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Date : 20110307

Dossier : IMM‑3702‑10

Référence : 2011 CF 264

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

 

LYDIA DENYS, LE SHAWN DENYS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs prient la Cour d’ordonner l’annulation de la décision du 8 juin 2010, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger sur le fondement des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Contexte

[2]               La demanderesse, Mme Lydia Denys, et son fils mineur, Le Shawn Denys (le demandeur mineur) craignent d’être persécutés en étant victime de violence conjugale de la part de l’ancien conjoint de la demanderesse. La Commission a rejeté leur demande fondée sur la Convention et leur demande d’asile essentiellement parce que le récit de la demanderesse n’était pas crédible en raison des contradictions qu’elle avait relevées dans son témoignage.

 

[3]               Les demandeurs sont tous deux citoyens de Sainte‑Lucie. Madame Denys a commencé à fréquenter son ancien conjoint de fait en 2001. Elle a eu une fille avec lui en 2003, qui est toujours à Sainte‑Lucie. À l’époque où sa fille est née, Mme Denys et son fils Le Shawn (issu d’une relation précédente) ont déménagé avec lui. La relation avec son ancien conjoint de fait serait devenue violente en 2006, lorsqu’il a commencé à la frapper, à la molester et à l’insulter. Lors d’un incident, il aurait cassé sa main et elle a dû être hospitalisée. L’ancien conjoint de la demanderesse aurait également maltraité le demandeur mineur.

 

[4]               La demanderesse a déposé plusieurs rapports à la police, mais prétend qu’aucune mesure n’a été prise contre son ancien conjoint parce qu’il avait des amis dans le service de police et entretenait des liens avec celui‑ci. La demanderesse a tenté de laisser son conjoint à plusieurs reprises et, à un certain moment, elle a quitté Sainte‑Lucie pour s’établir à la Barbade, mais est subséquemment retournée à Sainte‑Lucie. La demanderesse est arrivée au Canada le 23 décembre 2007 et a demandé l’asile le 15 janvier 2008. Le demandeur mineur a rejoint sa mère au Canada le 23 décembre 2008 et a demandé l’asile le 5 août 2009.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[5]               Dans la décision datée du 8 juin 2010, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger. La question principale que devait examiner la Commission était la crédibilité de la demanderesse. La Commission a critiqué les contradictions et les irrégularités dans le témoignage de Mme Denys. En particulier, la Commission a conclu que les allégations de la demanderesse selon lesquelles elle a essayé sans succès de porter plainte à la police étaient des inventions. Elle a également conclu que la prétention selon laquelle le demandeur mineur avait été maltraité était également une invention.

 

[6]               La Commission a également conclu que la protection de l’État était offerte à la demanderesse, mais qu’elle n’a pas cherché à l’obtenir. Compte tenu des conclusions de la Commission selon lesquelles les incidents allégués par la demanderesse n’ont pas réellement eu lieu et du fait que Mme Denys a attendu avant de présenter sa demande, la Commission a conclu que la demanderesse n’avait aucun fondement objectif ou subjectif permettant de présenter ses demandes. La Commission a donc rejeté les demandes de Mme Denys et de Le Shawn.

 

Observations des parties

[7]               Les demandeurs contestent la façon dont la Commission a interprété la preuve dont elle disposait et soutiennent qu’elle a mal compris et mal interprété la preuve en ne tenant pas compte d’autres éléments de preuve essentiels et qu’elle a donc fondé sa décision non pas sur la totalité de la preuve, mais sur des hypothèses et des inférences injustifiées.

 

[8]               Les demandeurs s’appuient sur la décision Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 99 NR 168, dans laquelle la Cour a affirmé que la Commission :


... ne devrait pas manifester une vigilance excessive en examinant à la loupe les dépositions de personnes qui, comme le présent requérant, témoignent par l’intermédiaire d’un interprète et rapportent des horreurs dont il existe des raisons de croire qu’elles ont une réalité objective.

 

 

[9]               Cette décision permet également d’affirmer que peu importe si la demanderesse est un témoin crédible, elle pourrait toujours être considérée comme une réfugiée si ses activités risquaient de mener à son arrestation et à sa condamnation. Autrement dit, les conclusions relatives à la crédibilité aboutissant à une décision défavorable doivent être axées sur des questions qui se rapportent ou qui sont au cœur de la demande des demandeurs : Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, par. 9‑11.

 

[10]           Les demandeurs soutiennent que la Commission n’a pas donné suffisamment de motifs pour rejeter l’explication de Mme Denys justifiant pourquoi elle a attendu avant de présenter sa demande d’asile. Les demandeurs prétendent que ce retard peut être un facteur important dans l’évaluation de la crédibilité, mais que la Commission doit également tenir compte de toute explication raisonnable justifiant le défaut de présenter une demande d’asile à une date antérieure, particulièrement s’ils ont un statut temporaire valide : Gyawali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1122, par. 18.

 

[11]           Le défendeur prétend que la Commission ne croyait pas que Mme Denys était victime de violence conjugale. Au contraire, la Commission a conclu que les allégations de violence conjugale étaient des exagérations et des artifices visant à donner de la valeur à sa demande d’asile. Le défendeur prétend également que le rejet de la Commission de l’explication justifiant son retard était raisonnable et ne devrait pas être modifié.

 

Analyse

[12]           Les conclusions relatives à la crédibilité de la Commission sont des conclusions de fait et doivent être examinées selon la norme de la raisonnabilité : Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1266, par. 8‑10. Ainsi, il faut faire preuve de retenue envers les conclusions de la Commission.

 

[13]           La demanderesse était contradictoire dans son témoignage devant la Commission. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), Mme Denys a affirmé que le premier incident de violence est survenu lorsque son ancien conjoint croyait qu’elle avait parlé à son ancien petit ami. Toutefois, dans son témoignage écrit, la demanderesse a indiqué que cet incident était en fait le second épisode de violence. Lorsqu’on lui a demandé d’expliquer cette contradiction, la demanderesse a affirmé qu’elle s’était mélangée dans les dates :


[traduction]

 

L’agent de protection des réfugiés : D’accord. Vous nous avez dit vous être adressée à la police à deux reprises, une fois avec votre mère et une fois avec votre sœur. Vous nous avez dit que vous vous êtes adressée à la police pour dénoncer […] avec votre sœur parce qu’il vous avait frappée après qu’on lui avait dit que quelqu’un vous avait vue parler à votre ancien petit ami.

 

La demanderesse principale : D’accord.

 

L’agent de protection des réfugiés : D’accord. C’est ce que vous m’avez dit. C’est ce que je comprends, est‑ce exact?

 

La demanderesse principale : Oui.

 

L’agent de protection des réfugiés : Alors, vous nous avez dit que c’était la deuxième fois que vous vous adressiez à la police.

 

La demanderesse principale : Avec ma sœur?

 

L’agent de protection des réfugiés : Avec votre sœur. Toutefois, il semble que vous nous dites également que lorsque […] vous a frappée parce qu’on lui avait dit que quelqu’un vous avait vue parler à votre ancien petit ami, vous nous avez dit, dans votre témoignage précédent et dans votre formulaire de renseignements personnels, que c’était la première fois que […] (inaudible) –

 

L’agent de protection des réfugiés : Mais vous me dites que lorsque vous avez rapporté cet incident à la police avec votre sœur, c’était la deuxième fois que vous vous adressiez à la police à propos de la violence. Voyez‑vous ce que je veux dire?

 

La demanderesse principale : Oui.

 

L’agent de protection des réfugiés : Alors, cela n’a pas vraiment de sens.

 

La demanderesse principale : J’ai été un peu mélangée, oui.

 

[14]           La Commission a conclu qu’en temps normal, cet élément de preuve ne serait pas déterminant en soi, mais qu’il revêt une importance particulière parce qu’il décrit les circonstances dans lesquelles la demanderesse a porté plainte à la police pour la première fois. Cette conclusion n’est pas déraisonnable.

 

[15]           En avril 2006, Mme Denys a été battue et, en conséquence, hospitalisée. Alors qu’elle se rétablissait à l’hôpital, la demanderesse a été interrogée par la police régionale, qui avait été appelée par le personnel de l’hôpital. Lorsque la police a questionné Mme Denys sur la façon dont elle a subi ses blessures, elle leur a dit qu’elle était tombée. Lorsque la Commission lui a demandé pourquoi elle avait menti à la police, Mme Denys a affirmé que son ancien conjoint avait menacé de la tuer si elle faisait autrement :


[traduction]

 

L’agent de protection des réfugiés : J’essaie de comprendre pourquoi vous auriez porté plainte à la police à deux reprises, la première lorsque vous avez été battue et la seconde, en mai 2006. Pourtant, lorsqu’on vous a questionné à l’hôpital au sujet de vos blessures graves, les blessures les plus graves dont vous avez souffert –

 

La demanderesse principale : Parce que c’est lorsque j’ai –

 

L’agent de protection des réfugiés : ‑ vous n’avez pas dit à la police cette fois‑là que vous aviez été battue par […]. Je me demande pourquoi.

 

La demanderesse principale : Parce que c’est la fois où il m’a vraiment menacée. Il est venu à l’hôpital et m’a dit que si je disais quoi que ce soit, à ma sortie, il me retrouverait pour me tuer peu importe où j’irais.

 

L’agent de protection des réfugiés : Mais vous l’avez dénoncé à la police après cet incident en mai, vous l’avez dénoncé à la police.

 

[16]           Malgré qu’elle ait affirmé craindre de dénoncer son ancien conjoint à la police, la demanderesse a également déclaré qu’elle s’est adressée à la police à deux occasions distinctes, une fois avant et une fois après son hospitalisation, pour porter plainte contre son ancien conjoint :


L’agent de protection des réfugiés :
Quand est‑ce que votre main a été fracturée –

 

La demanderesse principale : Ma main –

 

L’agent de protection des réfugiés : ‑ à la suite de l’agression de […]?

 

La demanderesse principale : En avril 2006.

 

L’agent de protection des réfugiés : Alors, est‑ce que c’est entre les deux fois où vous avez porté plainte? Vous nous avez dit que vous vous êtes adressée à la police la première fois qu’il vous a frappée. Et ensuite vous nous avez dit que vous vous êtes adressée à la police en mai. Votre main a été fracturée et vous avez été gravement blessée quelque part en avril 2006.

 

La demanderesse principale : Mmm.

 

L’agent de protection des réfugiés : N’est‑ce pas? Alors, cet incident a eu lieu entre les deux fois où vous vous êtes adressée à la police? Est‑ce exact?

 

La demanderesse principale : Oui.

 

 

[17]           La Commission a conclu que ce témoignage était contradictoire et a souligné que la demanderesse n’avait pas mentionné dans son FRP qu’elle avait été hospitalisée pendant plusieurs jours après cet incident ni qu’on avait appelé la police pour la questionner. La Commission a indiqué que le même service de police qui avait offert de l’aide à la demanderesse pendant qu’elle séjournait à l’hôpital l’aurait également aidé lorsqu’elle est venue au poste directement pour porter plainte à la police. Cette observation se rapportait à sa conclusion relative à la protection de l’État.

 

[18]           Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle s’était sentie à l’aise de rapporter à la police les agressions les moins graves, mais pas celle d’avril 2006, la demanderesse a affirmé qu’à l’époque où sa main était cassée, son ancien conjoint l’avait menacé. La Commission a conclu que cette réponse était vague et portait à confusion et, sur ce fondement, a rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait peur de son ancien conjoint.

 

[19]           Bien que la demanderesse ait témoigné que son ancien conjoint frappait son fils Le Shawn presque tous les jours, ce fait ne figurait pas dans son FRP. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle avait omis ce fait, la demanderesse a déclaré que son fils se faisait battre à une fréquence aussi rapprochée que toutes les deux semaines et qu’elle était désolée de ne pas avoir mentionné ce renseignement dans son FRP :


[traduction]

 

L’agent de protection des réfugiés : Et pourquoi votre mère s’est adressée à la police pour dénoncer […] en juillet 2007?

 

La demanderesse principale : Parce que – Je crois qu’à cette époque il frappait mon fils et moi –

 

L’agent de protection des réfugiés : Alors, votre mère s’est adressée à la police pour rapporter que […] –

 

La demanderesse principale : ‑ et j’ai intervenu et ensuite il s’est mis à me frapper aussi.

 

L’agent de protection des réfugiés : Votre mère était‑elle présente durant ces agressions?

 

La demanderesse principale : Mon fils lui a dit.

 

L’agent de protection des réfugiés : Est‑elle allée voir la police le même jour où cette agression s’est produite?

 

La demanderesse principale : Lorsque mon – oui.

 

L’agent de protection des réfugiés : Peut‑être que Maître peut nous aider ici, mais je ne vois aucune référence à cet incident dans votre formulaire de renseignements personnels. Je ne vois aucune mention du fait que vous et votre fils auriez été battus en juillet 2007 et, en conséquence, votre mère s’est adressée à la police.

 

La demanderesse principale : Vous m’avez demandé d’expliquer pourquoi ma mère s’est adressée à la police. Je n’ai pas –  

 

L’agent de protection des réfugiés : Oui.

 

La demanderesse principale : Je n’ai pas mentionné tous ces renseignements, et j’en suis désolée.

 

[20]           La Commission a eu raison de se demander pourquoi ces agressions répétées ne figuraient pas dans le FRP original de Le Shawn. Selon la Commission, l’ajout tardif d’allégations de mauvais traitements de Le Shawn a également miné la crédibilité de la demanderesse. La Commission a également tiré une conclusion défavorable du fait que Le Shawn a attendu huit mois avant de présenter sa demande d’asile.

 

[21]           La Cour estime que la Commission a commis une erreur en affirmant que la demanderesse avait déposé au moins deux rapports de police après qu’elle ait été menacée par son ancien conjoint, ce que l’avocat a également reconnu. Il s’agissait d’une erreur, puisqu’elle n’avait déposé qu’un seul rapport après qu’elle ait été menacée. Toutefois, c’est la raisonnabilité des conclusions relatives à la crédibilité de la Commission fondées sur la preuve dans son ensemble qui est évaluée : Huang c. Canada, 2008 CF 1266, par. 11‑17. Cette erreur mineure de la Commission ne nuit pas à sa conclusion générale relative à la crédibilité fondée sur ce qu’elle estimait être de nombreuses contradictions dans le témoignage de Mme Denys. La conclusion de la Commission ne se rapporte pas à des événements marginaux ou digressifs. La Commission a plutôt conclu que la demande comportait en général des éléments non crédibles et qu’aucun des événements importants qui se seraient produits n’ont réellement eu lieu. De plus, la demanderesse n’a donné aucune explication raisonnable et convaincante justifiant pourquoi elle a attendu très longtemps avant de présenter sa demande. La Commission a rendu sa conclusion relative à la crédibilité sur le fondement de la preuve dont elle disposait, et cette conclusion est raisonnable.

 

[22]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[23]           Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Boudreau, B.A. en trad.

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                                    IMM‑3702‑10

 

INTITULÉ :                                                   LYDIA DENYS, LE SHAWN DENYS c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 mars 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Richard A. Odeleye

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye
Avocats

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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