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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110210

Dossier : IMM-3453-10

IMM-3455-10

 

Référence : 2011 CF 161

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

MENSUR DEMIRAJ & VELE DEMIRAJ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

          MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE HENEGHAN

 

[1]               M. Mensur Demiraj et son épouse Mme Vele Demiraj (les demandeurs), citoyens de l’Albanie, sont entrés au Canada en novembre 2007. Ils ont présenté une demande d’asile au Canada, conformément à la Loi sur l’immigration et sur la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), au motif qu’ils craignaient d’être persécutés en Albanie en raison de la vendetta opposant leurs familles élargies respectives, la famille Demiraj et la famille Bushati. Ils ont demandé l’asile au Canada à titre de réfugiés au sens de la Convention ou de personnes à protéger, termes définis respectivement aux articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               L’élément déclencheur de cette vendetta a été la découverte d’une relation amoureuse entre Taulant Demiraj, un neveu du demandeur, et une jeune femme membre de la famille Bushati qui était promise à un autre homme. À la suite de la découverte de cette relation amoureuse par la famille Bushati en février 2007, Taulant a été attaqué. L’agression a été signalée à la police. Taulant et ses amis ont par la suite agressé un membre de la famille Bushati. Ultimement, Taulant a blessé par balle un membre de la famille Bushati, en juillet 2007. Dès lors, les Bushati ont déclaré une vendetta contre la famille immédiate de Taulant.

 

[3]               Après l’incident du coup de feu, Taulant, accompagné de son frère et de sa belle-sœur, a emménagé dans la maison du demandeur située à Tirana, la capitale de l’Albanie. Après que la vendetta eut été lancée, les demandeurs ont quitté Tirana et se sont rendus à Korce, où ils ont habité avec la sœur du demandeur jusqu’à ce qu’ils quittent l’Albanie le 4 septembre 2007.

 

[4]               Les demandeurs se sont rendus au Canada munis de faux passeports obtenus d’un passeur. Ils sont arrivés au Canada, à Montréal, le 22 novembre 2007. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté leur demande visant l’obtention du statut de réfugiés ou de personnes à protéger dans une décision datée du 23 février 2009, au motif que les demandeurs n’avaient pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État en Albanie. Les demandeurs ont obtenu l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, mais leur demande a été rejetée le 25 septembre 2009.

 

[5]               Le 18 janvier 2010, les demandeurs ont soumis une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), conformément à la Loi. Dans cette demande, ils allèguent qu’ils continuent d’être menacés en Albanie par la vendetta opposant leur famille à la famille Bushati.

 

[6]               Le 6 mai 2009, les demandeurs ont également présenté, du Canada, une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH) en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi. Cette demande reposait sur les difficultés excessives auxquelles ils seraient confrontés s’ils étaient séparés de leur fille qui habite au Michigan, aux États-Unis, avec son mari et leurs deux jeunes enfants nés dans ce pays. Les demandeurs ont aussi soutenu qu’ils éprouveraient des difficultés considérables s’ils étaient contraints de retourner en Albanie du fait, par exemple, qu’ils vivraient en retrait de la société et seraient incapables de subvenir à leurs besoins essentiels.

 

[7]               Une même agente d’ERAR (l’agente) a été saisie de la demande d’ERAR et de la demande CH. Dans une décision datée du 27 avril 2010, l’agente a rejeté la demande d’ERAR, notant que les demandeurs n’avaient soumis aucun nouvel élément de preuve concernant le risque qu’ils courent en Albanie.

 

[8]               L’agente a rejeté la demande CH des demandeurs dans une décision en date du 28 avril 2010. Les raisons justifiant cette décision étaient l’omission des demandeurs de démontrer qu’ils courraient un risque s’ils étaient contraints de retourner en Albanie et qu’ils seraient confrontés à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils devaient y retourner. Dans la décision défavorable qu’elle a rendue relativement à la demande CH, l’agente a tenu compte de l’établissement des demandeurs au Canada, par rapport à leur établissement en Albanie, ainsi que de l’intérêt supérieur des enfants qui pourraient être affectés par leur retour en Albanie. Il s’agit en l’espèce de leurs petits-enfants qui, bien qu’ils vivent au Michigan, viennent les voir à Windsor, en Ontario.

 

[9]               Dans les observations écrites et orales présentées pour leur compte, les demandeurs soutiennent que l’agente a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans les deux décisions qu’elle a rendues. Elle aurait selon eux notamment commis des erreurs de droit et omis de traiter de certains éléments de preuve pertinents.

 

[10]           La première question à trancher est celle de la norme de contrôle pertinente. Selon l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les décisions rendues par des décideurs désignés par la loi, comme l’agente, sont susceptibles de contrôle selon l’une des deux normes suivantes : celle de la décision raisonnable, pour les conclusions factuelles et les questions mixtes de fait et de droit, ou celle de la décision correcte, pour les questions de droit et les questions d’équité procédurale.

 

[11]           La Cour suprême du Canada a confirmé cette approche quant à la détermination de la norme de contrôle pertinente dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339. La question à savoir si l’agente a appliqué le critère juridique approprié est révisable selon la norme de la décision correcte. Quant aux questions tranchées par l’agente – en l’espèce des questions mixtes de faits et de droit –, elles sont révisables selon la norme de la décision raisonnable. Selon Dunsmuir et Khosa, cette norme est respectée quand une décision est justifiable, transparente et intelligible.

 

[12]           Je vais d’abord examiner la décision d’ERAR, laquelle fait l’objet du dossier IMM‑3453‑10. Je ne suis pas convaincue que les arguments invoqués par les demandeurs permettent de conclure que l’agente a commis une erreur de droit dans l’examen de leur demande d’ERAR. L’agente n’a pas utilisé le mauvais critère ni omis d’effectuer une analyse appropriée.

 

[13]           L’alinéa 113a) de la Loi permet à une personne de présenter, dans le cadre de sa demande d’ERAR, de nouveaux éléments de preuve lorsqu’une demande d’asile antérieure a été rejetée par la Commission. Le sens de « nouveaux éléments de preuve » a été revu par la Cour d’appel fédérale dans Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration) et al. (2007), 289 D.L.R. (4th), au paragraphe 13. Pour être qualifiée de « nouvelle », la preuve doit répondre aux critères suivants :

3. Nouveauté: Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

 

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

 

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

Par conséquent, je ne vois aucun fondement susceptible de justifier l’intervention de la Cour dans cette décision d’ÉRAR défavorable. La décision de l’agente était raisonnable, si l’on tient compte des documents qui lui ont été présentés. La demande de contrôle judiciaire de la décision d’ÉRAR est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 

[14]           J’examinerai maintenant la décision par laquelle l’agente a rejeté la demande CH des demandeurs. Sur ce point, les demandeurs allèguent que l’agente a commis une erreur en appliquant le mauvais critère pour l’évaluation du risque, à savoir le critère exigeant utilisé pour l’appréciation des risques dans le contexte d’une demande d’ERAR plutôt que celui moins rigoureux qui s’applique aux demandes CH.

 

[15]           De plus, les demandeurs soutiennent que l’agente a commis une erreur dans son évaluation des « difficultés » advenant leur retour en Albanie.

 

[16]           Je ne suis pas convaincue que l’agente a commis une erreur dans son évaluation des risques dans le cadre de la demande CH. Elle a souligné à juste titre que rien n’indiquait un changement du risque depuis la décision défavorable concernant leur demande d’asile et qu’ils pouvaient toujours bénéficier de la protection de l’État.

 

[17]           Cependant, je ne suis par ailleurs pas convaincue que l’agente a utilisé la bonne approche dans son évaluation des difficultés éventuelles auxquelles les demandeurs pourraient être confrontés s’ils étaient contraints de retourner en Albanie. Le raisonnement de l’agente est qu’étant donné l’existence d’une protection de l’État, la vie des demandeurs n’était pas menacée et que, de ce fait, ils ne seront exposés à aucune difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive.

 

[18]           Dans Pacia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration) (2008), 73 Imm. L.R. (3d) 274, le juge Mosley a statué que le fait d’assimiler une protection de l’État à l’absence de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives est une erreur de droit, ce qui démontre que l’agent a appliqué le mauvais critère juridique. Au paragraphe 13, le juge Mosley dit ceci :

L’agent a accepté le témoignage de la demanderesse concernant un différend de longue date qui déchirait sa communauté et les menaces qu’elle a reçues. La conclusion portant que la demanderesse pouvait bénéficier de la protection de l’État philippin ne règle pas la question de savoir si cette dernière subirait un préjudice indu à supposer qu’elle ait à s’en prévaloir.

 

[19]           Je suis d’avis que, dans la présente affaire, l’agente a commis la même erreur. Elle a considéré que l’existence de la protection de l’État permettait de déterminer si les demandeurs allaient être confrontés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives advenant leur retour en Albanie, sans se demander s’ils seraient exposés à des difficultés s’ils devaient un jour avoir besoin de cette protection. En procédant ainsi, l’agente a appliqué le mauvais critère juridique.

 

[20]           La demande de contrôle judiciaire de la décision CH défavorable est accueillie. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

« Elizabeth Heneghan »

Juge

 

Toronto (Ontario)

Le 10 février 2011

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-3453-10

                                                            IMM-3455-10

 

INTITULÉ :                                       MENSUR DEMIRAJ & VELE DEMIRAJ c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 8 février 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  La juge Heneghan

 

DATE DE L’ORDONNANCE :       Le 10 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jonathan Fedder

 

POUR LES DEMANDEURS

 

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jonathan Fedder

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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