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Cour fédérale

Federal Court

 

 


Date : 20110301

Dossier : IMM-196-10

Référence : 2011 CF 248

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er mars 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

ENTRE :

 

TING-HSIANG TAI,

TSAI-HUEI CHANG,

WEI-HSUAN TAI

et LIN TAI

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

          MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Présentation générale

[1]               La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), définit l’obligation de résidence des résidents permanents. Aux termes de l’article 28, le résident permanent doit, sous réserve d’exceptions bien définies, être effectivement présent au Canada pour au moins 730 jours pendant chaque période quinquennale pour conserver son statut de résident permanent.

 

II. Introduction

[2]               Le demandeur, M. Ting-Hsiang Tai, sa femme, Mme Tsai-Huei Chang, et leurs deux filles, Wei-Hsuan et Lin, sont des citoyens de Taïwan. Ils sont devenus résidents permanents du Canada en 2001, mais ils n’ont pas déménagé ou résidé au Canada.

 

[3]               Lorsque les membres de la famille Tai ont voulu entrer au Canada en avril 2008, des mesures de renvoi ont été prises contre eux parce qu’ils ne s’étaient pas conformés à l’obligation de résidence. Madame Chang et les filles sont demeurées au Canada. Monsieur Tai est retourné travailler à Taïwan et n’a déménagé au Canada qu’un an plus tard, à la fin d’avril 2009.

 

[4]               À l’audience devant la Section d’appel de l’immigration (la SAI), les membres de la famille Tai ont admis qu’ils ne s’étaient pas conformés à l’obligation de résidence et ont demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de faire droit à leurs appels.

 

[5]               Les membres de la famille Tai prétendent que la SAI n’a pas agi de manière équitable parce qu’elle ne leur a pas donné suffisamment de temps pour faire témoigner les deux agents d’immigration. Cette allégation est sans fondement.

 

[6]               Les membres de la famille Tai ont demandé – et obtenu – suffisamment de temps pour faire entendre six témoins. Ils n’ont pas assigné les agents d’immigration. De plus, sans se conformer aux Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002‑230 (les Règles de la SAI), ou demander un délai additionnel avant l’audience, ils ont appelé 11 témoins. Leur avocat a choisi de ne pas faire témoigner d’autres personnes même si la Sai avait encore une heure à sa disposition avant la fin prévue pour la durée de l’audience et qu’elle ne l’a pas empêché de le faire; en outre, les remarques figurant dans les motifs de la SAI au sujet du témoignage des agents ont été formulées de manière incidente.

 

[7]               La famille Tai prétend également que la SAI n’a pas agi de manière équitable en refusant que des documents datés de 2008 et des photos de l’entreprise de M. Tai qui avaient été transmis par télécopieur à la SAI le jeudi précédant leur audience du lundi soient produits en preuve. La SAI a agi de manière équitable en concluant que la famille Tai n’avait pas donné d’explications suffisantes pour justifier que ces documents n’avaient pas été fournis 20 jours avant l’audience comme l’exigent les Règles de la SAI et en concluant que l’information contenue dans les documents pouvait lui être communiquée au moyen du témoignage de M. Tai.

 

[8]               La SAI a aussi agi de manière équitable en exigeant que le témoignage de M. Tai soit terminé avant que d’autres personnes puissent témoigner; en outre, il ressort des motifs de la SAI, pris dans leur ensemble, que celle‑ci n’a pas ignoré ou mal interprété la preuve.

 

[9]               La SAI a tenu compte des facteurs pertinents lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour tenir compte des motifs d’ordre humanitaire. La demande présentée par les membres de la famille Tai afin d’obtenir un sursis temporaire des mesures de renvoi prises contre eux dans le but de permettre aux filles de terminer leur année scolaire et à M. Tai de mener à terme ses activités commerciales est prématurée. Aucune date n’a été ou ne peut être fixée actuellement pour leur renvoi du Canada. Les membres de la famille Tai auront droit à un examen des risques avant renvoi (ERAR) avant de pouvoir être renvoyés du Canada. Lorsqu’une date de renvoi aura été fixée, ils pourront au besoin, et compte tenu des circonstances, demander le report de cette date à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), laquelle a compétence relativement à cette question.

 

[10]           La Cour est d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que la SAI a tenu compte de toutes les circonstances concernant la famille Tai, y compris l’intérêt supérieur des enfants.

 

II. Contexte

[11]           En 1998 ou 1999, les membres de la famille Tai ont présenté des demandes de visa de résident permanent au Canada. Après avoir été interrogés au sujet de leurs demandes, ils ont parlé de leur projet d’immigrer au Canada aux parents de M. Tai. Le projet n’a pas semblé leur plaire. Monsieur Tai a eu l’impression que ses parents désapprouvaient l’idée parce qu’ils étaient âgés; la tradition l’obligeait à prendre soin d’eux parce qu’ils étaient malades. Ses parents ont dit qu’ils étaient préoccupés par les possibilités en matière d’emploi et par sa capacité de subvenir aux besoins de sa famille. Son père voulait que la famille reste à Taïwan pour lui tenir compagnie (transcription de l’audience de la SAI (transcription), dossier certifié du tribunal (DCT), vol. 1, p. 24, 25 et 50).

 

A. Séjours au Canada

[12]           Le 2 février 2001, tout juste avant l’expiration de leurs visas de résident permanent, les membres de la famille Tai sont arrivés au Canada et ont obtenu le statut de résident permanent. Ils n’avaient pas emporté leurs biens avec eux. Ils ont inscrit les filles à l’école et ont demandé des cartes d’assurance maladie. Après avoir passé neuf jours au Canada, ils sont retournés chez eux à Taïwan (DCT, transcription, vol. 1, p. 23 et 52).

 

[13]           De février 2001 à avril 2008, les membres de la famille Tai sont revenus au Canada une seule fois, en août 2003. Ils ont alors passé neuf jours au Canada pour prendre possession de leurs cartes de résident permanent (DCT, vol. 1, p. 6, par. 2).

 

[14]           Du 15 avril 2008 au 23 avril 2008, les membres de la famille TAI ont obtenu des certificats médicaux concernant les parents de M. Tai, la mère de Mme Chang et Wei‑Hsuan. Ces certificats indiquent :

a)      que la mère de Mme Chang a eu un genou remplacé en 1999 et l’autre en 2000;

b)      que le père de M. Tai a été hospitalisé pendant une brève période en 2002 pour une hémorroïdectomie, en 2006 pour une opération relative à une hernie et en 2007 pour des blessures à un membre et une dislocation;

c)      que la mère de M. Tai a été hospitalisée pendant une brève période pour une blessure au poignet en février 2008. Selon un certificat daté d’avril 2008, elle souffre d’arthrose du genou et a un excès de poids;

d)      Wei-Hsuan a besoin de se faire extraire deux molaires et de porter un appareil orthodontique pendant deux ans.

(certificats médicaux, DCT, vol. 2, p. 201 à 212)

 

[15]           Le 25 avril 2008, les membres de la famille Tai ont quitté Taïwan en avion pour Seattle, dans l’État de Washington, et ont expédié leurs biens au Canada. Cependant, ils ont conservé leur résidence familiale à Taïwan et M. Tai a gardé son emploi dans ce pays. Une sœur et un frère de M. Tai vivent à Taïwan. Sa sœur habite maintenant avec ses parents et prend soin d’eux (transcription, DCT, vol. 1, p. 30, 33, 36 et 54 à 57).

 

B. Point d’entrée – Mesures de renvoi

[16]           Les membres de la famille Tai sont arrivés en voiture, avec un ami citoyen canadien et sa famille, à la frontière de Douglas, en Colombie‑Britannique, le 26 avril 2008. L’agent examinateur de l’ASFC qui les a accueillis a déterminé qu’ils cherchaient à revenir au Canada en qualité de résidents permanents.

 

[17]           L’agent de l’ASFC a établi des rapports sur les membres de la famille Tai parce qu’ils ne s’étaient pas conformés à leur obligation de résidence en n’étant pas effectivement présents au Canada pour au moins 730 jours pendant la période de cinq ans précédant leur admission au Canada. La famille Tai avait passé neuf jours au Canada pendant la période pertinente (art. 28 de la LIPR; rapports visés au par. 44(1) de la LIPR, dossier du demandeur (DD), p. 26 à 35 et DCT, vol. 2, p. 238 à 247).

 

[18]           Le délégué du ministre a pris des mesures de renvoi contre les membres de la famille Tai le 27 avril 2008 (mesures d’interdiction de séjour, DD, onglet 3, p. 22 à 25 et DCT, vol. 2, p. 234 à 237).

 

C. Maintien de la résidence de M. Tai à Taïwan

[19]           En juin 2008, M. Tai est retourné à Taïwan, où la famille possédait toujours une maison, et il a continué à travailler dans ce pays. Madame Chang et les deux filles sont demeurées au Canada (transcription, DCT, vol. 1, p. 36).

 

[20]           En septembre 2008, M. Tai est revenu au Canada pour 12 jours afin de prendre possession de sa carte de résident permanent, puis il est retourné à Taïwan au cours du même mois pour continuer à travailler (transcription, DCT, vol. 1, p. 36).

 

[21]           En février 2009, M. Tai est à nouveau revenu au Canada quelque temps, avant de retourner à Taïwan (transcription, DCT, vol. 1, p. 36).

 

[22]           Monsieur Tai est revenu encore une fois au Canada le 30 avril 2008 et il a commencé à travailler pour Lions Travel le 1er mai 2009. Il est resté au Canada après cette date, sauf pendant quatre jours qu’il a passés aux États‑Unis pour ses affaires en novembre 2009 (transcription, DCT, vol. 1, p. 37 et 61).

 

[23]           En mai 2009 ou par la suite, M. Tai est devenu membre de la chambre de commerce taïwanaise de Vancouver et a présenté sa candidature pour devenir bénévole pour une ligne d’écoute téléphonique chinoise. Il s’est joint au club des Lions en septembre 2009 (transcription, DCT, vol. 1, p. 41, 42 et 79).

 

D. Motif d’appel à la SAI

[24]           Les membres de la famille TAI ont interjeté appel des mesures de renvoi prises contre eux devant la SAI. Ils ont reconnu que ces mesures étaient légales, mais ils ont demandé à la SAI d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de faire droit à l’appel pour des motifs d’ordre humanitaire (motifs de la SAI, DCT, vol. 1, p. 6).

 

[25]           Les membres de la famille Tai prétendaient qu’ils n’avaient pas pu s’établir plus tôt au Canada parce que le père de M. Tai ne leur avait donné sa permission pour qu’ils immigrent au Canada qu’en 2008 et que M. Tai devait prendre soin de son père et de sa belle‑mère (motifs de la SAI, DCT, vol. 1, p. 8 et 9, par. 8).

 

[26]           À l’audience, les membres de la famille Tai ont produit des certificats de diagnostic, datés du 8 mai 2008, indiquant que le père de M. Tai souffrait du diabète de type 2, de cardiopathie ischémique et d’arythmie et sa mère, du diabète de type 2 et de cardiopathie hypertensive. Ces certificats ne précisaient pas cependant depuis quand les parents de M. Tai avaient ces maladies (hôpital Hua‑Lien du ministère de la Santé, certificat de diagnostic, DCT, vol. 2, p. 205 à 210).

 

[27]           Monsieur Tai a déclaré que son père avait changé d’avis et avait décidé de permettre à la famille d’immigrer en 2008 pour plusieurs raisons. La situation économique était difficile à Taïwan et le père de M. Tai ne faisait plus confiance au parti au pouvoir. Il était inquiet pour son fils et les enfants de celui‑ci et était préoccupé par le stress imposé par l’école à ces dernières à Taïwan. La fille aînée, Wei‑Hsuan, avait alors terminé ses études secondaires (transcription, DCT, vol. 1, p. 27 à 29).

 

E. Audience de la SAI

[28]           L’article 37 des Règles de la SAI prévoit qu’une partie qui veut faire comparaître un témoin à une audience doit transmettre par écrit à l’autre partie et à la SAI, au moins 20 jours avant l’audience, des renseignements concernant le témoin, notamment la durée de son témoignage, à défaut de quoi le témoin ne peut pas témoigner, sauf autorisation de la SAI.

 

[29]           Le 26 août 2009, l’avocat de la famille Tai, Me Wong, a écrit à la SAI pour demander une audience d’une journée et demie. Maître Wong indiquait qu’il avait l’intention de faire entendre six témoins : les quatre membres de la famille Tai, l’agent examinateur et le délégué du ministre (lettre adressée à la SAI le 26 août 2009, DD, onglet 3, p. 17 et DCT, vol. 2, p. 282).

 

[30]           Le 10 septembre 2009, la SAI a fait droit en partie à la demande de la famille Tai visant à obtenir une audience deux fois plus longue que le temps d’audience habituel d’une demi‑journée. La SAI a estimé qu’il s’agissait d’une durée convenable dans les circonstances (lettre de la SAI datée du 10 septembre 2009, DD, onglet 3, p. 18 et DCT, vol. 2, p. 283 et 284).

 

[31]           Le 20 novembre 2009, Me Wong a informé la SAI qu’il avait l’intention de faire témoigner huit personnes : les quatre membres de la famille Tai et quatre autres témoins. Il n’a pas précisé la durée des témoignages de ces personnes, ni demandé qu’une citation à comparaître soit délivrée aux deux agents d’immigration en vertu de l’article 38 des Règles de la SAI.

 

[32]           Au début de l’audience de la SAI le 7 décembre 2009, Me Wong a affirmé, en réponse à une question du président de l’audience, qu’il avait l’intention de faire témoigner les membres de la famille Tai ainsi que six autres personnes au sujet du travail et des activités communautaires de M. Tai, soit un total de dix témoins. Maître Wong n’avait pas avisé la SAI au sujet des deux témoins additionnels, ni de la durée de leur témoignage, dans les 20 jours précédant l’audience comme l’exige l’article 37 des Règles de la SAI (transcription, DCT, vol. 1, p. 20 et 21).

 

[33]           Le président de l’audience a indiqué qu’il fallait le convaincre que six témoins additionnels étaient nécessaires, et il a demandé à l’avocat de la famille Tai de s’arranger pour que l’audience soit terminée ce jour‑là. En fait, la SAI a permis à Me Wong de faire témoigner 11 personnes à l’audience (transcription, DCT, vol. 1, p. 21).

 

[34]           Pendant l’audience de la SAI, Me Wong n’a pas indiqué qu’il avait l’intention de faire témoigner les agents d’immigration, ni qu’il les avait assignés à témoigner.

 

[35]           Vers la fin de l’audience, après que le président de l’audience lui a demandé d’appeler le témoin suivant, l’avocat de la famille Tai a demandé jusqu’à quelle heure l’audience allait durer. Le président de l’audience a répondu qu’il aimerait que toute la preuve soit présentée avant la fin de la journée. L’avocat a fait savoir qu’il pouvait faire la synthèse de l’audience et qu’il n’avait pas besoin de faire témoigner la mère ou le plus jeune membre de la famille Tai. L’avocat a confirmé que [traduction] « leurs préoccupations avaient été abordées par les autres témoins ». Au cours de l’heure qui a suivi, les parties ont témoigné de vive voix (transcription, DCT, vol. 1, p. 127 et 128; affidavit de Kathleen Lynch, signé le 15 mars 2010, par. 6).

 

F. Décision de la SAI

[36]           La SAI a rejeté l’appel de la famille Tai le 10 décembre 2009. Elle a tenu compte des facteurs suivants dans son appréciation de la preuve relative à la situation des membres de la famille :

e)      la nature et l’étendue du non‑respect de l’obligation de résidence, en particulier le temps qu’ils ont passé au Canada (par. 7);

f)        les circonstances entourant le manquement à l’obligation de résidence, y compris les raisons pour lesquelles ils ont quitté le Canada et sont restés à l’étranger (par. 8 et 9);

g)      leur établissement au Canada et le soutien de la collectivité à leur égard (par. 10);

h)      la question de savoir si des difficultés leur seraient causées au Canada (par. 11);

i)        les difficultés qui pourraient leur être causées s’ils étaient obligés de quitter le Canada et l’intérêt supérieur des enfants (par. 12).

 

[37]           La SAI a considéré que les membres de la famille Tai avaient obtenu le statut de résident permanent au Canada sept ans avant d’être prêts à s’engager à vivre en permanence dans ce pays. Elle a conclu qu’ils ne s’étaient pas véritablement établis au Canada ou n’avaient aucun lien digne de ce nom avec ce pays avant 2008. La SAI a soupesé les raisons pour lesquelles les membres de la famille Tai ne s’étaient pas établis plus tôt au Canada et la preuve démontrant qu’ils avaient travaillé fort pour s’établir depuis leur arrivée au Canada en 2008.

 

[38]           La SAI a tenu compte du temps passé par les membres de la famille Tai au Canada, de leurs liens avec ce pays, des raisons pour lesquelles ils ont quitté le Canada et sont restés à l’étranger, de l’absence de raisons expliquant pourquoi les dispositions qui ont été prises concernant leurs parents ne pouvaient pas l’être plus tôt, du fait que M. Tai avait les moyens de rendre régulièrement visite à ses parents à Taïwan, des obligations que la culture chinoise impose à M. Tai en sa qualité de fils aîné, de l’établissement de la famille au Canada et du soutien de la collectivité dont elle bénéficie ainsi que des difficultés qu’elle connaîtrait si elle devait retourner à Taïwan.

 

[39]           La SAI a conclu qu’il n’existait pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales.

 

III. Question en litige

[40]           La famille Tai a-t-elle démontré que la SAI a manqué à l’équité procédurale, n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve ou les a mal interprétés, a commis une erreur en ne se référant pas à la jurisprudence lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire ou a commis une erreur en ne déterminant pas s’il y avait lieu de surseoir temporairement aux mesures de renvoi?

 

IV. Analyse

A. Dispositions législatives pertinentes

[41]           L’article 28 de la LIPR définit l’obligation de résidence qui s’applique aux résidents permanents. Aux termes de cette disposition, les résidents permanents doivent, sous réserve d’exceptions bien définies, être effectivement présents au Canada pour 730 jours pendant chaque période quinquennale pour conserver leur statut.

 

[42]           L’alinéa 62(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR), décrit le mode de calcul des jours aux fins de l’obligation de résidence :

 

[...] ne peut tenir compte des jours qui suivent : a) soit le rapport établi par l’agent en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi pour le seul motif que le résident permanent ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence; [...]

… does not include any day after (a) a report is prepared under subsection 44(1) of the Act on the ground that the permanent resident has failed to comply with the residency obligation; …

 

Ainsi, les jours pendant lesquels les membres de la famille Tai ont été Canada après avoir fait l’objet des rapports ne sont pas inclus aux fins de l’obligation de résidence. Il en aurait été autrement si leurs appels avaient été accueillis.

 

[43]           Conformément à la LIPR, les membres de la famille Tai ont conservé leur statut de résident permanent jusqu’à ce que la SAI ait statué sur leurs appels concernant les mesures de renvoi (al. 46(1)c) et par. 49(1) de la LIPR).

 

[44]           Les résidents permanents peuvent interjeter appel à l’encontre d’une mesure de renvoi prise contre eux à la SAI. Les articles 66 à 69 de la LIPR décrivent les issues possibles d’un appel. L’article 66 prévoit :

66. Il est statué sur l’appel comme il suit :

 

 

a) il y fait droit conformément à l’article 67;

 

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

 

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall

 

(a) allow the appeal in accordance with section 67;

 

(b) stay the removal order in accordance with section 68; or

 

(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.

(paragraphe 63(3) et article 66 de la LIPR)

 

[45]           Les paragraphes 67(1) et 68(1) de la LIPR énoncent les motifs pour lesquels la SAI peut faire droit ou surseoir à un appel, respectivement. Aux termes du paragraphe 67(2) de la LIPR :

67.     (2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

 

67.     (2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

(articles 67 et 68 de la LIPR)

 

[46]           Aux termes du paragraphe 69(1) de la LIPR, l’appel doit être rejeté si la SAI n’y fait pas droit ou n’y sursoit pas.

 

B. Facteurs de l’arrêt Ribic

[47]           La LIPR ne prévoit pas les facteurs dont la SAI doit tenir compte lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire. La SAI applique cependant depuis au moins 25 ans les « facteurs Ribic » qui ont été approuvés par la Cour suprême du Canada dans Chieu :

[1.]   la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion[;]

 

[2.]   la durée de la période passée au Canada [et] le degré d’établissement de l’appelant[;]

 

[3.]   la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille[;]

 

[4.]   le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité[;]

 

[5.]   l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité. [Souligné dans l’original.]

 

Cette liste est indicative, et non pas exhaustive. Le poids à accorder à un facteur donné dépend des circonstances particulières de chaque cas.

 

(Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, par. 40 et 41, facteurs tirés de Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] I.A.B.D. no 4 (QL/Lexis); la Cour suprême a aussi fait référence à Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 137 (motifs concourants du juge Marshall Rothstein)).

 

C. Norme de contrôle

[48]           La Cour suprême du Canada a statué que les conclusions de la SAI relatives à la crédibilité et sa décision discrétionnaire concernant la question de savoir s’il y avait lieu de prendre des mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire sont assujetties à la norme de la raisonnabilité et doivent faire l’objet d’une déférence considérable (Khosa, précité, par. 60).

 

[49]           La plus grande partie des arguments invoqués par la famille Tai dans leur mémoire des arguments déposé au soutien de la présente demande concernent le poids accordé à la preuve par la SAI. Or, ce n’est pas le rôle de la Cour d’apprécier à nouveau la preuve à l’occasion d’un contrôle judiciaire (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3; Barm c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 893, 169 A.C.W.S. (3d) 171, par. 23).

 

[50]           La famille Tai semble prétendre que la Cour peut apprécier à nouveau, à l’occasion d’un contrôle judiciaire, la preuve dont disposait la Section de la protection des réfugiés (la SPR), sur la foi de la décision Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1195, 155 A.C.W.S. (3d) 424, qui a été rendue par la Cour en 2006. Toutefois, la Cour suprême du Canada a encore une fois confirmé dans Khosa, précité, qu’il ne lui appartient pas d’apprécier à nouveau la preuve à l’occasion du contrôle judiciaire de la décision de la SAI (Khosa, précité, par. 61 et 64).

 

D. La conclusion relative à la crédibilité est raisonnable

[51]           La famille Tai cherche à contester la conclusion de la SAI concernant la crédibilité. Premièrement, cette conclusion a été formulée de manière incidente : la SAI a indiqué que sa décision n’était pas fondée sur cette conclusion. Deuxièmement, les conclusions tirées par la SAI au regard de la crédibilité sont raisonnables.

 

[52]           Contrairement à ce qu’affirme la famille Tai, la SAI a tenu compte du témoignage de M. Tai selon lequel aucun interprète n’était disponible pour lui lors des entrevues au point d’entrée. En fait, la SAI a fait expressément référence au témoignage de M. Tai selon lequel les divergences apparaissant dans les déclarations faites au point d’entrée étaient attribuables à l’absence d’un interprète.

 

[53]           La SAI a tenu compte du fait que la preuve ne démontrait pas que M. Tai avait demandé un interprète; l’agent semblait convaincu que M. Tai était suffisamment à l’aise en anglais pour communiquer dans cette langue et ses déclarations sous serment étaient en anglais. La SAI a conclu de manière raisonnable que le témoignage de M. Tai n’était pas crédible.

 

E. Il y a eu renonciation au droit à un interprète

[54]           La prétention des membres de la famille Tai concernant l’obligation de fournir des services d’interprétation de qualité ne tient pas compte du fait qu’il leur incombait de demander un interprète s’ils en avaient besoin.

 

[55]           On a demandé plus d’une fois à M. Tai et à sa fille d’âge adulte s’ils comprenaient ce que l’agent leur disait. La famille Tai a renoncé à tout droit à des services d’interprétation en ne soulevant pas de problème et en ne demandant pas l’aide d’un interprète. Les conclusions de la SAI sont raisonnables (Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, [2001] 4 C.F. 85).

 

F. La SAI n’est pas liée par les règles de preuve

[56]           Les membres de la famille Tai soutiennent que la SAI aurait dû accorder moins de poids aux déclarations écrites de l’agent d’immigration qu’à leurs propres témoignages directs. La LIPR prévoit :

175.     (1) Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section d’appel de l’immigration :

 

[...]

 

b) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

 

c) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision.

 

175.     (1) The Immigration Appeal Division, in any proceeding before it,

 

 

(b) is not bound by any legal or technical rules of evidence; and

 

(c) may receive and base a decision on evidence adduced in the proceedings that it considers credible or trustworthy in the circumstances.

 

[57]           Les membres de la famille Tai prétendent que la SAI ne pouvait pas rejeter le témoignage de M. Tai sans raison valable. La SAI avait cependant une bonne raison de douter de la véracité de ce témoignage. Elle a conclu que le témoignage de M. Tai au sujet de son entrevue avec l’agent d’immigration était vague. Elle a tenu compte en particulier de l’argument de M. Tai selon lequel il n’avait pas déclaré qu’il s’agissait d’un voyage d’une journée, et elle n’a pas jugé crédible que M. Tai ne sache pas qu’il devait fournir cette information à la frontière. La SAI a apprécié la preuve de manière raisonnable et a choisi d’accorder plus de poids aux propos de l’agent (décision de la SAI, par. 6).

 

G. La durée de d’audience était suffisante

[58]           La preuve n’étaye pas la prétention de la famille Tai selon laquelle on l’a empêchée de faire témoigner les agents d’immigration et la SAI ne leur a pas accordé suffisamment de temps d’audience (motifs de la SAI, par. 6).

 

[59]           Avant l’audience devant la SAI, l’avocat de la famille Tai a affirmé qu’il voulait faire témoigner les quatre membres de la famille et assigner les deux agents à témoigner, pour un total de six témoins. En réponse, la SAI a accordé un jour complet d’audience à la famille Tai, soit deux fois le temps qui est normalement alloué pour l’audience d’un appel à la SAI.

 

[60]           La famille Tai n’a pas assigné les agents à témoigner et n’a pas dit au début de l’audience qu’elle voulait les faire témoigner. Elle a plutôt choisi de faire entendre 11 témoins, y compris M. Tai et sa fille d’âge adulte. La famille Tai a eu amplement la possibilité de faire témoigner les deux agents d’immigration, mais elle a choisi de ne pas le faire.

 

[61]           De plus, la SAI n’a pas empêché la famille Tai d’assigner d’autres témoins : c’est son avocat qui a choisi de ne pas le faire parce qu’il estimait que ce n’était pas nécessaire. La SAI a seulement indiqué qu’elle voulait que toute la preuve soit présentée avant la fin de la journée. Elle n’a rien dit au sujet des observations. Au lieu d’entendre d’autres témoins, les parties ont passé la dernière heure de l’audience à présenter des observations de vive voix. La Cour a statué que la SAI ne commet pas une erreur même lorsqu’elle est au courant de l’heure et que le conseil accepte sa suggestion de ne pas faire témoigner d’autres personnes. La SAI a agi de manière équitable (Chiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1671, 144 A.C.W.S. (3d) 722).

 

H. Souplesse dans l’ordre des témoignages

[62]           Les membres de la famille Tai se plaignent du fait que la SAI n’a pas agi de manière équitable parce qu’elle ne leur a pas permis d’interrompre l’interrogatoire principal de M. Tai pour faire témoigner d’autres personnes. Or, contrairement à la prétention de la famille Tai, la SAI a agi de manière équitable.

 

[63]           Lorsque Me Wong a demandé à la SAI s’il pouvait interrompre le témoignage de M. Tai pour que d’autres personnes puissent témoigner lorsqu’elles arriveraient, la SAI a répondu qu’elle préférait ne pas interrompre un témoignage et a indiqué qu’elle allait voir où l’audience en serait au moment où les témoins arriveraient et qu’elle essaierait de se montrer accommodante envers eux (transcription, DCT, vol. 1, p. 20 et 21).

 

[64]           L’interrogatoire principal de M. Tai était toujours en cours quand les autres témoins sont arrivés. Maître Wong a demandé s’il pouvait interrompre cet interrogatoire pour entendre les autres témoins. Le membre de la SAI a indiqué qu’il préférait qu’au moins l’interrogatoire principal soit mené à terme (transcription, DCT, vol. 1, p. 37).

 

[65]           Après avoir pris connaissance de l’objection du ministre à cette façon de procéder, la SAI a décidé que les témoins seraient entendus après que M. Tai aurait terminé son témoignage. Le membre de la SAI a répété qu’il essaierait d’entendre les autres témoins au cours de la matinée et de se montrer accommodant de cette façon auprès d’eux (transcription, DCT, vol. 1, p. 37 et 38).

 

[66]           La Cour suprême du Canada a statué que les tribunaux administratifs, comme les anciens arbitres de l’immigration, sont maîtres de leur propre procédure. Ils peuvent fixer leur propre procédure à la condition d’agir de manière équitable et en conformité avec les principes de justice naturelle. La SAI a agi de manière équitable. (Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, 57 D.L.R. (4th) 663, par. 16).

 

[67]           Au début de l’audience, Me Wong a affirmé qu’il avait l’intention de faire témoigner six personnes, en plus des membres de la famille Tai. Il a en fait assigné huit témoins qui n’étaient pas des membres de la famille Tai.

 

I. Refus d’admettre des documents

[68]           Les membres de la famille Tai soutiennent pour la première fois dans leur mémoire supplémentaire des arguments que la SAI ne les a pas traités de manière équitable en refusant d’admettre en preuve des documents non conformes aux Règles de la SAI (les documents non conformes).

 

[69]           Les documents non conformes consistaient en un reçu d’expédition daté du 25 avril 2008, des renseignements concernant un cours de planification financière suivi par M. Tai (datés apparemment de septembre 2008) et des photos de l’entreprise de M. Tai au Canada (transcription, DCT, vol. 1, p. 17 et 18; affidavit de M. Tai, signé le 28 mai 2010).

 

[70]           Selon les Règles de la SAI, la famille Tai devait transmettre ces documents à la SAI et au ministre au moins 20 jours avant l’audience. L’avocat de la famille a télécopié les documents à la SAI le jeudi 3 décembre 2009, en vue de l’audience du lundi 7 décembre 2009 (article 30 des Règles de la SAI; transcription, DCT, vol. 1, p. 17 et 18).

 

[71]           La SAI a refusé d’admettre les documents non conformes en preuve parce qu’ils n’avaient pas été communiqués dans le délai imparti et qu’elle n’était pas satisfaite des raisons fournies pour expliquer le retard. Maître Wong a dit que les documents non conformes avaient été transmis en retard parce que M. Tai se trouvait à une rencontre internationale des chambres de commerce taïwanaises aux États‑Unis et qu’il n’était revenu qu’au début de décembre 2009. La SAI a fait remarquer que les membres de la famille Tai pouvaient aborder ce sujet dans leur témoignage (transcription, DCT, vol. 1, p. 18 à 20).

 

[72]           Monsieur Tai a ensuite déclaré dans son témoignage qu’il était allé à Dallas pour assister à une conférence des sections nord‑américaines de la Taiwanese Business Association, une association internationale, qui se déroulait du 19 au 22 novembre 2009 et qu’il n’avait pas quitté le Canada du 30 avril 2009 jusqu’à cette date. Dans ces circonstances, la décision de la SAI était équitable (transcription, DCT, vol. 1, p. 41 et 61; ordre du jour de la conférence des chambres de commerce taïwanaises d’Amérique du Nord, DCT, vol. 1, p. 161; itinéraire, reçu et billet électroniques transmis par courriel, DCT, vol. 2, p. 213).

 

[73]           La décision de la SAI n’est pas fondée sur ces documents. La SAI n’a exprimé aucun doute au sujet de la preuve démontrant que la famille Tai avait expédié ses biens au Canada en avril 2008, que M. Tai avait pris un cours de planification financière ou qu’il avait étendu les activités de son entreprise au Canada. La SAI a agi de manière équitable.

 

J. Éléments de preuve négligés ou mal interprétés

[74]           Les membres de la famille Tai prétendent également que la SAI n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve en concluant qu’ils étaient entrés au Canada par voie terrestre afin d’éviter un examen plus approfondi. La SAI n’était pas tenue de faire référence au témoignage de M. Tai selon lequel il est arrivé par voie terrestre parce qu’il avait rendu visite à un ami à Seattle. La SAI est présumée avoir pris en considération tous les éléments de preuve dont elle disposait et ses motifs justifiaient ses conclusions (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 315 (C.A.F.); Florea c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL/Lexis)).

 

[75]           Contrairement à ce que prétendent les membres de la famille Tai, la SAI a apprécié de manière raisonnable leur preuve et les raisons pour lesquelles ils n’ont pas résidé au Canada pendant toute la période de leur résidence permanente. Le fait qu’ils ont choisi de rester à Taïwan en raison d’obligations familiales et qu’ils ne sont pas demeurés dans ce pays à cause de difficultés qu’il n’était pas possible de surmonter n’est que l’un des facteurs pertinents dont la SAI a tenu compte. La SAI a conclu de manière raisonnable que, si M. Tai [traduction] « avait réellement voulu être présent au Canada et avait l’intention de satisfaire à la condition de résidence […] il n’était pas difficile de le faire » (décision de la SAI, par. 9).

 

[76]           Contrairement à la prétention de la famille Tai selon laquelle la SAI [traduction] « n’a pas tenu compte du fait que les parents âgés de M. Tai étaient dans une situation de dépendance à long terme », la SAI a tenu compte des raisons pour lesquelles la famille a quitté le Canada et est demeurée à l’étranger. Elle a considéré que M. Tai était resté pour prendre soin de son père et que ce dernier ne voulait pas que son fils déménage aussi loin. La SAI a tenu compte des raisons culturelles pour lesquelles M. Tai est resté à Taïwan et du fait que son père peut se déplacer. La preuve produite par M. Tai concernant la dépendance de ses parents était limitée. La décision de la SAI est raisonnable (décision de la SAI, par. 8 et 9).

 

[77]           Les membres de la famille Tai prétendent également que la SAI n’a pas bien interprété la preuve lorsqu’elle a dit que [traduction] « les appelants n’ont pas donné de raisons claires expliquant pourquoi ils ont quitté le Canada et sont demeurés à l’étranger pendant presque toute la période depuis qu’ils ont obtenu le droit d’établissement ». Lorsque cette phrase est lue dans son contexte, il est évident que la SAI a tenu compte des raisons données par la famille Tai pour expliquer pourquoi elle était restée à l’extérieur du Canada. Le reste du paragraphe et le paragraphe suivant des motifs de la SAI sont libellés ainsi :

[traduction]

[8]        [Monsieur Tai a dit à l’agent d’immigration] […] qu’ils avaient quitté le Canada parce qu’il devait prendre soin de son père et de sa belle‑mère. Cette raison est mentionnée aussi dans la déclaration écrite qu’il a faite. Or, il n’est guère question dans son témoignage d’une situation qui pourrait être interprétée comme exigeant que M. Tai soit à Taïwan pour prendre soin de son père, outre l’existence de problèmes médicaux périodiques. Son père est âgé, mais capable de se déplacer, même aujourd’hui. Ce qui ressort clairement du témoignage de Ting‑Hsiang Tai, c’est que son père était mécontent du projet de son fils aîné de déménager aussi loin. Monsieur Tai a parlé à maintes reprises de retourner à Taïwan pour essayer d’obtenir la permission de son père d’immigrer au Canada, permission qui ne lui a pas été accordée avant 2008, soit au moment où les cartes de résident permanent des appelants expiraient. Il est intéressant de noter que les appelants ont attendu jusqu’à ce que leurs autorisations soient presque expirées avant de venir au Canada. Comme M. Tai l’a dit, « en 2001, nous sommes venus ici seulement pour nous présenter aux autorités avant l’expiration ». J’arrive à la conclusion qu’ils avaient en grande partie la même motivation en 2008 car leurs cartes de résident permanent étaient sur le point d’expirer; les appelants ont déterminé qu’ils devaient « soit les utiliser soit les perdre ».

 

[9]        Il faut mentionner également que les parents de l’appelant habitent actuellement avec leur fille à Taïwan et que celle‑ci leur apporte toute l’aide dont ils ont besoin. On n’a pas expliqué pourquoi cet arrangement n’aurait pas pu être pris beaucoup plus tôt, même à l’époque où les appelants ont obtenu le droit d’établissement. De plus, l’appelant Ting‑Hsiang Tai a un frère à Taïwan qui peut aussi aider leurs parents […]

 

[78]           La famille Tai prétend également que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle la mère de M. Tai avait subi des interventions visant à remplacer ses deux genoux. Or, ces interventions ont eu lieu en 1999 et en 2000, soit avant que les membres de la famille Tai deviennent des résidents permanents du Canada.

 

[79]           La famille Tai prétend aussi que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve relative à l’état de santé du père et de la belle‑mère de M. Tai. La SAI n’était pas tenue de faire expressément référence à cette preuve. Comme elle l’a mentionné, la famille Tai n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas pu faire plus tôt les arrangements qu’elle a pris relativement aux parents âgés qu’elle laissait derrière elle à Taïwan. La SAI a fait état des problèmes médicaux dans ses motifs de décision et en a tenu compte (décision de la SAI, par. 8 et 9).

 

K. La SAI a tenu compte des facteurs pertinents

[80]           Contrairement à ce qu’affirment les membres de la famille Tai, les motifs de la SAI sont adéquats lorsqu’ils sont considérés globalement. La SAI a tenu compte de l’ensemble des circonstances, non seulement du non‑respect de l’obligation de résidence.

 

[81]           En soutenant que la SAI avait l’obligation d’expliquer pourquoi les efforts qu’ils avaient déployés récemment pour s’établir au Canada n’étaient pas suffisants pour compenser le manquement à l’obligation de résidence, les membres de la famille Tai ne comprennent pas bien la nature du pouvoir discrétionnaire de la SAI. La SAI a l’obligation de tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire, non seulement des efforts déployés récemment par la famille Tai pour s’établir ici (al. 67(1)c) et par. 68(1) de la LIPR).

 

[82]           Les membres de la famille Tai prétendent que la SAI aurait dû accorder beaucoup d’importance au facteur de la « réadaptation » mentionné dans Ribic car ils se sont excusés du manquement et ils travaillent fort actuellement pour s’établir au Canada. La « réadaptation » est un facteur dont la SAI tient compte lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire relativement à l’interdiction de territoire pour criminalité. Ce facteur ne s’applique pas en l’espèce. Il n’appartient pas à la Cour de déterminer le poids à accorder aux facteurs particuliers.

 

[83]           La contribution positive de la famille Tai au Canada est seulement l’un des facteurs du critère établi dans Ribic qui est appliqué par la SAI. Ces facteurs sont adaptés dans les cas qui n’ont pas trait à l’interdiction de territoire pour criminalité afin que « les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion » soient prises en compte au lieu de la réadaptation. La SAI a appliqué le critère approprié (Chieu, précité, par. 40 et 41).

 

[84]           La famille Tai demande encore une fois à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve et d’accorder un poids plus grand à la preuve relative aux efforts qu’elle a déployés pour s’établir au Canada après que les mesures de renvoi ont été prises. C’est à la SAI, et non à la Cour, qu’il incombe d’apprécier cette preuve. La SAI a apprécié la preuve et a tiré une conclusion raisonnable. La décision de la SAI ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[85]           Contrairement à ce qu’affirme la famille Tai, la SAI n’est pas tenue de se référer à la jurisprudence. La SAI a appliqué les principes appropriés établis par les tribunaux et sa décision ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

L. La SAI a tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants

[86]           La prétention de la famille Tai selon laquelle la SAI n’a pas été réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants repose sur une lecture partielle des motifs de sa décision.

 

[87]           Il ressort de ses motifs que la SAI a tenu compte des difficultés que connaîtraient les enfants à leur retour à Taïwan. Elle a tenu compte du fait qu’elles se sont fait des amis proches, qu’elles sont épanouies et qu’elles semblent avoir un avenir prometteur au Canada. Elle a aussi pris en compte qu’elles ont de la famille à Taïwan ainsi que des parents dévoués et pleins de ressources pour les aider à se réadapter à la vie dans ce pays. La SAI a fait remarquer que les enfants sont intelligentes et dotées d’esprit d’initiative et que tout se passera vraisemblablement bien pour elles, peu importe où elles vivent.

 

[88]           La Cour d’appel fédérale a statué que, lorsqu’un agent d’immigration examine une demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’intérêt supérieur de l’enfant est seulement l’un des facteurs à prendre en compte. Elle a aussi statué que l’on peut présumer que l’enfant est dans une meilleure position s’il vit au Canada. L’agent doit évaluer le degré vraisemblable de difficultés auquel sera exposé l’enfant en cas de renvoi, puis soupeser ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs. C’est ce que la SAI a fait dans le cas de la famille Tai. Sa décision est raisonnable (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), par. 4 à 6).

 

M. Instance non compétente pour statuer sur une demande de report de l’exécution des mesures de renvoi

[89]           Enfin, les membres de la famille Tai soutiennent que la SAI a commis une erreur en ne faisant pas référence à la demande qu’ils ont présentée afin qu’il soit sursis à l’exécution des mesures de renvoi prises contre eux jusqu’à ce que les enfants aient terminé leur année scolaire. La SAI n’était pas tenue de parler de cette demande car celle‑ci était prématurée. La SAI n’exerce aucun contrôle sur la date du renvoi de la famille Tai du Canada. Cette question est maintenant devenue théorique.

 

[90]           C’est l’ASFC, qui relève du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, qui est chargée du renvoi de la famille Tai. Aucune date n’a encore été fixée pour ce renvoi et ne peut être fixée actuellement puisque la famille n’est pas [traduction] « prête au renvoi » (al. 4(2)b) de la LIPR; Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada, L.C. 2005, ch. 38).

 

[91]           Selon la procédure actuelle, les membres de la famille Tai auraient la possibilité de demander un ERAR avant qu’une date puisse être fixée pour leur renvoi du Canada. S’ils présentent cette demande en temps opportun, ils ne seront pas renvoyés du Canada avant qu’une décision soit rendue sur celle‑ci (art. 112 de la LIPR; art. 160, 162 et 232 du RIPR).

 

[92]           Une telle demande de report de l’exécution des mesures de renvoi prises contre eux doit être présentée à l’ASFC, s’il y a lieu, une fois qu’une date a été fixée pour le renvoi du Canada.

 

[93]           Aux termes du paragraphe 66(1) de la LIPR, la SAI a compétence pour statuer sur un appel de l’une des façons suivantes :

a) il y fait droit [...];

 

b) il est sursis à la mesure de renvoi [...];

 

c) il est rejeté conformément [...].

 

(a) allow the appeal…;

 

(b) stay the removal order…; or

 

(c) dismiss the appeal….

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[94]           Contrairement à ce que M. Tai prétend, la SAI n’a pas compétence pour, à la fois, rejeter l’appel et surseoir temporairement aux mesures de renvoi. Elle peut seulement faire l’un ou l’autre (art. 66 de la LIPR).

 

[95]           Aux termes du paragraphe 69(1) de la LIPR, la SAI peut rejeter un appel seulement si elle n’y fait pas droit ou si elle ne prononce pas le sursis :

69. (1) L’appel est rejeté s’il n’y est pas fait droit ou si le sursis n’est pas prononcé.

69. (1) The Immigration Appeal Division shall dismiss an appeal if it does not allow the appeal or stay the removal order, if any.

 

[96]           Si la SAI fait droit à l’appel, il n’est pas nécessaire qu’il soit sursis à la mesure de renvoi car elle doit annuler cette mesure. Le paragraphe 67(2) de la LIPR prévoit :

67.     (2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

67.     (2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

[97]           Si elle avait simplement accordé le sursis temporaire demandé par la famille Tai, la SAI aurait dû reprendre l’audience afin de rendre une décision finale sur l’appel sans connaître la date du renvoi et sans exercer aucun contrôle sur celle‑ci. La SAI n’est pas l’instance compétente pour prononcer un sursis temporaire de l’exécution des mesures de renvoi.

 

[98]           Comme les membres de la famille Tai l’ont reconnu, cette question est maintenant devenue théorique.

 

V. Conclusion

[99]           Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et que l’affaire ne soulève aucune question de portée générale devant être certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-196-10

 

INTITULÉ :                                       TING-HSIANG TAI, TSAI-HUEI CHANG,

WEI-HSUAN TAI et LIN TAI c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 23 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 1er mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mojdeh Shahriari

 

                                 POUR LES DEMANDEURS

 

Caroline Christiaens

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mojdeh Shahriari

Avocate

Vancouver (C.‑B.)

 

                                 POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.‑B.)

                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

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