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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110124

Dossier : IMM-3749-10

Référence : 2011 CF 78

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2011

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

MAKANGA NANA OMEYAKA

 

 

 

 

demanderesse

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27 (LIPR), d’une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) rendue le 27 mai 2010 révoquant le sursis de la mesure de renvoi à l’encontre de la demanderesse et rejetant également son appel. 

 

Contexte

[2]               La demanderesse est citoyenne de la République Démocratique du Congo (RDC). Elle est arrivée au Canada en 1998. Le 22 septembre 1999, elle a été reconnue réfugiée au sens de la Convention et elle a obtenu le statut de résidente permanente le 9 août 2000. Elle a deux enfants nés au Canada de pères différents et vivant en RDC.

 

[3]               Le 10 décembre 2007, un rapport concernant la demanderesse a été rédigé en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR. Ce rapport indique que le 10 décembre 2007, la demanderesse a été reconnue coupable sous deux chefs d’accusation de fraude et emploi d’un document contrefait et de voies de fait en vertu des articles 380 et 368(1) du Code criminel L.R., 1985, ch. C-46 (le Code). Elle avait également été reconnue coupable de complot (art. 465 du Code) le 4 juillet 2002.

 

[4]               En raison de ces condamnations, la section de l’immigration de la CISR a émis contre la demanderesse une mesure de renvoi pour grande criminalité en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR, puisqu’elle avait été reconnue coupable à une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. La demanderesse en a appelé de cette mesure auprès de la SAI. Au soutien de son appel, la demanderesse ne contestait pas la validité en droit de la mesure de renvoi, mais elle invoquait qu’il existait des considérations humanitaires justifiant la prise d’une mesure spéciale.

 

[5]               Le 9 janvier 2009, la SAI a rendu une première décision au terme de laquelle elle a accordé à la demanderesse un sursis d’un an à la mesure de renvoi. Le sursis était assorti de conditions que la demanderesse devait respecter. La SAI a fondé sa décision sur l’intérêt des enfants de la demanderesse et sur les éléments qu’elle avait présentés et qui l’ont amené à juger que la demanderesse était en bonne voie de réhabilitation, qu’elle était déterminée à tourner la page sur ses erreurs de jeunesse et qu’elle bénéficiait d’un soutien adéquat. La SAI a donc estimé qu’il existait des considérations humanitaires qui justifiaient de surseoir au renvoi.

 

[6]               Le 6 novembre 2009, la SAI a informé le ministre et la demanderesse que la reprise de l’appel (sursis) ferait l’objet d’un examen en janvier 2010. Dans cet avis, la SAI demandait aux parties de l’informer du respect par la demanderesse des conditions imposées lors du sursis.

 

[7]               Le 2 décembre 2009, la demanderesse a signé une déclaration indiquant qu’elle s’était conformée aux conditions de sursis. Le ministre a procédé à un examen du dossier de la demanderesse et a informé la SAI que la demanderesse n’avait pas respecté plusieurs des conditions du sursis et notamment, qu’elle avait été condamnée pour quatre autres infractions criminelles durant la période de sursis.

 

[8]               Compte tenu des bris de conditions du sursis, la SAI a décidé de fixer une audience pour trancher la reprise d’appel. Le 24 février 2010, la SAI a envoyé aux parties un avis de convocation pour une audience fixée le 8 avril 2010.

 

[9]               Le 3 mars 2010, la demanderesse a demandé à la SAI de lui accorder une remise de l’audience prévue le 8 avril 2010, pour lui permettre d’obtenir une expertise psychosociale et de connaître le résultat des représentations sur sentence qui devaient être faites en avril 2010 relativement à l’une des infractions criminelles pour lesquelles la demanderesse avait été reconnue coupable durant le sursis. Le défendeur s’est opposé à la demande de remise. La demande de remise a été refusée par la SAI le 12 mars 2010 et l’audience a eu lieu le 8 avril 2010.

 

[10]           Le 27 mai 2010, la SAI a révoqué le sursis de la mesure de renvoi prise à l’encontre de la demanderesse et elle a, par la même occasion, rejeté son appel de cette mesure de renvoi.

 

Les décisions contestées

[11]           La demanderesse conteste la décision de la SAI refusant sa demande de remise. Elle invoque à cet égard qu’en refusant sa demande de remise, la SAI a violé les règles de justice naturelle et l’équité procédurale. La demanderesse conteste également la décision de la SAI de révoquer le sursis et de rejeter l’appel de la mesure de renvoi. Elle invoque notamment que la violation de l’équité procédurale a eu pour effet de la priver d’une audience équitable et de la possibilité de déposer un élément de preuve crucial à la décision de la SAI et que, dès lors, le processus décisionnel ayant mené la SAI à révoquer le sursis et à rejeter l’appel était vicié. La demanderesse soutient également que la SAI a erré dans son appréciation de la preuve et des facteurs pertinents aux fins de trancher l’appel.

 

Questions en litige

[12]           Les reproches formulés par la demanderesse à l’encontre des décisions de la SAI soulèvent les deux questions suivantes :

(1)   Le refus de la SAI d’accorder une remise de l’audience constitue-t-il un manquement aux règles de justice naturelle ou au droit à l’équité procédurale?

(2)   La SAI a-t-elle erré en tirant des conclusions de fait de façon arbitraire, sans tenir compte de la preuve et sans considérer tous les facteurs pertinents à sa prise de décision?

 

Analyse

Normes de contrôle

[13]           La jurisprudence nous enseigne que le pouvoir d’accorder ou de refuser une demande de remise relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal administratif et que le refus d’accorder une remise ou un ajournement peut causer un déni d’équité procédurale ou de justice naturelle si le refus est déraisonnable dans les circonstances (Wagg c Canada, 2003 CAF 303, [2004] 1 R.C.F. 206 [Wagg]. Bien que les questions relatives à l’équité procédurale sont normalement assujetties à la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]; Dhaliwal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 296, 165 A.C.W.S., (3d) 888 au par. 36; Julien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 351, 366 F.T.R. 160 [Julien], il faut analyser une telle décision en considérant la discrétion dont dispose la SAI.

 

[14]           La deuxième question sera par ailleurs assujettie à la norme de la raisonnabilité. La Cour suprême a confirmé dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 [Khosa], que l’appréciation par la SAI des motifs humanitaires invoqués au soutien d’un appel d’une mesure de renvoi doit être révisée selon la norme de contrôle de la raisonnabilité. Dans Khosa, précitée, la Cour a reconnu le caractère discrétionnaire du pouvoir conféré à la SAI et précisé « [qu]’il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaire », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. » (par. 57).

 

[15]           L’appréciation de la preuve par la SAI doit elle aussi recevoir le même degré de déférence et la Cour n’interviendra que si les conclusions et inférences de la SAI sont déraisonnables (Khosa et Dunsmuir, précités). Le cadre d’analyse que doit suivre la Cour lorsqu’elle applique la norme de la raisonnabilité, est bien décrit par la majorité dans Dunsmuir, au par. 47 :

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à [page221] l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

[16]           Ainsi, la Cour n’interviendra que si les conclusions de la SAI ne constituent pas l’une des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

(1)             Le refus de la SAI d’accorder une remise de l’audience constitue-t-il un manquement au principe de justice naturelle eu au droit à l’équité procédurale?

 

[17]           Le 3 mars 2010, l’avocate de la demanderesse a fait une demande de remise de l’audience qui était prévue le 8 avril 2010 afin d’obtenir un rapport psychosocial du CLSC et de le déposer en preuve et afin d’obtenir le résultat des représentations sur sentence prévues le 20 avril 2010 dans un des dossiers criminels de la demanderesse.

 

[18]           La demanderesse allègue qu’elle a déployé des efforts raisonnables pour obtenir ce rapport d’expertise dans les délais requis, mais que le rapport n’était pas disponible pour la date d’audience fixée au 8 avril 2010, ce qui justifiait la demande de remise. Elle allègue également que ce rapport d’expertise était essentiel à la prise d’une décision juste et éclairée par la SAI.

 

[19]           Dans la demande de remise formulée le 3 mars 2010, l’avocate de la demanderesse a indiqué que la demanderesse tentait d’obtenir un suivi régulier auprès de son intervenante sociale ainsi qu’une expertise psychosociale relativement « aux problèmes rencontrés ». Elle a indiqué que malgré les efforts déployés par la demanderesse pour compléter le suivi requis, elle était incapable d’obtenir un rendez-vous. Une attestation de consultation complétée par une intervenante du CLSC en date du 19 novembre 2009 indique que la demanderesse a consulté pour une « demande d’aide pour l’aider à surmonter les difficultés rencontrées ». L’attestation contient également une note mentionnant « Diverses démarches entamées par Mme », un suivi suggéré et une rencontre fixée le 3 décembre 2009.

 

[20]           Dans une lettre répliquant à l’opposition du défendeur à la demande de remise, l’avocate de la demanderesse a indiqué qu’une demande d’expertise psychosociale « pourrait vraisemblablement éclairer le tribunal davantage sur les raisons ayant poussé Mme Omeyaka à commettre les actes criminels reprochés et sur le degré de réhabilitation de cette dernière». Elle a également noté « qu’en l’absence d’une expertise complète et détaillée quant aux problèmes de criminalité de Mme Omeyaka, le présent Tribunal ne sera pas en mesure d’apprécier adéquatement les possibilités de réhabilitation de Mme Omeyaka». [Je souligne]

 

[21]           La preuve a révélé que la demanderesse a annulé le rendez-vous du 3 décembre 2009 pour des motifs qui ne sont pas précisés. Une deuxième attestation du CLSC, datée du 24 février 2010, indique ce qui suit :

Demande d’aide relativement aux difficultés rencontrées. Offrons à Mme la possibilité de bénéficier d’un suivi psychosocial au CLSC. Un intervenant communiquera avec Mme dans les prochaines semaines.

 

[22]           La demanderesse prétend que les délais d’attente afférents au CLSC étaient hors de son contrôle et que la SAI a ignoré cette circonstance. La demanderesse soutient que rien n’indiquait que l’ajournement sollicité aurait retardé indûment la conduite de l’appel et qu’en refusant la remise de l’audience, la SAI l’a privée de son droit à une audience équitable. 

 

[23]           Le défendeur soutient pour sa part qu’il s’est écoulé cinq mois entre novembre 2009 et avril 2010 et que, durant cette période, la demanderesse a eu amplement le temps d’obtenir le rapport désiré. Elle n’a pas non plus donné d’explication raisonnable sur ce qui avait causé un tel délai à obtenir le rapport.

 

[24]           Le défendeur affirme aussi que le droit à un ajournement n’est pas un droit absolu et que la SAI possède le pouvoir discrétionnaire de l’accorder ou non. La jurisprudence exige qu’il n’y ait pas eu de faute, de négligence ou d’insouciance de la part de celui ou celle qui réclame l’ajournement. L’exigence du tribunal d’accorder une audience équitable doit être balancée avec le devoir statutaire de la SAI de résoudre les appels dont elle est saisie avec célérité et d’éviter des délais. La Cour doit réviser une décision d’un tribunal ayant rejeté une demande d’ajournement seulement si les circonstances de l’affaire démontrent clairement que la décision a donné lieu à un déni de justice naturelle ou à un manquement à l’équité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Le défendeur soutient également que la SAI a considéré les éléments pertinents avant de refuser la demande de remise.

 

[25]           Il est bien établi que le pouvoir d’accorder une demande de remise relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal administratif.

 

[26]           Dans Wagg, précité, la Cour d’appel fédérale a rappelé que la décision d’accorder ou non un ajournement relève du pouvoir discrétionnaire du décideur et que ce pouvoir doit être exercé équitablement. La Cour a précisé qu’il n’existe pas de droit automatique à l’ajournement et que la Cour n’interviendra pas dans le refus d’accorder un ajournement sauf dans des circonstances exceptionnelles. La Cour a également précisé que le critère ultime à considérer était celui relatif à l’équité du procès :

 

[22]      On pourrait débattre la question de savoir s'il y a eu refus d'accorder un ajournement ou si l'ajournement qui a été consenti était raisonnable eu égard aux circonstances. Cependant, dans les deux cas, le critère est le même. Le demandeur s'est-il vu refuser un procès équitable lorsque le juge du procès a refusé d'inscrire l'affaire au rôle pour une autre date afin de permettre au demandeur de consulter un avocat, après que le juge du procès lui eut expliqué les conséquences de sa position? À mon avis, la réponse est négative.

 

 

[27]           Les mêmes principes ont été appliqués à l’égard des décisions de la SAI dans Gittens c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 373, 167 A.C.W.S. (3d) 139 [Gittens] et dans Julien, précité. J’ai moi-même appliqué ces principes à la décision de la Section de la protection des réfugiés de la CISR de refuser une demande d’ajournement dans Escate c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1052 (disponible sur CanLII).  

 

[28]           La règle 48 des Règles de la section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 (Règles de la SAI), prévoit le processus de traitement des demandes de changement de date d’une procédure et encadre l’exercice décisionnel de la SAI :

Demande de changement de la date ou de l’heure d’une procédure

48. (1) Toute partie peut demander à la Section de changer la date ou l’heure d’une procédure.

Forme et contenu de la demande

(2) La partie :

a) fait sa demande selon la règle 43, mais n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle;

b) indique dans sa demande au moins six dates, comprises dans la période fixée par la Section, auxquelles elle est disponible pour commencer ou poursuivre la procédure.

Procédure dans deux jours ouvrables ou moins

(3) Dans le cas les destinataires reçoivent la demande, deux jours ouvrables ou moins avant la procédure, la partie doit se présenter à la procédure et faire sa demande oralement.

 

Éléments à considérer

(4) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) dans le cas où elle a fixé la date et l’heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;

b) le moment auquel la demande a été faite;

c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;

d) les efforts qu’elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;

e) dans le cas où la partie a besoin d’un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d’aller de l’avant en l’absence de ces renseignements sans causer une injustice;

f) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l’expérience de son conseil ;

g) tout report antérieur et sa justification;

h) si la date et l’heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;

i) si le fait d’accueillir la demande ralentirait l’affaire de manière déraisonnable;

j) la nature et la complexité de l’affaire.

 

 

Application to change the date or time of a proceeding

48. (1) A party may make an application to the Division to change the date or time of a proceeding.

 

Form and content of application

(2) The party must

(a) follow rule 43, but is not required to give evidence in an affidavit or statutory declaration; and

(b) give at least six dates, within the period specified by the Division, on which the party is available to start or continue the proceeding.

 

If proceeding is two working days or less away

(3) If the party’s application is received by the recipients two days or less before the date of a proceeding, the party must appear at the proceeding and make the request orally.

 

Factors

(4) In deciding the application, the Division must consider any relevant factors, including

 

(a) in the case of a date and time that was fixed after the Division consulted or tried to consult the party, any exceptional circumstances for allowing the application;

(b) when the party made the application;

(c) the time the party has had to prepare for the proceeding;

(d) the efforts made by the party to be ready to start or continue the proceeding;

(e) in the case of a party who wants more time to obtain information in support of the party’s arguments, the ability of the Division to proceed in the absence of that information without causing an injustice;

 

(f) the knowledge and experience of any counsel who represents a party;

(g) any previous delays and the reasons for them;

(h) whether the date and time fixed were peremptory;

(i) whether allowing the application would unreasonably delay the proceedings; and

(j) the nature and complexity of the matter to be heard.

 

 

 

[29]           Ces facteurs ne sont pas exhaustifs ni conjonctifs et chaque cas doit être apprécié suivant les circonstances particulières de l’affaire. Dans Gittens, précité, la Cour a mentionné que la règle 48(4) ne devait pas être interprétée comme une directive donnée de reprendre systématiquement chacun des éléments énumérés, qu’ils soient pertinents ou non. La Cour s’est exprimée comme suit à cet égard au paragraphe 7 du jugement :

Je tiens d'entrée de jeu à signaler qu'on trouve dans les premiers mots du paragraphe précité, qui enjoint à la Section d'appel de l'immigration de tenir compte de "tout élément pertinent", certains des facteurs qui sont expressément énumérés. Il ne s'ensuit pas pour autant que la SAI doit explicitement examiner chacun des éléments énumérés et ce, qu'ils soient pertinents ou non dans un cas déterminé. Je n'interprète pas cette disposition comme une directive donnée à la SAI de reprendre systématiquement chacun des éléments énumérés, qu'ils soient pertinents ou non. L'esprit dans lequel cette appréciation doit se faire est, à mon avis, bien expliqué dans l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (CAF), [1993] A.C.F. no 10, dans lequel le juge Décary, en parlant d'une situation analogue qui n'était pas régie par des règles précises, a expliqué que, pour exercer son pouvoir discrétionnaire d'accorder ou non un ajournement, le tribunal devrait tenir compte de certains facteurs, pour ensuite énumérer une liste de facteurs semblables à ceux prévus au paragraphe 48(4) des Règles de la Section d'appel de l'immigration.

 

 

[30]           Je suis satisfaite en l’espèce que la SAI a considéré les motifs invoqués par la demanderesse au soutien de sa demande d’ajournement et qu’elle a pris sa décision à la lumière des facteurs prescrits qui lui apparaissaient pertinents.

 

[31]           La SAI a motivé sa décision de refuser la demande de remise de la demanderesse par les éléments suivants :

  • La demanderesse avait été avisée le 17 décembre 2009 que son dossier était fixé pour une audience orale et elle connaissait la date d’audience depuis le 24 février 2010. Elle a bénéficié du temps nécessaire pour préparer ses documents et observations et elle n’a pas démontré qu’elle s’y était prise de façon diligente pour le faire.
  • La demanderesse a attendu jusqu’au 3 mars 2010 pour faire une demande de remise et elle est demeurée vague sur la nature des « problèmes » rencontrés qui exigeraient que l’audience soit remise.
  • En réponse à l’avis de reprise de l’appel qui lui a été adressé, la demanderesse a indiqué s’être conformée aux conditions de son sursis, alors que les documents fournis par le défendeur indiquent le contraire et elle n’a rien joint à sa déclaration écrite, alors qu’elle avait l’obligation de le faire.
  • La demanderesse allègue être au courant de ses problèmes depuis 2009, mais elle ne les a portés à la connaissance de la SAI que longtemps après la décision de convoquer une audience pour traiter le dossier.
  • La demande de remise est de nature à ralentir les procédures de manière déraisonnable.
  • La SAI n’a pas l’obligation d’attendre le résultat des nouvelles accusations qui pendent contre la demanderesse pour trancher l’appel.
  • Aucune circonstance exceptionnelle ou imprévisible ne permet d’accorder une remise.  

 

[32]           Je considère que la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière raisonnable eu égard aux circonstances. De plus, la demanderesse ne m’a pas convaincue que le refus de la SAI de lui accorder une remise pour lui permettre de soumettre une expertise psychosociale l’avait privée d’une audience équitable ou qu’une telle expertise aurait été déterminante dans l’issue de l’appel.

 

[33]           Il est important de conserver à l’esprit que la reprise d’appel avait lieu à l’échéance d’un sursis de la mesure de renvoi accordé pour une période d’un an pour des considérations humanitaires. À l’échéance de la période de sursis, la SAI a décidé de procéder à la reprise de l’appel en convoquant une audience parce que la demanderesse avait déclaré qu’elle avait respecté les conditions rattachées au sursis alors que le ministre avait à sa disposition des informations qui démontraient le contraire.

 

[34]           Une lecture de la décision de la SAI révoquant le sursis et rejetant l’appel de la mesure de renvoi révèle que la SAI a fondé sa décision de révoquer le sursis et de rejeter l’appel sur plusieurs éléments, dont le comportement de la demanderesse durant la période de sursis. La preuve démontrait que la demanderesse avait menti en déclarant avoir respecté les conditions du sursis alors qu’elle avait enfreint plusieurs des conditions. La demanderesse avait également menti au tribunal lors de l’audience du 9 novembre 2009 relativement à une infraction pour laquelle elle avait invoqué qu’il y avait eu erreur sur l’auteur du délit et elle avait commis de nouvelles infractions criminelles durant le sursis.

 

[35]           L’expertise psychosociale que souhaitait obtenir la demanderesse aurait pu avoir une certaine pertinence sur l’appréciation du critère relatif à la réhabilitation de la demanderesse. L’avocate de la demanderesse avait invoqué la pertinence d’une expertise psychosociale afin d’éclairer le tribunal sur les raisons ayant poussé la demanderesse à commettre des délits et sur ses possibilités de réhabilitation.

 

[36]           Bien que la demanderesse n’ait pas été en mesure de produire une expertise psychosociale, elle a tout de même produit une note de son intervenante datée du 17 mars 2010 et qui contient ce qui suit :

[…]

 

Du côté psychosocial, nous croyons que Mme a besoin d’aide pour mieux se structurer et se fixer des objectifs réalistes. Nous pouvons lui offrir le soutien pour surmonter cette épreuve et trouver les moyens pour faire face à la situation, se prendre en main et regarder ce qui l’a amené à ce glissement qui l’a conduit vers la criminalité. Mme est consciente de ses erreurs. Elle est troublée et affectée par les conséquences de ses actes. Elle semble vouloir s’amender. Elle doit pour ce faire redoubler d’efforts pour y arriver car elle doit joindre à ses démarches de retour au travail son rôle de mère de 2 enfants de 8 ans et 4 ans dont elle a la garde et la responsabilité totale. Il semble que Mme ait réussi à préserver le développement normal de ses enfants et un contexte de vie favorable à leur apprentissage scolaire malgré les événements perturbateurs et les conséquences sur son état émotionnel.

 

Soyez assurés, que si Mme persiste dans sa volonté d’entreprendre une démarche, nous pourrons l’accompagner.   

 

[37]           Il appert clairement de cette note que la demanderesse n’avait pas encore entrepris de démarche pour l’aider à modifier ses comportements. Or, ce que la SAI a considéré dans son analyse, c’est le comportement de la demanderesse durant la période de sursis et son degré de réhabilitation au moment de la reprise d’appel et non son degré de réhabilitation potentiel pour l’avenir. À ce chapitre, la SAI a considéré le fait que la demanderesse donnait les mêmes explications pour ses délits et qu’elle exprimait les mêmes regrets et la même volonté de changer que ceux qu’elle avait présentés en janvier 2009 et qui avaient amené la SAI à accorder le sursis.

 

[38]           La SAI a jugé que malgré le discours de la demanderesse, que la SAI ne considérait plus crédible, cette dernière ne s’était pas amendée. Au contraire, elle n’avait pas respecté les conditions rattachées au sursis et elle avait commis d’autres infractions. La SAI a également considéré le niveau de réhabilitation de la demanderesse et les démarches qu’elle avait entreprises auprès du CLSC durant la période de sursis et jugé, à la lumière de la preuve et de ses explications, que ses démarches n’avaient pas été entreprises avec sérieux. Cette conclusion m’apparaît raisonnable.

 

[39]           Je ne vois pas en quoi une expertise psychosociale, qui pourrait jeter un éclairage sur les raisons pour lesquelles la demanderesse continue de commettre des délits et sur son potentiel de réhabilitation dans le futur, aurait pu modifier les conclusions de la SAI relativement au comportement passé de la demanderesse et à son niveau de réhabilitation au moment de la reprise d’appel.

 

[40]           Il appert également que, lors de l’audience du 8 avril 2010, la demanderesse a eu l’occasion de témoigner et de faire valoir tous les éléments et arguments au soutien de sa demande de prise de mesures spéciales. De plus, il ressort de la décision révoquant le sursis et rejetant l’appel que la SAI a analysé tous les facteurs pertinents aux fins de trancher l’appel.

 

[41]           Je considère donc qu’il n’y a pas eu de déni de justice et que la SAI n’a pas violé les règles de justice naturelle en refusant d’accorder la remise. Ceci m’amène à la deuxième question en litige.

 

(2)        La SAI a-t-elle erré en tirant des conclusions de faits de façon arbitraire, sans tenir compte de la preuve et sans considérer tous les facteurs pertinents à sa prise de décision?

 

[42]           La demanderesse invoque que la SAI n’a pas appliqué les facteurs pertinents et qu’elle a tiré plusieurs conclusions de faits qui sont arbitraires, déraisonnables ou qui ne tenaient pas compte de la preuve. Elle reproche notamment à la SAI :

·        D’avoir considéré que les crimes commis par la demanderesse étaient des crimes sérieux et répétitifs, et que la demanderesse avait récidivé à plusieurs reprises;

·        De ne pas avoir tenu compte des circonstances atténuantes, notamment que la demanderesse avait commis ces vols pour subvenir à ses propres besoins et aux besoins de ses enfants;

·        Que les conclusions erronées de la SAI ont vicié tout son raisonnement quant à l’importance de la réhabilitation de la demanderesse;

·        Que la SAI a erré en concluant que la demanderesse ne s’était pas établie au Canada, alors que le Canada est le seul pays où elle s’est établie depuis 12 ans;

·        La SAI a sous-estimé l’effet du départ de la demanderesse sur les enfants qui sont complètement dépendants de leur mère, alors que les pères sont en RDC et qu’ils n’ont pas de contacts avec les enfants.

 

[43]           La mesure de renvoi qui a été émise contre la demanderesse l’a été en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la LIPR. Le paragraphe 63(3) de la LIPR prévoit la possibilité pour une personne visée par une mesure de renvoi d’interjeter appel de la mesure auprès de la SAI. La SAI peut accueillir l’appel et surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi si elle considère que des motifs humanitaires le justifient. Au terme du paragraphe 67(1) de la LIPR, la SAI fait droit à un appel s’il y a « compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales ». Les mêmes critères sont prévus au paragraphe 67(2) de la LIPR à l’égard du sursis.

 

[44]           Ces dispositions accordent à la SAI un large pouvoir discrétionnaire dans son appréciation des considérations humanitaires invoquées (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84) [Chieu]. Dans Chieu, la Cour suprême a également confirmé la pertinence pour la SAI de considérer, en plus de l’intérêt supérieur de l’enfant, les facteurs établis dans l’affaire Ribic v. Canada (Minister of Employment and Immigration), [1985] I.A.B.D. no. 4 (disponible sur Quicklaw), soit la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion, le potentiel de réhabilitation ou subsidiairement, les circonstances de la violation des conditions d’admissibilité ayant entrainé l’expulsion, la période passée au Canada et le niveau d’établissement, la famille et les bouleversements que l’expulsion pourrait entraîner pour cette dernière, le soutien de la famille et de la collectivité et l’importance des difficultés qu’entraîneraient, pour l’appelant, un retour dans son pays d’origine.

 

[45]           Pour bien saisir l’appréciation que la SAI a faite des considérations humanitaires invoquées par la demanderesse, il est utile de reproduire l’extrait de la décision initiale de la SAI, datée du 9 janvier 2009, qui révèle les considérations qui l’avaient amené à accorder le sursis :

[9]        Le Tribunal note que l’appelante a deux enfants dont elle a la garde, par conséquent, il s’agit d’un cas ou l’intérêt supérieur d’un enfant directement touché doit être pris en compte. D’autre part, l’appelante est arrivée au Canada en tant que réfugiée, il ne s’agit donc pas d’un cas où son renvoi serait immédiat si l’appel est rejeté.

 

[10]      Sans pour autant nier leur gravité, le Tribunal note que les infractions à l’origine de la mesure de renvoi n’impliquent aucune violence. Outre ces condamnations, l’appelante a également été trouvée coupable d’un vol de moins de 5 000$ à deux reprises. L’appelante a expliqué les circonstances des infractions et, mis à part l’infraction de complot qui visait à faire venir sa jeune sœur au Canada plus rapidement, les autres infractions étaient toutes liées au besoin d’argent de l’appelante qui a deux enfants à nourrir. Certes, ce n’est pas une excuse. Cependant, le Tribunal note que l’appelante n’avait que des emplois sporadiques à l’époque, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

 

[11]      Le Conseil du Ministre a souligné l’existence d’un mandat d’arrêt contre l’appelante suite à une accusation de vol. Cependant, l’appelante a expliqué à la satisfaction du conseil du Ministre et du Tribunal qu’il y avait erreur sur l’identité de l’auteur présumé du vol, qui aurait été commis pas sa sœur. L’appelante devra néanmoins comparaître dans cette affaire en avril 2009, par conséquent, il serait utile qu’elle fournisse le résultat de cette comparution à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) et à la Section d’appel de l’immigration (SAI).

 

[12]      L’appelante a exprimé des regrets que le Tribunal juge sincères. Elle a respecté les conditions du sursis qui lui avait été accordé en 2007 et n’a plus commis d’infractions depuis. Elle a également pris des mesures pour éviter les contacts des personnes qui avaient exercé une mauvaise influence sur elle dans le passé. De l’avis du Tribunal, elle [sic] en bonne voie de réhabilitation.

 

[13]      De plus, il existe plusieurs considérations humanitaires à prendre en compte en l’espèce. En premier lieu, l’appelante a deux enfants de six ans et trois ans dont elle a la garde et qui n’ont pas de contacts avec leur père. Ces jeunes enfants dépendent entièrement de leur mère.

 

[14]      L’appelante a des attaches familiales importantes au Canada. Elle est proche de ses sœurs et considère sa sœur mineure comme sa propre fille. Son autre sœur a une fille de trois ans dont l’appelante s’occupe beaucoup d’après son témoignage. En d’autres termes, l’appelante est un pilier important pour sa famille proche au Canada. Elle a également des attaches à l’extérieur de sa famille, tel qu’en témoigne le soutien de ses amies.

 

[46]           Le sursis accordé par la SAI était assorti de 10 conditions, dont les suivantes : la demanderesse  ne devait pas commettre d’infraction criminelle, elle devait signaler à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) toute accusation criminelle portée contre elle et toute condamnation criminelle prononcée contre elle. Elle devait également rendre compte du résultat de sa comparution relativement à l’accusation de vol pour laquelle elle avait donné des explications. 

 

[47]           Dans sa décision du 27 mai 2010, la SAI a circonscrit l’objet du litige et précisé qu’elle devait déterminer si la demanderesse avait respecté les conditions du sursis et s’il existait, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants, des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. La SAI a énoncé qu’elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur les facteurs non exhaustifs énumérés dans Ribic et Chieu, précités.

 

[48]           La SAI a ensuite considéré chacun des facteurs et retenu les éléments suivants.

 

Respect des conditions du sursis

[49]           La SAI a noté que la demanderesse avait négligé de respecter plusieurs des conditions rattachées au sursis qui lui avait été accordé, notamment : elle n’avait pas fourni une copie de son passeport de la RDC ou une demande complétée pour un passeport de ce pays; elle faisait l’objet d’accusations criminelles dans deux causes et le ministère ignorait l’existence de l’une d’entre elles; depuis le début de la période de sursis, elle avait été condamnée dans les deux causes dont l’une était en attente du prononcé de la sentence et, outre ces deux causes, la demanderesse avait aussi été accusée et condamnée dans deux autres dossiers et elle n’avait pas signalé ces nouvelles accusations et condamnations.

 

Les infractions commises

[50]           La SAI a considéré les déclarations de culpabilité de la demanderesse et répondu à son argument que les crimes commis n’étaient pas des crimes violents. La SAI a retenu qu’entre août 2008 et décembre 2009, la demanderesse avait été accusée et condamnée trois fois pour vol et une fois pour avoir omis de se conformer à un ordre de la Cour. La SAI a reconnu que les crimes commis par la demanderesse n’étaient pas des crimes contre la personne, mais elle a considéré le caractère répétitif des infractions et le non-respect flagrant de la loi par la demanderesse, ainsi que le fait qu’elle avait récidivé à maintes reprises après le prononcé de la mesure de renvoi et l’obtention du sursis.

 

Le degré de réhabilitation de la demanderesse

[51]           La SAI a longuement discuté du degré de réhabilitation de la demanderesse.

 

[52]           La SAI a jugé en outre que la demanderesse ne semblait pas prendre sa part de responsabilité pour ses comportements antérieurs malgré son désir de changer sa vie et elle a jugé que dans l’ensemble son témoignage n’était pas crédible et digne de foi.

 

[53]           La SAI a noté que lorsqu’elle avait accordé le sursis en janvier 2009, elle avait considéré le fait que la demanderesse avait exprimé des regrets, qu’elle avait respecté les conditions du sursis criminel qui lui avait été accordé en 2007, qu’elle avait pris des mesures pour éviter les contacts avec des personnes qui avaient exercé une mauvaise influence sur elle dans le passé et jugé, sur la base de ces éléments, que la demanderesse était en bonne voie de réhabilitation. La SAI a jugé que, compte tenu du comportement de la demanderesse depuis le sursis, sa déclaration renouvelée selon laquelle elle regrettait ses gestes et n’avait plus de contact avec les personnes qui exerçaient une mauvaise influence sur elle n’était ni sincère, ni crédible.

 

[54]           La SAI a également constaté que la demanderesse lui avait menti lors de l’audience du 9 janvier 2009 lorsque, commentant l’existence d’un mandat d’arrêt contre elle suite à une accusation de vol le 30 août 2009, elle avait déclaré qu’il y a avait eu erreur sur l’auteur présumé du vol qui aurait été commis par sa sœur. Or, la demanderesse a été reconnue coupable de ce vol le 15 septembre 2009 et en plus, elle n’avait pas signalé cette condamnation comme elle était tenue de le faire aux termes des conditions du sursis.

 

[55]           La SAI a également noté que lors de l’audience du 9 janvier 2009, la demanderesse avait omis de déclarer qu’elle faisait aussi l’objet d’accusations déposées le 8 décembre 2008 pour vol, recel et méfait chez Winners. Elle a plaidé coupable à cette accusation le 12 novembre 2009 et la sentence a été reportée au 20 avril 2010 (c’est le résultat de cette audience sur sentence qui constituait l’un des motifs invoqués par la demanderesse au soutien de sa demande de remise). La SAI a également considéré la conduite de la demanderesse depuis l’octroi du sursis.

 

[56]           La SAI a noté que la mesure de renvoi émise contre la demanderesse le 1er avril 2008 ne l’avait pas empêché de commettre deux vols en août et septembre 2008 et qu’un sursis avec conditions accordé en janvier 2009 ne l’avait pas empêché de commettre deux autres infractions en avril 2009 (vol et bris de conditions) en plus d’avoir fait défaut de respecter plusieurs conditions du sursis.

 

[57]           La SAI a également discuté des efforts de prise en charge de la demanderesse et de sa  déclaration selon laquelle elle était fort dérangée par ses problèmes et que les démarches qu’elle avait entreprises au CLSC l’aidaient beaucoup. La SAI a jugé que la demanderesse n’avait pas entrepris de démarches sérieuses. Lorsque la SAI a demandé à la demanderesse de lui décrire les démarches sérieuses qu’elle avait entreprises, cette dernière aurait déclaré qu’elle évitait les distractions et les mauvaises fréquentations. La SAI a noté que lorsque la demanderesse s’était présentée pour la première fois au CLSC en novembre 2009, elle avait déjà été avisée de rendre des comptes à l’ASFC et à la SAI.

 

[58]           La SAI a jugé que, contrairement à ce que le conseil de la demanderesse avait invoqué au soutien de la demande de remise de l’audience, la demanderesse n’avait pas fait les efforts nécessaires pour obtenir un rendez-vous : en plus d’avoir annulé son rendez-vous du 3 décembre 2009, elle ne s’était représentée au CLSC que le 24 février 2010, soit plus de trois mois après son premier rendez-vous. La SAI a estimé qu’entre le 19 novembre 2009 et la date d’audience le 8 avril 2010, la demanderesse avait eu suffisamment de temps pour s’engager sérieusement dans ses démarches. La SAI a jugé que la demanderesse n’avait pas atteint un degré raisonnable de réhabilitation et que les risques qu’elle commette d’autres infractions étaient présents.

 

Degré d’établissement de la demanderesse

[59]           La SAI a considéré que la demanderesse vit en appartement et possède quelques biens, meubles ainsi qu’un compte de banque, mais elle a surtout retenu que, bien qu’elle soit au Canada depuis 12 ans, elle n’a eu aucune stabilité d’emploi elle a travaillé tout au plus une année durant cette longue période. La SAI a jugé que lorsque toutes les circonstances qui entourent l’établissement social et économique de la demanderesse étaient considérées, la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle s’était établie au Canada.

 

Soutien familial au Canada et de la communauté

[60]           La SAI a considéré la présence au Canada de deux des sœurs de la demanderesse et d’une cousine. Elle a noté que la demanderesse a déclaré que ses problèmes étaient liés à son manque d’argent en raison du fait qu’elle doive faire vivre ses deux enfants. La SAI a par ailleurs indiqué que lorsque la demanderesse a des problèmes et des besoins d’argent, elle se tourne vers de « mauvais amis » qui l’incitent à commettre des délits au lieu de se tourner vers sa famille et ses amis. La SAI a conclu que la famille et les amis de la demanderesse ne semblaient pas avoir su l’encadrer et l’empêcher de récidiver. La SAI a jugé que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle entretenait des liens étroits avec sa famille ni qu’elle avait le soutien de cette dernière, de ses amis ou de la communauté.

 

Bouleversements occasionnés à la famille en raison du renvoi

[61]           La SAI n’a pas retenu que le départ de la demanderesse causerait des bouleversements sérieux à ses deux sœurs adultes au Canada, ni à ses amis ou à sa cousine. Elle a par ailleurs reconnu que le départ de la demanderesse occasionnerait des bouleversements pour ses enfants, mais elle a jugé que le facteur de l’intérêt des enfants ne pouvait en l’espèce contrer tous les facteurs défavorables qui l’emportaient en nombre et en valeur et qu’il n’était pas opportun, dans ce contexte, de prolonger le sursis. La SAI a conclu que la mesure de renvoi était fondée et qu’il n’y avait pas, compte tenu de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés, suffisamment de motifs humanitaires justifiant la prise de mesures spéciales.        

 

[62]           Outre les allégations générales d’erreurs de la SAI, lors de l’audience, l’avocate a insisté sur la conclusion déraisonnable et arbitraire qu’aurait tirée la SAI en qualifiant les infractions commises par la demanderesse de sérieuses et de répétitives. Avec égard, je considère que la conclusion de la SAI était tout à fait raisonnable compte tenu de la preuve. L’avocate a également soutenu que la conclusion de la SAI que la demanderesse ne s’était pas établie au Canada était tout à fait intenable. Je ne suis pas de cet avis. La formulation de la SAI n’est peut-être pas des plus heureuses, mais il appert clairement de sa décision qu’elle a jugé que le facteur de l’établissement ne pouvait être favorable à la demanderesse parce que, bien qu’habitant au Canada depuis 12 ans, elle n’avait pas réussi à devenir autonome financièrement et à conserver un emploi. Cette conclusion ne m’apparaît pas déraisonnable.

 

[63]           La demanderesse est essentiellement en désaccord avec la décision de la SAI et elle demande à la Cour d’apprécier la preuve autrement et d’accorder un poids différent aux facteurs applicables. Or, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve et de déterminer le poids qui doit être accordé aux différents facteurs, mais plutôt de déterminer si les conclusions de la SAI font parties des issues possibles eu égard aux faits et au droit et à déterminer si elles sont motivées et intelligibles.

 

[64]           La demanderesse soutient que la SAI a sous-estimé l’intérêt de ses enfants. Je ne suis pas de cet avis. Dans Legault c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, 212 D.L.R. (4th) 139 [Legault] et dans Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, 179 A.C.W.S. (3d) 181 [Kisana], la Cour d’appel fédérale a traité du poids relatif à accorder à l’intérêt des enfants. Dans Kisana, la Cour a cité un extrait de Legault et s’est exprimée comme suit :

23        Je tiens d'abord à citer l'extrait suivant de l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée le 21 novembre 2002 dans le dossier 29221, dans lequel mon collègue le juge Décary a exprimé l'avis suivant aux paragraphes 11 et 12 :

 

[11] La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n'a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l'apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l'intérêt des enfants est un facteur que l'agent d'immigration doit examiner avec beaucoup d'attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu'il appartient à cet agent d'attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l'espèce. Ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

[12] Bref, l'agent d'immigration doit se montrer "réceptif, attentif et sensible à cet intérêt" (Baker, précité, au paragraphe 75), mais une fois qu'il l'a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu'à son avis il mérite dans les circonstances de l'espèce [...] Ce n'est pas parce que l'intérêt des enfants voudra qu'un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n'a pas voulu, à ce jour, que la présence d'enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d'un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1995), 29 C.R.R. (2d) 184 (C.A.F.), permission d'appeler refusée, [1995] 3 R.C.S. vii).

 

[Non souligné dans l'original.]

 

24        Ainsi, un demandeur ne peut s'attendre à une réponse favorable à sa demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire simplement parce que l'intérêt supérieur de l'enfant milite en faveur de ce résultat. La plupart du temps, il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant de résider avec ses parents au Canada, mais ce facteur n'est qu'un de ceux dont il y a lieu de tenir compte. Il n'appartient pas aux tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par l'agent chargé de se prononcer sur les raisons d'ordre humanitaire. En revanche, l'intérêt supérieur des enfants est un facteur que l'agent doit examiner "avec beaucoup d'attention" et qu'il doit soupeser avec les autres facteurs applicables. Le simple fait de dire qu'on a tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant n'est pas suffisant (Legault, précité, aux paragraphes 11 et 13).

 

[65]           En l’espèce, la SAI a invoqué l’importance de l’intérêt des enfants et reconnu que le départ de la demanderesse entraînerait pour eux des bouleversements, mais elle a considéré que ce facteur ne pouvait contrecarrer tous les autres facteurs négatifs. Il lui appartenait de déterminer le poids à accorder à l’intérêt des enfants, et ce, en considérant l’ensemble des circonstances et tous les facteurs pertinents. Sa décision à cet égard n’est pas déraisonnable.

 

[66]           Il ne faut pas non plus oublier que la révocation du sursis et le rejet de l’appel de la demanderesse n’entraînera pas sa déportation en RDC. Ayant été reconnue comme réfugiée au sens de la Convention et n’ayant pas été déclarée être un danger pour le « public au Canada » (alinéa 115(2)a) de la LIPR), la demanderesse bénéficie du principe de non-refoulement prévu au paragraphe 115(1) de la LIPR.

 

[67]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

                                                                                                                                   


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3749-10

 

INTITULÉ :                                      MAKANGA NANA OMEYAKA c. MINISTÈRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mai Nguyen

 

POUR LA DEMANDERESSE

Normand Lemyre

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mai Nguyen

Doyon et Associés Inc.

Montréal, Québec

 

POUR LA DEMANDERESSE

Miles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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