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Date : 20110207

Dossier : T‑1047‑10

Référence : 2011 CF 136

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

demandeur

 

 

et

 

YOUSSEF ZAKARIA

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision, en date du 19 mai 2010, par laquelle la Commission d’appel des pensions (CAP) a accordé au défendeur la permission d’interjeter appel de la décision rendue par le tribunal de révision le 12 janvier 2010. Le différend a trait aux prestations offertes en vertu du Régime de pensions du Canada (le RPC ou le Régime).

 

[2]               Ayant examiné attentivement le dossier et entendu les parties, je suis arrivé à la conclusion que le membre désigné de la CAP a commis une erreur en accordant au défendeur, M. Zakaria, l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision, car il n’existait pas de cause défendable. Voici les motifs qui m’ont mené à tirer cette conclusion.

 

I.          Les faits

[3]               En février 2008, M. Zakaria a présenté une demande de prestations d’invalidité en vertu du RPC. Dans sa demande, il a indiqué avoir exercé un emploi jusqu’au 29 janvier 2008, date à laquelle il a cessé de travailler en raison de divers problèmes de santé, notamment des kystes, de l’arthrite et des douleurs aux os.

 

[4]               Sa demande initiale de prestations d’invalidité a été refusée et sa demande de réexamen a également mené à un refus. Il a ensuite interjeté appel de cette décision devant un tribunal de révision.

 

[5]               Le défendeur a commencé à toucher une pension de retraite du RPC en mars 2008.

 

[6]               Le 27 octobre 2009, un tribunal de révision a instruit son appel. Le tribunal de révision a conclu qu’étant donné que le défendeur avait touché une pension de retraite du RPC, il pouvait choisir de l’annuler en vue de recevoir des prestations d’invalidité conformément à l’article 66.1 du Régime et au paragraphe 46.2(2) du Règlement. Toutefois, le tribunal a également signalé que ces dispositions ne s’appliqueraient au défendeur que s’il était réputé être devenu invalide avant la date à laquelle la pension de retraite est devenue payable. Ainsi, il aurait fallu qu’il démontre qu’il était devenu invalide en février 2008 précisément, puisqu’il avait été en mesure de travailler jusqu’au 29 janvier 2008 et qu’il avait commencé à toucher des prestations de retraite en mars de la même année. Le tribunal de révision a conclu que le défendeur n’avait pas démontré qu’il était devenu invalide durant cette période précise.

 

[7]               Le tribunal de révision a résumé la preuve se rapportant à la situation de M. Zakaria comme suit :

§         M. Zakaria a 62 ans. Il affirme que ses aptitudes linguistiques en anglais sont très restreintes à cause de sa mémoire défaillante.

§         M. Zakaria a un baccalauréat en arts et a obtenu un certificat en consultation touristique en 1995. Jusqu’en 1990, il a travaillé dans une usine où il s’est blessé. Il est ensuite devenu enseignant à la Commission des écoles séparées de Windsor et a enseigné diverses matières. De septembre 2000 au 29 janvier 2008, il a travaillé comme courrier.

§         D’après sa demande, M. Zakaria n’est pas en mesure de travailler depuis sa dernière journée de travail (le 29 janvier 2008) à cause de son état de santé. Il a présenté une demande de prestations d’invalidité le 11 février 2008.

§         Selon M. Zakaria, les médecins lui ont diagnostiqué plusieurs maux de santé, y compris les suivants : gros kystes sur les deux reins, stéatose hépatique, hypertrophie de la prostate, problèmes auditifs, points noirs dans le champ visuel, hernie importante dans la partie supérieure de l’estomac et ulcère d’estomac, discopathie dégénérative de la colonne cervicale et arthrose au niveau du cou, de l’épine dorsale, de l’épaule droite, des genoux et des pieds.

§         Pour soigner ces maux, M. Zakaria prend divers médicaments visant à soulager ses symptômes.

 

 

[8]               Le tribunal a conclu que la preuve présentée par M. Zakaria à l’audience n’était pas fiable, car elle ne concordait pas avec des éléments de preuve documentaire fiables. Il a également conclu que M. Zakaria n’avait pas présenté d’explication plausible établissant comment il est devenu inapte au travail en février 2008 précisément. Le tribunal a conclu que M. Zakaria n’avait pas établi qu’il était invalide au sens du Régime.

 

[9]               M. Zakaria a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal le 4 mai 2010 au moyen d’une lettre dans laquelle il affirmait seulement ce qui suit :

[traduction] Je ne suis pas en mesure de travailler en raison de plusieurs problèmes de santé qui m’empêchent de travailler à cause de douleurs fortes et prolongées. En raison de ces problèmes de santé, je crois avoir droit à une pension d’invalidité. Lorsque je recevrai des lettres de spécialistes concernant mon état de santé, je les acheminerai dans les meilleurs délais.

 

 

[10]           Le 19 mai 2010, la CAP a accordé l’autorisation d’interjeter appel, mais n’a pas exposé les motifs de sa décision. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

 

II.         La décision contestée

[11]           Malgré l’absence de tout élément de preuve nouveau ou additionnel, un membre désigné de la Commission a, le 19 mai 2010, accordé au défendeur l’autorisation d’interjeter appel. Le membre désigné n’a pas exposé les motifs de sa décision.

 

III.       La question à trancher

[12]           En l’espèce, la seule question à trancher est celle de savoir si la CAP a commis une erreur en accordant au défendeur l’autorisation d’interjeter appel.

 

IV.       Analyse

[13]           Je suis redevable à l’avocat du défendeur pour ses excellentes observations, auxquelles je souscris de manière générale. Elles m’ont grandement servi pour l’analyse qui suit.

 

[14]           Pour effectuer le contrôle d’une décision dans laquelle un membre désigné a accordé l’autorisation d’interjeter appel, il faut examiner deux questions : (1)  le décideur a‑t‑il appliqué le bon critère ? (2) le décideur a‑t‑il commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits lorsqu’il a décidé s’il existait une cause défendable? Voir : Callihoo c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 612 (CF), au paragraphe 15; Mebrahtu c. Procureur général du Canada, 2010 CF 920, au paragraphe 8.

 

[15]           La Cour a déjà statué que la question de savoir si le membre désigné a appliqué le bon critère avant d’accorder l’autorisation d’interjeter appel est une question de droit assujettie à un contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que la question de savoir si la demande soulevait un argument défendable est assujettie à la norme de la décision raisonnable : Vincent c. Canada (Procureur général), 2007 CF 724, au paragraphe 26; décision Mebrahtu, précitée, au paragraphe 8; Samson c. Canada (Procureur général), 2008 CF 461, au paragraphe 14.

 

[16]           En l’espèce, le demandeur soutient que le membre désigné a traité la demande d’autorisation d’interjeter appel comme un appel de plein droit ou a appliqué le mauvais critère avant d’accorder l’autorisation demandée : il s’agit d’une question de droit assujettie à un contrôle selon la norme de la décision correcte. Subsidiairement, le demandeur a fait valoir que même si le membre désigné a appliqué le bon critère, il a commis une erreur en concluant que la demande soulevait un argument défendable. Il s’agit d’une question de fait et de droit assujettie à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

 

A.  Le régime législatif

[17]           Dans l’arrêt Granovsky c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2000 CSC 28, au paragraphe 9, la Cour suprême du Canada a affirmé que le Régime de pensions du Canada n’est pas un régime d’aide sociale. Il s’agit d’un régime d’assurance sociale destiné aux Canadiens privés de gains en raison d’une retraite, d’une invalidité ou du décès d’un conjoint ou d’un parent salarié. Autrement dit, le Régime est un régime contributif dans lequel « le législateur a défini à la fois les avantages et les conditions d’admissibilité, y compris l’ampleur et la durée de la contribution financière d’un requérant » (ibid.).

 

[18]           Aux termes de l’alinéa 44(1)a) du Régime, une pension de retraite doit être payée à une personne qui a atteint l’âge de soixante ans. Aux termes de l’alinéa 44(1)b) du Régime, une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant invalide qui n’a pas atteint l’âge de soixante‑cinq ans et à qui aucune pension de retraite n’est payable. Les alinéas 44(1)a) et b) sont rédigés ainsi :

Prestations payables

 

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

a) une pension de retraite doit être payée à un cotisant qui a atteint l’âge de soixante ans;

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante‑cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

 

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

 

 

 

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

 

(iv) [Abrogé, 1997, ch. 40, art. 69]

Benefits payable

 

44. (1) Subject to this Part,

 

 

(a) a retirement pension shall be paid to a contributor who has reached sixty years of age;

(b) a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty‑five years of age, to whom no retirement pension is payable, who is disabled and who

 

(i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period,

 

 

(ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or

 

(iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1 had not been made;

 

 

(iv) [Repealed, 1997, c. 40, s. 69]

 

 

[19]           Aux termes de l’alinéa 42(2)b) du Régime, en aucun cas une personne n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation de la demande. L’alinéa 42(2)b) prévoit ce qui suit :

Personne déclarée invalide

 

 

(2) Pour l’application de la présente loi :

 

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sous‑alinéa 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

When person deemed disabled

 

(2) For the purposes of this Act,

 

(b) a person is deemed to have become or to have ceased to be disabled at the time that is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person — including a contributor referred to in subparagraph 44(1)(b)(ii) — be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

 

 

[20]           En vertu du paragraphe 66.1(1.1) du Régime, une personne qui reçoit une pension de retraite est inadmissible à une pension d’invalidité à moins qu’elle ne soit réputée être devenue invalide avant le mois durant lequel la pension de retraite est devenue payable. Le paragraphe 66.1(1) prévoit notamment ce qui suit :

Demande de cessation de prestation

 

66.1 (1) Un bénéficiaire peut demander la cessation d’une prestation s’il le fait de la manière prescrite et, après que le paiement de la prestation a commencé, durant la période de temps prescrite à cet égard.

Request to cancel benefit

 

 

66.1 (1) A beneficiary may, in prescribed manner and within the prescribed time interval after payment of a benefit has commenced, request cancellation of that benefit.

 

 

[21]           Le défendeur a commencé à recevoir une pension de retraite en mars 2008. Il a présenté sa demande de prestations d’invalidité en février 2008, si bien que la date à laquelle il est réputé être devenu invalide ne peut être antérieure à novembre 2006. Toutefois, étant donné que le défendeur a démontré qu’il était en mesure de travailler jusqu’à la fin de janvier 2008, il doit établir qu’il est devenu invalide en février 2008 précisément, soit le mois avant qu’il ne commence à recevoir sa pension de retraite.

 

[22]           Pour être admissible à une pension d’invalidité, un requérant doit démontrer qu’il souffre d’un problème de santé qui le rend inapte au travail. La définition de l’invalidité dans le Régime est inextricablement liée à l’aptitude au travail. De plus, l’admissibilité repose sur les cotisations faites dans le cadre du Régime. Grâce à ces cotisations, un requérant établit une période minimale d’admissibilité (PMA). Le requérant doit démontrer non seulement qu’il est invalide, mais aussi que cette invalidité existait avant l’expiration de la PMA et qu’elle a continué d’exister par la suite.

 

[23]           Pour être admissible à une pension d’invalidité aux termes du Régime, une personne doit satisfaire à trois exigences : (i) elle doit respecter les exigences en matière de cotisation; (ii) elle doit être invalide au sens du RPC lorsque les exigences en matière de cotisation sont respectées; (iii) elle doit être invalide pour une période continue et indéfinie. Voir le Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, chap. C‑8, paragraphe 42(2), alinéa 44(1)b) et paragraphe 44(2).

 

[24]           Aux termes du paragraphe 42(2) du Régime, une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. L’article 68 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada (C.R.C., chap. 385) précise les renseignements que doit fournir au ministre un requérant qui allègue être invalide au sens de la Loi.

 

[25]           Une invalidité est « grave » seulement si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. C’est l’aptitude au travail, et non le diagnostic ou la description de la maladie, qui constitue le facteur déterminant pour ce qui est de la gravité de l’invalidité aux termes du Régime. L’invalidité ne repose pas sur le fait qu’un requérant est incapable d’exercer son emploi habituel, mais plutôt sur le fait qu’il ne peut exercer aucune occupation véritablement rémunératrice : Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, au paragraphe 3; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34, au paragraphe 7; Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, au paragraphe 50; Klabouch c. Canada (Ministre du Développement social), 2008 CAF 33, aux paragraphes 14 à 17.

 

[26]           Un requérant qui dit répondre à la définition d’incapacité grave doit non seulement démontrer qu’il a de sérieux problèmes de santé, mais aussi, dans les cas où il y a des preuves d’aptitude au travail, que ses efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux en raison de ces problèmes de santé. Il est faux de penser que toute personne qui éprouve des problèmes de santé et des difficultés à se trouver et à conserver un emploi a droit à une pension d’invalidité. Les requérants sont toujours tenus de démontrer qu’ils souffrent d’une invalidité grave et prolongée qui les rend régulièrement incapables de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Une preuve médicale est requise, de même qu’une preuve des efforts déployés pour se trouver un emploi et des possibilités : Inclima, précité, au paragraphe 3; Klabouch, précité, aux paragraphes 16 et 17; Villani, précité, aux paragraphes 44‑46 et 50.

 

B.  Le processus d’appel et les dispositions régissant les autorisations d’interjeter appel

[27]           Le processus de demande de pension d’invalidité comporte non seulement un examen initial de la demande, mais aussi un réexamen de la demande si le requérant se croit lésé par la décision initiale du ministre. À la suite de ce réexamen, le requérant a le droit d’interjeter appel de la deuxième décision devant un tribunal de révision. S’il en obtient l’autorisation, le requérant dispose ensuite d’un autre appel de novo auprès de la Commission. Le Régime prévoit un processus d’appel généreux, décrit ci‑dessous.

 

[28]           En vertu du Régime, le ministre est tenu, dès qu’il reçoit une demande de prestations d’invalidité, d’examiner la demande et d’aviser le requérant par écrit de la décision soit d’approuver la demande ou de la rejeter : Régime de pensions du Canada, précité, article 60. Si le requérant se croit lésé par la décision du ministre aux termes de l’article 60, il peut demander au ministre de réexaminer cette décision : Régime de pensions du Canada, paragraphe 81(1). La personne qui se croit lésée par la décision rendue par le ministre à la suite du réexamen aux termes du paragraphe 81(1) peut, de plein droit, interjeter appel de cette décision auprès d’un tribunal de révision : Régime de pensions du Canada, paragraphe 82(1).

 

[29]           Il n’y a pas d’appel de plein droit auprès de la Commission de la décision d’un tribunal de révision. Le paragraphe 83(1) du Régime prévoit plutôt que la personne qui se croit lésée par la décision du tribunal de révision est tenue de présenter une demande écrite au président ou au vice‑président de la Commission afin d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission. Aux termes du paragraphe 83(2) du Régime, le président ou le vice‑président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette autorisation. Toutefois, le paragraphe 83(2.1) du Régime permet au président ou au vice‑président de désigner un membre ou membre suppléant de la Commission pour l’exercice des pouvoirs visés au paragraphe 83(2) du Régime.

 

[30]           En vertu de l’article 4 des Règles de procédure de la Commission d’appel des pensions (prestations), une demande d’autorisation d’interjeter appel doit contenir les motifs invoqués pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel, un exposé des faits allégués, les motifs que l’appelant entend invoquer ainsi que les preuves documentaires qu’il entend présenter à l’appui de l’appel.

 

[31]           Les demandes d’autorisation d’interjeter appel sont tranchées ex parte, à moins que le président ou le vice‑président n’exige le contraire. Aux termes du Régime, le décideur n’est pas tenu de fournir des motifs écrits s’il accorde l’autorisation demandée : Régime de pensions du Canada, précité, paragraphes 83(3) et (4).

 

[32]           Aux termes du paragraphe 83(2) du Régime, la décision par laquelle un membre désigné par le président ou le vice‑président accorde l’autorisation d’interjeter appel s’inscrit dans l’exercice de la compétence attribuée par le Régime et n’est pas considérée comme étant une décision rendue par la Commission elle‑même : Martin c. Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines), [1997] A.C.F. no 1600 (CAF), au paragraphe 2.

 

[33]           Il n’est pas possible d’interjeter appel des décisions rendues aux termes du paragraphe 83(2) du Régime par les membres désignés de la Commission concernant l’autorisation d’interjeter appel. Toutefois, la décision par laquelle un membre désigné a accordé l’autorisation d’interjeter appel peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale : Canada (Procureur général) c. Landry, 2008 CF 810, au paragraphe 20; McDonald c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2009 CF 1074, au paragraphe 16.

 

[34]           Par souci de commodité, les dispositions pertinentes du Régime de pensions du Canada et des Règles de procédure de la Commission d’appel des pensions (prestations) sont reproduites ci‑dessous :

 

Appel à la Commission d’appel des pensions

 

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre‑vingt‑dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice‑président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre‑vingt‑dix jours, une demande écrite au président ou au vice‑président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

 

Décision du président ou du vice‑président

 

(2) Sans délai suivant la réception d’une demande d’interjeter un appel auprès de la Commission d’appel des pensions, le président ou le vice‑président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.

 

Désignation

 

(2.1) Le président ou le vice‑président de la Commission d’appel des pensions peut désigner un membre ou membre suppléant de celle‑ci pour l’exercice des pouvoirs et fonctions visés aux paragraphes (1) ou (2).

 

 

Permission refusée

 

(3) La personne qui refuse l’autorisation d’interjeter appel en donne par écrit les motifs.

 

 

Permission accordée

 

(4) Dans les cas où l’autorisation d’interjeter appel est accordée, la demande d’autorisation d’interjeter appel est assimilée à un avis d’appel et celui‑ci est réputé avoir été déposé au moment où la demande d’autorisation a été déposée.

Appeal to Pension Appeals Board

 

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of un tribunal de révision made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice‑Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice‑Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

 

 

 

 

 

 

 

 

Decision of Chairman or Vice‑Chairman

 

(2) The Chairman or Vice‑Chairman of the Pension Appeals Board shall, forthwith after receiving an application for leave to appeal to the Pension Appeals Board, either grant or refuse that leave.

 

 

Designation

 

(2.1) The Chairman or Vice‑Chairman of the Pension Appeals Board may designate any member or temporary member of the Pension Appeals Board to exercise the powers or perform the duties referred to in subsection (1) or (2).

 

Where leave refused

 

(3) Where leave to appeal is refused, written reasons must be given by the person who refused the leave.

 

Where leave granted

 

(4) Where leave to appeal is granted, the application for leave to appeal thereupon becomes the notice of appeal, and shall be deemed to have been filed at the time the application for leave to appeal was filed.

 

DEMANDE D’AUTORISATION D’INTERJETER APPEL

 

4. L’appel de la décision d’un tribunal de révision est interjeté par la signification au président ou au vice‑président d’une demande d’autorisation d’interjeter appel, conforme en substance à l’annexe I, qui indique :

 

a) la date de la décision du tribunal de révision, le nom de l’endroit où cette décision a été rendue et la date à laquelle la décision a été transmise à l’appelant;

 

b) les nom et prénoms ainsi que l’adresse postale complète de l’appelant;

c) le cas échéant, le nom et l’adresse postale complète d’un mandataire ou d’un représentant auquel des documents peuvent être signifiés;

d) les motifs invoqués pour obtenir l’autorisation d’interjeter appel; et

e) un exposé des faits allégués, y compris tout renvoi aux dispositions législatives et constitutionnelles, les motifs que l’appelant entend invoquer ainsi que les preuves documentaires qu’il entend présenter à l’appui de l’appel.

APPLICATION FOR LEAVE TO APPEAL

 

 

4. An appeal from a decision of a Review Tribunal shall be commenced by serving on the Chairman or Vice‑Chairman an application for leave to appeal, which shall be substantially in the form set out in Schedule I and shall contain

(a) the date of the decision of the Review Tribunal, the name of the place at which the decision was rendered and the date on which the decision was communicated to the appellant;

(b) the full name and postal address of the appellant;

 

(c) the name of an agent or representative, if any, on whom service of documents may be made, and his full postal address;

 

(d) the grounds upon which the appellant relies to obtain leave to appeal; and

(e) a statement of the allegations of fact, including any reference to the statutory provisions and constitutional provisions, reasons the appellant intends to submit and documentary evidence the appellant intends to rely on in support of the appeal.

 

 

[35]           Ainsi qu’il a été signalé précédemment, la Cour a statué dans la décision Callihoo, précitée, au paragraphe 15, que le contrôle d’une décision relative à une demande d’autorisation d’interjeter appel à la CAP donne lieu à deux questions :  

a)         la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d’être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

b)         la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une question sérieuse est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation.

 

Voir également : décision Samson, précitée, au paragraphe 11; décision Mebrahtu, précitée, au paragraphe 8; Canada (Procureur général) c. Causey, 2007 CF 422, au paragraphe 16.

 

 

[36]           Dans la décision Callihoo, au paragraphe 22, la Cour a exposé comme suit le critère de la cause défendable (c’est‑à‑dire celle ayant des chances sérieuses d’être accueillie) :

En l’absence d’une nouvelle preuve importante qui n’aurait pas été examinée par le tribunal de révision, une demande d’autorisation a des chances sérieuses d’être accueillie lorsque le décideur conclut qu’il en ressort une question ou une erreur de droit, appréciée en vertu de la norme de la décision correcte, ou une erreur de fait importante commise de façon déraisonnable ou arbitraire à la lumière de la preuve […]

 

 

[37]           Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question de savoir si le défendeur a une cause défendable en droit revient à se demander si le défendeur a une chance raisonnable de succès sur le plan juridique : Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 37; Fancy c. Canada (Ministre du Développement social), 2010 CAF 63, aux paragraphes 2 et 3.

 

[38]           Il a été jugé que le critère exposé dans la décision Callihoo s’applique aux décisions des membres désignés ayant accordé l’autorisation d’interjeter appel : décision Vincent, précitée, au paragraphe 27; Mrak c. Canada (Ministre des Ressources humaines et du Développement social), 2007 CF 672, au paragraphe 27; décision McDonald, précitée, aux paragraphes 5 à 7.

 

C.  La décision d’accorder l’autorisation d’interjeter appel dans la présente affaire

[39]           Bien que la demande d’autorisation d’interjeter appel soit un premier obstacle que le demandeur doit franchir – et un obstacle inférieur à celui auquel il devra faire face à l’audition de l’appel sur le fond – il reste que la demande doit soulever un motif défendable de donner éventuellement gain de cause à l’appel : Kerth c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] A.C.F. no 1252 (CF), au paragraphe 24. Pour qu’une cause soit défendable dans le contexte d’une demande de prestations d’invalidité, il faut que le décideur soit amené à examiner le critère prévu dans le Régime, soit celui de savoir si l’invalidité est à la fois grave et prolongée.

 

[40]           Ainsi qu’il a été indiqué précédemment, le défendeur devait démontrer que son invalidité était grave et prolongée en février 2008 précisément. Pourtant, aucune cause défendable n’a été présentée dans la demande d’autorisation d’interjeter appel. Cette demande ne comportait aucun nouvel élément de preuve et le défendeur n’a pas relevé d’erreur de droit ou d’erreur de fait importante.

 

[41]           En effet, la demande du défendeur ne fait que réitérer sa position selon laquelle il n’est [traduction] « pas en mesure de travailler en raison de plusieurs problèmes de santé qui [l]’empêchent de travailler à cause de douleurs fortes et prolongées ». Sur cette base, le défendeur conclut ceci : [traduction] « En raison de ces problèmes de santé, je crois avoir droit à une pension d’invalidité ». Le défendeur indique ensuite que dès qu’il recevra des lettres de spécialistes concernant son état de santé, il les acheminera dans les meilleurs délais. Toutefois, il n’a pas présenté de tels éléments de preuve au membre désigné, qui a tout de même accordé l’autorisation d’interjeter appel.

 

[42]           Dans la décision Mrak, précitée, au paragraphe 29, le juge Lemieux a signalé qu’un membre désigné n’est pas tenu, aux termes du Régime, de fournir des motifs lorsqu’il accorde l’autorisation d’interjeter appel. Le juge Lemieux a ainsi conclu que la demande d’autorisation d’interjeter appel constitue les motifs pour lesquels le membre désigné a accordé l’autorisation.

 

[43]           En l’espèce, il n’y a pas de cause défendable qui puisse être cernée au vu de la demande d’autorisation d’interjeter appel. Je souscris à l’avis du défendeur selon lequel la seule explication possible de la décision d’accorder l’autorisation est que le membre désigné a traité la demande d’autorisation d’interjeter appel comme un appel de plein droit et, par conséquent, a commis une erreur de droit en appliquant le mauvais critère pour accorder l’autorisation demandée.

 

[44]           Même si l’on pouvait affirmer que le membre désigné a établi le bon critère avant d’accorder l’autorisation demandée, le critère a été appliqué de manière déraisonnable. La demande d’autorisation d’interjeter appel ne met de l’avant aucun motif pouvant sous‑tendre une cause défendable. Aucun nouvel élément de preuve n’a été présenté et aucune erreur de la part du tribunal de révision n’a été relevée. Par conséquent, le membre désigné a conclu de manière déraisonnable que la demande soulevait un argument défendable.

 

[45]           Aucune erreur de droit ou erreur de fait importante ne ressort de la décision du tribunal de révision. La preuve présentée au tribunal de révision n’établissait tout simplement pas que le défendeur était invalide au sens du Régime. En particulier, le défendeur n’a pas démontré qu’il était incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice durant la période pertinente du mois de février 2008.

 

[46]           À l’appui de cette conclusion, le tribunal de révision a noté que, selon la preuve à sa disposition, les heures de travail du défendeur en janvier 2008 étaient similaires à celles qu’il avait accomplies en 2007, 2006, 2005 et 2003, d’après son registre des gains. Le tribunal a signalé que cela ne concordait pas avec l’affirmation du défendeur selon laquelle il est graduellement devenu inapte au travail, jusqu’au point où il a dû arrêter de travailler en février 2008. 

 

[47]           Le tribunal de révision a également indiqué que le défendeur avait lui‑même déclaré devant le tribunal qu’il n’avait fait pas entrepris de démarches en vue de trouver un emploi qui lui conviendrait davantage ni regardé d’autres possibilités de carrière qui lui auraient permis de mettre à profit sa formation en consultation touristique.

 

[48]           Le tribunal de révision a également noté que, selon le témoignage du défendeur à l’audience, ce sont ses problèmes de mémoire, et non ses maux de dos, qui l’empêchent de travailler à titre de conseiller touristique. Le tribunal a signalé que cette affirmation ne concordait ni avec les réponses du défenseur au questionnaire joint à sa demande de prestations du RPC, ni avec le rapport médical de son médecin de famille. En effet, ni l’un ni l’autre de ces documents ne laisse entendre que le défendeur ne peut travailler en raison d’une mémoire défaillante.

 

[49]           Il était loisible au tribunal de révision de conclure que le défendeur n’avait pas démontré qu’il était régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Cette conclusion était étayée par la preuve dont disposait le tribunal de révision et il était loisible au tribunal de révision de rejeter l’appel du défendeur.

 

[50]           Bien que la Cour soit sensible à la situation difficile du défendeur, elle doit néanmoins conclure que le membre désigné a commis une erreur en accordant l’autorisation d’interjeter appel à la lumière du dossier dont il disposait. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie et l’affaire doit être renvoyée à un autre membre désigné de la Commission pour qu’il statue à nouveau sur la demande d’autorisation d’interjeter appel. Étant donné que le défendeur devait subir de nouveaux examens médicaux au début de 2011, il aura l’occasion de présenter de nouvelles preuves concernant ses problèmes de santé, des preuves que des spécialistes auront préparées et que le tribunal de révision n’aura pas précédemment examinées.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Étant donné que le procureur général n’a pas demandé de dépens, chacune des parties assumera ses propres dépens.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1047‑10

 

INTITULÉ :                                                   PGC c. ZAKARIA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 15 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 février 2011

 

 

 

Comparutions :

 

Tennille McLeod

Bahaa Sunallah

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Youssef Zakaria

DÉFENDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Youssef Zakaria

Windsor (Ontario)

DÉFENDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

 

 

 

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