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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 


Date : 20110120

Dossier : IMM-3669-10

Référence : 2011 CF 63

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

ENTRE :

 

THABATA PORTO GOMES SOUSA

KAUE GOMES SOUSA DE OLIVEIRA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire sollicite l’annulation et le renvoi pour nouvelle décision d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée le 19 octobre 2010 par le juge Campbell. Dans sa décision, datée du 10 juin 2010, le commissaire a refusé d’accorder à Thabata Porto Gomes Sousa et à Kaue Gomes Sousa de Oliveira (les demandeurs) le statut de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR).

 

[2]               Thabata Porto Gomes Sousa (la demanderesse principale) allègue avoir été victime de violence familiale de la part de son ex-époux, Marcus, un homme que la preuve caractérise comme étant violent, en proie à des troubles psychiatriques et ayant des problèmes d’abus d’alcool ou d’autres drogues. La demanderesse principale avait quitté son ex-époux et était partie avec son fils, mais elle est revenue vers Marcus lorsqu’elle a appris qu’il avait été admis dans un centre de désintoxication. Celui-ci s’était cependant échappé de l’établissement et avait recommencé à menacer la demanderesse principale. Elle est allée au poste de police pour signaler ces menaces. On l’a avisé que peu pouvait être fait et que Marcus serait, au mieux, condamné à payer une amende ou à faire un don de bienfaisance.

 

[3]               Au cours de cette période, dans un effort pour sauver leur couple, les demandeurs avaient emménagé chez Marcus et ses parents. Durant ce séjour, Marcus a agressé la demanderesse principale, qui a par la suite appelé la police. Son beau-père, un homme mêlé au jogo do bicho (jeu des animaux), une forme de loterie illégale mais populaire au Brésil, a raccroché le téléphone alors que la demanderesse principale faisait l’appel. Lorsque la police l’interrogea sur ces incidents, il a déclaré que le problème avait été résolu et qu’il ne s’agissait que d’une querelle de couple. Il a par la suite menacé la demanderesse principale et a laissé entendre qu’il avait des relations au sein de la police.

 

[4]               Le commissaire s’est fondé sur les éléments suivants pour conclure que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger :

a)         La demanderesse principale n’avait pas présenté de preuve suffisante pour réfuter la présomption de protection de l’État énoncée dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] R.C.S. 689;

b)         L’influence du père de Marcus auprès de la police n’avait pas été jugée suffisante pour influer sur les décisions de la police d’enquêter sur des crimes;

c)         Bien que la preuve n’ait pas été uniforme sur ce point, plusieurs moyens de protection et divers programmes avaient été présentés par la Commission à l’appui de la conclusion quant à la suffisance de la protection offerte par l’État;

d)         On a conclu que la protection offerte par l’État au Brésil était suffisante, en particulier depuis que l’État avait passé la loi Maria Da Penha, laquelle criminalise la violence familiale.

 

La norme de contrôle applicable

[5]               La question déterminante en l’espèce est de savoir si la protection offerte par l’État était suffisante, une question mixte de fait et de droit à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable (Dean c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 772; Flores Dosantos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1174; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9). L’application des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (les Directives) est une question à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable (Correa Juarez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 890; Montoya Martinez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 13).

 

Analyse

[6]               La décision de la Commission liée à la suffisance de la protection de l’État était déraisonnable en raison du fait qu’elle a omis d’examiner adéquatement les Directives et qu’elle a tiré une conclusion déraisonnable quant à la plausibilité.

 

[7]               Il est clair qu’une réticence subjective à contacter les autorités de l’État n’est pas suffisante pour réfuter la présomption de protection de l’État (Ward, précité). Cependant, le cas en l’espèce se distingue de Dean c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 772, au paragraphe 21, où « la demanderesse n’a fait état que de réticences subjectives pour ne pas porter plainte, sans toutefois démontrer un refus ou un défaut de protection de l’État ». En l’espèce, un examen adéquat des Directives aurait pu mener à conclure que cette réticence à contacter les autorités pertinentes était plus que subjective.

 

[8]               La Cour n’est cependant pas chargée de tirer une conclusion de fait sur cette question. Elle ne fait que souligner qu’au-delà de la simple mention des Directives au début des motifs de la Commission, celles-ci n’avaient pas été examinées en fonction de la réticence de la demanderesse principale à contacter les autorités, particulièrement après les menaces de son beau‑père. La situation demandait assurément qu’une attention plus particulière soit accordée aux Directives, puisque la demanderesse principale était une victime de violence familiale, laquelle était tolérée par son beau‑père, qui l’avait menacée et avait fait allusion à ses relations au sein de la police. Il était déraisonnable pour la Commission de ne pas examiner les Directives eu égard à la situation de la demanderesse principale.

 

[9]               De plus, la Commission a tiré une conclusion d’invraisemblance quant à ces menaces et à l’influence du père de Marcus sur la police, au paragraphe 14 de la décision :

Je ne suis pas convaincu que le père de Marcus a une quelconque influence sur les décisions de la police d’enquêter sur des crimes. Bien que le père de Marcus ait été impliqué dans une activité de paris illégaux qui nécessitait le versement de paiements hebdomadaires à un policier corrompu, aucun élément de preuve convaincant n’a été présenté pour démontrer que la police n’aurait pas fait enquête sur les allégations de Thabata si celles-ci lui avaient été signalées ou que le père de Marcus avait l’influence voulue pour convaincre la police d’accuser Thabata d’un crime au lieu et place de Marcus.

 

[10]           La jurisprudence est claire : on ne peut conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents (Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776 (1re inst.)). En l’espèce, la conclusion de la Commission quant au père de Marcus allait au-delà de ce que la preuve étayait. De plus, en concluant que l’influence du père de Marcus sur la police était limitée, la Commission a omis d’examiner adéquatement les motifs de la demanderesse principale pour ne pas solliciter la protection offerte par l’État.

 

[11]           Ainsi, la décision de la Commission quant à la suffisance de la protection offerte par l’État est viciée sous deux aspects. Premièrement, elle a omis d’apprécier adéquatement les Directives afin de pouvoir examiner rigoureusement les motifs pour lesquels la protection de l’État n’avait pas été sollicitée; deuxièmement, la Commission a tiré une conclusion d’invraisemblance déraisonnable, privant ainsi les demandeurs d’une appréciation exhaustive et adéquate des motifs pour lesquels la protection de l’État n’avait pas été sollicitée. La décision n’appartient donc pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La réparation appropriée consiste à renvoyer l’affaire à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

[12]           Aucune question n’a été soulevée par les parties en vue de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

-           la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire. Aucune question n’est certifiée.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3669-10

 

INTITULÉ :                                       THABATA PORTO GOMES SOUSA

                                                            KAUE GOMES SOUSA DE OLIVEIRA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 20 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Laura Setzer

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Helene Robertson

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Laura Setzer

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canda

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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