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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110207

Dossier : IMM-2939-10

Référence : 2011 CF 134

Ottawa (Ontario), le 7 février 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

JESUS TAPIA CASTILLO

VIRIDIANA MORA CASTILLO

GUADALUPE TAPIA CASTILLO

SAMUEL ALBERTO GONZALEZ CASTILLO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) rendue le 28 avril 2010. La demande d’asile a été rejetée du fait que la SPR a conclu que les quatre demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il n’y a pas lieu pour la Cour d’intervenir. L’argumentation des demandeurs se résume en fait à un simple désaccord avec la conclusion de la Commission et il n’appartient pas à la Cour de réévaluer les conclusions d'invraisemblance tirées par la SPR. Quoi qu’il en soit, la SPR pouvait raisonnablement conclure qu’il existait une protection adéquate de l’État et que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

I.          Les faits

[3]               Les demandeurs sont des citoyens du Mexique et sont tous de la même famille. Jesus Tapia Castillo (Jesus) est le revendicateur principal; la demande de sa soeur, Guadalupe Tapia Castillo, et celle de leur cousine, Viridiana Mora Castillo, s’appuient sur son exposé circonstancié. Leur cousin, Samuel Alberto Gonzalez Castillo (Samuel), a rédigé son propre exposé circonstancié.

 

[4]               Pendant quatre ans et demi, jusqu’au mois de novembre 2007, Jesus a travaillé en tant qu’adjoint administratif au sein d’un organisme douanier à Veracruz. Entre le 3 et le 7 novembre 2007, il a été menacé à plusieurs reprises par un homme du nom de Valentin Rosas qui était au service de la société de sécurité « Delfines ». M. Rosas voulait que Jesus participe à un vol. Il a demandé à Jesus de lui fournir des renseignements sur arrivées de cargaisons de marchandises à Veracruz pour en faciliter le vol. M. Rosas a montré à Jesus des photographies de Guadalupe, de Samuel et de Viridiana, laissant entendre que leur vie était en danger s’il refusait de collaborer au vol. Guadalupe et Viridiana ont aussi été menacées.

 

[5]               Le 8 novembre 2007, Jesus, accompagné de Guadalupe, de Viridiana et possiblement de Samuel, a déposé une plainte au ministère public. Au bureau du ministère, on a affirmé à Jesus que M. Rosas serait placé sous surveillance et qu’un avocat viendrait voir Jesus pour assurer le suivi de la plainte.

 

[6]               Jesus a reçu d’autres menaces de la part de M. Rosas, ce qui l’a poussé à démissionner, le 14 janvier 2008. Le 28 janvier 2008, Guadalupe, Viridiana et lui sont partis se cacher à Paso del Macho qui est à environ deux ou trois heures de route de Veracruz et ils y sont restés jusqu’au 16 février, alors qu’ils se sont rendus à Mexico pour prendre l’avion à destination du Canada. À leur arrivée au Canada, ils ont immédiatement demandé le statut de réfugié.

 

[7]               Quant à Samuel, il avait été, pendant plus de quatre ans, au service d’une société d’import-export, où il s’occupait de produire des documents liés aux douanes, et où, lui aussi, avait probablement accès à des renseignements concernant les cargaisons. Au début du mois de novembre, Samuel a reçu à son tour une visite dérangeante, cette fois d’un certain Jorge Colan, qui travaillait pour la même société de sécurité que M. Rosas. En cherchant à le convaincre de participer au vol planifié avec M. Rosas, M. Colan a menacé Samuel et ses cousins. Le 8 novembre, Samuel affirme avoir accompagné les autres pour porter plainte au bureau du ministère public. Il aurait été battu par ses persécuteurs le 27 janvier 2008, bien qu’il n’ait reçu aucune autre menace depuis le début du mois de novembre.

 

 

II.         La décision contestée

[8]               Le commissaire a fondé son refus de la demande d’asile sur sa conviction que la pépondérance de la preuve ne permet pas d’établir qu’un renvoi au Mexique exposerait les demandeurs à une menace à leur vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités, ou à un danger de torture. La Commission a conclu que la preuve manquait de crédibilité et de vraisemblance sur des points déterminants et que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État.

 

[9]               Le commissaire a jugé le récit des demandeurs invraisemblable. D’après le raisonnement du commissaire, si Jesus avait démissionné le 14 janvier, les hommes qui le menaçaient auraient dû alors se désintéresser de lui, car ce qu’ils voulaient, c’était les renseignements qu’il pouvait obtenir par l’entremise de son travail. Par conséquent, le commissaire a conclu qu’il n’était pas crédible que le demandeur ait cru nécessaire de se cacher et de fuir son pays après avoir donné sa démission.

 

[10]           Quant à la protection de l’État, Jesus a déclaré qu’après avoir déposé sa plainte, on lui avait dit qu’un avocat communiquerait avec lui et que le ministère public allait surveiller M. Rosas. Or, aucun avocat n’a pris contact avec lui. Le commissaire est d’avis que Jesus aurait dû relancer le ministère public ou déposer de nouvelles plaintes. Les deux femmes ont allégué n’avoir sollicité aucune protection parce que Jesus l’avait déjà fait. Le commissaire a conclu que ces actions ne correspondaient pas à des mesures raisonnables pour obtenir une protection et pour pouvoir réfuter la présomption.

 

[11]           Le commissaire a également jugé invraisemblable le fait que Jesus n’ait pas informé son employeur des menaces. Jesus a déclaré qu’il ne voulait pas s’attirer le blâme de son employeur dans le cas où un vol serait commis, mais puisque depuis quatre ans il était un employé irréprochable, le commissaire estimait qu’il aurait été improbable que l’employeur blâme Jesus s’il lui avait révélé ses inquiétudes. Dans ces circonstances, l’omission de Jesus n’était pas crédible. Le commissaire considère le fait que les démissions des demandeurs aient eu lieu en même temps et qu’elles aient été suivies presque aussitôt d’une demande de protection du Canada comme une indication qu’ils avaient déjà convenu de ne pas chercher à obtenir la protection de l’État au Mexique.

 

[12]           La Commission a fait remarquer qu’elle avait pris connaissance de la preuve documentaire déposée au nom du demandeur, mais que celle-ci, ayant trait aux violations des droits de la personne et aux cartels de la drogue, n’est pas pertinente en l’espèce.

 

[13]           En ce qui concerne Viridiana et Guadalupe, le commissaire a conclu que leurs vies, qu’elles aient été réellement mises en péril ou non, étaient hors de danger à partir du moment où Jesus a quitté son emploi. Le commissaire n’a pas trouvé crédible l’allégation selon laquelle Guadalupe aurait été menacée le 25 janvier, soit dix jours après que Jesus et Samuel aient démissionné.

 

[14]           Le commissaire a également conclu que l’exposé circonstancié de Samuel n’était pas crédible, et ce, pour les mêmes motifs que celui de Jesus, à savoir que s’ils avaient démissionné à la mi‑janvier, les hommes qui les menaçaient auraient dû alors cesser de s’intéresser à eux. Il n’était donc pas plausible qu’ils aient ressenti le besoin de se cacher et de fuir. De plus, Samuel a allégué qu’aucune menace ne lui a été faite entre le 7 novembre et le 27 janvier, date à laquelle il a été battu; ainsi, il n’est pas crédible qu’il aurait estimé nécessaire de démissionner le 14 janvier. Sa justification, quant à la raison pour laquelle il n’avait pas consulté son employeur, était la même que celle de Jesus : la peur d’être blâmé si un vol était commis. Le commissaire n’a pas jugé cette justification convaincante.

 

[15]           La Commission a souligné les commentaires incompatibles de Samuel dans son entrevue d’immigration, quant à savoir si oui ou non M. Colan était à l’abri de la police (il a fait des allégations contradictoires à ce sujet). Samuel a attribué ces incompatibilités à l’interviewer, qui aurait commis des erreurs dans la prise de notes, ce que le commissaire n’a pas trouvé crédible.

 

[16]           En ce qui concerne la présumée agression physique de Samuel en janvier et ses blessures, qui sont corroborées par un rapport médical, la Commission se demande pourquoi le rapport médical et les commentaires de Samuel se contredisent en ce qui concerne l’importance des blessures, et comment il est possible qu'une telle brutalité n’ait pas donné lieu à un nouveau rapport de police. De fait, le commissaire n’était pas convaincu que Samuel ait accompagné ses cousins au ministère public le 8 novembre (avant l’agression), comme il a prétendu l’avoir fait.

 

[17]           En concluant qu’il existait une protection de l’État adéquate, la Commission ne s’est pas prononcée sur la possibilité de refuge intérieur.

 

 

III.       Les questions en litige

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions.

a    La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a tiré ses conclusions quant à la crédibilité?

b    La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a tiré ses conclusions quant à la protection de l'État ?

 

IV.       Analyse

[19]           Les conclusions de la SRP quant à la crédibilité et à l’existence de la protection de l’État appellent l’application de la norme de la raisonnabilité. Par conséquent, la décision sera maintenue dans la mesure où elle appartient aux issues possibles acceptables : Dunsmuir c New Brunswick, 2008 SCC 9, aux paragraphes 47, 48 et 51.

 

A.  La conclusion quant à la crédibilité

[20]           Il convient de préciser que trois des demandeurs, soit Samuel, Guadalupe et Viridiana, ne produisent aucun affidavit, et que Guadalupe et Viridiana n’ont pas joint d’exposé circonstancié à leur Formulaire de renseignements personnels (FRP). En outre, celles-ci ne semblent pas contester les conclusions de la SRP se rapportant à leurs demandes, à part une vague allégation selon laquelle la SRP aurait fait preuve d’un zèle intempestif lors de l’analyse de leurs demandes. De fait, la plupart des arguments présentés par leur conseil s’articulent autour de la partie de la décision de la Commission qui touche la demande de Jesus.

 

[21]           L’appréciation de la crédibilité de la preuve est une question de fait. La Cour doit faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard de décisions de la Commission en matière de crédibilité, à moins que celles-ci soient manifestement déraisonnables : Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732.

 

[22]           Le commissaire a donné ces exemples d’invraisemblances pour étayer sa conclusion :

i.    Il était peu probable que M. Rosas et M. Colan, qui avaient, à l’origine, persécuté les demandeurs pour leur soutirer des renseignements concernant les cargaisons pour commettre un vol, continuent de leur faire des menaces à partir du moment où ils ne pouvaient plus obtenir ces renseignements;

ii.    Il était invraisemblable que les demandeurs n’aient pas avisé leurs employeurs de longue date des menaces et du vol prémédité, et ce, malgré le fait qu’ils étaient des employés irréprochables et que la situation avait une incidence directe sur les employeurs;

iii.   Il était invraisemblable que Samuel, par crainte de ses persécuteurs, ait démissionné le 15 janvier malgré le fait qu’il n’avait reçu aucune nouvelle menace depuis le 7 novembre, et qu’il ait été ensuite agressé brutalement, sans raison apparente, plus tard en janvier;

iv.   Il semblait aussi étrange que Samuel n’aurait pas signalé l’agression au ministère public, vu que cette information aurait été une importante mise à jour de la déclaration qu’il aurait antérieurement déposée.

 

 

[23]           La SRP pouvait tirer des conclusions raisonnables fondées sur des invraisemblances, le bon sens et la raison, et peut aussi rejeter des éléments de preuve s’ils ne sont pas compatibles avec son analyse de l’affaire dans son ensemble. Le simple désaccord des demandeurs avec les conclusions d’invraisemblances de la SPR ne justifie pas l'intervention de notre Cour.

 

[24]           Qui plus est, la SRP n’était pas tenue de faire part aux demandeurs de ses préoccupations concernant les lacunes de leur preuve susceptibles de faire conclure à l’existence d’invraisemblances : Quijano c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1232; Farooq c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 867.

 

[25]           En ce qui a trait à la preuve documentaire, la SRP pouvait raisonnablement conclure que le document d’Amnistie internationale sur les violations des droits de la personne n’était pas pertinent dans le contexte de leur demande. De toute façon, une allégation de risque ne peut pas reposer simplement sur une preuve documentaire sans aucun lien entre la situation d’un pays et celle du demandeur : Prophète c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 331, conf. par 2009 CAF 31.

 

B.  La conclusion quant à la protection de l'État

[26]           Le critère applicable pour déterminer si une protection de l’État existe a été établi de façon définitive par la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel fédérale. Les tribunaux doivent présumer que l’État est capable de protéger ses propres citoyens. Cette présomption ne peut être écartée que s’il y a une confirmation claire et convaincante de l'incapacité de l'État d'assurer la protection du demandeur : Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la p. 724; Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c Villafranca (1992), 150 N.R. 232, à la p. 235 (C.A.F.).

 

[27]           Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a confirmé que quiconque invoque l’insuffisance de la protection de l’État a le fardeau de présenter une preuve en ce sens, et le fardeau ultime de convaincre le juge des faits que cette prétention est fondée : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94, aux par. 17-19, 28 et 30.

 

[28]           En l’espèce, la SRP a examiné avec soin la preuve documentaire et les principes en matière de protection de l’État, et les tentatives incomplètes des demandeurs de se prévaloir de la protection de l’État. Par exemple, la SRP a constaté que les demandeurs n’avaient pas relancé les autorités après avoir déposé leur plainte le 8 novembre 2007. La SRP a aussi précisé que les demandeurs n’ont pas porté leur plainte devant une instance supérieure avant de s’enfuir au Canada.

 

[29]           La SRP s’est appuyée raisonnablement sur la jurisprudence de la Cour selon laquelle la décision d’un demandeur d’asile de fuir avant que la police n’ait eu le temps de conduire une enquête et d’offrir une réponse convenable n'équivalait pas à une absence de protection de l'État : voir, par exemple, Montemayor Romero c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 977, aux par. 24 et 25.

 

[30]           Contrairement à la prétention des demandeurs, il leur incombait de déployer des efforts soutenus afin d’épuiser tous les recours possibles s’offrant à eux pour obtenir de l’aide. Dans l'arrêt Kadenko c Canada (Solliciteur général) (1996), 143 D.L.R. (4 th ) 532, à la page 534 (C.A.F.), le juge Décary a donné des précisions sur ce principe et a souligné que, plus un pays est démocratique, plus le demandeur d'asile aura dû faire d'efforts pour obtenir la protection de son État d'origine. Ces principes ont été plus récemment réaffirmés par la Cour d’appel fédérale dans Hinzman c. Canada (MCI), 2007 CAF 171.

 

[31]           Quant à la conviction subjective des demandeurs, à savoir que les autorités auraient agi de connivence avec leurs persécuteurs s’ils leur avaient demandé de l’aide, une allégation de la sorte n’est pas suffisante pour réfuter une présomption de protection de l’État, surtout lorsque cette conviction n’est fondée sur aucune preuve objective : voir Quijano, précitée, au par. 42; Judge c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1089, aux par. 8 et 10.

 

[32]           Eu égard à ce qui précède, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FEDERALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2939-10

 

INTITULÉ :                                       JESUS TAPIA CASTILLO et al. et M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               3 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de MONTIGNY

 

DATE DU JUGEMENT :                 7 février 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cristina Marinelli

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Thi My Dung Tran

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cristina Marinelli

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

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