Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date: 20110201

Dossier: IMM-3466-10

Référence : 2011 CF 110

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er février 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE:

 

ESTARDAI BEHARRY

JONATHAN NEVILLE BEHARRY

MOHANI BUDHAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Estardai Beharry et ses deux enfants ont invoqué, à l’appui de leur demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH), plusieurs facteurs, dont l’intérêt supérieur des enfants ainsi que les difficultés auxquelles Mme Beharry et ses enfants seraient confrontés s’ils étaient forcés de retourner en Guyane.

 

[2]               La demande CH de la famille a été rejetée par un agent d’ERAR, lequel a jugé que la famille n’avait pas établi qu’elle ferait face à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait retourner en Guyane pour présenter sa demande de résidence permanente. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que cette décision était déraisonnable.

 

Contexte

[3]               Mme Beharry et ses enfants se sont enfuis de la Guyane après avoir été victimes d’un violent cambriolage à domicile au cours duquel la mère a été battue et violée devant ses deux jeunes enfants. En raison de la gravité de ses blessures, elle a dû être hospitalisée plusieurs jours. La famille a sollicité l’asile à son arrivée au Canada. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a admis que l’attaque contre Mme Beharry et sa famille a bien eu lieu, mais elle a conclu que l’État était en mesure de fournir une protection adéquate à la famille en Guyane.

 

Analyse de l’agent quant à l’intérêt supérieur des enfants

[4]               La fille de Mme Beharry était âgée de 16 ans et son fils de 12 ans au moment de l’examen de la demande CH de la famille. Les enfants vivaient au Canada depuis 2002 et, au dire de tous, réussissaient très bien à l’école.

 

[5]               Dans ses observations concernant les motifs d’ordre humanitaire, la famille a fait état du traumatisme permanent dont les enfants souffrent depuis qu’ils ont été témoins de l’attaque violente qu’a subie leur mère ainsi que de la peur des enfants de retourner dans le pays où cette attaque a eu lieu. La famille a également évoqué la façon dont les enfants se sont adaptés au système scolaire canadien et les souffrances qu’occasionnerait le fait d’être séparés de leur famille et de leurs amis au Canada.

 

[6]               L’agent a estimé que le fait d’obliger les enfants à retourner avec leur mère dans un pays où l’on parle anglais n’aurait pas de conséquences négatives sur leur intérêt supérieur.

 

[7]               En tirant cette conclusion, l’agent a reconnu que [traduction] « les enfants seraient fâchés et déçus d’avoir à retourner en Guyane », mais il a ajouté que leur mère s’occuperait d’eux. L’agent a également reconnu que les enfants seraient contraints de retourner dans un contexte [traduction] « social et économique différent ». Cependant, selon l’agent, cette réalité ne constituait pas [traduction] « une situation exceptionnelle » ou « une circonstance inhabituelle qui pourrait justifier de lever tout ou partie des critères applicables ». L’agent a également conclu que la preuve était insuffisante pour établir que les enfants n’auraient pas accès aux services de base en Guyane.

 

[8]               L’agent a aussi traité du fait que les enfants pourraient garder le contact avec les membres de leur famille par téléphone, jugeant que les éléments de preuve fournis étaient insuffisants pour démontrer que la séparation des enfants de leur famille au Canada [traduction] « entraînera des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » pour eux.

 

[9]               L’agent a conclu son analyse quant à l’intérêt supérieur des enfants en affirmant qu’il n’avait pas été démontré que le fait d’exiger que la famille retourne en Guyane [traduction] « aurait des conséquences négatives importantes sur les enfants, qui équivaudraient à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ».

 

[10]           L’analyse de l’agent soulève plusieurs problèmes.

 

[11]           Le premier réside dans le critère ou les critères que l’agent semble avoir utilisés pour apprécier l’intérêt supérieur des enfants. À différents endroits dans son analyse, l’agent a traité de l’intérêt supérieur des enfants en se demandant si les enfants seraient confrontés à des difficultés « inhabituelles, injustifiées et excessives » s’ils étaient contraints à retourner en Guyane. Toutefois, ce critère n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants : voir Arulraj c. Canada (MCI), 2006 CF 29, [2006] A.C.F. no 672 (QL) et Hawthorne c. Canada (MCI), 2002 CAF 475, 297 N.R. 187, paragraphe 9.

 

[12]           Je suis consciente du fait que le simple emploi de l’expression « difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » dans le contexte d’une analyse de l’intérêt supérieur des enfants ne rend pas automatiquement une décision CH déraisonnable. L’utilisation de l’expression suffirait toutefois s’il était clair à la lecture de la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et a procédé à une analyse adéquate : Segura c. Canada (MCI), 2009 CF 894, [2009] A.C.F. n°1116 (QL), paragraphe 29.

 

[13]           Il est loin d’être clair que l’agent a appliqué le bon critère en l’espèce. En plus de l’emploi répété de l’expression [traduction] « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » dans son l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’agent a également examiné leur situation pour voir s’ils étaient confrontés à une [traduction] « situation exceptionnelle » ou une [traduction] « circonstance inhabituelle qui pourrait justifier de lever tout ou partie des critères applicables ». Aucun de ces critères n’est approprié lorsqu’il s’agit d’apprécier l’intérêt supérieur des enfants.

 

[14]           Ainsi que l’a fait remarquer la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Hawthorne, les agents d’immigration sont présumés savoir que le fait de vivre au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités auxquelles il n’aurait peut-être pas accès dans son pays d’origine. Il incombe donc à l’agent d’évaluer le degré de difficulté qui pourrait résulter du renvoi de l’enfant du Canada et ensuite, de pondérer cette difficulté avec d’autres facteurs qui pourraient atténuer les conséquences de ce renvoi : voir aussi Ruiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2009 CF 1175, [2009] A.C.F.  n°. 1474, paragraphe 31.

 

[15]           En d’autres termes, l’agent devait décider si l’intérêt supérieur des enfants, « lorsqu’on le soupesait avec les autres facteurs pertinents, justifiait d’accorder, pour des raisons d’ordre humanitaire, une dispense […] de manière à leur permettre d’entrer au Canada » : Kisana c. Canada (MCI), 2009 CAF 189, paragraphe 38. Ce n’est pas ce qui est arrivé en l’espèce.

 

[16]           Je trouve aussi préoccupant que l’agent a omis de tenir compte ou de traiter des observations de la famille quant aux répercussions qu’aurait le retour en Guyane sur le bien-être psychologique des enfants. L’agent a bel et bien fait référence aux observations de la famille selon lesquelles il serait [traduction] « traumatisant » pour les enfants d’avoir à retourner en Guyane. Toutefois, l’agent semble avoir compris que ce traumatisme renvoyait au fait que les enfants auraient à s’adapter à un nouveau système scolaire et à laisser derrière eux, au Canada, toutes leurs réalisations.

 

[17]           Les observations de la famille concernant les motifs d’ordre humanitaire faisaient clairement état de l’impact qu’a eu, sur les enfants, le fait d’être témoins de l’attaque qu’a subie leur mère et de la peur de retourner dans le pays où cette attaque a eu lieu comme étant des facteurs pouvant avoir des conséquences sur l’intérêt supérieur des enfants. L’agent ne fait mention nulle part dans son analyse de ces préoccupations et n’en a donc pas traité. L’omission d’examiner des facteurs aussi importants rend l’analyse déraisonnable.

 

[18]           Vu ma conclusion sur cette question, il ne m’est pas nécessaire de traiter des autres questions soulevées par les demandeurs.

 

Conclusion

[19]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Certification

[20]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

 

2.                  qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

“Anne Mactavish”

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3466-10

 

 

INTITULÉ :                                       ESTARDAI BEHARRY ET AL c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 janvier 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS:                       Le 1er février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

WALDMAN & ASSOCIATES

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.