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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110210

Dossier : T-894-10

Référence : 2011 CF 159

Ottawa (Ontario), le 10 février 2011

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

YVES MAYRAND

 

 

 

Demandeur

 

et

 

 

 

AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

 

Défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 15 avril 2010 par le directeur adjoint de la vérification du Centre-Est de l’Ontario au sein de l’Agence du revenu du Canada (la « défenderesse »), présentée aux termes du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, RSC 1985, c F-7, par Yves Mayrand (le « demandeur » ) suite au rejet de sa demande de révision de la décision défavorable du jury de sélection dans un concours pour doter le poste de vérificateur fiscal AU-1.

 

Les faits

[2]               Le demandeur travaille pour la défenderesse depuis juin 2002 à titre de vérificateur fiscal (PM-02). Il est comptable de formation et membre en règle des  « Certified General Accountants of Ontario ». Il a présenté sa candidature dans un processus de sélection interne mené par la défenderesse pour combler un poste de vérificateur fiscal (AU-1) avec une date butoir du 19 octobre 2007.

 

[3]               Le poste de vérificateur fiscal AU-1 était classifié comme étant un poste unilingue anglais, et le demandeur a choisi l’anglais comme langue de correspondance pour les fins du processus de sélection.

 

[4]               Le processus de sélection exigeait que les compétences de tous les candidats devaient être évaluées de façon préliminaire, à l’aide de tests standardisés.  Initialement, le demandeur n’a pas réussi cette première étape, mais a pu réintégrer le processus de sélection après avoir complété une évaluation externe afin d’obtenir le niveau requis.

 

[5]               Les candidats qui ont réussi cette première étape passaient ensuite à l’étape suivante, pour mesurer leur compétence en matière de Planification, Organisation et/ou Contrôle des résultats. Cet examen impliquait alors une entrevue avec un jury de sélection et la prise de références auprès du superviseur immédiat du candidat avec une notation maximale de 20 pour l’entrevue et de 10 pour les références. On exigeait un résultat d’au moins 60 pour cent, soit 18 sur 30 comme note de passage.

 

[6]               Le demandeur a été rencontré par le jury et a répondu aux quatre questions, lesquelles étaient notées sur 20. On lui a octroyé une note de 11/20. Son superviseur immédiat lui a accordé 5/10, soulignant que le demandeur devait améliorer la gestion de son travail afin de rencontrer les échéanciers. Il est à noter qu’une erreur s’est glissée lors de l’envoi de l’outil de notation au superviseur du demandeur, le fichier ayant erronément été intitulé « ECO Criminal Matters CRAEEmployee-tef.doc » sans que le contenu en soit affecté. Cette erreur proviendrait des services de traduction.

 

[7]               Le 14 avril 2009 on avisait le demandeur  par écrit, qu’il était éliminé du processus de sélection puisqu’il n’avait  pas obtenu la note de passage requise. Le même jour le demandeur dépose une demande de rétroaction individuelle et opte pour que le processus de recours se déroule en français.

 

[8]               Les documents ont donc été traduits, et un employé francophone de la défenderesse qui travaille à la Section de la vérification, monsieur Marc Charron, a traduit certains documents même s’il n’est pas traducteur par formation. Conformément au processus de rétroaction, le demandeur a présenté des commentaires additionnels le 11 septembre 2009.

 

[9]               La défenderesse confirmait sa décision d’éliminer le demandeur le 19 novembre 2009 et elle l’informait par la même occasion de son droit de demander une révision de cette décision.

 

[10]           Le 20 novembre 2009, le demandeur dépose une demande de révision de la décision de l’éliminer du processus de sélection.  Dans cette demande, il soutient que l’outil de notation de la compétence Planification, Organisation et/ou Contrôle des résultats était subjectif et que le superviseur n’aurait pas du être consulté.

 

[11]           À la même date, soit le 20 novembre 2009, le demandeur dépose un grief auprès de son syndicat, lequel devait être entendu lors d’une rencontre tenue le 8 mars 2010.

 

[12]           Suite à une erreur de communication avec le syndicat, la défenderesse a cru que le grief et la demande de révision seraient entendus simultanément, ce qui explique la longueur du délai encouru avant que s’amorce le processus de révision.

 

[13]           Le 11 mars 2010 on informait le demandeur que sa demande serait traitée par écrit.

 

[14]           Le 15 avril 2010 le directeur adjoint de la vérification, monsieur Neil Young, rendait sa décision par laquelle il rejetait les prétentions du demandeur et confirmait la décision du jury de sélection.

 

La décision contestée

[15]           Dans sa décision, monsieur Young note tout d’abord que la directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation exige qu’il détermine si le candidat a été traité de façon arbitraire ou non au cours du processus de sélection. Citant la définition d’arbitraire que l’on retrouve au paragraphe 4.2 de la directive, monsieur Young en vient à la conclusion que le demandeur n’a pas été traité de façon arbitraire et que les critères, définitions et processus utilisés pour évaluer la compétence du demandeur en matière de Planification, Organisation et/ou Contrôle étaient conformes à la politique et aux procédures de la défenderesse. Conséquemment, il n’a pas recommandé de mesures correctives.

 

[16]           Pour en arriver à cette conclusion, monsieur Young a tenu compte des renseignements fournis avec les questions, de la clé de notation, des notes et des résumés fournis par les membres du jury. Il s’est également entretenu avec les membres du jury afin de bien comprendre le processus et le contexte dans lequel un outil élaboré localement a été utilisé. De plus, il souligne que toutes les soumissions du demandeur lui ont été présentées par écrit et traduites en anglais pour son bénéfice. Monsieur Young a donc tenu compte des deux principales objections du demandeur, soit la consultation de son superviseur immédiat et la subjectivité de l’outil de notation. Il a également considéré les représentations du demandeur quant à l’impact de l’erreur dans l’intitulé du fichier de notation transmis au superviseur.

 

La législation et les politiques pertinentes

[17]           Les articles suivants de la Loi sur L’agence du revenu du Canada, LC 1999, c 17, confèrent à la défenderesse une compétence exclusive pour nommer son personnel et lui imposent une obligation d’élaborer un programme de dotation. La Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, ne s’applique donc pas aux employés de l’agence défenderesse:

 

Pouvoir d’embauche de              l’Agence

 

53. (1) L’Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu’elle estime nécessaire à l’exercice de ses activités.

 

Nominations par le commissaire

 

(2) Les attributions prévues au paragraphe (1) sont exercées par le commissaire pour le compte de l’Agence.

 

Appointment of employees             

 

53. (1) The Agency has the exclusive right and authority to appoint any employees that it considers necessary for the proper conduct of its business.

 

Commissioner’s responsibility

 

(2) The Commissioner must exercise the appointment authority under subsection (1) on behalf of the Agency.

 

Programme de dotation

 

54. (1) L’Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

 

Exclusion

 

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

 

Staffing program

 

54. (1) The Agency must develop a program governing staffing, including the appointment of, and recourse for, employees.

 

Collective agreements

 

(2) No collective agreement may deal with matters governed by the staffing program.

 

 

Les articles suivants du Programme de dotation de l’Agence du revenu du Canada sont pertinents:

 

4.3-1 Le processus de sélection et le processus de préqualification des candidats sont les principaux mécanismes de promotion du personnel (à l’interne et à l’externe). Ils peuvent être utilisés aux fins de sélection des personnes lors des processus de dotation de postes permanents, temporaires ou intérimaires, ou encore lors des mutations latérales.

 

4.3-4 Le processus de préqualification des candidats (PPC) est le processus par lequel les personnes expriment leur intérêt à se faire évaluer pour le répertoire de candidats préqualifiés pour certains postes. Le PPC leur permet d’être considérés pour une sélection ultérieure.

 

4.3-5 Les recours possibles des personnes varient selon le genre de processus de sélection et l’étape du processus de sélection ; les droits de recours sont exposés dans le Programme de dotation et dans la directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation.

 

5.2 Les intéressés ont accès à des mécanismes de recours, depuis la rétroaction individuelle jusqu’à la révision de la décision et à une révision par un tiers indépendant, selon la nature de l’activité de dotation et la directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation.

 

5.3 La rétroaction individuelle est fournie sur demande par le ou les personnes responsables de l’évaluation, de l’étape du processus de sélection ou de la mesure de dotation.

 

5.5 La rétroaction individuelle est une étape obligatoire avant qu’on puisse passer aux autres formes de recours en matière de dotation.

 

7.2 À l’exception de l’évaluation, pour un poste unilingue, de la capacité à communiquer oralement et par écrit, tous les examens, tests et entrevues servant à déterminer les qualités des candidats seront effectués dans la langue officielle choisie par le candidat.

 

7.3 Les membres de chaque comité de sélection doivent être en mesure de communiquer efficacement dans la langue officielle choisie par le candidat.

 

7.4 Le recours sera traité dans la langue officielle choisie par la personne qui demande un recours.

 

L’Annexe L du Programme de dotation, la Directive sur les recours en matière d’évaluation et de dotation, décrit les recours qui étaient ouverts au demandeur :

 

4.1 Dans tous les cas, les motifs de recours à une rétroaction individuelle, à une révision de la décision ou à une révision par un tiers indépendant sont que l’employé se prévalant d’un recours a fait l’objet d’un traitement arbitraire. On doit mettre l’accent sur le traitement dont la personne a fait l’objet durant le processus et non sur l’évaluation des autres candidats ou employés.

 

4.2 Le terme arbitraire se définit comme suit :

« De manière irraisonnée ou faite capricieusement ; pas faite ou prise selon la raison ou le jugement ; non basée sur le raisonnement ou une politique établie ; n’étant pas le résultat d’un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes ; discriminatoire » (c’est-à-dire selon les motifs de distinction illicite énoncés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne)

 

4.3 Pour chacun des trois mécanismes de recours, la révision doit se limiter aux circonstances reliées directement à l’étape en question de l’évaluation, du processus de sélection interne ou de la mesure de dotation interne. Par exemple, la révision par un tiers indépendant sera limitée aux décisions prises durant l’étape du placement du processus de sélection interne.

 

9.1 La personne autorisée responsable de l’évaluation, du processus de sélection interne ou de la mesure de dotation interne ou son délégué (p. ex. membre du jury de sélection, administrateur du répertoire, conseiller en renouvellement du personnel, consultant en compétences, ou évaluateur en compétences techniques) :

 

9.1.2 peut choisir d’être accompagné par une personne de son choix durant la révision de la décision. Le rôle de l’accompagnateur est celui d’un observateur ;

 

9.2 Le réviseur de la décision

 

9.2.3 Peut choisir d’effectuer la révision de la décision oralement (en personne ou par téléphone) ou par écrit (par lettre ou courriel).

 

9.2.4 Dirigera les réunions ou les entrevues dans la langue officielle choisie par le candidat ou l’employé.

 

9.2.6 Dirigera la révision et recueillera les renseignements requis afin de parvenir à une décision. En général, la révision se compose des étapes suivantes :

-examen de la documentation présentée par le candidat ou l’employé et la personne autorisée ou son délégué ;

-collecte de renseignements supplémentaires, au besoin ;

-analyse des faits ;

-communication par écrit de la décision définitive, notée dans le dossier de dotation ou le profil des compétences de l’employé.

 

« personne autorisée »

Personne à qui l’on a accordé le pouvoir d’effectuer une mesure de dotation particulière conformément à la Délégation des pouvoirs liés aux ressources humaines.

 

« Réviseur de la décision »

Cet individu est :

-pour le processus de sélection interne (y compris non-PPC et PPC), le superviseur de la personne autorisée responsable du processus de sélection interne ;

-pour les mesures de dotation internes, le superviseur de la personne autorisée responsable de la mesure de dotation interne ; […]

 

Questions en litige et norme de contrôle applicable

[18]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève une seule question en litige à savoir si la décision de la défenderesse était raisonnable dans les circonstances. Selon le juge Mandamin dans l'arrêt Wloch c Agence du revenu du Canada, 2010 FC 743, au paragraphe 21, la norme de contrôle applicable à cette question, à savoir si le décideur a pris en considération les facteurs appropriés est  celle de la décision raisonnable.

 

[19]           Le demandeur quant à lui soumet que ce dossier soulève des questions d'équité procédurale et que la norme de contrôle applicable dans les circonstances est celle de la décision correcte aux termes de l'arrêt Khosa c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l'immigration), 2009 SCC 12, paragraphe 43.

 

[20]           Cette Cour est d'avis que cette demande de contrôle judiciaire doit être appréciée à la lumière de la décision raisonnable et que les questions en litige soulevées par le demandeur s'apprécient selon cette norme.

 

[21]           Essentiellement le demandeur allègue six (6) motifs au soutien de sa demande de contrôle judiciaire. Je traiterai de chacun de ces motifs à la lumière de la norme de la décision raisonnable.

 

A.        Premier motif

[22]           Le demandeur allègue que la défenderesse n'a pas respecté les principes de justice naturelle puisque les candidats de langue anglaise ont été sélectionnés et choisis alors que le demandeur n’avait terminé l’exercice de son recours devant cette Cour. Cet allégué n’a pas été prouvé devant nous, de plus même s’il s’avérait cela ne constitue pas un manquement aux règles de justice naturelle. Or, il appert que la défenderesse maintient toujours un poste ouvert en attendant  la décision de cette Cour sur la requête en révision judiciaire présenté par monsieur Mayrand. Dans ces circonstances le motif allégué par le demandeur n'est donc pas valable.

 

B.         Deuxième et troisième motifs

[23]           Le demandeur fait valoir ensuite que le fichier erronément  intitulé, transmis à son superviseur le 6 juillet 2009, présentait un caractère dérogatoire et intimidant. Le demandeur soutient de plus que puisque le fichier ayant servi  à l'élaboration de la demande de révision de la décision contenait une erreur dans son intitulé, il aurait également pu contenir des erreurs dans son contenu. Aux dires du demandeur et je cite : l'erreur de l'intitulé permet de mettre en doute la compétence et l'objectivité du comité quant à sa gestion de l'information.

 

[24]           À défaut de preuve concrète d’erreurs autres que celle de l'intitulé, laquelle a été reconnue par la défenderesse, il nous est impossible de conclure comme le soutient le demandeur. En effet, le demandeur n’a présenté aucune preuve concrète que ledit fichier contenait d’autres erreurs. Le courriel transmis  au superviseur  lui demandant des références sur le demandeur a été intitulé ainsi : « #3 Translation Request- ECO Criminal MatterCRAEmployee-tef.doc ».  Le demandeur a exigé que tout le processus de révision du concours se déroule en français comme le permet la loi et les politiques de l’agence défenderesse. Une erreur a été commise par les services de traduction qu’utilise la défenderesse. Delà à conclure que le processus de révision est vicié et biaisé par une simple erreur d’intitulé de courriel ne nous apparaît pas raisonnable dans les circonstances. Ces motifs sont donc rejetés.

 

C.        Quatrième motif

[25]           Le demandeur soutient que la lenteur du processus de sélection, de rétroaction et de révision était déraisonnable et que conséquemment il s'en est suivi un manquement aux règles d'équité procédurale. Lorsqu'on se penche sur le déroulement du dossier on constate un certain délai encouru pour la traduction des documents.  Force nous est cependant de conclure que les délais prescrits par les règlements de la défenderesse ont généralement été suivis à l'exception du malentendu qui découle d'une mauvaise communication entre le syndicat et les services de ressources humaines de la défenderesse quant au traitement du grief en mars 2010. La défenderesse reconnaît que certains délais ont été encourus pour traduire les documents; elle nie, cependant, que ces délais ont causé un préjudice quelconque au demandeur. Une révision du déroulement de ce dossier nous amène à conclure que le demandeur n'a subi aucun préjudice des délais encourus, à preuve l’agence a maintenu un poste de vérificateur ouvert en attendant la décision de cette Cour. Ce quatrième motif est également rejeté puisque le demandeur n’a subi aucun préjudice des délais encourus.

 

[26]           Le demandeur a également soutenu être préjudicié parce que les membres du jury agissent également dans le processus de rétroaction  et de révision qui  recherche dans un premier temps plutôt à faire connaître au candidat son résultat et à lui fournir des explications sur celui-ci. Selon lui, les membres du jury sont juges et parties, il y aurait donc manquement aux règles de justice naturelle. Une étude attentive du dossier nous permet de conclure que tel n’est pas le cas. En effet, le demandeur semble confondre l’implication des membres du jury au niveau de sa rétroaction et le fait que monsieur Young les a consultés dans le processus final de révision de la décision. À ce dernier niveau, il nous apparaît raisonnable que les membres du jury aient été consultés sur le déroulement du processus. Nous ne pouvons donc pas reconnaître cette prétention du demandeur.

 

D.        Cinquième motif

[27]           Le demandeur soutient  dans son mémoire écrit que la détermination de la note finale n'est pas seulement arithmétique mais qu’elle possède aussi une composante discrétionnaire puisque le comité peut accorder, selon sa perception, des notes supplémentaires à des candidats. Amené à préciser son reproche à cet égard, le demandeur a soutenu à l’audience que l'évaluation  de la composante - Compétence de Planification, Organisation et/ou Contrôle des résultats - par le jury laissait place à l'arbitraire. En effet, suite aux questions de la Cour sur la grille de notation, le demandeur a souligné l'absence de pointage précis quant aux éléments de réponse suggérés comme une  preuve qu’il y avait place à une discrétion, voir à de l'arbitraire. En réponse, la défenderesse a soutenu devant cette Cour que cette composante de l'évaluation des candidats s'est faite en utilisant des outils d'évaluation élaborés localement ce que permet la politique et les règlements de l'agence en matière de dotation soit l'annexe F, intitulé « Directives sur les méthodes d'évaluation du programme de dotation ».

 

[28]           De plus, selon la défenderesse, cette façon de procéder respecte les critères de transparence, d’équité et de compétence.  À la demande de cette Cour la défenderesse a versé au dossier une copie

 

de la directive F. À sa lecture, on constate que le recours aux outils d'évaluation élaborés localement n’est permis que dans la mesure où il n’existe pas d’outils d’évaluation standardisés pour évaluer une certaine compétence. À l’audience le demandeur a prétendu qu’un tel outil standardisé pour mesurer les compétences en matière de Planification, Organisation et/ou Contrôle des résultats existe à l’agence défenderesse. Si tel est le cas, il y aurait eu manquement à l’application de la directive. Cette erreur est-elle fatale? Je ne crois pas puisque la directive F permet une exception dans le cas où la direction des ressources  humaines donne son accord  pour permettre de recourir à un outil d’évaluation élaboré localement. Puisque nous n’avons aucune preuve devant nous que des outils de mesure standardisés étaient bel et bien disponibles en septembre 2007, il nous est impossible de conclure à un manquement à la directive.

 

[29]           Là où le bât blesse cependant, c’est l’absence de grille de notation précise pour les divers éléments de réponse suggérés. En effet, on ne peut soutenir que les processus utilisés sont conformes aux politiques puisqu’ils ne respectent pas la directive F qui prévoit entre autres, à sa page 5, l’utilisation d’entrevues structurées. Dans un tel cas,  la directive prévoit à la page 6 que : « les  réponses aux questions doivent être évaluées en fonction de critères établis. L’élaboration d’échelles de cotation et l’établissement préalable de notes pour chaque réponse permettront de simplifier grandement l’évaluation ».  Or, dans le cas du demandeur cette partie de la directive n’a pas été suivie car tel qu’il appert du dossier, des réponses suggérées ont effectivement été préparées mais l’échelle de cotation ne prévoyait que trois grandes catégories soit  avec notation de 0 à 11, de 12 à 15 et finalement de 16 à 20 sans préciser la valeur respective de chacun des éléments recherchés. À défaut de détermination de la valeur respective des principaux éléments recherchés à l’intérieur d’une telle grille, il devient impossible de conclure que les normes de transparence, d’équité et de compétence auxquels tous les processus de l’agence défenderesse sont assujettis ont été respectées. Même si la défenderesse n’est plus assujettie au principe de mérite applicable à la Fonction publique en ce qui a trait à la dotation, il n’en demeure pas moins, comme le faisait remarquer la juge  Heneghan  au paragraphe 36 dans la décision Hains c Canada (Procureur général) 2001 CFPI 861 :

 

“In my opinion that argument must also fail. The Appeal Board provided detailed reasons to express in my view that the Selection Board erred in its use of the grid. It also found that the grid had to be set aside because the members of the Selection Board who testified were unable to explain how the grid was used. In my opinion, these findings are sufficient bases for the appeal Board to find that the use of the marking grid was unreasonable.”

 

[30]           En révisant les notes respectives des trois membres du jury ainsi que leur notation globale par rapport aux éléments de réponse fournis par le demandeur, il n’est pas possible de déterminer la valeur respective de chacun des éléments recherchés, ni de constater leur poids relatif les uns par rapport aux autres. Dans ces circonstances, je ne vois pas comment monsieur Young pouvait écrire dans sa décision qui fait l’objet du présent recours, que les critères, la définition et le processus utilisés pour évaluer la compétence de Planification, Organisation et/ou Contrôle des résultats du candidat étaient conformes à la politique et à la procédure de l’agence qui exigent la transparence et l’équité.

 

[31]           Or, la grille de notation utilisée ne fait aucunement preuve de transparence. En effet, à la lecture des notes des membres du jury on constate que deux membres ont coché les mêmes points par rapport à la grille, alors qu’un seul membre a écrit une note de 11. Plusieurs points qui apparaissent à la grille n’ont pas été cochés, pourtant certains points l’ont été pour indiquer que le demandeur a omis de traiter de ces éléments en particulier, alors que d’autres ne l’ont pas été même si le demandeur en a pas traité. De plus, on ne connaît pas la valeur respective en termes de pointage de chacun des éléments manquants. Dans ces circonstances, je vois difficilement comment on peut conclure au caractère raisonnable et non arbitraire du processus. La grille ne précise pas non plus les éléments exigibles pour qu’un candidat se mérite une note de passage, ou une note plus élevée. Il devient impossible alors de soutenir qu’il n’y avait pas de place pour l’arbitraire. L’arbitraire est définie comme étant : « de manière irraisonnée ou faite capricieusement; pas faite ou prise selon la raison ou le jugement; non basée sur le raisonnement ou une politique établie; n’étant pas le résultat d’un raisonnement appliqué aux considérations pertinentes…. »

 

[32]           Une décision raisonnable exige que l’on puisse voir et comprendre le raisonnement tenu par le jury et constater à même une grille de notation que le candidat a réussie ou échoué selon un pointage attribué en toute objectivité. Quand on ne peut déterminer la valeur des éléments de pointage, ni identifier les éléments minimums pour obtenir une note de passage, il devient impossible de conclure à une décision raisonnable. Conséquemment, cette Cour conclut que la décision de révision du 15 avril 2010 n’est pas raisonnable dans les circonstances.

 

[33]           Le demandeur s’est également objecté au recours à son superviseur pour références, la  directive F permettant de ce faire. On peut possiblement remettre en cause également cette partie de l’évaluation quant à sa pertinence mais ce n’est pas le rôle de cette Cour de substituer son jugement à celui de la direction des ressources humaines quant à la pertinence des outils de mesure employés, mais bien de s’assurer du caractère raisonnable de la décision rendue par monsieur Young en tenant compte de toutes les circonstances et des faits.

 

E.         Sixième motif

[34]           Quant au sixième motif invoqué par le demandeur, je n’ai vu aucune preuve concrète d’un manquement à la politique des langues officielles. Dans ces circonstances, ce motif est également rejeté.

 

[35]           Le dossier est donc renvoyé à la défenderesse pour qu’elle tienne un nouvel examen de la compétence du demandeur en matière de Planification, Organisation et/ou Contrôle. Le tout avec dépens lesquels se limitent au déboursés encourus par le demandeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

-           La demande de contrôle de la décision de l’Agence du revenu du Canada en date du 14 avril 2010 est accueillie, le dossier est renvoyé à l’agence défenderesse afin qu’elle évalue à nouveau les compétences du demandeur en matière de Planification, Organisation et/ou Contrôle des résultats en utilisant une méthode d’évaluation appropriée, le tout avec dépens se limitant au montant des déboursés du demandeur.

 

                                                                                                            « André FJ Scott »

Juge

 


Annexe A

 

 

 


 

 

 

 



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-894-10

 

INTITULÉ :                                       YVES MAYRAND

                                                            c.

                                                            AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               19 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      10 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yves Mayrand

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Claudine Patry

Agnieszka Zagorska

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Yves Mayrand

Inverary (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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