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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101209

Dossier : T-1762-09

Référence : 2010 CF 1266

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

 

SONYA OAKES ET JOE DANIELS

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LA CHEF ALICE PAHTAYKEN,

BRANDY BUFFALO CALF,

ELVIE STONECHILD,

CHRISTINE MOSQUITO,

DENNIS CALLIHOO, ELEANORE SUNCHILD

ET DARREN WINEGARDEN

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les parties à la présente demande sont toutes membres de la Première nation de Nekaneet (Nekaneet), dont les terres sont situées près de Maple Creek, en Saskatchewan.

 

[2]               Certains défendeurs, soit la chef Alice Pahtayken, Brandy Buffalo Calf, Elvie Stonechild et Christine Mosquito, sont les dirigeants élus des Nekaneet. Les autres défendeurs, Dennis Callihoo, Eleanore Sunchild et Darren Winegarden, ont été nommés membres du tribunal d’appel de Nekaneet prévu par la Constitution de Nekaneet. Le tribunal d’appel de Nekaneet est chargé de résoudre les conflits ou les violations relatifs aux lois de Nekaneet.

 

[3]               Les demandeurs, Sonya Oakes et Joe Daniels, cherchent à obtenir un jugement déclaratoire et une autre réparation extraordinaire en vue d’obliger les défendeurs à tenir une élection de bande conformément à la Constitution de Nekaneet.

 

[4]               L’historique de ce différend touchant la gouvernance de la Première nation est exposé en détail dans les motifs de mon collègue, le juge James Russell, dans Pahtayken et al. c. Oakes et al., 2009 CF 134, et il n’est pas nécessaire de le reprendre ici. Pour les besoins de la présente affaire, il suffit de mentionner que la Première nation de Nekaneet est toujours une communauté divisée dans laquelle deux factions essaient de prendre le contrôle du conseil de bande.

 

[5]               Les demandeurs soutiennent que la Constitution de Nekaneet exige la tenue d’une élection de bande lorsque le chef et le conseil n’ont pas nommé les trois membres du tribunal d’appel de Nekaneet dans les 60 jours suivant l’élection, pourvu que 35 pour 100 des électeurs admissibles de Nekaneet signent une déclaration à cet effet. Selon eux, les conditions préalables à la tenue d’une élection sont remplies et la chef et le conseil n’ont pas respecté leur obligation constitutionnelle d’en tenir une.

 

[6]               La chef et les conseillers de bande affirment que les conditions préalables à la tenue d’une élection de bande n’ont pas été remplies et qu’ils sont donc légalement en droit d’exécuter le mandat qui leur a été confié par les électeurs jusqu’à la prochaine élection de bande qui aura lieu en mars 2011.

 

I.          Contexte

[7]               À la suite de l’élection de bande tenue le 28 mars 2008, Alice Pahtayken a été élue chef et Brandy Buffalo Calf, Elvie Stonechild et Christine Mosquito ont été élus conseillers des Nekaneet pour un mandat se terminant en mars 2011. L’élection de 2008 était au centre de la demande précédente présentée à la Cour, qui a été tranchée par le juge Russell en faveur de la chef et des conseillers en poste. Inutile de dire que ce premier litige a gravement nui aux activités des Nekaneet. La chef et le conseil ont néanmoins démarré le processus de nomination des trois membres du tribunal d’appel de Nekaneet et, le 26 mai 2008, le conseil de bande a adopté trois résolutions nommant Dennis Callihoo, Darren Winegarden et Eleanor Sunchild membres du tribunal d’appel.

 

[8]               D’après l’affidavit d’Alice Pahtayken, chacune des personnes nommées avait oralement accepté sa nomination avant le 26 mai 2008, mais ce n’est qu’au mois de juin qu’une acceptation officielle écrite leur a été demandée.

 

[9]               Selon le dossier, les trois membres du tribunal d’appel ont effectivement signé et envoyé leurs lettres d’acceptation. M. Callihoo l’a fait rapidement, mais Mme Sunchild et M. Winegarden ont pris plusieurs mois pour le faire.

 

[10]           D’après l’affidavit de Joe Daniels, celui-ci a remis le 24 avril 2009 au conseil de bande une déclaration, signée par 107 membres des Nekaneet, qui demandait une nouvelle élection sur le fondement de l’article 8 de la Constitution de Nekaneet. Voici un extrait de cette déclaration : [traduction] « Le gouvernement de Nekaneet a violé la Constitution de Nekaneet ou une loi de Nekaneet en omettant de nommer les membres du tribunal d’appel de Nekaneet et le gouvernement de Nekaneet doit par conséquent cesser ses fonctions. »

 

[11]           Comme le conseil de bande a refusé de donner suite à cette demande visant la tenue d’une élection, les demandeurs ont présenté la présente demande pour l’y contraindre.

 

II.        Les questions en litige

[12]           D’après les faits présentés, la Constitution de Nekaneet exige-t-elle la tenue d’une élection de bande?

 

[13]           Compte tenu du fait que la prochaine élection de bande doit avoir lieu en mars 2011, la Cour devrait-elle exercer son pouvoir discrétionnaire en faveur des demandeurs?

 

III.       Analyse

[14]           Aucune des parties n’a soulevé la question de savoir si la Cour avait compétence pour examiner la présente affaire, mais j’admets que la demande est visée par l’article 18 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R., 1985, ch. F-7 (voir Sparvier c. Bande indienne de Cowessess, [1993] 3 C.F. 142, 63 F.T.R. 242).

 

[15]           La présente demande porte sur l’interprétation des dispositions de la Constitution de Nekaneet. La norme de révision de la décision correcte s’appliquer à ces questions.

 

[16]           Les principales dispositions constitutionnelles applicables en l’espèce sont les articles 8.03, 8.04 et 8.07, libellés comme suit :

            [traduction

8.03 Les membres du tribunal d’appel de Nekaneet sont nommés par résolution écrite du gouvernement de Nekaneet en poste, qui fixe les modalités de leur rémunération, et ces nominations prennent effet à la date à laquelle les membres du tribunal d’appel de Nekaneet acceptent par écrit leur nomination.

 

8.04 Les membres du tribunal d’appel initial de Nekaneet doivent être nommés au plus tard soixante (60) jours après la date de l’élection de Nekaneet de 2008.

 

[…]

 

8.07 Dans le cas où le gouvernement de Nekaneet omettrait de nommer les membres du tribunal d’appel de Nekaneet ou de pourvoir les postes vacants conformément à la Constitution ou aux lois de Nekaneet, auquel cas le tribunal d’appel de Nekaneet n’est pas constitué, le gouvernement de Nekaneet cesse d’exercer ses fonctions à la date à laquelle une déclaration est signée par au moins 35 pour 100 des électeurs de Nekaneet et énonce ce qui suit :

 

a) le gouvernement de Nekaneet a violé la Constitution de Nekaneet ou une loi Nekaneet en omettant de nommer les membres du tribunal d’appel de Nekaneet et le gouvernement de Nekaneet doit par conséquent cesser ses fonctions;

 

b) une élection générale est demandée;

 

c) la date de l’élection générale, la date de l’assemblée de mise en candidature et la nomination du directeur général des élections et du directeur adjoint des élections en vue de l’élection générale;

 

Dans un tel cas, le gouvernement de Nekaneet en poste cesse ses fonctions à la date de la déclaration, ou une copie de celle-ci est remise au chef qui était en poste ou à au moins deux des conseillers qui étaient en poste et une élection générale est tenue sous la direction du directeur général des élections qui possède les pouvoirs nécessaires à la tenue d’une élection générale; les honoraires et les frais associés à cette élection générale sont à la charge de la Première nation de Nekaneet.

 

 

[17]           Les demandeurs prétendent que les conditions préalables à la tenue d’une élection de bande prévues par la Constitution ont été remplies; les défendeurs estiment que ce n’est pas le cas. La question au coeur du différend consiste à savoir si le conseil de bande a omis de nommer le tribunal d’appel en violation de la Constitution de Nekaneet, donnant ainsi naissance à un droit à la tenue d’une élection si au moins 35 pour 100 des électeurs de Nekaneet le demandent.

 

[18]           La preuve établit que le conseil de bande a décidé dans les 60 jours de l’élection de 2008 de nommer les membres du tribunal d’appel de Nekaneet, mais que les acceptations par écrit de ces membres n’ont été reçues que par la suite. Les demandeurs soutiennent que la nomination des membres du tribunal d’appel de Nekaneet ne prend effet qu’au moment où toutes les acceptations des personnes nommées ont été remises et que cela doit être effectué dans les 60 jours de l’élection de bande. Les défendeurs affirment que les nominations requises prennent effet à la date de la décision de nomination prise par le conseil de bande sous la forme de résolutions appropriées.

 

[19]           L’interprétation des dispositions de ce genre doit se fonder sur l’objectif visé et sur la préservation des principes démocratiques (voir Bande indienne de Samson c. Bruno, 2006 CAF 249, 352 N.R. 119, par. 43).

 

[20]           Certaines dispositions constitutionnelles sont bien sûr essentielles à la gouvernance de la bande et doivent être rigoureusement respectées, parfois au point d’entraîner l’annulation de l’élection de bande ou d’autres décisions de la bande. Par ailleurs, d’autres dispositions sont considérées comme indicatives, de sorte que leur inobservation ne porte pas un coup fatal aux activités auxquelles elles se rapportent. La volonté de la majorité des électeurs n’est pas, après tout, un élément dont on peut facilement faire fi en s’appuyant sur des manquements procéduraux ou techniques, réels ou apparents.

 

[21]           J’accepte l’argument de M. Stodalka selon lequel la Constitution de Nekaneet attache une grande importance au travail du tribunal d’appel. Ainsi, l’article 8.07 prévoit un mécanisme permettant de forcer la tenue d’une élection lorsque le conseil de bande ne nomme pas les membres du tribunal d’appel. C’est toutefois l’omission du conseil de bande de respecter son obligation constitutionnelle qui est l’élément déclencheur aux termes de cette disposition, et non l’omission d’une ou de plusieurs des personnes nommées d’accepter officiellement leur nomination. L’article 8.03 fait une distinction claire entre la nomination d’un membre du tribunal d’appel par le conseil de bande et la prise d’effet ultérieure des nominations à la suite de l’acceptation par écrit de la personne nommée. Les rédacteurs de la Constitution de Nekaneet n’ont pu avoir l’intention d’écarter les résultats de l’élection de bande lorsqu’une personne nommée membre du tribunal d’appel omet de signer et de renvoyer son acceptation dans les 60 jours de l’élection. À mon avis, l’intention manifeste des rédacteurs de la Constitution de Nekaneet était de faire dépendre le déclenchement du mécanisme prévu à l’article 8.07 de l’omission de la part du conseil de bande de respecter son obligation constitutionnelle de procéder à ces nominations. Cette interprétation est également conforme à l’article 8.01 qui dispose que le [traduction] « gouvernement de Nekaneet nomme immédiatement les membres du tribunal d’appel de Nekaneet ». Cette formulation n’est pas compatible avec l’argument des demandeurs selon lequel l’omission par la personne nommée de confirmer sa nomination peut déclencher le mécanisme draconien prévu à l’article 8.07. Le fait que la nomination ne peut prendre effet tant que l’acceptation écrite n’a pas été reçue ne veut pas dire que, à d’autres fins, la nomination n’a pas été effectuée.

 

[22]           Même si mon interprétation est erronée, il y a une autre raison pour laquelle la présente demande doit échouer. L’article 8.07 ne prend effet que lorsqu’il y a eu omission de nommer les membres en question, « auquel cas le tribunal d’appel de Nekaneet n’est pas constitué ». Ce n’est que lorsque les membres du tribunal d’appel de Nekaneet n’ont pas été nommés que l’autre condition consistant à présenter une déclaration des membres doit être remplie. Il est évident que, d’après les preuves, tous les membres du tribunal d’appel avaient satisfait aux exigences de leurs nominations avant que la déclaration des membres ait été présentée au conseil de bande et avant qu’une affaire nécessitant l’intervention du tribunal d’appel ne se soit présentée. Il me paraît inconcevable que l’article 8.07 puisse avoir pour objet d’accorder un droit à la tenue d’une élection dans les cas où la tardiveté des nominations n’a causé aucun préjudice. Étant donné que le tribunal d’appel a été régulièrement constitué avant la présentation de la déclaration des électeurs au conseil de bande, cette condition préalable supplémentaire à l’application de l’article 8.07 n’a pas été remplie. En outre, même si l’omission de la part de deux des personnes nommées de renvoyer leur acceptation signée en temps utile constitue une faute procédurale, elle ne justifierait pas les conséquences préconisées par les demandeurs (voir Première nation de Sweetgrass c. Gollan, 2006 CF 778, 294 F.T.R. 119, par. 29 et 30).

 

[23]           Enfin, même si j’acceptais tous les arguments relatifs à l’interprétation de ces dispositions présentés par les demandeurs, il ne s’agit pas d’une situation où l’octroi d’une réparation extraordinaire est justifié. Il doit y avoir normalement une élection de bande en mars 2011. La tenue d’une telle élection comporte plusieurs étapes procédurales, notamment l’annonce de l’élection et la tenue d’une assemblée de mise en candidature. Selon l’article 6.01 de la Constitution de Nekaneet, l’assemblée de mise en candidature doit avoir lieu au moins 28 jours avant l’élection. Si la Cour ordonnait une élection, celle-ci ne pourrait vraisemblablement avoir lieu avant le mois de février 2011.

 

[24]           Il me semble que le fait d’ordonner une nouvelle élection à cette étape tardive du cycle électoral normal n’aurait aucun effet pratique. En fait, il serait plus approprié que les différends politiques qui divisent la communauté de Nekaneet soient résolus à l’urne plutôt qu’en cour. Si les demandeurs ont l’appui de la majorité des membres de Nekaneet, on peut supposer qu’ils remporteront la prochaine élection. S’ils ne bénéficient pas d’un tel appui, ce sera l’occasion pour eux et pour leurs partisans de respecter la volonté politique de la collectivité et de laisser le conseil de bande de Nekaneet remplir son importante mission de servir les électeurs.

 

[25]           La présente demande est donc rejetée. Les défendeurs ont droit à leurs dépens, que je fixe à 2 500 $, incluant les débours. Les demandeurs sont solidairement responsables du paiement des dépens.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande avec dépens, lesquels sont fixés à 2 500 $. Les demandeurs sont solidairement responsables du paiement des dépens.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-1762-09

 

INTITULÉ :                                                   Oakes et al.

                                                                        c.

                                                                        Pahtayken et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 30 novembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 9 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Timothy Stodalka

 

POUR LES DEMANDEURS

John Lojek

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MacLean Keith

Avocats

Regina (Saskatchewan)

 

POUR LES DEMANDEURS

Lojek Law Office

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

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