Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


Date : 20110127

Dossier : IMM-2663-10

Référence : 2011 CF 97

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 janvier 2011

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

 

PETRA MARIA DAVIS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Petra Davis a fondé sa demande de résidence permanente pour des considérations humanitaires (CH) sur plusieurs facteurs, notamment les difficultés auxquelles elle serait exposée, en raison de son état psychologique, si elle devait retourner à Saint-Vincent. Mme Davis a aussi soutenu que ses problèmes psychologiques s’aggraveraient si elle était séparée de son père, qui est au Canada, et qu’elle ne pourrait recevoir les soins appropriés pour ses problèmes de santé mentale à Saint-Vincent.

 

[2]               La demande de Mme Davis a été rejetée par un agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a conclu qu’elle ne serait pas exposée à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle était tenue de retourner à Saint-Vincent pour présenter une demande de résidence permanente.

 

[3]               Pour les motifs exposés ci-après, j'estime que cette décision était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Analyse

 

[4]               Mme Davis est une demanderesse d’asile déboutée. Bien que certains éléments de sa demande d’asile aient été jugés non crédibles, la Section de la protection des réfugiés n’a pas semblé contester l’allégation selon laquelle elle aurait été victime de violence physique et sexuelle grave dans son enfance. Pour étayer sa demande d’ERAR, Mme Davis a présenté à l’agent une preuve psychologique qui atteste les répercussions négatives de ces sévices sur sa santé mentale.

 

[5]               C’est la seconde fois que la Cour est saisie de la demande CH de Mme Davis. La première décision rendue sur la demande a été annulée : voir Davis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1223, [2009] A.C.F. no 1510. Le juge Boivin avait conclu que l'équité procédurale n'avait pas été respectée parce que l’agent d’ERAR s’était appuyé sur un document de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui traite de la disponibilité des soins de santé mentale à Saint-Vincent, sans l’avoir auparavant communiqué à Mme Davis.

 

[6]               Selon le juge Boivin, le document de l’OMS n’était pas communément cité et était « davatange un rapport technique » qu’un rapport sur les droits de la personne. Par conséquent, il estimait que Mme Davis aurait dû avoir la possibilité de réagir à ce document. Il a également conclu que l’agent d’ERAR a commis une erreur en considérant que le document de l’OMS permettait d’affirmer que le niveau de la santé mentale à Saint-Vincent était satisfaisant. Le juge Boivin a fait remarquer que les données du document de l’OMS révélaient que les moyens mis à la disposition des habitants de Saint-Vincent en matière de santé mentale « sont probablement inférieurs à la moyenne » : paragraphe 25.

 

[7]               Après la décision du juge Boivin, la demande CH de Mme Davis a été renvoyée à autre agent d’ERAR pour réévaluation. Cet agent a fourni à Mme Davis une copie du document de l’OMS et lui a donné la possibilité d’y réagir.

 

[8]               Le second agent d’ERAR est arrivé à la même conclusion que le premier relativement à la disponibilité des soins de santé mentale à Saint-Vincent. Toutefois, pour parvenir à cette conclusion, le second agent ne s’est pas seulement fié à l’étude réalisée par l’OMS qui avait été communiquée à Mme Davis. L’agent a décidé de s’appuyer également sur une autre étude, réalisée par l’Organisation panaméricaine de la santé. Ce document était semblable à celui de l’OMS, mais il contenait des renseignements plus complets quant à la disponibilité des soins de santé mentale à Saint-Vincent. Son existence n’a jamais été révélée à Mme Davis.

 

[9]               Autrement dit, le second agent a commis exactement la même erreur que le premier.

 

[10]           La deuxième erreur de l’agent d’ERAR se rapporte à son traitement de la preuve contenu dans le document de l’Organisation panaméricaine de la santé. En s’appuyant sur ce document, l’agent a conclu que [TRADUCTION] « les soins de santé mentale sont intégrés aux soins primaires et dix lits consacrés aux soins de courte durée sont disponibles dans le principal centre régional pour soigner les patients atteints de graves troubles psychiatriques ».

 

[11]           Cependant, Mme Davis avait soumis à l’agent une preuve plus récente provenant directement du ministère de la Santé de Saint-Vincent et qui menait à une tout autre conclusion. Ce document indiquait que [TRADUCTION] « l’intégration des soins de santé mentale aux soins primaires est très restreinte en raison d’une insuffisance en matière de surveillance psychiatrique et de services d’appui tels que des travailleurs sociaux, des conseillers et des ergothérapeutes ».

 

[12]           Le document du ministère de la Santé souligne aussi que [TRADUCTION] « aucun programme structuré de réhabilitation n’est offert dans les établissements de santé gouvernementaux ». Le document mentionnait également la disponibilité des services d’appui de santé mentale offerts par des organisations non gouvernementales, mais faisait remarquer que [TRADUCTION] « ces programmes ne sont pas suffisants pour remédier à tous les problèmes sociaux actuels ».

[13]           Quand un décideur s’appuie largement sur les éléments de preuve allant dans le sens de sa conclusion tout en ne faisant aucune mention des éléments de preuve menant à la conclusion opposée, la Cour peut facilement en déduire qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve contradictoires pour tirer sa conclusion de fait (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 à 17).

 

[14]           L’agent a commis une erreur en ignorant les renseignements du ministère de la Santé puisque cette preuve, en apparence digne de foi, contredit directement une conclusion essentielle sur laquelle était fondée la décision.

 

[15]           L’agent a aussi commis une erreur dans l’évaluation des difficultés auxquelles serait exposée Mme Davis si elle devait se séparer de sa famille qui est au Canada. L’agent a noté la déclaration du père de Mme Davis selon laquelle le bien-être de sa fille [TRADUCTION] « dépend énormément de notre présence dans sa vie et de la possibilité de demeurer au Canada, un endroit sécuritaire ». Après avoir fait mention de la relation entre Mme Davis et sa fratrie, l’agent a ajouté : [TRADUCTION] «  La preuve dont je suis saisi ne permet pas d’établir que le fait de rompre ces liens l’exposerait à de graves répercussions négatives qui pourraient constituer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. »

 

[16]           Cette conclusion est douteuse, car elle va à l’encontre de la preuve psychologique qui avait été soumise à l’agent. La preuve soulignait [TRADUCTION] « le lien très étroit et le profond attachement » existant entre Mme Davis et son père et le fait qu’elle était [TRADUCTION] « extrêmement dépendante de lui ». Le psychologue était d’avis que [TRADUCTION] « rompre des liens si forts la plongerait probablement dans un abattatement total ». De fait, selon son avis professionnel, Mme Davis présenterait [TRADUCTION] « un risque suicidaire très élevé » si elle devait quitter le Canada et le soutien de sa famille.

 

[17]           Compte tenu de cette preuve, il est difficile de bien cerner dans les motifs de l’agent ce qui l’a porté à conclure que rompre les liens entre Mme Davis et sa famille au Canada [TRADUCTION] « ne l’exposerait pas à de graves répercussions négatives qui pourraient constituer des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives ».

 

[18]           La dernière et sans doute la plus importante réserve à l’égard de la décision de l’agent, qui se rapporte à l’aspect de la santé mentale dans la demande CH de Mme Davis, est qu’elle focalise presque entièrement sur la disponibilité des soins de santé mentale à Saint-Vincent. La question de savoir si le fait d’obliger Mme Davis à retourner à Saint-Vincent pour obtenir des soins l’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives n’a jamais véritablement été abordée.

 

[19]           La preuve d’expert irréfutée soumise à l’agent d’ERAR démontrait que si Mme Davis était forcée de retourner à Saint-Vincent, elle serait exposée à un risque de dépression nerveuse qui pourrait fort bien l’amener à avoir des idées suicidaires. Dans de telles circonstances, l’agent ne pouvait se contenter d’examiner la disponibilité des soins de santé mentale à Saint-Vincent. Pour reprendre les termes du conseil de Mme Davis, même si les soins de santé à Saint-Vincent étaient parfaits, les agents devaient quand même se demander si faire subir une telle épreuve à Mme Davis constituerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Cette question n’a jamais réellement été abordée par l’agent, ce qui rend la décision encore plus déraisonnable.

 

Conclusion

 

[20]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[21]           Invoquant la décision récente du juge Phelan dans Sivapatham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 314, [2010] A.C.F. no 366, Mme Davis me demande d’ordonner que sa demande CH soit réévaluée par un agent de n’importe quel bureau choisi par le défendeur autre que celui de Niagara Falls. Bien que je sois convaincue qu’un autre agent devrait procéder à la réévaluation de la demande de Mme Davis, celle-ci ne m’a pas convaincue que la réévaluation devrait s’effectuer dans un bureau CIC différent.

 

Question à certifier

 

[22]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

            LA COUR STATUE comme suit

 

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'ERAR pour nouvelle décision.

 

2.      Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         IMM-2663-10

 

INTITULÉ :                                       PETRA MARIA DAVIS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 26 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT:                   Le 27 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barrister & Solicitor

166, rue Pearl, bureau 100

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.