle était une personne « bien en vue » (une Cubaine privilégiée qui avait beaucoup voyagé et qui était considérée fiable sur le plan politique par les autorités de l’immigration compte tenu de sa situation antérieure et de la situation actuelle de son mari), elle aurait accepté ses explications sur les raisons pour lesquelles elle n’avait pas eu de difficulté à obtenir un visa de sortie en 2007.

 

[26]           Le défendeur affirme que la Commission n’a pas dessiné un profil inexact de la demanderesse en décidant qu’il était peu plausible qu’elle ne serait pas empêchée de voyager. Ce que la Commission a jugé peu plausible, c’était le témoignage de la demanderesse qui avait elle‑même expliqué qu’elle était rentrée à Cuba à trois reprises entre 2003 et 2006 parce qu’elle ne se sentait pas menacée et ce, même si suivant son propre témoignage, elle était surveillée par le CDR. La Commission a jugé invraisemblable qu’une personne qui était, de par son profil, « soupçonnée d’être peu fiable sur le plan politique » obtienne facilement un visa de sortie si le gouvernement s’intéressait vraiment à elle.

 

[27]           Je trouve peu convaincant l’argument de la demanderesse. La Commission a le droit de remettre en question la crédibilité des demandeurs d’asile dès lors qu’elle motive clairement et en détail sa conclusion comme elle l’a fait en l’espèce. L’explication de la Commission « doit être fondée sur la rationalité et le bon sens et doit être compatible avec la preuve documentaire » (Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CF 447, 166 ACWS (3d) 337, au paragraphe 24).

 

[28]           La Commission a cité des éléments de preuve documentaires indiquant que les dissidents se voient systématiquement refuser tout visa de sortie. Lorsque la Commission l’a interrogée plus à fond sur cette question, la demanderesse a seulement pu expliquer qu’elle ignorait comment l’immigration fonctionne, tout en se fondant sur des commentaires faits par des amis pour justifier son opinion que les autorités de l’immigration ne vérifient les antécédents que lors de la première demande de visa de sortie. Ce ne sont là que des spéculations, qui ne sont pas appuyées par la preuve documentaire.

 

[29]           La Commission a finalement conclu qu’il était invraisemblable que la demanderesse soit persécutée par le CDR et par le Bureau des travailleurs sociaux du fait de ses convictions comme elle le prétendait alors que personne ne l’avait empêchée de quitter le pays. Vu l’ensemble de la preuve dont disposait la Commission, je conclus qu’il s’agit d’une conclusion raisonnable à laquelle il était loisible à la Commission d’arriver.

 

[30]           Malgré l’argument de la demanderesse suivant lequel la Commission a cité des éléments de preuve documentaires se rapportant aux dispositions relatives à la « dangerosité » à l’appui de sa conclusion que les dissidents ne sont pas traités à la légère, je ne puis conclure que la Commission n’a pas cité d’éléments de preuve documentaire à l’appui de sa position. L’affirmation que les dissidents se voient systématiquement refuser des visas de sortie provenait d’un rapport du Département d’État des États-Unis et elle ne rapportait pas expressément aux dispositions relatives à la dangerosité. Ce rapport déclarait en outre que le gouvernement refuse fréquemment depuis des années de délivrer des visas de sortie aux personnes dont les proches ont émigré illégalement. La Commission disposait d’amplement d’éléments de preuve documentaires pour appuyer sa position, et la demanderesse n’a réussi à contredire de façon convaincante aucun de ces éléments de preuve.

 

(2)        Se réclamer de nouveau de la protection du pays

 

[31]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas fourni d’explications raisonnables pour expliquer comment elle avait pu rentrer à Cuba après s’être rendue en voyage au Canada en 2003, 2005 et 2006. La demanderesse affirme que, pour arriver à sa conclusion, la Commission n’a pas bien saisi son profil. Comme elle était un membre privilégié du régime cubain, la demanderesse ne s’est pas facilement laissée intimider par le CDR de sorte qu’elle n’a commencé à se sentir menacée qu’après les élections de février 2008.

 

[32]           En toute déférence, cet argument ne permet nullement de conclure à l’existence d’une erreur qu’aurait commise la Commission et qui justifierait l’annulation de sa décision. Il ressort à l’évidence de la transcription que la Commission était au courant du témoignage portant sur la situation sociale de la demanderesse. Néanmoins, la Commission s’est en fin de compte dite convaincue que la demanderesse n’avait jamais présenté un intérêt particulier pour le CDR ou encore que la demanderesse avait exagéré cet intérêt.

 

[33]           En outre, ainsi que le défendeur le rappelle, c’est la demanderesse elle-même qui a expliqué qu’elle avait commencé à avoir des démêlés avec le gouvernement cubain en 2001 et que ces problèmes s’étaient poursuivis et s’étaient aggravés jusqu’à son départ pour le Canada en 2007. Notre Cour a jugé que le fait de se réclamer à nouveau de la protection du pays où l’on affirme craindre d’être persécuté est incompatible avec une authentique crainte de persécution (Hevia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 472). Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la conclusion que la Commission a tirée à cet égard est entièrement raisonnable.

 

[34]           La demanderesse affirme en outre que la Commission n’a retenu que les éléments de preuve documentaires qui allaient dans le sens de ses conclusions. La demanderesse invite en fait la Cour à réévaluer la preuve, à préférer un paragraphe de la preuve documentaire à un autre et à arriver à une conclusion contraire au sujet de sa crédibilité. Ce n’est pas là le rôle de la Cour fédérale dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

 

(3)        Retards

 

[35]           La Commission a rejeté l’explication fournie par la demanderesse au sujet du temps qu’elle a laissé s’écouler avant de demander l’asile au Canada. La demanderesse répète que la Commission n’a retenu que certaines parties de son témoignage. À mon avis, si la Commission a effectivement été sélective dans les extraits du témoignage de la demanderesse qu’elle a cités, c’était dans le but de résumer sa thèse pour éviter d'en faire une transcription intégrale. Cette façon de procéder n’a eu aucune incidence sur le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission en ce qui concerne la crédibilité de la demanderesse.

 

B.         La conclusion de la Commission suivant laquelle la demanderesse n’avait pas qualité de personne à protéger était correcte

 

[36]           La demanderesse soutenait qu’elle craignait d’être persécutée par les autorités cubaines si elle devait retourner à Cuba du fait qu’elle avait prolongé son séjour au-delà de la période permise par son visa de sortie. La demanderesse affirmait également qu’elle s’exposait à une peine d’emprisonnement en vertu des dispositions du Code pénal cubain relatives à la « dangerosité ».

 

[37]           Pour pouvoir se rendre au Canada en octobre 2007, la demanderesse a obtenu un visa de sortie dont la période de validité initiale était de trois mois. La demanderesse n’a rien fait pour obtenir la prolongation de son visa et elle l’a sciemment laissé expirer.

 

[38]           La Commission a conclu que la demanderesse avait créé artificiellement une situation qui l’exposait à une sanction pour transgression d’une loi cubaine d’application générale. Comme rien ne permettait de penser que les poursuites auxquelles la demanderesse s’exposait ne seraient pas neutres, la Commission a conclu que toute éventuelle poursuite ne constituait pas un risque de préjudice. Cette conclusion s’accorde avec celle de la Cour fédérale dans le jugement Valentin c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 CF 390 (CA), [1991] A.C.F. no 554 (QL).

 

[39]           La demanderesse affirme que la Commission a omis de se demander si, compte tenu du profil de la demanderesse, le gouvernement cubain se servirait des lois sur les visas de sortie comme moyen de punir la demanderesse pour ses présumées opinions politiques. La demanderesse affirme en outre que la Commission ne s’est pas penchée sur la question de savoir si son mari aurait signalé sa demande d’asile au gouvernement cubain.

 

[40]           Le défendeur affirme que la décision de la Commission va dans le sens de la jurisprudence de notre Cour, selon laquelle le demandeur d’asile qui ne renouvelle pas son visa de sortie cubain ne peut invoquer comme motif de protection suivant les articles 96 et 97 de la LIPR la possibilité qu’il soit puni en vertu des lois criminelles de Cuba (Valentin, précité, Perez, précité).

 

[41]           Le jugement Valentin, précité, empêche l’intéressé d’obtenir le droit d’asile en provoquant lui-même une situation qui lui donnerait autrement ce droit. Dans le jugement Zandi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 35 Imm LR (3d) 273 (CF), le juge Michael Kelen paraphrase les propos qu’a tenus la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Valentin. Il écrit au paragraphe 10 :

[…] un transfuge ne peut acquérir de statut juridique au Canada en vertu de la LIPR en créant un « besoin de protection » au sens de l'article 97 de la LIPR en se rendant librement, de son propre chef et sans raison, passible de sanctions pour transgression d'une loi pénale d'ordre général de son pays d'origine visant le respect des conditions d'un visa de sortie, c'est-à-dire le retour au pays. Même si le demandeur est digne de se voir accorder le statut d'immigrant au Canada, la Commission et la Cour n'ont pas la compétence législative d'accorder le statut juridique aux transfuges.

 

[42]           La demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve, si ce n’est de simples spéculations, tendant à démontrer qu’elle s’exposerait à un traitement cruel et inusité à son retour à Cuba. Suivant la preuve documentaire, les candidats légaux à l’immigration sont victimes de harcèlement et d’intimidation de la part du gouvernement. La demanderesse cherche à étendre logiquement ces renseignements pour soutenir qu’il est raisonnable de conclure que ceux qui cherchent à émigrer illégalement s’exposeraient à des sanctions en prolongeant leur séjour à l’étranger au-delà la période permise par leur visa de sortie.

 

[43]           La demanderesse n’est pas en mesure de citer d’éléments de preuve documentaire qui corroborent sa théorie. La preuve documentaire prévoit toutefois que les Cubains qui prolongent leur séjour à l’étranger au-delà la période permise par leur visa de sortie peuvent demander un visa de retour pour rentrer légalement à Cuba. À défaut d’éléments de preuve confirmant effectivement les prétentions de la demanderesse, je ne vois aucune raison de m’écarter de la jurisprudence de notre Cour. Dans le jugement Perez, précité, la juge Judith Snider a estimé qu’à défaut de preuves suffisantes pour permettre de conclure que la crainte d’emprisonnement de la demanderesse était fondée, la Commission avait correctement tranché que le risque d’emprisonnement à Cuba à son retour ne constituait pas de la persécution au sens de l’article 96, ni un risque de traitement cruel et inusité au sens de l’article 97. De même, dans le cas qui nous occupe, la Commission a eu raison de conclure que les poursuites auxquelles la demanderesse s’exposait en vertu du Code pénal cubain ne constituaient pas un risque de préjudice.

 

V.        Conclusion

 

[44]           Vu les conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[45]           Aucune question à certifier n’a été proposée et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1706-10

 

INTITULÉ :                                       MARIA DEL CARMEN MARRERO NODARSE c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 JANVIER 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 MARS 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pamila Bhardwaj

 

POUR LA DEMANDERESSE

Hillary Stephenson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pamela Bhardwaj

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sosu-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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