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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20110304

Dossier : T-349-11

Référence : 2011 CF 263

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 mars 2011

EN PRÉSENCE DE :   Monsieur le juge Shore

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT SUNG YOUN PARK

et une demande du ministre du Revenu national

fondée sur l’article 225.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu

 

 

ENTRE :

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SUNG YOUN PARK

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

I. Introduction

[1]               Le paiement d’impôts qui repose sur le revenu et les sources de revenus que le contribuable a déclarés ne constitue pas une épreuve qu’une personne s’inflige par choix, mais découle plutôt d’une obligation juridique.

II. Le contexte

[2]               L’ex-conjoint de la défenderesse, Doo Chun Park, également appelé Don Park (Doo), doit au ministre une somme de 1 847 734,66 $ au titre de l’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 2001, 2002 et 2003. Il a déposé une déclaration de revenus pour la dernière fois en 2003 (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 7).

 

[3]               Doo, qui est maintenant à la retraite, était le propriétaire-exploitant d’un motel Super 8 et d’un magasin de vins et spiritueux en Alberta. Cette propriété a été vendue en 2002 pour la somme d’environ 2 700 000 $. La cotisation établie à l’encontre de Doo concernait l’impôt impayé sur les gains en capital découlant de la vente du motel situé en Alberta (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 8).

 

[4]               Le fils de la défenderesse, Hugo Hyun Park (Hugo), était le propriétaire inscrit d’un bien immobilier situé au 2088 W. 62nd Ave. S.W. Marine, à Vancouver (Colombie-Britannique), dont la description juridique est la suivante : [traduction] « N° 010-292-675, parcelle A des lots 244 à 246, bloc B du lot de district 325A, plan 8031 » (la propriété en cause) (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 9, pièce « A »).

 

[5]               Hugo avait initialement acheté cette propriété en 2004 pour la somme de 1 030 000 $. À l’époque, Hugo poursuivait ses études à Porto Rico. Son revenu déclaré pour cette année-là s’est élevé à 7 885 $ (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 10, pièce « A »).

 

[6]               Hugo a obtenu de Doo l’argent nécessaire pour faire l’acquisition de la propriété en cause (le prêt). Le prêt a été consigné dans un accord de séparation (l’accord de séparation) conclu le 31 juillet 2005 entre Doo et la défenderesse, Sung Youn Park (Sung). Le montant du prêt s’élevait à 2 253 558,53 $ US (soit environ 2 789 454,75 $ CA). L’accord de séparation énonce que le prêt a été consenti en 2004 et que Hugo devait le rembourser à la fois à Doo et à Sung (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 11, pièce « B »).

 

[7]               Hugo a utilisé le montant du prêt pour prêter à son tour une somme d’environ 196 000 $ à Sung. Cette somme devait apparemment permettre à celle-ci de payer à ses enfants (y compris Hugo) les versements initiaux exigés pour l’achat d’unités en copropriété. Sa fille, Hannah, a vendu son unité en copropriété le 31 juillet 2009, tandis que les unités en copropriété de ses fils, Hugo et Hans, sont demeurées inscrites au nom de ceux-ci. La preuve ne permet pas de savoir si Sung a conservé un droit sur ces propriétés (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 12, pièces « B » à « E »).

 

[8]               Dans un affidavit qu’il a produit au sujet d’une demande d’ordonnance conservatoire que le demandeur avait déposée contre lui, Hugo a affirmé que son unité en copropriété appartenait à l’origine à son père, puis a été transférée à sa mère, jusqu’à ce qu’il en fasse l’acquisition conformément aux directives de son père. Il a également nié que le prêt constituait vraiment un prêt, mais il a attesté que Doo lui avait versé les sommes d’argent (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 13, pièce « C »).

 

[9]               En ce qui concerne le reste du prêt qu’il a reçu de son père, soit une somme d’environ 1 500 000 $, Hugo a affirmé que la majeure partie de cette somme avait été retournée à son père. Il a ajouté que celui-ci avait orchestré toutes les opérations financières conclues entre eux, notamment celles qui concernaient la propriété en cause, et que, suivant l’éducation coréenne qu’il avait reçue,  il ne s’est pas interrogé sur les motifs de la conduite de son père et a simplement suivi les directives de celui‑ci (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 14, pièce « C »).

 

[10]           Hugo n’a pas résidé dans la propriété en cause car, pendant toute la période pertinente, il étudiait ou travaillait à l’étranger. Il a permis à sa mère et à son père de résider dans la propriété en cause, pourvu qu’ils paient les frais pertinents. Sung détenait une procuration couvrant les affaires de Hugo, ainsi qu’il est prévu dans l’accord de séparation (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 15, pièces « B » et « F »).

 

[11]           L’accord de séparation prévoyait également le paiement de la dette fiscale que Doo avait à l’époque. Cette dette devait être remboursée tant par Sung que par Doo. Le remboursement de la dette était également prévu dans une [traduction] « attestation de paiement » signée par Sung et Doo. Cependant, aucun paiement n’a été versé à l’égard de la dette fiscale de Doo, mais l’ARC retient par voie de compensation les paiements dus à Doo au titre du  Régime de pensions du Canada et de la pension de vieillesse et les affecte à la dette en question (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 16, pièces « B » et « G »).

 

[12]           En ce qui concerne la propriété en cause, Hugo a obtenu un prêt hypothécaire de 700 000 $ de la Banque de Montréal (BMO). Il a affirmé que, à l’instar de ce qui s’est passé pour le prêt susmentionné, c’est son père qui a obtenu le prêt hypothécaire et les fonds correspondants ont été versés à Doo. L’hypothèque en question n’est plus enregistrée sur le titre de la propriété en cause et, soit Sung a pris en charge le prêt hypothécaire, soit un nouveau prêt hypothécaire a été obtenu, étant donné qu’une nouvelle hypothèque au montant de 780 000 $ a ensuite été enregistrée en faveur de la BMO sur le titre de propriété (l’hypothèque ou le prêt hypothécaire de la BMO). Le prêt hypothécaire de la BMO était garanti par Hannah et Sung a signé les documents à titre de fondée de pouvoir de celle-ci (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 17, pièces « C », « H » et « I »).

 

[13]           En 2007, le ministre a délivré une demande péremptoire de paiement (DPP) à Hugo en application du paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (LIR) relativement au prêt. Hugo ne s’est pas conformé à la DPP et, en conséquence, une cotisation au montant de
1 639 959, 66 $ a été établie contre lui. Le ministre a ensuite obtenu une ordonnance conservatoire contre Hugo relativement à cette cotisation (dossier de la Cour fédérale n° T‑1035‑08). Hugo a demandé une révision de cette ordonnance, mais le résultat est resté inchangé. Sung a payé les dépens que Hugo avait été condamné à verser au ministre dans ce même litige (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 18, pièces « J » et « K »).

 

[14]           Une cotisation a également été établie à l’encontre de Hugo conformément à l’article 160 de la LIR relativement aux montants totalisant 17 293 548,39 $ que Doo avait versés dans les comptes bancaires de celui-ci. Ces dépôts comprenaient les fonds du prêt (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 19, pièce « L »).

 

[15]           En ce qui concerne la situation générale relative à son actif, Hugo a affirmé que tous les éléments d’actif avaient été créés et placés en son nom par son père et que tous les transferts d’argent entre les comptes, y compris ceux du Canada, de la Californie et de Porto Rico, avaient été faits conformément aux directives de son père. La seule exception à cette pratique générale concerne apparemment une marge de crédit que Hugo a obtenue de la Banque Toronto Dominion (TD) afin de pouvoir rembourser ses prêts étudiants, laquelle marge de crédit est garantie par une hypothèque enregistrée sur le titre de l’unité en copropriété de Hugo (ainsi que plusieurs autres charges financières). Sung a signé le document correspondant à titre de fondée de pouvoir de Hugo (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 20, pièces « C » and « D »).

 

[16]           Hugo semble également sous-entendre dans son affidavit que, pendant toute la période pertinente, sa mère et lui-même ont été de simples prête-noms de Doo relativement à l’ensemble du patrimoine familial, y compris la propriété en cause (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 21, pièce « C »).

 

[17]           Dans l’affidavit qu’elle a signé dans le cadre de l’action que le ministre a engagée parce qu’elle ne s’était pas conformée à une demande péremptoire de renseignements (DPR) (dossier de la Cour fédérale n° T-317-06), Sung a affirmé que Doo et elle s’étaient mariés dans le cadre d’un mariage coréen traditionnel, ce qui signifiait que son rôle principal était celui d’épouse et de mère. Sung a formulé cette affirmation malgré le fait qu’elle était administratrice et actionnaire de plusieurs entreprises familiales (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 22, pièce « M »).

 

[18]           En 2005, Hugo a transféré la propriété en cause à Sung, qui a versé un montant de 1 $ à titre de contrepartie. La propriété en cause était évaluée à une somme de 1 126 000 $ lors du transfert (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 23, pièces « N » et « O »).

 

[19]           Hugo a affirmé que ce transfert avait également été fait conformément aux directives de Doo (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 24, pièce « C »).

 

[20]           Le 18 novembre 2010, une cotisation au montant de 1 397 999 $ (la dette) a été établie à l’encontre de Sung relativement à ce transfert conformément à l’article 160 de la LIR (la « cotisation ») (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 25, pièce « P »).

 

[21]           La cotisation relative à la dette a été envoyée à Sung par courrier ordinaire à l’adresse de la propriété en cause, soit la dernière adresse connue de Sung (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 26, pièce « Q »).

 

[22]           Sung n’a effectué aucun paiement volontaire au titre de la dette depuis l’établissement de la cotisation (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 27).

 

[23]           Sung a produit un avis d’opposition (opposition) à l’égard de la cotisation par l’entremise de son avocat. Elle est représentée par William A. Ruskin (Ruskin), du cabinet Clark Wilson LLP (Clark Wilson). Sa dette est donc visée par les restrictions au recouvrement imposées par la LIR, lesquelles restrictions ne seront levées qu’à l’issue de l’opposition de Sung ou de l’appel connexe (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 28).

 

[24]           En conséquence, il est impossible de savoir pour l’instant à quel moment les restrictions relatives au recouvrement qui s’appliquent à la dette de Sung seront levées (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 29).

 

[25]           Deux des sociétés contrôlées par la famille Park — 835667 Alberta Ltd. (835667) et 214 Holdings Ltd. (214 Holdings) — étaient ou sont également endettées envers le ministre et, du moins en ce qui concerne 835667, ont fait l’objet d’une demande d’ordonnance conservatoire (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 30, pièce « R »).

 

[26]           La société 214 Holdings doit actuellement un montant de 74 015,35 $ au ministre au titre de l’impôt impayé sur les gains en capital. 214 Holdings était contrôlée par Doo et appartenait à Doo et à Sung. Elle a été radiée en 2006 (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 30, pièce « B1 »).

 

[27]           La société 835667 est contrôlée par Hugo, qui en est également l’unique actionnaire. Le demandeur a établi deux cotisations distinctes fondées sur l’article 160 à l’encontre de 835667, soit une cotisation relative au transfert d’un bien immobilier en Alberta de Doo à 214 Holdings, puis à 835667, et une autre en ce qui a trait au transfert de fonds de Doo à 835667. Conformément à l’ordonnance que la Cour fédérale a rendue dans le dossier n° T-1888-07, les cotisations ont fait l’objet d’une ordonnance conservatoire et cette ordonnance n’a pas été révisée. Plus tard, la Section d’appel a annulé la première cotisation relative au transfert du bien immobilier situé en Alberta, parce qu’une contrepartie suffisante avait été fournie à l’égard du transfert. Un appel a été interjeté à l’égard de la deuxième cotisation, mais aucune décision n’a encore été rendue à ce sujet. Les deux cotisations ont été payées à même le produit de la vente de la propriété située en Alberta  (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 31, pièce « R »).

 

A. Les éléments d’actif

[28]           Sung n’aurait aucun élément d’actif exigible de grande valeur au Canada, exception faite du produit de la vente de la propriété en cause et d’actions dans 1208922 Alberta Ltd. (1208922) (affidavit de A. Hamilton, paragraphes 32 et 33, pièces « O » et « S » à « V »).

 

[29]           La propriété en cause a récemment été inscrite en vente au prix de 1 680 000 $ et a été vendue en janvier 2011. La clôture a eu lieu vers le 28 février 2011 et le prix de vente s’est élevé à 2 020 000 $ (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 34, pièce « W »).

 

[30]           Sung aurait eu une participation estimative de 1 232 295,90 $ dans la propriété en cause, compte tenu du montant qu’elle devait au titre des hypothèques enregistrées sur le titre de propriété de celle-ci et du prix de vente de ladite propriété (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 35, pièces « W » à « A1 »).

 

[31]           À cet égard, tel qu’il est mentionné plus haut, la propriété était grevée de l’hypothèque de la BMO. Le solde dû sur le prêt hypothécaire de la BMO s’élevait à 687 704,17 $ (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 35, pièce « X »).

 

[32]           La propriété en cause était également grevée d’une hypothèque consentie en faveur de la Banque TD (l’hypothèque ou le prêt hypothécaire de TD). La valeur nominale du prêt hypothécaire correspondante s’établissait à 100 000 $ et le solde dû sur le prêt hypothécaire de la TD n’est pas connu (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 35, pièce « Z »).

 

[33]           La valeur cadastrale de la propriété en cause s’élève à 2 175 000 $ (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 35, pièce « A1 »).

 

[34]           De plus, tel qu’il est mentionné plus haut, Sung détient des actions dans 1208922. Cette entreprise exploite l’auberge appelée Peace Valley Inn, située à Peace River, en Alberta. Sung possède 15 % des actions de cette entreprise. La valeur des actions en question est inconnue, mais elle est évaluée à 290 994,60 $. Sung reçoit des dividendes annuels sur ces actions depuis 2006. Voici les montants des dividendes reçus :

Année

Dividende

2006

53 874,81 $

2007

30 000 $

2008

61 191,95 $

2009

27 324,23 $

                       (Affidavit de A. Hamilton, paragraphes 36 à 38, pièces « B1 » à « C1 »)

 

[35]           De plus, Sung détenait des actions dans 214 Holdings et dans 1207642 Alberta Ltd.; cependant, étant donné que ces sociétés ont été radiées, ces actions n’ont probablement aucune valeur (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 36, pièce « B1 »).

 

[36]           En ce qui concerne 1208922, Sung a également touché un revenu d’emploi de 118 296 $ en 2007, mais n’a reçu aucun autre revenu d’emploi de la société au cours des autres années. Par ailleurs, Sung travaille comme infirmière à temps partiel. Au cours des dernières années, son revenu moyen découlant de cet emploi s’est élevé à environ 26 000 $ (somme moyenne pour la période allant de 2005 à 2009) (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 38).

 

[37]           Qui plus est, Sung était le propriétaire inscrit d’un bien immobilier situé au
1606 - 2979 Glen Drive, à Coquitlam, en Colombie-Britannique, dont la description juridique est la suivante : [traduction] « n° 027-318-842, lot de copropriété 93, lot de district 386, groupe 1, district de New Westminster, plan de copropriété BCS2656 » (le bien locatif). Sung a d’abord loué cette propriété, puis l’a vendue en 2010 à Mojgan Sheykholeslami (Sheykholeslami), courtier en immeubles, pour la somme de 398 000 $. Elle a réalisé un produit de 78 489,16 $. Sung était alors endettée envers le ministre, mais ne lui a pas remis la moindre somme provenant de cette opération et je ne sais pas très bien ce qu’elle a fait avec le produit de la vente (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 39, pièces « C », « D1 » à « F1 »).

 

[38]           Sur un état financier personnel de 2005, Sung a déclaré que sa valeur nette s’élevait à 2 136 000 $, soit une somme au comptant de 30 000 $ détenue à la Banque TD, un CPG de 193 000 $, également détenu à la TD, sa participation dans la propriété en cause, un véhicule de 60 000 $, une somme de 450 000 $ en actions/obligations et un montant de 30 000 $ au titre d’effets personnels/mobiliers. La situation actuelle en ce qui concerne ces biens (sauf en ce qui a trait à la participation de Sung dans la propriété en cause) n’est pas connue (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 42, pièce « I1 »).

 

[39]           La situation actuelle des comptes bancaires et investissements de Sung à Canada Trust et à TD n’est pas connue non plus. Le demandeur a délivré des DPR à ces établissements bancaires, mais n’a pas encore reçu les renseignements demandés (affidavit de A. Hamilton, paragraphes 35 et 43, pièces « Y » et « J1 »).

 

B. La vente de la propriété en cause

[40]      Tel qu’il est mentionné plus haut, la propriété en cause a été vendue au prix de 2 020 000 $ et Sung a réalisé un produit d’environ 1 232 295,90 $ (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 34, pièce « W »).

 

[41]      La notaire de Sung qui s’est occupée du transfert de la propriété en cause était Wanda Wong Wilson, de Vancouver. Étant donné que la vente de cette propriété vient d’être réalisée, l’Agence souhaite que la notaire conserve le produit de la vente (affidavit de A. Hamilton, paragraphes 34 et 47, pièce « W »).

 

[42]      Selon toute vraisemblance, Sung ne versera pas le produit de la vente, que ce soit en tout ou en partie, au ministre pour rembourser sa dette, étant donné, surtout, qu’elle ne l’a pas fait dans le cas de la vente du bien locatif (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 45).

 

[43]      De plus, étant donné que Doo semble contrôler ce qui se passe en ce qui concerne la propriété en cause et la situation financière générale de la famille, il est probable que Sung versera le produit de la vente à Doo ou encore à Hugo, puisque ces transferts ont traditionnellement été faits par l’entremise de celui-ci dans le passé, et Hugo remettra ensuite l’argent à Doo (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 46).

 

[44]      Si le produit de la vente est versé à Sung, l’Agence souhaite que celle-ci dépose l’argent dans un compte bancaire canadien afin de faire un transfert à Doo ou à Hugo (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 47).

 

C. Liens à l’étranger

[45]           La famille Park a des liens avec l’Asie. À l’heure actuelle, Doo résiderait en Corée du Sud (affidavit de A. Hamilton, paragraphes 48 et 49).

 

[46]           Hugo avait des liens avec des gens de Porto Rico et réside actuellement aux États-Unis. Hannah et Hans résident apparemment tous les deux en Colombie-Britannique (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 50).

 

[47]           Sung aurait reçu de l’argent de Doo, alors même qu’elle était censée être séparée de celui-ci, lequel argent provient de sources étrangères. De plus, il semble qu’elle envoie de l’argent en Corée (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 51, pièces « L1 » et « M1 »).

 

[48]           Dans le passé, des sommes d’argent élevées se rapportant à l’actif de la famille, y compris la propriété en cause, ont été transférées à Hugo à l’extérieur du Canada et, finalement, à Doo (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 52).

 

 

D. Comportement peu orthodoxe

[49]           Le demandeur estime que Sung a mené ses affaires d’une manière peu orthodoxe (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 53).

 

[50]           Ainsi, les accords financiers concernant la propriété en cause et l’ensemble des biens locatifs sont peu orthodoxes et montrent que Doo se sert tant de Hugo que de Sung comme prête-noms. Toutes les opérations financières concernant la famille sont orchestrées par Doo, qui semble être, en définitive, le destinataire d’une grande partie de l’argent de la famille (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 54).

 

[51]           Sung a acquis la propriété en cause de Hugo sans contrepartie et Hugo l’a lui-même obtenue à l’aide de l’argent qu’il avait reçu de son père. Hugo a finalement retourné à Doo les sommes d’argent supplémentaires que celui-ci lui avait versées. Une partie de l’argent que Doo avait versée à Hugo a également été transférée à Sung, qui l’a remise à Hugo, et celui-ci a à son tour transféré l’argent à Hans et Hannah pour leur permettre d’acheter des unités en copropriété. Hugo a aussi remis à Doo l’argent qu’il avait emprunté pour l’acquisition de la propriété en cause (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 55).

 

[52]           Hugo et Sung ont tous les deux signé des affidavits donnant à penser qu’ils sont de simples prête-noms de Doo (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 56).

 

[53]           En conséquence, et étant donné que Doo se trouverait apparemment en Corée du Sud, il semble probable que le produit de la vente de la propriété en cause lui sera transféré à l’extérieur du Canada. Il se peut aussi que cet argent soit versé à Hugo à New York, qui remettra ensuite les fonds à son père en Corée (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 57).

 

[54]           De plus, lorsque Sung a vendu le bien locatif, elle n’a remis aucune partie du produit de la  vente au ministre malgré le fait qu’elle était alors endettée envers celui-ci (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 58).

 

[55]           Eu égard à sa nature, la cotisation établie à l’encontre de Sung est peu orthodoxe en soi. Il en va de même des cotisations concernant Hugo, 214 Holdings et 835667, dont quelques-unes ont fait l’objet d’ordonnances de conservation (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 59).

 

[56]           Sung et Doo continuent à entretenir des relations financières même s’ils sont séparés. Ainsi, dans l’état financier personnel de 2005 de Sung, Doo est désigné à titre de conjoint de celle-ci, malgré l’accord de séparation (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 60, pièce « I1 »).

 

E. Signification/Mesure de recouvrement envisagée

[57]           Selon un examen des dossiers de l’Agence du revenu du Canada concernant Sung, la dernière adresse postale connue de celle-ci est celle de la propriété en cause (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 62, pièce « Q »).

 

[58]           De plus, Sung est représentée par M. William Ruskin, du cabinet Clark Wilson, relativement à sa situation fiscale (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 63).

 

[59]           L’intention du demandeur, s’il obtient l’autorisation nécessaire, est de faire signifier l’ordonnance conservatoire par remise en mains propres à Sung, ou par l’envoi d’une copie de ladite ordonnance par courrier ordinaire à la propriété en cause, ainsi que par l’envoi d’une copie au soin de M. Ruskin, du cabinet Clark Wilson (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 64).

 

 

[60]           Dans le passé, il a été difficile de joindre directement la famille. L’ARC a réussi à joindre Doo en 2004 pour la dernière fois et n’a jamais communiqué directement avec Hugo. Sung a communiqué avec l’Agence pour la dernière fois en novembre 2010 afin de confirmer que le montant dû au titre de sa cotisation était un montant exigible (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 65).

 

[61]           Le demandeur a également l’intention de délivrer des demandes péremptoires de paiement conformément au paragraphe 224(1) ou 224(1.1) de la LIR à la notaire de Sung qui s’est occupée du transfert de la propriété en cause, Mme Wanda Wong Wilson, ainsi qu’aux établissements bancaires connus de Sung, afin de protéger le produit découlant de la vente de la propriété en cause. Cependant, l’ARC souhaiterait prendre les mesures de recouvrement prévues à l’article 225.1 de la LIR, si elle est autorisée à le faire (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 66).

 

C. La question en litige

[62]           Existe-t-il des motifs raisonnables de croire que le recouvrement de tout ou partie du montant de 1 397 999 $ exigé de la défenderesse au titre de l’impôt sur le revenu serait mis en péril par l’octroi d’un délai pour payer ce montant?

 

D. Analyse

[63]           La Cour souscrit pleinement à la position du demandeur et expose ci-après les raisons pour lesquelles elle a répondu par l’affirmative à la question en litige.

 

A. Restrictions au recouvrement

[64]           Sous réserve de certaines exceptions, l’article 225.1 de la LIR restreint le droit du ministre de recouvrer des impôts impayés lorsque le contribuable conteste la cotisation établie contre lui et que la question n’a pas été tranchée à l’issue d’une audience impartiale (Loi de l’impôt sur le revenu, article 225.1, recueil de sources invoquées, onglet 1).

 

[65]           Le paragraphe 225.1(1) de la LIR prévoit que, sous réserve de certaines exceptions, le ministre ne peut prendre aucune des mesures de recouvrement énumérées contre un contribuable avant l’expiration d’un délai de 90 jours suivant la mise à la poste d’un avis de cotisation (ou de nouvelle cotisation) au contribuable ou, si celui-ci dépose un avis d’opposition ou un appel à l’égard de la cotisation, avant que l’opposition ou l’appel ait été tranché de manière définitive (Loi de l’impôt sur le revenu, article 225.1, recueil de sources invoquées, onglet 1).

 

B. Recouvrement compromis

[66]           L’article 225.2 de la LIR énonce que, malgré l’article 225.1, sur requête ex parte du ministre, un juge de la Cour fédérale peut rendre une ordonnance (ordonnance conservatoire) autorisant celui-ci à prendre immédiatement des mesures de recouvrement s’il estime qu’ « il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant » (Loi de l’impôt sur le revenu, article 225.2, recueil de sources invoquées, onglet 2).

 

[67]           Dans la décision 1853-9049 Québec c La Reine, le juge Paul Rouleau, de la Cour fédérale, résume l’intention du législateur et l’évolution des dispositions légales susmentionnées. À la page 5095, le juge Rouleau cite le passage suivant d’une allocution prononcée à la Chambre des communes par le secrétaire parlementaire du ministre des Finances. Le passage est tiré des débats de la Chambre des communes du 24 septembre 1985 :

Le projet de la loi aujourd'hui proposé renferme, en outre, des mesures de prévention contre les abus de ce nouveau système. En effet, dans le cas où il est raisonnable de croire que l'octroi du délai qui précède les mesures de recouvrement de sommes en litige en compromettrait le recouvrement, le projet de loi permet à Revenu Canada d'entamer des mesures de recouvrement sans délai. En revanche, le contribuable a le droit de demander à un juge de réviser la décision de Revenu Canada portant sur le fait que le recouvrement éventuel de l'impôt serait compromis.

 

 

(1853-9049 Quebec Inc. c Sa Majesté la Reine (1986), 87 DTC 5093 (CF 1re inst.), à la page 5095, recueil de sources invoquées, onglet 3)

 

 

[68]           Dans Laframboise c La Reine, le juge Marcel Joyal, de la Cour fédérale, a commenté le libellé du paragraphe 225.2(1) de la LIR [notamment les mots « […] lorsqu’il est raisonnable de croire que l’octroi à un contribuable d’un délai pour payer le montant d’une cotisation […] compromettrait le recouvrement de ce montant »] et s’est exprimé comme suit (aux pages 6398 et 6399) :

Les conditions que comporte cette expression sont suffisamment souples pour lui conférer, me semble-t-il, une portée plus étendue que celle qui existe dans les injonctions Mareva. Lorsqu'ils sont lus en corrélation, le mot « may » (peut) et l'expression « raisonnable de croire » donnent une très grande latitude au Ministre, latitude qui, selon moi, n'existe pas lorsqu'il s'agit d'une saisie avant jugement.

 

(Laframboise c Sa Majesté la Reine (1986), 86 DTC 6396 (CF 1re inst.), aux pages 6398 et 6399, recueil de sources invoquées, onglet 4)

 

 

[69]           En 1988, les dispositions de la LIR ont à nouveau été révisées et l’article 225.2 a été modifié de façon à exiger que le ministre obtienne l’autorisation préalable d’un juge avant de prendre les mesures de recouvrement en question. C’est en raison de cette modification que le ministre doit invoquer les dispositions spéciales relatives au recouvrement qui sont prévues à l’article 225.2 de la LIR.

 

C. Critère applicable à l’octroi d’une ordonnance en application de l’article 225.2

[70]           La Cour fédérale a décidé que le critère applicable à une demande du ministre fondée sur l’article 225.2 de la LIR (demande d’ordonnance conservatoire) est la question de savoir si la preuve dont la Cour est saisie lui permet, selon la prépondérance des probabilités, ou selon une norme de preuve qui, « sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » (la norme de preuve), de conclure que le délai compromettrait le recouvrement. La Cour fédérale a également décidé que la question n’est pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis, mais plutôt s’il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué (Canada (Ministre du Revenu national – MRN) c 514659 B.C. Ltd. [2003] ACF n° 207 (CF 1re inst.), au paragraphe 6, recueil de sources invoquées, onglet 5; Danielson c Ministre du Revenu national, [1986] 86 D.T.C. 6518 (CF 1re inst.), à la page 6519, recueil de sources invoquées, onglet 6).

 

[71]           En conséquence, pour que sa demande d’ordonnance conservatoire soit accueillie, le ministre est tenu d’établir que le recouvrement sera compromis en raison du délai lié aux mesures qu’il doit prendre à cette fin. Dans Danielson, le juge John McNair a tiré la conclusion suivante (à la page 6519) :

À mon avis, le litige porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il semble ressortir du libellé du paragraphe 225.1(1) qu’il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation.

[…]

 

[…] le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. On peut raisonnablement conclure que le critère qui consiste à se demander si « il est raisonnable de croire » que le recouvrement sera compromis équivaut en fait à déterminer si, selon toute probabilité, la preuve est suffisante pour permettre de conclure qu'il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromettra le recouvrement.

[…]

 

[…] À mon avis, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui‑même est compromis mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.

 (Danielson, précité, à la page 6519, recueil de sources invoquées, onglet 6)

 

[72]           Lorsqu’il présente sa demande d’ordonnance conservatoire, le ministre est tenu de faire preuve d’une extrême bonne foi et d’effectuer une divulgation franche et complète de tous les faits pertinents ainsi que de la jurisprudence applicable (Canada (Revenu national) c Robarts, 2010 CF 875 (3 septembre 2010), aux paragraphes 33 à 35, recueil de sources invoquées, onglet 7).

 

[73]           L’absence de revenu ne constitue pas en soi un motif justifiant l’octroi d’une ordonnance conservatoire, ni le fait que les biens du contribuable sont entièrement liquides, de sorte qu’ils peuvent facilement être dilapidés, liquidés ou transférés (décision Danielson susmentionnée, à la page 6519, recueil de sources invoquées, onglet 6; décision Robarts susmentionnée, aux paragraphes 72 et 73, recueil de sources invoquées, onglet 7).

 

[74]           De plus, lorsque le contribuable a vendu un immeuble qui constitue le seul bien pouvant servir au règlement de la créance et que le comptant reçu lors de la vente est encore disponible pour régler la créance, le fait que la propriété a été vendue ne constitue pas en soi un motif justifiant l’octroi d’une ordonnance conservatoire (Canada (Minister of National Revenue) c Landru, [1993] 1 CTC 93 (CBR Sask), recueil de sources invoquées, onglet 8).

 

[75]           Par ailleurs, lorsque le ministre a accès à d’autres recours qui lui permettraient d’obtenir le remboursement de la dette malgré le délai qui précède le recouvrement, l’ordonnance conservatoire n’est pas justifiée (Steele (Re) [1995] SJ n° 784 (SKQB) [QL], au paragraphe 12, recueil de sources invoquées, onglet 9).

 

[76]           Si le ministre peut présenter une preuve péremptoire indiquant que le contribuable dissipe ses avoirs ou qu’il les soustrait à la juridiction du ministre et d’autres créanciers éventuels, cet argument sera convaincant. Dans Danielson, le juge McNair a décrit comme suit la preuve que le ministre doit présenter (à la page 6519) :

De solides éléments de preuve fournis par le ministre indiquant que le contribuable dissipe ses avoirs ou qu'il les soustrait à la juridiction du ministère du Revenu national et à ses autres créanciers éventuels pourraient être très convaincants. Ce serait un cas limite plus difficile à trancher lorsque les biens du contribuable sont périssables ou que leur valeur risque vraisemblablement de diminuer avec le temps.

 

 

(Recueil de sources invoquées, onglet 6)

 

[77]           Un comportement peu orthodoxe qui permet raisonnablement de craindre qu’il serait difficile de retrouver les fonds ou de les récupérer pour acquitter la dette fiscale pourrait constituer un motif raisonnable justifiant l’octroi d’une ordonnance conservatoire (Deputy Minister of National Revenue c Quesnel, 2001 BCSC 267, recueil de sources invoquées, onglet 10).

 

[78]           Comme l’a souligné le juge Luc Martineau, de la Cour fédérale, dans Robarts (au paragraphe 61), on ne trouve pas dans la jurisprudence de définition de l’expression « comportement peu orthodoxe », mais on y trouve des exemples de ce qu’on entend par là :

a)         Conserver une importante somme d'argent liquide à des endroits comme son appartement, un coffre-fort et un entrepôt frigorifique (décision Rouleau susmentionnée);

b)         Conserver dans le coffre de son automobile une somme d'argent liquide importante dont on ne peut retracer l'origine par le truchement des registres bancaires habituels (Ministre du Revenu national c Arab, 2005 CF 264, [2005] 2 CTC 107, au paragraphe 20);

c)                  Tenir une double comptabilité pour un restaurant, la première pour les inscriptions dans le journal des ventes, le grand livre et les déclarations fiscales, la seconde pour les ventes additionnelles non déclarées par la société propriétaire du restaurant (Delaunière (Re), 2007 CF 636, 2008 DTC 6274 (angl.) au paragraphe 4);

d)                 Conserver une somme d'argent liquide importante dans un coffre-fort, un classeur de sa maison et dans la poche d'un peignoir (Mann c Ministre du Revenu national, 2006 CF 1358, [2007] 1 CTC 243, au paragraphe 43);

e)                  Avancer des fonds à une société sur le point d'être dissoute pour éluder l'impôt sur le revenu (Laquerre (Re), 2008 CF 459, 2009 DTC 5596 (angl.), au paragraphe 11; Robarts, at paragraphe 61, recueil de sources invoquées, onglet 7).

 

[79]           De plus, dans Laquerre (Re), la Cour fédérale a examiné le comportement peu orthodoxe du défendeur en plus de celui de ses sociétés affiliées et fiducies familiales (Laquerre (Re), 2008 CF 459 (Can LII), au paragraphe 38, recueil de sources invoquées, onglet 11).

 

[80]           Dans la même veine, dans Canada (Ministre du Revenu national) c Services M.L. Marengère, la Cour d’appel fédérale a examiné le comportement peu orthodoxe de la défenderesse et de ses sociétés affiliées ainsi que de son administrateur pour déterminer si l’ordonnance conservatoire était appropriée (Canada (Ministre du Revenu national) c Services M.L. Marengère, [1999] Can LII 9004 (Can LL), recueil de sources invoquées, onglet 12).

 

[81]           Dans Deputy Minister of National Revenue c Quesnel, au paragraphe 27, le juge Clancy, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, a exposé succinctement les principes pertinents quant à l’octroi d’une ordonnance conservatoire :

[traduction] « Les ordonnances conservatoires ont été examinées dans plusieurs décisions. L’avocat de Mme Quesnel a présenté un résumé utile des principes qui découlent de ces décisions. Les principes pertinents quant aux circonstances dont je suis saisi sont les suivants :

 

i.     les faits doivent fournir des raisons valables de croire que le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : Canada c. Golbeck (1990), 90 DTC 6575 (C.A.F.);

 

ii.    il doit être plus probable qu’autrement que l’octroi d’un délai compromette le recouvrement : Danielson c. Minister of National Revenue (1986), 86 DTC 6495 (C.F. 1re inst.); décision Satellite Earth Station susmentionnée;

 

iii.   de simples soupçons ou de simples craintes ne sont pas suffisants pour démontrer l’existence de motifs raisonnables : décision  Danielson susmentionnée et décision Satellite Earth Station susmentionnée;

 

iv.   le fait que le contribuable n’a pris aucune mesure pour entraver des procédures de recouvrement donne à penser que celui-ci ne sera pas compromis : décision Danielson susmentionnée;

 

v.    lorsqu’un contribuable a vendu un immeuble qui représente le seul bien pour régler la créance et que le comptant reçu pour la vente est toujours disponible pour régler la créance, la vente elle‑même ne constitue pas un motif pour prononcer une ordonnance conservatoire : Canada (Minister of National Revenue) c. Landru, [1993] 1 C.T.C. 93 (C.B.R. Sask.);

 

vi.   le comportement peu orthodoxe qui permet raisonnablement de craindre qu’il serait difficile de retrouver les fonds ou de les récupérer pour acquitter la dette fiscale pourrait constituer un motif raisonnable : décision Laframboise susmentionnée; décision Rouleau susmentionnée.

 

(Décision Quesnel susmentionnée, au paragraphe 27, recueil de sources invoquées, onglet 10; voir également Ministre du Revenu national c Thériault-Sabourin, CarswellNat 172, 2003 CFPI 124, aux paragraphes 13 et 14, recueil de sources invoquées, onglet 13).

 

 

[82]           Dans Ministre du Revenu national c Cormier-Imbeault (au paragraphe 7), les facteurs suivants ont été mentionnés à titre de facteurs  pouvant justifier l’octroi d’une ordonnance conservatoire :

a)                  lorsqu'il existe des motifs raisonnables de croire que le contribuable a agi frauduleusement;

b)                  le contribuable procède à la liquidation ou au transfert de ses actifs;

c)                  le contribuable élude ses obligations fiscales;

d)                 le contribuable détient des actifs qui sont susceptibles de diminuer en valeur par l'effet du temps, de se détériorer ou d’être périssables;

e)                  l’importance du montant de la créance par rapport aux revenus et aux dépenses.

(Ministre du Revenu national c Cormier-Imbeault, 2009 CF 499, [2009] 6 CTC 45, au paragraphe 7, recueil de sources invoquées, onglet 14).

 

 

[83]           La nature même des cotisations peut constituer en soi un motif raisonnable de craindre que le contribuable n’a pas géré ses affaires d’une façon orthodoxe. Dans Ministre du Revenu national c Rouleau, le juge Frederick Gibson a formulé les remarques suivantes (aux pages 2 à 4) :

Ces redressements se fondent sur les relevés de la valeur nette du patrimoine qui, selon le requérant, sont inexacts. Ces relevés ont été en partie établis à partir de renseignements recueillis grâce à des mandats de perquisition obtenus par le ministre du Revenu national le 3 mai 1994 et à une date ultérieure, également en mai 1994. Au cours des perquisitions, il a été découvert que le requérant avait 25 000 $ comptant dans son appartement, environ 92 000 $ comptant dans des coffres à la banque et plus de 96 000 $ comptant dans un coffre situé dans un entrepôt frigorifique qu'il exploitait.

 

[…]

 

Comme je l'ai indiqué ci-dessus, je ne suis pas convaincu que le requérant s'est acquitté du fardeau initial qui lui incombe de démontrer qu'il y a des motifs raisonnables de douter que le critère à utiliser pour délivrer une ordonnance de recouvrement de protection a été respecté. Dans l'arrêt Laframboise c. La Reine, le juge Joyal indique ceci à la page 524 :

 

J'en viens à la conclusion que la nature même de la cotisation soulève des doutes raisonnables selon lesquels le contribuable n'aurait pas géré ses affaires d'une façon que nous pourrions qualifier d'orthodoxe. Il est à craindre qu'à la suite du transfert de fonds excédentaires à des fins d'investissement, par l’entremise d'un tiers plutôt que directement, il serait difficile de retrouver ces fonds ou de les récupérer.

 

J'estime que la citation qui précède s'applique aux circonstances dont je suis saisi. Certainement, la nature des redressements établis relativement au requérant révèle des revenus qui sont tout à fait hors de proportion avec les revenus mentionnés dans les déclarations annuelles produites au ministre du Revenu national. La façon dont il conserve ses biens dénote très certainement qu'il conduit ses affaires d'une manière que l'on pourrait qualifier de peu orthodoxe. Elle révèle également des pratiques qui permettraient très facilement au requérant de soustraire des biens considérables s'il était enclin à le faire de sorte qu'il pourrait être difficile de retrouver les biens et de les récupérer.

 

(Ministre du Revenu national c Rouleau, [1995] ACF n° 1209, aux pages 2 à 4, recueil de sources invoquées, onglet 9).

 

 

[84]           Dans Canada (Ministre du Revenu national) c MacIver et al, Mme la juge Karen Sharlow a entendu la demande des défendeurs en vue de faire réviser les ordonnances conservatoires qui avaient été rendues en application du paragraphe 225.2(2) de la LIR et s’est exprimée comme suit (au paragraphe 7) :

Le litige fiscal sera tranché par une autre juridiction. Je n’ai pas compétence pour décider si les cotisations en question sont correctes. Dans le cadre de cette requête, je dois appliquer le paragraphe 152(8), aux termes duquel toute cotisation est réputée être valide et exécutoire sauf modification sur opposition ou appel.

 

(Canada (Ministre du Revenu national) c MacIver et al, [1999] 99 DTC 5524 (CF 1re inst.), au paragraphe 7, recueil de sources invoquées, onglet 16)

 

 

[85]           Dans la même veine, dans Marengère (aux paragraphes 67 et 72 (sous-paragraphe 4)), le juge François Lemieux a formulé les remarques suivantes :

[67] […] Il ne s'agit pas ici d'une affaire d'intention ou de planification fiscale; il faut régler l’affaire d'une façon objective et réaliste. En d'autres termes, c'est l'effet ou le résultat des mesures que le contribuable a prises à l’égard de ses actifs qui est important et pertinent lorsqu'il s'agit d'apprécier le bien-fondé de l'ordonnance de recouvrement de protection. L'obligation fiscale n’est pas ici en cause.

 

[72] (4) […] le ministre n'a pas à prouver la fraude ou la tromperie ou un mauvais motif.

(Décision Marengère susmentionnée, aux paragraphes 67 et 72, recueil de sources invoquées, onglet 12)

 

 

D. La preuve présentée en l’espèce

[86]           Dans la présente affaire, la Cour estime, à l’instar du demandeur, que la preuve dont elle a été saisie est suffisante, selon la norme de preuve susmentionnée, pour lui permettre d’affirmer que le recouvrement de la dette de la défenderesse serait compromis par le délai.

 

[87]           Les restrictions au recouvrement de la dette n’expireront que lorsque les oppositions ou appels relatifs à la cotisation établie contre la défenderesse auront été tranchés de façon définitive. Cette date est inconnue (affidavit de A. Hamilton, paragraphe 61).

 

[88]           La Cour est saisie d’éléments de preuve solides établissant que le recouvrement est compromis :

a)         Les seuls éléments d’actif connus de Sung qui pourraient être utilisés pour acquitter la dette se limitent au produit de la vente de la propriété en cause et aux actions qu’elle détient dans 1208922;

b)         La propriété en cause a été vendue en janvier 2011 et la date approximative de clôture de l’opération était le 28 février 2011;

c)         Sung s’est opposée à la cotisation établie contre elle. En conséquence, le ministre est assujetti aux restrictions au recouvrement jusqu’à ce qu’une décision soit rendue au sujet de l’opposition en question ou au sujet de l’appel, le cas échéant. Il est peu probable que cette décision soit rendue prochainement;

d)         Sung a géré ses affaires de manière peu orthodoxe;

e)         La nature de la cotisation établie contre Sung est peu orthodoxe en soi, tout comme l’est celle des cotisations concernant Hugo, 214 Holdings et 835667, dont certaines ont fait l’objet d’ordonnances conservatoires;

f)         La famille Park a des liens à l’étranger et possède des sommes d’argent importantes à l’extérieur du Canada, probablement au profit de Doo;

g)         Doo semble utiliser Hugo et Sung comme prête-noms. Apparemment, Doo contrôle toutes les opérations financières concernant la famille ainsi que tous les éléments d’actif et les finances de la famille;

h)         En conséquence, il semble plus probable que non que Sung versera le produit de la vente de la propriété en cause à Doo. Ce produit s’élève à environ 1 232 295,90 $;

i)          De plus, Sung n’a versé aucune partie du produit de la vente du bien locatif au ministre, malgré le fait qu’elle était alors endettée envers lui;

j)          Doo et Sung continuent apparemment à maintenir des relations financières malgré l’accord de séparation;

k)         Doo résiderait apparemment en Corée du Sud. En conséquence, il est plus raisonnable que non de présumer que le produit de la vente lui sera transféré là-bas;

l)          Il est fort probable que Sung déposera le produit de la vente dans un compte bancaire canadien avant de le transférer à Doo ou à Hugo;

m)        Il est possible que le produit de la vente se trouve encore chez la notaire de Sung,
Mme Wanda Wong Wilson, de Vancouver;

n)         Dans le passé, Doo a utilisé Hugo comme prête-nom relativement aux actifs de la famille. En conséquence, le produit de la vente de la propriété en cause pourrait être transféré de Sung à Hugo et, finalement, à Doo;

o)         Hugo réside à New York (États-Unis). En conséquence, le produit de la vente serait transféré aux États-Unis, puis à Doo, en Corée du Sud;

p)         Il semble donc peu probable que Sung versera de son plein gré une partie du produit de la vente de la propriété en cause au ministre pour acquitter sa dette maintenant;

q)         Il est fort possible qu’en raison de sa nature, le produit de la vente de la propriété en cause soit soustrait, placé à l’extérieur du Canada ou déplacé hors de la portée du ministre;

r)          Il se pourrait que les actions et le revenu de Sung soient insuffisants pour permettre d’acquitter rapidement la dette. En tout état de cause, Sung pourrait vendre ou transférer ses actions ou toute autre somme se rapportant à celles-ci de façon à les soustraire à la juridiction du ministre.

(Affidavit de A. Hamilton, paragraphe 61)

 

[89]           Pour les motifs exposés plus haut, la Cour convient avec le ministre qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le recouvrement de tout ou partie du montant de 1 397 999 $ exigé de la défenderesse au titre de l’impôt sur le revenu serait compromis par un délai lié au recouvrement de cette somme.


 

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.   Qu’une ordonnance conservatoire soit rendue conformément au 225.2(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu afin d’autoriser le demandeur à prendre immédiatement les mesures décrites aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l’égard du montant de la cotisation établie contre la défenderesse;

2.   Que le demandeur soit autorisé à signifier l’ordonnance conservatoire à la défenderesse conformément à l’article 128 des Règles des Cours fédérales et aux paragraphes 225.2(5) et (6) de la Loi de l’impôt sur le revenu par signification en mains propres, si possible, ou par la mise à la poste d’une copie de l’ordonnance par courrier ordinaire au
2088 62nd Avenue W., Vancouver (Colombie-Britannique), V6P 2G6 (l’adresse), soit la dernière adresse connue de la défenderesse, ainsi que par l’envoi d’une copie de l’ordonnance au soin de l’avocat de la défenderesse, William A. Ruskin, du cabinet Clark Wilson LLP.

LA COUR ORDONNE ÉGALEMENT CE QUI SUIT à la défenderesse :

SACHEZ qu’une demande ex parte, déposée dans le dossier de la Cour n° T-349-11 en vue d’obtenir une ordonnance conservatoire, a été engagée contre vous conformément à l’article 225.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu. L’ordonnance de la Cour autorise le ministre du Revenu national à prendre immédiatement toutes les mesures décrites aux alinéas 225.1(1)a) à g) de la Loi de l’impôt sur le revenu à l’égard de la dette fiscale mentionnée dans la cotisation établie contre vous.

Conformément au paragraphe 225.2(8), vous pouvez, sur remise d’un préavis de six (6) jours francs au sous-procureur général du Canada, demander à un juge de la Cour fédérale de réviser l’ordonnance.

Conformément au paragraphe 225.2(9), votre demande doit être présentée dans les trente (30) jours suivant la date à laquelle l’ordonnance de la Cour vous a été signifiée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge peut accorder, pourvu que vous puissiez le convaincre que vous avez présenté votre requête dès que matériellement possible.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-349-11

 

INTITULÉ :                                      LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                            c. SUNG YOUN PARK

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 mars 2011

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 4 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nicole S. Johnston

POUR LE DEMANDEUR

 

Aucune comparution

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

s/o

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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