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Date : 20110211

Dossier : T‑1448‑09

Référence : 2011 CF 160

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 février 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

DUPONT ROOFING & SHEET METAL INC.

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, au sujet du certificat en date du 11 juin 2004 déposé dans le dossier de la Cour fédérale no 6552‑04 suivant lequel la somme de 204 704,21 $ majorée des intérêts accumulés depuis le 15 mai 2004 est payable par la demanderesse et n’a pas encore été acquittée.

 

CONTEXTE

 

[2]               La société demanderesse (Dupont) était une entreprise de couverture. En 2000, Dupont a formé une coentreprise avec Applewood Roofing and Sheet Metal Inc. (Applewood). Ensemble, elles ont pris possession du 94, rue Kenhar, à Toronto. À des fins administratives, Applewood occupait l’unité 16 et Dupont occupait l’unité 17 à cette adresse, mais les deux unités étaient utilisées comme espace de travail commun. L’aide‑comptable d’Applewood, Mme Manuel, s’occupait de la comptabilité des deux entreprises, qui partageaient la même boîte à lettres.

 

[3]               M. Luis Gomes, un des deux administrateurs de Dupont, l’autre étant Manuel Da Silva, a expliqué qu’Applewood contrôlait toutes les recettes et qu’elle ne transférait à Dupont que les montants nets payables aux employés. À la suite d’un désaccord sur le paiement des dépenses d’entreprise de Dupont, les deux sociétés ont rompu leurs liens en août 2003. M. Gomes soutient qu’au moment de la séparation, Applewood devait entre 200 000 $ et 250 000 $ à Dupont. M. Gomes a reconnu au cours de son contre‑interrogatoire qu’il était au courant qu’il s’agissait du montant approximatif de la dette fiscale à payer à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC).

 

[4]               Le 4 avril 2003, l’examinateur des comptes de fiducie de l’ARC, M. Domenic Pizzonia, a produit un type de document de vérification fiscale appelé « rapport de fiducie » portant sur Dupont. Suivant le défendeur, il est de pratique courante au sein de l’ARC de procéder à la vérification fiscale des employeurs comme Dupont qui sont tenus, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la LIR) de calculer, de retenir et de remettre un impôt sur le salaire de leurs employés. Dans le rapport de fiducie joint à l’affidavit de M. Pizzonia, à la page 000268 du recueil des affidavits de la demanderesse, il est déclaré que Dupont [traduction] « a fait preuve de négligence en ce qui concerne la production des feuillets T4 de 2001 et de 2002 » et que [traduction] « l’appariement des feuillets T4 a fait ressortir la nécessité de procéder à une vérification fiscale ».

 

[5]               Pour procéder à l’examen des comptes de fiducie, M. Pizzonia a rencontré les administrateurs de Dupont, MM. Gomes et Da Silva, ainsi que Mme Manuel, l’aide‑comptable. À la suite de l’examen des livres et registres pertinents, M. Pizzonia a établi à 162 550,43 $ le montant des cotisations sociales impayées que l’employeur était tenu de percevoir et de remettre, y compris l’impôt sur le revenu, les primes d’assurance‑emploi et les primes du Régime de pensions du Canada, le tout majoré des pénalités et des intérêts. Il a communiqué ces chiffres aux administrateurs de la demanderesse en leur remettant en personne une formule lors d’une rencontre. M. Pizzonia a soumis son rapport à l’ARC pour qu’elle y donne suite. L’affaire a été confiée à un agent d’observation des comptes de fiducie, M. Anthony Gentile.

 

[6]               Citant à l’appui de son témoignage les inscriptions électroniques quotidiennes générées automatiquement par la base de données de l’ARC, M. Gentile a expliqué qu’il avait suivi sa pratique habituelle de faire envoyer par le système de l’ARC des avis d’omission de remettre les cotisations sociales pour les années d’imposition 2001 (38 738,29 $ ) et 2002 (122 672,76 $) en se fiant aux renseignements et aux conclusions contenus dans le rapport final d’examen des comptes de fiducie de M. Pizzonia. Ces avis ont été envoyés le 23 avril 2003 et le 25 avril 2003 respectivement. Il a fallu mettre manuellement à la poste l’avis de cotisation relatif à l’année 2001, conformément à l’usage suivi à l’ARC à l’époque en ce qui concerne les cotisations portant sur une année d’imposition antérieure de deux ans à la date de la cotisation. M. Gentile a suivi sa pratique habituelle en faisant le nécessaire pour que les documents soient mis manuellement à la poste par l’entremise du Centre fiscal de Toronto Nord. La cotisation relative à l’année d’imposition 2002 a été générée électroniquement par ordinateur et a été mis à la poste depuis le Centre fiscal de Sudbury. Si le courrier contenant les avis de cotisation générés par M. Gentile avait été retourné, il aurait été acheminé à ce dernier. Or, M. Gentile a examiné le journal électronique de l’ARC et n’a trouvé aucune trace d’un avis qui aurait été retourné et qui se serait rapporté aux cotisations de 2001 ou de 2002.

 

[7]               L’ARC utilise un système informatique pour établir les certificats de dette fiscale qui sont approuvés et signés par une personne désignée par le ministre du Revenu national et qui sont déposés au greffe de la Cour fédérale. Dans le cas qui nous occupe, c’est un autre agent de l’ARC, M. Don Ballanger, qui a été chargé d’établir le certificat relatif à la dette fiscale accumulée le 15 mai 2004. Il déclare qu’il ressortait de l’examen du journal électronique et des dossiers qu’il restait un montant en souffrance de 204 704,21 $ à cette date. En contre‑interrogatoire, M. Belanger a reconnu qu’on ne vérifiait pas, dans le cadre du processus d’établissement du certificat, si des avis de cotisation avaient effectivement été envoyés par la poste aux intéressés.

 

[8]               M. Gomes nie avoir reçu les avis de cotisation relatifs à la dette fiscale de Dupont que le ministre avait certifiés en 2004. Il affirme que, lorsque Dupont et Applewood occupaient le même espace, c’était la secrétaire d’Applewood qui recevait le courrier. Après qu’Applewood et Dupont eurent rompu leurs liens, Mme Manuel a donné à M. Gomes un ordinateur, un disque dur et les documents qu’elle avait encore en sa possession. M. Gomes a entreposé la caisse de dossiers en attendant de s’en occuper plus tard dans les nouveaux locaux. En janvier 2005, Dupont a été victime d’un incendie à cette adresse. Tous les dossiers ont été détruits.

 

[9]               Le 29 avril 2005, M. Gomes a reçu un avis de cotisation fondé sur la responsabilité dérivée des administrateurs, selon lequel il était tenu légalement responsable du paiement de la dette fiscale impayée en sa qualité d’administrateur de la demanderesse Dupont. En février 2006, son avocat a transmis pour le compte de M. Gomes un avis d’opposition à l’ARC. Dans des envois subséquents, l’avocat a réclamé des copies des avis de cotisation établis à l’encontre de l’entreprise. Malgré ses demandes répétées, l’ARC n’a pas produit les documents réclamés. Dans une lettre datée du 10 juin 2007, la Direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de l’ARC a informé l’avocat de la demanderesse que le Centre fiscal de Sudbury et le Centre fiscal de Toronto Nord n’arrivaient pas à retrouver les copies des avis de cotisation. En contre‑interrogatoire, M. Gentile a expliqué qu’il aurait pu reproduire les avis de cotisation de 2001 et 2002 établis à l’égard de l’entreprise si une personne dûment autorisée les lui avait demandés.

 

[10]           Toute mesure d’exécution du certificat fiscal a été suspendue en attendant l’issue de l’examen de l’opposition. La cotisation a été confirmée et un avis a été envoyé à M. Gomes en juillet 2008. Les appels qui ont été interjetés devant la Cour canadienne de l’impôt (relativement à la responsabilité personnelle de M. Gomes) et devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario (relativement à la dette fiscale à payer à la province) ont été mis en suspens en attendant que le sort de la présente demande soit connu.

 

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           On peut ramener à deux les diverses questions soulevées par les parties :

  1. Était‑il nécessaire que le ministre envoie des avis de cotisation au contribuable relativement à des cotisations sociales impayées et, dans l’affirmative, a‑t‑il été démontré que ces avis avaient été donnés?

 

  1. Si les avis de cotisation étaient nécessaires et qu’ils n’ont pas été donnés au contribuable, le certificat devrait‑il être annulé?

 

 

ARGUMENTS ET ANALYSE

           

Norme de contrôle

 

[12]           Dans le cas qui nous occupe, le pouvoir discrétionnaire du ministre de certifier la dette a été exercé par un délégué qui s’est fié aux données du dossier consignées dans la base de données électronique de l’ARC. Dans la mesure où des questions de justice naturelle, d’attentes légitimes et d’équité procédurale se posent dans la présente affaire, la Cour doit déterminer si l’équité exige l’infirmation de la décision (eBay Canada Limited et autre c. M.R.N., 2008 CAF 348, au paragraphe 36). Sinon, les questions en litige portent sur des questions mixtes de fait et de droit qui soulèvent une question de droit qui ne peut être isolée des conclusions sur les questions de fait, et la déférence s’impose (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 89).

 

[13]           La présente affaire est, à mon avis, analogue au contrôle judiciaire d’une décision en matière d’équité prise par des agents du fisc, étant donné qu’en fait, le demandeur souhaite être dispensé de l’exécution de la décision défavorable dont il a fait l’objet en réponse à son opposition à la cotisation fondée sur la responsabilité dérivée. Ainsi que le juge James O’Reilly l’a déclaré dans la décision Sandler c. Canada (Procureur général), 2010 CF 459, 2010 D.T.C. 5073, au paragraphe 7, « la Cour ne peut infirmer la décision prise par le ministre au titre de la disposition d’équité que si cette décision était déraisonnable, c’est‑à‑dire si elle n’appartient pas à la gamme des issues possibles acceptables au regard des faits et du droit », citant l’arrêt Telfer c. Canada (Agence du Revenu), 2009 CAF 23, au paragraphe 25) (voir également la décision Osborne c. Procureur général du Canada, 2010 CF 673). La norme de contrôle qui devrait s’appliquer à l’ensemble de la présente demande est donc celle de la décision raisonnable.

 

Cotisation et exigences en matière d’avis

 

[14]           La thèse de la demanderesse repose essentiellement sur l’argument que les exigences formelles qui s’appliquent aux avis aux termes de la LIR et des autres lois fiscales valent également dans le cas des cotisations établies par suite de l’omission de remettre des cotisations sociales. La demanderesse ne conteste pas que les activités de l’entreprise créaient en l’espèce une obligation fiscale, mais elle soutient que l’obligation de payer effectivement la dette ne prend naissance qu’au moment où un avis de cotisation est établi et envoyé par la poste au contribuable. La demanderesse soutient qu’un certificat ne peut être établi qu’en cas de défaut de paiement survenant après l’établissement de la cotisation et la mise à la poste de l’avis de cotisation. Faute de preuve de ces deux mesures, le certificat est invalide et doit être annulé.

 

[15]           La demanderesse affirme que les avis de cotisation relatifs à l’entreprise n’ont jamais été établis ou que, s’ils l’ont été, ils n’ont jamais été envoyés par la poste à Dupont. Bien que la preuve de la réception ne soit pas nécessaire, c’est au ministre qu’il incombe de prouver l’existence de l’avis et d’établir la date de sa mise à la poste. Ce sont là, suivant la demanderesse, des faits que le ministre est censé connaître, et seul le défendeur est en mesure de présenter des éléments de preuve permettant de confirmer que l’une ou l’autre mesure a été prise.

 

[16]           La demanderesse soutient qu’en l’espèce, les éléments de preuve présentés par le ministre recèlent des contradictions importantes et qu’ils n’établissent pas que des avis de cotisation ont effectivement été créés et envoyés par la poste à la demanderesse. Le défendeur n’a pas réussi à produire les avis de cotisation établis à l’égard de l’entreprise. De plus, les éléments de preuve se rapportant aux usages postaux du défendeur à l’époque en cause ne portaient pas sur des faits dont le déclarant avait une connaissance personnelle mais étaient fondés « sur ce que le déclarant croit être les faits », ce qui va à l’encontre de l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106. Il était du pouvoir du défendeur de fournir des éléments de preuve directs au sujet des usages postaux de l’ARC, particulièrement en raison de l’importance de ces usages pour la présente demande. Comme les témoins qui étaient au courant de ces faits n’ont pas témoigné, la demanderesse ne pouvait contre‑interroger directement la source des renseignements sur lesquels le défendeur se fondait.

 

[17]           La demanderesse ajoute qu’on a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale du fait que le ministre a certifié le montant payable sans avoir d’abord établi d’avis de cotisation. L’économie de la législation fiscale prévoit que le contribuable peut s’opposer à la somme qui lui est réclamée une fois qu’une cotisation a été établie à son égard (paragraphe 165(1) de la LIR, articles 27.1, 92, 22 du RPP, de la LAE et de la LIR (Ontario) respectivement). Le défendeur « doit informer le contribuable suffisamment à l’avance de la base de la cotisation pour que celui‑ci puisse exercer pleinement son droit d’en interjeter appel ou d’y répondre » (Frederick J. Buccini c. Sa Majesté la Reine, 2000 DTC 6685 (CAF), au paragraphe 16, citant l’arrêt Banque continentale du Canada c. R., [1998] 2 R.C.S. 358).

 

[18]           La demanderesse affirme qu’il est juste et raisonnable de sa part qu’elle ait comme attente légitime que le ministre établisse, avant de « certifier » le « montant payable » en vertu du paragraphe 223(2) de la LIR, le montant payable en recourant au processus habituel de cotisation pour ensuite compléter le processus d’établissement de la cotisation en lui envoyant (c.‑à‑d. en mettant à la poste) un avis de cotisation, ce qui donnerait à la demanderesse la possibilité de répondre en s’opposant à la cotisation. Le certificat devrait donc être annulé étant donné que le ministre ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que l’avis de cotisation avait été mis à la poste.

 

[19]           La thèse du défendeur est que l’ARC n’est pas tenue de poster l’avis d’omission de remettre des cotisations sociales avant de certifier la dette afférente à ces cotisations sociales. La LIR oblige tous les employeurs à calculer, retenir et remettre des cotisations sociales sur le salaire de leurs employés. Elle ne les oblige pas à poster un avis de cotisation avant que ces montants ne deviennent exigibles. Les employeurs sont régulièrement tenus de verser de l’argent à Sa Majesté sans que le ministre ait établi de cotisation. Si le ministre établit une cotisation à l’égard d’un employeur par suite d’une omission de remettre les cotisations sociales qui sont devenues payables, ces montants en souffrance sont payables au Receveur général, et ce, même s’ils sont contestés. Si un employeur fait défaut de se conformer à ses obligations en matière de retenues à la source, tout « montant payable » en souffrance, peut, majoré des intérêts, être certifié par le ministre du Revenu national pour assurer le paiement de la dette ou comme mesure préalable à toute mesure de recouvrement ultérieure (Affaire intéressant la Loi de l’impôt sur le revenu et une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu de l’une ou plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-chômage à l’encontre de 92000 Holdings Limited, 93 DTC 5047, au paragraphe 5). Suivant le défendeur, les restrictions en matière de recouvrement, qui empêchent normalement le ministre de certifier une dette fiscale tant qu’un avis de cotisation n’a pas été mis à la poste, ne s’appliquent pas aux cotisations sociales (LIR, al. 225.1(6)b); Canada (Ministre du Revenu national) c. Swiftsure Taxi Co, 2004 CF 980, [2004] 4 C.T.C. 304, au paragraphe 16; Jus D’Or Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2007 CF 754, aux paragraphes 12 à 15).

 

[20]           Le défendeur soutient en outre que les exigences en matière de mise à la poste sont des exigences en matière d’équité procédurale importantes pour l’exercice des droits d’appel. Elles ne constituent pas des restrictions au recouvrement des cotisations sociales. Le défendeur affirme que, si le ministre avait commis une véritable erreur en ne mettant pas l’avis de cotisation à la poste, la réparation que pourrait demander Dupont serait une prorogation du délai imparti pour déposer un avis d’opposition avant d’interjeter appel à la Cour canadienne de l’impôt.

 

[21]           Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que lorsqu’une preuve d’établissement de la cotisation et de mise à la poste d’un avis de cotisation est exigée, c’est au ministre qu’il incombe de prouver l’existence de l’avis et la date de sa mise à la poste parce que « lui seul est en possession de ces faits et lui seul peut en administrer la preuve » (Aztec Industries Inc. c. Sa Majesté la Reine, 95 DTC 5235, [1995] 1 C.T.C. 327 (CAF), au paragraphe 12). Dans le cas qui nous occupe, l’avocat de la demanderesse a effectivement signalé les lacunes de la preuve du ministre en ce qui concerne la mise à la poste des avis de cotisation en faisant ressortir par exemple l’absence de témoignage direct par un employé de la salle du courrier ainsi que des contradictions constatées dans les déclarations des témoins du ministre au sujet de la procédure qui était suivie en 2003. Mais, s’il est nécessaire de conclure que des avis de cotisation ont été mis à la poste, je suis convaincu, vu l’ensemble de la preuve du ministre, que les deux avis d’omission de remettre les cotisations sociales pour les années d’imposition 2001 et 2002 ont été placés dans le circuit postal de l’ARC et ont été envoyés par la poste à Dupont en 2003.

 

[22]           Ainsi que le juge Marshall Rothstein le déclare dans l’arrêt Kovacevic c. Canada, 2003 CAF 293, 308 N.R. 266, au paragraphe 16 :

 

[…] lorsque la loi exige qu’un document soit envoyé par courrier ordinaire par une grande organisation comme un ministère, mais qu’elle n’exige pas que ce soit fait par courrier recommandé ou certifié ou qu’il y ait une preuve d’un moyen d’envoi plus formel […] [e]n général, il suffit donc d’énoncer dans un affidavit, souscrit par la dernière personne en autorité qui a traité le document avant qu’il soit soumis à la procédure normale d’envoi du bureau, la description de cette procédure.

 

J’estime que ce critère est respecté, compte tenu du témoignage de M. Gentile.

 

[23]           Je relève que, dans l’affaire Kovacevic, la loi exigeait que l’on utilise le courrier recommandé et qu’il n’avait pas été démontré que ce moyen avait été utilisé. Je ne crois cependant pas qu’il soit nécessaire en l’espèce que le ministre prouve que des avis de cotisation ont été envoyés par la poste à Dupont pour établir que la certification de la dette fiscale était raisonnable. Nul ne conteste en l’espèce que, par l’entremise de ses administrateurs dirigeants, Dupont était au courant de son obligation fiscale impayée. Les administrateurs en question avaient rencontré M. Pizzonia, de qui ils avaient reçu le rapport de fiducie exposant les sommes dues au titre des cotisations sociales impayées pour 2001 et 2002.

 

[24]           M. Gomes a reconnu dans son témoignage qu’il était au courant de la dette et que le montant de celle‑ci correspondait en gros à celui qu’Applewood devait à Dupont. M. Gomes a également reconnu qu’il ne s’était pas occupé de ses dossiers fiscaux entre le moment de la rupture des liens entre Dupont et Applewood, en 2003, et l’incendie de janvier 2005, faisant ainsi preuve d’une négligence qui équivaut à un aveuglement volontaire en ce qui concerne ses obligations d’administrateur d’entreprise. Il n’a pas été en mesure de préciser si les avis se trouvaient ou non dans la caisse de dossiers étant donné qu’il n’en avait pas examiné le contenu. Il ne s’est rendu compte de l’urgence de l’affaire qu’en 2005, lorsqu’il a reçu l’avis de cotisation fondé sur la responsabilité dérivée des administrateurs qui le rendait personnellement responsable de la dette fiscale de l’entreprise.

 

[25]           La jurisprudence citée par la demanderesse à l’appui de sa prétention que le ministre est tenu de remettre au contribuable un avis de cotisation porte sur des affaires relatives à l’impôt sur le revenu des particuliers et non sur des cotisations sociales. Ainsi, bien que le ministre puisse être tenu de remettre un avis de cotisation à un particulier, il n’en va pas de même dans le cas de la retenue et de la remise de cotisations sociales. L’article 153 de la LIR oblige explicitement les personnes qui paient un salaire à en retenir un certain pourcentage au titre de l’impôt et à remettre cette somme au Receveur général : 

153. (1) Toute personne qui verse au cours d’une année d’imposition l’un des montants suivants :

 

153. (1) Every person paying at any time in a taxation year

a) un traitement, un salaire ou autre rémunération, à l’exception des sommes visées aux paragraphes 115(2.3) ou 212(5.1);

(a) salary, wages or other remuneration, other than amounts described in subsection 115(2.3) or 212(5.1),

 

[…]

[…]

 

doit en déduire ou en retenir la somme fixée selon les modalités réglementaires et doit, au moment fixé par règlement, remettre cette somme au receveur général au titre de l’impôt du bénéficiaire ou du dépositaire pour l’année en vertu de la présente partie ou de la partie XI.3. Toutefois, lorsque la personne est visée par règlement à ce moment, la somme est versée au compte du receveur général dans une institution financière désignée.

 

shall deduct or withhold from the payment the amount determined in accordance with prescribed rules and shall, at the prescribed time, remit that amount to the Receiver General on account of the payee’s tax for the year under this Part or Part XI.3, as the case may be, and, where at that prescribed time the person is a prescribed person, the remittance shall be made to the account of the Receiver General at a designated

financial institution.

 

 

[26]           Voir également l’article 108 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 (le Règlement), qui oblige l’employeur à remettre au Receveur général dans les sept jours de la date à laquelle il a cessé d’exploiter son entreprise tout montant qui n’a pas encore été remis :

108.

108.

 

[…]

[…]

 

(2) Lorsque l’employeur a cessé d’exploiter une entreprise, tout montant déduit

ou retenu en vertu du paragraphe 153(1) de la Loi qui n’a pas été remis au Receveur général doit l’être dans les 7 jours de la date à laquelle l’employeur a cessé d’exploiter l’entreprise.

(2) Where an employer has ceased to carry on business, any amount deducted or

withheld under subsection 153(1) of the Act that has not been remitted to the Receiver

General shall be paid within 7 days of the day when the employer ceased to

carry on business.

 

 

[27]           Les articles 153 de la LIR et 108 du Règlement s’appliquent tous les deux à la demanderesse Dupont. En permettant à Applewood de ne transférer que des montants nets à Dupont pour payer ses employés, Dupont n’a pas respecté le régime fiscal.

 

[28]           De plus, les dispositions des paragraphes 225.1(1) et suivants interdisent notamment au ministre de certifier une dette fiscale qui a fait l’objet d’une cotisation ou de donner un avis de cette obligation avant la date à laquelle sont entamées les mesures de recouvrement de ce montant. L’alinéa 225.1(6)b) indique clairement que les dispositions en question ne s’appliquent pas aux montants à déduire ou à retenir :

 

225.1 (1) Si un contribuable est redevable du montant d’une cotisation établie en vertu des dispositions de la présente loi, exception faite des paragraphes 152(4.2), 169(3) et 220(3.1), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le lendemain du jour du début du recouvrement du montant, prendre les mesures suivantes :

 

 

225.1 (1) If a taxpayer is liable for the payment of an amount assessed under this Act, other than an amount assessed under subsection 152(4.2), 169(3) or 220(3.1), the Minister shall not, until after the collection-commencement day in respect of the amount, do any of the following for the purpose of collecting the amount:

 

a) entamer une poursuite devant un tribunal;

(a) commence legal proceedings in a court,

 

b) attester le montant, conformément à l’article 223;

(b) certify the amount under section 223,

 

c) obliger une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1);

(c) require a person to make a payment under subsection 224(1),

 

d) obliger une institution ou une personne visée au paragraphe 224(1.1) à faire un paiement, conformément à ce paragraphe;

 

(d) require an institution or a person to make a payment under subsection 224(1.1),

 

e) [Abrogé, 2006, ch. 4, art. 166]

 

(e) [Repealed, 2006, c. 4, s. 166]

 

f) obliger une personne à remettre des fonds,

conformément au paragraphe 224.3(1);

 

(f) require a person to turn over moneys under

subsection 224.3(1), or

 

g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).

(g) give a notice, issue a certificate or make a direction under subsection 225(1).

 

[…]

[…]

 

(6) Les paragraphes (1) à (4) ne s’appliquent pas :

(6) Subsections 225.1(1) to 225.1(4) do not apply with respect to

 

b) aux montants à déduire ou à retenir, et à remettre ou à payer, en application de la présente loi ou de son règlement;

(b) an amount required to be deducted or withheld, and required to be remitted or paid,

under this Act or the Regulations;

 

 

[29]           Par conséquent, ainsi que le défendeur le soutient à juste titre, il n’est pas nécessaire de poster un avis de cotisation avant que ces montants ne deviennent exigibles. Cette conclusion est compatible avec l’obligation du ministre de promouvoir et de protéger l’intérêt du public en s’assurant que la LIR est appliquée de façon équitable (Canada (Ministre du Revenu national) c. Swiftsure Taxi Co., 2004 CF 980, [2004] 4 C.T.C. 304, au paragraphe 16, Jus D’Or Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2007 CF 754, aux paragraphes 12 à 15).

 

[30]           Le paragraphe 227(9.4) de la LIR met à la charge de la personne qui a omis d’en faire la remise l’obligation de payer à titre d’impôt le montant qu’elle a déduit ou retenu d’un paiement fait à une autre personne :  

227.

227.

 

[…]

[…]

 

(9.4) La personne qui ne remet pas, de la manière et dans le délai prévus à la présente loi ou à son règlement, un montant déduit ou retenu d’un paiement fait à une autre personne conformément à la présente loi ou à son règlement doit payer, au nom de cette autre personne, à titre d’impôt en vertu de la présente loi, le montant ainsi déduit ou retenu.

(9.4) A person who has failed to remit as and when required by this Act or a regulation an amount deducted or withheld from a payment to another person as required by this Act or a regulation is liable to pay as tax under this Act on behalf of the other person the amount so deducted or withheld.

 

 

[31]           Le paragraphe 227(10.1) complète cette disposition en indiquant que le ministre peut en tout temps établir une cotisation pour le montant en question :

 

(10.1) Le ministre peut, en tout temps, établir une cotisation :

 

(10.1) The Minister may at any time assess

 

a) pour un montant payable par une personne en vertu de l’article 116 ou des paragraphes (9), (9.2), (9.3) ou (9.4);

 

(a) any amount payable under section 116 or subsection 227(9), 227(9.2), 227(9.3) or 227(9.4) by any person, (a.1) [Repealed, 1997, c. 25, s. 67(7)]

 

b) pour un montant payable par une personne en vertu du paragraphe (10.2) pour défaut par une personne non‑résidente d’effectuer un versement;

 

(b) any amount payable under subsection 227(10.2) by any person as a consequence of a failure by a non‑resident person to remit any amount, and

 

c) pour un montant payable par une personne non‑résidente en vertu des parties XII.5 ou XIII. Si le ministre envoie un avis de cotisation à la personne, les articles 150 à 163, les paragraphes 164(1) et (1.4) à (7), les articles 164.1 à 167 et la section J de la partie I s’appliquent, avec les adaptations nécessaires.

(c) any amount payable under Part XII.5 or XIII by any non‑resident person, and, where the Minister sends a notice of assessment to the person, sections 150 to 163,

subsections 164(1) and 164(1.4) to 164(7), sections

164.1 to 167 and Division J of Part I apply with such modifications as the circumstances require.

 

 

[32]           En d’autres termes, l’ARC a le droit de vérifier si les cotisations sociales ont été dûment remises au Receveur général. Rien dans la présente affaire ne permet de penser que l’ARC a pris des mesures qui déborderaient le cadre des pouvoirs que lui confère la LIR. La demanderesse Dupont a bel et bien omis de retenir l’impôt déduit du salaire de ses employés et de remettre cet impôt au Receveur général. L’ARC était tenue de par la loi de sanctionner cette omission en certifiant la dette fiscale.

 

[33]           Une fois qu’on a conclu qu’il n’était pas nécessaire pour le ministre d’envoyer des avis de cotisation à la contribuable Dupont au titre des cotisations sociales impayées, la question de savoir si la demanderesse a reçu les avis de cotisation en question devient théorique. En tout état de cause, et comme il a déjà été suggéré, la demanderesse peut demander au ministre de proroger le délai qui lui est imparti pour déposer un avis d’opposition avant d’interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt (LIR, par. 166.1(1); LIR, sous‑al. 166.2(5)b)(iii)).

 

[34]           Compte tenu de ce qui précède, il m’est impossible de conclure qu’il était déraisonnable de la part du ministre de certifier la dette de 204 704,21 $ majorée des intérêts. La LIR n’oblige pas le ministre à fournir des avis de cotisation aux personnes morales contribuables qui ont l’obligation permanente de remettre les cotisations sociales. Qui plus est, il ressort clairement de la preuve que la demanderesse était parfaitement au courant de la dette exigible et de l’obligation de la payer, ou qu’elle aurait dû être au courant de ces faits. Le certificat ne sera donc pas annulé, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée et les dépens seront adjugés au défendeur.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR :

 

  1. DÉCLARE valide le certificat qui a été déposé au greffe de la Cour fédérale en vertu de l’article 223 de la Loi de l’impôt sur le revenu le 11 juin 2004 dans le dossier de la Cour no 6552‑04 et suivant lequel la somme de 204 704,21 $ majorée des intérêts accumulés depuis le 15 mai 2004 était payable par la demanderesse et n’avait pas été payée;
  2. REJETTE la demande de contrôle judiciaire visant la décision de certifier la dette fiscale de la demanderesse et le certificat;
  3. ADJUGE au défendeur les dépens, qui sont fixés à 2 000 $.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1448‑09

 

INTITULÉ :                                                   DUPONT ROOFING & SHEET METAL INC.

 

                                                                        et

 

                                                                        MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 11 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Domenic Marciano

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Brianna Caryll

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DOMENIC MARCIANO

Marciano Beckenstein LLP

Concord (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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