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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110225

Dossier : T-1162-09

Référence : 2011 CF 226

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa, Ontario, le 25 février 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

ENTRE

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

UNITED STATES STEEL CORPORATION ET U.S. STEEL CANADA INC.

 

 

 

défenderesses

 

 

et

 

 

 

LAKESIDE STEEL INC. ET LAKESIDE STEEL CORP.

 

 

 

intervenantes

 

 

et

 

 

SYNDICAT DES MÉTALLOS ET SECTION LOCALE 1005 ET SECTION LOCALE 8782 ET

JOHN PITTMAN ET GORD ROLLO

 

 

 

 

intervenants

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’une requête présentée par les défenderesses, United States Steel Corporation et U.S. Steel Canada Inc. (US Steel), qui interjettent appel de l’ordonnance de la protonotaire, Martha Milczynski, rendue le 15 novembre 2010, (l’ordonnance) permettant au demandeur (le procureur général du Canada (PGC)) de modifier la réparation sollicitée dans l’avis de demande déposé le 17 juillet 2009 (la demande). US Steel sollicite une ordonnance annulant l’ordonnance de la protonotaire Milczynski.

 

I.  Faits

 

A.  Contexte factuel

 

  • [2] Le 17 juillet 2009, le procureur général du Canada a présenté une demande au nom du ministre de l’Industrie (le ministre) en vertu de l’article 40 de la Loi sur Investissement Canada, L.R.C. 1985, ch. 28 (la LIC).

 

  • [3] Il allègue que US Steel n’a pas respecté deux engagements écrits (les engagements) pris envers le ministre en lien avec l’acquisition par US Steel de certains avoirs de Stelco Inc. (l’entreprise canadienne). Les engagements sont liés au niveau annuel de la production d’acier dans l’entreprise canadienne de US Steel (l’engagement de production) et aux niveaux globaux d’emploi à l’entreprise canadienne (l’engagement d’emplois).

 

  • [4] Les engagements donnés au ministre en octobre 2007 prévoyaient que :

[traduction]

 

L’investisseur augmentera le niveau annuel de production dans les installations de l’entreprise canadienne d’au moins 10 % pendant la durée du mandat (à l’exception des périodes d’interruption dans la production en raison de projets d’immobilisation) concernant la moyenne des trois dernières années civiles complètes.

 

Au cours de la durée du mandat, l’investisseur maintiendra un niveau d’emploi global moyen à l’entreprise canadienne qui n’est pas inférieur à 3 105 employés selon la base de l’équivalent temps plein si le laminoir à barres continue d’être exploité ou à 2 790 employés selon la base de l’équivalent temps plein si le laminoir à barres est vendu ou fermé.

 

  • [5] La durée du mandat des engagements de production et d’emplois était du 1ernovembre 2007 au 31 octobre 2010 (la durée du mandat).

 

  • [6] À la suite de la présentation d’un rapport d’étape à Industrie Canada par US Steel en mars 2009 indiquant que la production avait diminué et que des mises à pied avaient lieu, le 5 mai 2009, le ministre a envoyé une demande à US Steel conformément à l’article 39 de la LIC. Une telle demande peut exiger de l’investisseur qu’il mette fin à la contravention, qu’il corrige le manquement et qu’il expose les raisons pour lesquelles il n’existe aucune contravention ou, dans le cas d’un engagement, de justifier le défaut. Dans la demande, le ministre exigeait de US Steel qu’elle fournisse un engagement écrit selon lequel [traduction] « elle augmentera la production aux installations canadiennes en 2009 et en 2010 afin d’atteindre une production accrue au cours de la durée du mandat [...] » et qu’« elle se conformera à l’engagement de maintenir un niveau d’emploi global moyen à l’entreprise canadienne au cours de la durée du mandat [] »

 

  • [7] Insatisfait de la réponse de US Steel à la demande, le PGC a déposé la demande devant la Cour fédérale le 17 juillet 2009. Le PGC sollicitait une ordonnance enjoignant à US Steel de se conformer aux engagements pertinents :

a.  En augmentant la production d’acier à l’entreprise canadienne, au sens de la présente demande, de telle sorte que :

 

i.  Au cours de la période du 1er novembre 2007 au 31 octobre 2009, la production d’acier soit supérieure ou égale à un total de 8 690 000 tonnes (2 x 4 345 000);

 

ii.  Au cours de la période du 1er novembre 2009 au 31 octobre 2010, la production d’acier soit supérieure ou égale à un total de 4 345 000 tonnes nettes;

 

b.  En prenant toutes les mesures nécessaires pour s’assurer qu’au cours de la durée des engagements, tel qu’il est défini dans la présente demande, les défenderesses maintiennent un niveau d’emploi moyen à l’entreprise canadienne de 3 105 employés en équivalent temps plein.

 

  • [8] En raison de plusieurs requêtes interlocutoires, y compris une contestation constitutionnelle, la durée de vie du litige lié à la demande a maintenant surpassé la durée des engagements, qui sont arrivés à expiration le 31 octobre 2010. Pour tenir compte de l’écoulement du temps depuis que la demande a été déposée, le PGC a décidé de modifier la réparation sollicitée dans la demande en déposant une requête en modification le 15 octobre 2010. Cette requête en modification fait l’objet du présent appel.

 

  • [9] Dans sa version modifiée, au paragraphe 3 de la demande, on demande maintenant à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à US Steel de :

  [traduction]

 

  1. produire X millions de tonnes d’acier à l’entreprise canadienne, au sens de la présente demande, à un taux de 4 345 000 millions de tonnes par année à la suite de la délivrance de l’ordonnance de la Cour à cet égard lorsque :

X = Y - Z

Y = 13 035 000 millions de tonnes

Z = le total des tonnes d’acier produites par l’entreprise canadienne dans ces mois au cours de la durée du mandat, au sens de la présente demande, lorsque la production d’acier est égale ou supérieure à 362 083 tonnes;

 

b.  maintenir un niveau d’emploi moyen de 3 105 employés selon la base de l’équivalent temps plein au cours d’une période de X mois à la suite de la délivrance de l’ordonnance de la Cour à cet égard lorsque :

X = Y - Z

Y = 36 mois

Z = le nombre de mois pendant la durée du mandat au cours desquels le niveau d’emploi moyen de l’entreprise canadienne était égal ou a dépassé 3 105 employés selon la base de l’équivalent temps plein.

 

B.  L’ordonnance

 

  • [10] La protonotaire Milczynski a accueilli la requête du PGC. La protonotaire a reconnu que les modifications proposées avaient créé de nouvelles obligations de la part de US Steel. La protonotaire a décrit comment les modifications proposées auraient pour effet de rallonger la durée du mandat jusqu’à ce que les engagements soient respectés et, en ce qui concerne l’engagement de production, d’ajouter une nouvelle durée du mandat qui exigerait de US Steel de produire un extrant minimal cible mensuel. De la même façon en ce qui concerne l’engagement d’emplois, US Steel se verrait accorder un mérite uniquement pour le respect de l’engagement lorsqu’une cible d’emploi minimale moyenne mensuelle est atteinte. Toutefois, la modification proposée était liée exclusivement à la réparation sollicitée, et la protonotaire a conclu que, si la demande en est à l’étape de la réparation, US Steel pourrait présenter tout argument concernant le caractère approprié de la réparation demandée à l’époque.

 

  • [11] US Steel a relevé plusieurs questions afin de savoir si la demande en vertu de l’article 39 couvrait la durée complète du mandat. La protonotaire a conclu que l’avis de demande initial renvoyait à la durée complète du mandat et elle a sollicité des mesures correctives couvrant la durée complète du mandat afin de s’assurer que les engagements de production et d’emplois étaient satisfaisants dans leur ensemble. Le fait que la demande était prématurée et valide seulement pour la première année de la durée du mandat était déjà une question en litige dans la demande initiale et ne découle pas du seul fait des engagements proposés. La protonotaire a conclu qu’il était préférable de renvoyer ces questions au juge instruisant la demande et qu’il n’est pas interdit à US Steel de soulever tout argument concernant les prétendues irrégularités de la demande à cette époque.

 

  • [12] La protonotaire a fait référence à l’article 75 des Règles des Cours fédérales et au critère énoncé dans Canderel Ltd. c Canada, [1994] 1 CF 3, [1993] ACF no 777 (QL) (CA), et Varco Canada Limited c Pason Systems Corp., 2009 CF 555, [2009] ACF no 687 (QL). Elle a décidé que, conformément au critère énoncé par la Cour fédérale, les modifications proposées, si elles avaient été incluses dans l’avis initial, survivraient à une requête en radiation. En outre, bien que la protonotaire ait noté que la réparation demandée peut être ambitieuse, elle n’était pas évidente et manifeste ou il ne s’agissait pas d’une conviction qu’il serait impossible pour la Cour de trancher. De plus, la protonotaire n’était pas convaincue que tout préjudice subi par US Steel ne pourrait être corrigé au moyen d’une adjudication de dépens.

 

II.  Les questions soulevées

 

  • [13] Les questions soulevées dans le présent appel sont les suivantes :

a)  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la protonotaire?

b)  Existe-t-il un fondement qui permettrait à la Cour d’annuler la décision de la protonotaire?

 

III.  Argument et discussion

 

A.   Norme de contrôle

 

  • [14] Tel qu’il est indiqué dans Canada c Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 CFR 425 (CA), [1993] A.C.F. no 103 et reformulé dans Merck & Co. c Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 C.F. 459, au paragraphe 19, le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

 

a)  l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal;

 

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

  • [15] S’il a été déterminé que la question est déterminante sur l’issue du principal, dans le cadre du premier volet du critère, un examen de novo est mené et cela n’appelle aucune retenue à l’égard de la protonotaire. Cependant, le deuxième volet exige que la Cour détermine que l’ordonnance était manifestement erronée avant de l’annuler. Il s’agit d’une norme déférente.

 

  • [16] La première question est alors de déterminer si, comme le soutient US Steel, l’ordonnance est déterminante sur l’issue du principal.

 

  • [17] US Steel soutient que le fait de permettre au PGC de demander la réparation contenue dans l’avis de requête modifié est une question déterminante sur l’issue de l’ensemble de la demande, parce qu’elle change la définition de la conformité, d’une réparation qui a été négociée entre l’investisseur et le ministre à une réparation qui a été imposée unilatéralement par le ministre. De plus, la modification tente d’imposer à US Steel l’obligation de répondre de sa conduite qui n’a jamais fait l’objet de la demande légale requise, qui a été la conduite au cours de la deuxième et de la troisième année du mandat.

 

  • [18] Le PGC soutient que la modification ne permet pas de redéfinir ou de modifier fondamentalement le cours de la présente instance pour les raisons suivantes : la durée du mandat pour laquelle la demande était valide faisait déjà l’objet d’un litige; la modification est uniquement liée à la réparation demandée dans la demande; compte tenu des retards dans la présente instance, la nécessaire modification prévoit une ordonnance réparatrice de la Cour qui aura lieu après la fin de la durée du mandat; en vertu de l’article 40 de la LIC, la Cour conserve le pouvoir de prononcer toute ordonnance si elle considère que les circonstances l’exigent.

 

  • [19] Le critère visant à déterminer si une question est « déterminante » est rigoureux. Comme le juge Robert Décary l’a expliqué dans Merck, ci-dessus, aux paragraphes 22 et 23,

L’utilisation du terme « déterminant » est importante. Elle donne effet à l’intention du législateur […]

 

[…] savoir que les fonctions des protonotaires visent à contribuer à « l’exécution des travaux de la Cour ».

 

[…]

 

On ne devrait par conséquent pas conclure trop rapidement qu’une question, si importante soit-elle, est déterminante. On doit cependant se garder de s’abstenir de trancher de novo une question déterminante simplement parce qu’on a naturellement tendance à s’en remettre aux protonotaires pour les questions de procédure.

 

  • [20] Plus particulièrement en ce qui a trait aux modifications, les décisions de la Cour appuient la conclusion selon laquelle les modifications susceptibles d’ajouter de nouvelles demandes ou causes d’action ou défenses seront probablement « déterminantes » (Bristol-Myers Squibb Co. c Apotex Inc, 2008 CF 1196, 173 ACWS (3e) 249 au paragraphe 6; Merck, ci-dessus, au paragraphe 25).

 

  • [21] Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincu par les arguments de US Steel selon lesquels la modification est « déterminante ». Ils ne donnent pas lieu à d’autres causes d’action ou défenses. Les questions cernées par US Steel comme étant problématiques en ce qui concerne la modification étaient déjà en cause dans l’avis de demande initial, comme l’a conclu la protonotaire Milczynski, et ces questions devraient être déterminées par le juge de première instance. En outre, la modification ne change pas le caractère de la demande. Elle n’impose pas une nouvelle norme en matière de rendement à l’égard de US Steel, ne permet pas de déterminer s’il était justifié pour le ministre d’envoyer la demande ou ne touche en aucune façon la détermination de savoir si US Steel a respecté la demande. Plus exactement, la modification change seulement la formulation par laquelle le PGC cherche à obtenir le calcul de la réparation. Essentiellement, le PGC cherche toujours à obtenir une ordonnance enjoignant à US Steel de respecter les engagements. La réalité que le délai est expiré, rendant la réparation sollicitée dans l’avis initial sans intérêt pratique, est non équivoque. Sans doute, comme l’a noté la protonotaire Milczynski, le PGC aurait dû tenir compte de ce résultat qui n’a rien d’étonnant dès le début, mais, de toute façon, il n’en demeure pas moins que le caractère approprié de la méthodologie suggérée par le PGC, dans la modification, fera l’objet d’un débat au cours de l’audience. En conséquence, je ne peux pas conclure que la modification était déterminante. En conséquence, la décision de la protonotaire peut être annulée seulement s’il est démontré qu’elle était manifestement erronée.

 

B.  L’ordonnance en modification n’est pas manifestement erronée : elle n’est pas fondée sur un principe juridique erroné ou sur une mauvaise compréhension des faits.

 

  • [22] Comme le dit la protonotaire Milczynski, la question de savoir si l’autorisation doit être accordée pour les modifications à faire est régie par l’article 75 des Règles des Cours fédérales et la jurisprudence établie. L’article 75 des Règles est ainsi libellé :

Modifications avec autorisation

 

75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

 

 

Conditions

 

(2) L’autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas :

 

a) l’objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l’audience;

 

b) une nouvelle audience est ordonnée;

 

c) les autres parties se voient accorder l’occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

 

Amendments with leave

 

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

 

 

 

 

Limitation

 

(2) No amendment shall be allowed under subsection (1)

during or after a hearing unless

 

 

(a) the purpose is to make the document accord with the issues at the hearing;

 

 

(b) a new hearing is ordered; or

 

 

(c) the other parties are given an opportunity for any preparation necessary to meet any new or amended allegations.

 

 

  • [23] Le critère permettant de déterminer si une modification apportée à un acte de procédure est permise est formulé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt, Canderel, ci-dessus, au paragraphe 9 :

En ce qui a trait aux modifications […], même s’il est impossible d’énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s’il est juste, dans une situation donnée, d’autoriser une modification, la règle générale est qu’une modification devrait être autorisée à tout stade de l’action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d’injustice à l’autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu’elle serve les intérêts de la justice.

 

  • [24] La protonotaire Milczynski a également cité le critère de « évident et manifeste » de l’affaire Varco Canada Limited c Parson Systems Corp., ci-dessus, au paragraphe 26 :

[traduction]

 

Le critère visant à modifier un acte de procédure doit s’appliquer conformément au critère établi pour radier un acte de procédure. Les modifications seront refusées, et l’acte de procédure sera radié seulement lorsqu’il est évident et manifeste que la requête ne révèle aucune cause d’action valable. Dans Bande Enoch des Indiens de Stony Plain c. Canada, [1993] A.C.F. no 1254, la Cour d’appel fédérale a très clairement indiqué que la Cour ne devrait « refuser les modifications que dans les cas évidents et manifestes où il n’existe aucun doute ».

 

  • [25] Il n’existe aucun désaccord entre les parties en ce qui concerne les critères applicables; cependant, US Steel, dans ses observations écrites, présente le critère [traduction] « non réalisable raisonnablement » tirée de Conseil Mushkegowuk c Canada (Procureur général), 2008 CF 1041, 170 ACWS (3e) 224 en citant le paragraphe 12 dans lequel la Cour semble conclure qu’une requête en modification devrait être refusée lorsque la réparation fournie n’est pas réalisable raisonnablement ou ne peut être accordée raisonnablement :

Les modifications relèvent toujours du pouvoir discrétionnaire de la Cour, puisque l’on s’attend à ce que l’acte de procédure d’une partie définisse les questions en litige et précise la réparation demandée en première instance. À l’occasion, des faits sont découverts ou la caractérisation du litige entre les parties change, de telle façon qu’une modification est dans l’intérêt de la justice. Il me serait difficile d’être convaincu qu’autoriser une modification pour soulever une demande de réparation qui ne saurait être raisonnablement accueillie par la Cour est dans l’intérêt de la justice.

 

(Je souligne.)

 

  • [26] Dans cette affaire, comme dans la présente affaire, la protonotaire a examiné si la réparation sollicitée dans la modification proposée était quelque chose que la Cour pourrait accorder si les demandeurs avaient eu gain de cause. En ce qui concerne les faits à cet égard, la protonotaire a conclu que la réparation subsidiaire n’était pas disponible, parce que la Cour aurait dû prendre des décisions particulières en matière de politique concernant l’élimination des déchets de combustible nucléaire. En appel, le juge Russel Zinn a conclu que la disponibilité de la modification proposée ne constituait pas un examen irrégulier lorsqu’il s’agit de décider si l’on doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre une modification. Dans la présente affaire, la protonotaire Milczynski a examiné si la réparation demandée était disponible et elle a conclu que, bien qu’elle soit ambitieuse, en s’appuyant sur l’article 40 de la LIC qui permet à la Cour de rendre toute ordonnance ou des ordonnances que, à son avis, les circonstances exigent, il n’était pas évident et manifeste que la réparation demandée au moyen de la modification serait impossible à accorder par la Cour.

 

  • [27] Néanmoins, US Steel soutient que la protonotaire Milczynski a commis trois erreurs susceptibles de contrôle : [traduction]

1)  La protonotaire Milczynski a omis de reconnaître que la Cour n’avait pas la compétence d’accorder la modification parce qu’elle repose sur une prétendue violation pour laquelle aucune demande en vertu de l’article 39 n’a été déposée et on n’a donné aucune possibilité d’y répondre. Il était donc évident et manifeste que la réparation sollicitée échouerait;

 

2)  La protonotaire Milczynski a, à juste titre, reconnu que la modification avait créé de « nouvelles obligations » et elle a tenté de définir le non-respect d’une manière « qui peut ne pas avoir été envisagée par les parties au moment où les engagements ont été pris ». Toutefois, la protonotaire n’a pas reconnu que l’imposition de ces nouvelles obligations n’était pas autorisée par la LIC;

 

3)  La protonotaire Milczynski a omis de reconnaître que la modification n’était pas dans l’intérêt de la justice en ce qui a trait à l’intention législative telle qu’elle se dégage dans la LIC.

 

  • [28] Je préfère l’analyse du PGC qui résume bien les questions qui précèdent en deux arguments de base qui traitent de l’essentiel des allégations de US Steel :

[traduction]

1)  La Cour n’a pas la compétence pour accorder la modification parce qu’elle repose sur une prétendue violation pour laquelle il n’existe aucune demande en vertu de l’article 39;

 

2)  La modification a entraîné à tort l’imposition d’une nouvelle mesure pour déterminer si US Steel a respecté les engagements de production et les engagements d’emplois.

 

  • (1) Aucun argument lié à la compétence n’est sans fondement

 

  • [29] US Steel soutient que la protonotaire n’avait pas la compétence pour accorder la modification puisqu’elle reposait sur une violation présumée pour laquelle aucune demande en vertu de l’article 39 n’a été déposée et aucune possibilité d’y répondre n’a été donnée. Conformément à la LIC, chaque demande en vertu de l’article 40 doit être précédée d’une demande en vertu de l’article 39. Il était donc évident et manifeste que la réparation sollicitée échouerait.

 

  • [30] En dépit des arguments de US Steel concernant la structure de la LIC et de sa croyance qu’une demande en vertu de l’article 39 ne peut qu’être liée au non‑respect qui a déjà eu lieu, cette interprétation grammaticale restrictive de la loi ne me convainc pas qu’il est clair et limpide que la Cour ne soit pas en mesure d’accorder la réparation sollicitée par le PGC.

 

  • [31] Le PGC a envoyé la demande en vertu de l’article 39 lorsqu’il ne restait que 15 mois à la durée du mandat. D’après mon interprétation de la demande, il semble évident, ou à tout le moins défendable, que le ministre avait l’intention d’exiger de US Steel qu’elle respecte les engagements pendant toute la durée du mandat. US Steel prétend que le PGC a reconnu qu’aucune demande n’avait été déposée au cours de la deuxième et de la troisième année du mandat. Je ne trouve aucune concession dans les observations du PGC. Comme la protonotaire l’a mentionné, la validité de la demande et la période visée par la demande demeurent une question à examiner dans le cadre de l’audience sur le bien-fondé de la demande. Le raisonnement de US Steel est certainement spécieux. Le législateur n’a certainement pas eu l’intention d’exiger du ministre qu’il envoie à plusieurs reprises des demandes à l’égard d’investisseurs non conformes ou qu’il attende la fin de mandat pour déposer une demande. La position du PGC à ce sujet est bien plus limpide. Comme le soutient le PGC, l’argument de US Steel entraîne un paradoxe indéfendable dans lequel le ministre doit attendre la fin du mandat pour déposer une demande, mais les engagements ne peuvent être exécutés que pendant la durée du mandat. De plus, US Steel présente également comme un problème le fait que la nouvelle réparation exige que les engagements soient respectés après l’expiration du mandat.

 

  • [32] La demande a bien été déposée avant l’expiration du mandat, mais la question de savoir si les engagements ont été respectés ou non ou si la demande a été respectée après la date à laquelle elle a été déposée est un fait connu que le juge de première instance sera en mesure de déterminer lorsqu’il devra déterminer d’abord s’il était justifié pour le ministre d’envoyer la demande et, deuxièmement, si l’investisseur a omis de se conformer à la demande. La Cour déterminera les mesures correctives appropriées uniquement après avoir déterminé le bien-fondé de la demande.

 

(2)  La modification proposée n’impose aucun nouvel engagement

 

  • [33] US Steel soutient que la modification vise à faire en sorte que la Cour ordonne l’exécution d’engagements entièrement nouveaux et à prolonger ces obligations au-delà de la durée des engagements.

 

  • [34] Il est vrai que la modification propose une réparation sur le fondement d’une mesure de conformité mensuelle concernant les engagements de production et d’emplois, alors que les engagements eux-mêmes ont été conçus afin d’être mesurés en fonction de cibles de rendement annuelles. La protonotaire a reconnu ce fait dans ces motifs.

 

  • [35] Cependant, après avoir examiné les observations de US Steel, je suis entièrement d’accord avec le PGC, car il semble que US Steel a confondu la responsabilité et la réparation. La modification traite uniquement de la réparation sollicitée par le PGC et n’a aucun effet sur la façon dont la Cour déterminera si le ministre était justifié dans la présentation de la demande ou si US Steel s’y est conformé, ce qui est au cœur de la demande. Comme l’a noté la protonotaire au paragraphe 9 :

[traduction]

 

La présente requête semble indiquer que les parties peuvent ne pas partager la même compréhension de ce que signifient des engagements de production et d’emplois et de ce qui était effectivement requis de US Steel au cours du mandat afin de satisfaire les parties. Cette question sera également tranchée lors de l’audience portant sur le bien-fondé de la demande.

 

  • [36] Bien qu’il puisse y avoir déjà un désaccord entre les parties concernant la façon dont les engagements devaient être mesurés et sur ce qu’ils ont compris, la modification ne constitue certainement pas une réécriture rétrospective des engagements.

 

  • [37] Au moment de discuter des réparations, comme l’a noté la protonotaire et le soutient le PGC, US Steel sera en mesure de présenter des arguments au juge de première instance concernant le caractère approprié de la réparation proposée par le PGC et de toute autre réparation que la Cour pourrait être tentée d’ordonner. La protonotaire Milczynski a décrit la modification comme étant ambitieuse, mais elle a noté qu’elle n’était pas impossible. Je souscris à ce sentiment et je note une fois de plus que, en vertu de la LIC, les ordonnances réparatrices étaient laissées à l’appréciation de la Cour.

 

  • [38] L’argument de US Steel selon lequel le PGC contourne la loi en déposant la requête en modification est sans fondement.

 

  • [39] L’ordonnance en modification de la protonotaire n’était pas manifestement erronée; elle était fondée sur une mauvaise interprétation des faits ou un principe de droit erroné. En conséquence, le présent appel est rejeté.

 

IV.  Conclusion

 

  • [40] Compte tenu des conclusions qui précèdent, le présent appel est rejeté et les dépens sont adjugés en faveur du demandeur, le PGC.


ORDONNANCE

 

LA COUR STATUE QUE :

  1. Le présent appel est rejeté.

  2. Les dépens sont adjugés en faveur du demandeur, le procureur général du Canada.

 

 

« D. G. Near »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-1162-09

 

INTITULÉ :  LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. UNITED STATES STEEL CORPORATION ET AL.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 24 JANVIER 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :   LE JUGE NEAR

 

 

DATE DES MOTIFS :  LE 25 FÉVRIER 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Craig Collins-Williams

/ Me John Syme

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michael E. Barrack /

Me Marie Henein

 

POUR LES DÉFENDERESSES

Me David K. Wilson

 

POUR LES INTERVENANTES

(LAKESIDE)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me John L. Syme

Ministère de la justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Michael E. Barrack et Me Ronald Podolny

Thornton Grout Finnigan LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

Me Marie Henein

Henein & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

Me Paula Turtle et Me Rob Champagne

Syndicat des Métallos

Toronto (Ontario)

 

POUR LES INTERVENANTS

(SYNDICAT)

Me David K. Wilson

Cavanagh Williams Conway Baxter LLP

Ottawa, Ontario

 

Me Jeffery Kaufman

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES INTERVENANTES

(LAKESIDE)

 

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