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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20110113

Dossier : IMM-3712-10

Référence : 2011 CF 34

Montréal (Québec), le 13 janvier 2011

En présence de madame la juge Bédard

 

ENTRE :

 

CLAUDIA GONZALEZ LEON

ESTEFANIA CARDENAS GONZALEZ

VICENTE CARDENAS ABASOLO

 

 

partie demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) d’une décision rendue le 25 mai 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), qui a refusé de reconnaître aux demandeurs le statut de réfugiés ou de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR au motif qu’ils n’avaient pas renversé la présomption de protection de l’État.

 

Contexte de la demande

[2]               Les demandeurs sont des citoyens mexicains. La demanderesse principale (la demanderesse), Claudia Gonzalez Leon, et la fille des demandeurs, Estefania Cardenas Gonzalez, sont arrivées au Canada en novembre 2007. Le demandeur, quant à lui, est arrivé en septembre 2008.

 

[3]               La demande d’asile des demandeurs est fondée sur les allégations suivantes. En 1982, la demanderesse s’est mariée avec un homme qui est devenu policier au sein de la Police fédérale routière. Son mari a été assassiné en 1986 par M. « XX ». Ce dernier aurait déclaré avoir agi en légitime défense et sa version aurait été retenue de sorte qu’aucune accusation n’a été déposée contre lui. La demanderesse a par la suite demandé l’intervention du patron de son défunt mari, le chef de la Police fédérale routière, pour que M. « XX » soit traduit en justice. Ce dernier aurait pris l’affaire en main, mais l’enquête n’aurait débouché sur aucune accusation.

 

[4]               En 1988, M. « XX » a été incarcéré pour une période de huit mois pour des offenses qui n’avaient rien à voir avec le décès du mari de la demanderesse. Au cours de la même année, la demanderesse a été agressée par plusieurs hommes, dont un qui s’est identifié comme étant le meurtrier de son mari. Il lui aurait dit qu’elle payait et paierait pour le temps qu’il avait passé en prison. La demanderesse n’a pas déposé de plainte suite à cette agression.

 

[5]               La demanderesse soutient que, suite à cet incident et jusqu’à son départ du Mexique, elle a été victime, à chaque année autour du mois de septembre, de vols, d’agressions et autres délits, le plus souvent par des personnes qui ne s’identifiaient pas. Elle soutient que ces personnes étaient toujours envoyées par M. « XX » qui lui avait dit qu’il ne la laisserait jamais tranquille. Elle a tenté de déposer des plaintes à quelques occasions, sans toutefois invoquer de liens avec M. « XX », mais ses plaintes n’auraient pas été retenues faute de preuves ou des noms des présumés agresseurs.

 

[6]               La demanderesse a rencontré le demandeur en 1989 et leur fille est née en 1993. La demanderesse invoque qu’un incident survenu à l’automne 2007 l’a incité à quitter le Mexique pour s’exiler au Canada. Les demandeurs auraient été victimes d’un vol. Ayant vu l’un des voleurs, les demandeurs ont déposé une plainte auprès des autorités policières. La demanderesse aurait par la suite croisé le présumé voleur qui lui aurait dit qu’il avait été envoyé par M. «XX». Il l’aurait intimé d’abandonner sa plainte et l’aurait menacé de s’en prendre à elle et à sa fille. Suite à cet incident, la demanderesse et sa fille ont quitté le Mexique.

 

[7]               Le demandeur est demeuré au Mexique après l’incident, mais en juillet 2008, deux personnes se sont présentées chez lui et lui ont demandé où était sa femme et l’ont menacé de mort. Suite à cet incident, il a décidé de rejoindre sa femme et sa fille au Canada.

 

Décision de la Commission

[8]               La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif qu’ils n’avaient pas renversé la présomption de la protection de l’État. La Commission a noté que le Mexique était un État démocratique dont l’appareil étatique n’était pas l’objet d’un effondrement complet et que, malgré les lacunes du système judiciaire, celui-ci était fonctionnel et doté d’institutions et d’instances capables d’offrir une protection à ses citoyens. La Commission a jugé qu’en n’ayant jamais déposé de plainte directement contre M. « XX », le présumé agent persécuteur, les demandeurs ne pouvaient pas demander l’exile au Canada. Elle a en outre jugé que les explications données par les demandeurs pour justifier leur omission d’avoir porté plainte contre M. « XX » ne constituaient pas des preuves claires et convaincantes de l’incapacité du Mexique à protéger ses citoyens.

 

Question en litige

[9]               Les demandeurs soutiennent que la Commission a erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas renversé la présomption de protection de l’État notamment parce qu’elle a apprécié la preuve de façon déraisonnable et qu’elle a omis de considérer des éléments de preuve documentaire pertinents.

 

[10]           La présente demande soulève donc la question en litige suivante :

La Commission a-t-elle apprécié la preuve de façon déraisonnable et a-t-elle omis de considérer des éléments de preuve documentaire pertinents?

 

Analyse

[11]           Pour les motifs qui suivent, j’estime que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

La Norme de contrôle

[12]           Il est établi que les questions relatives au caractère adéquat de la protection de l’État constituent des questions mixtes de faits et de droit qui sont assujetties à la norme de la raisonnabilité (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584; Rocque c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 802, [2010] A.C.F. no  983).

 

[13]           Il est également établi que les conclusions de faits tirées par la Commission, et plus particulièrement son appréciation de la preuve, sont elles aussi assujetties à la norme de contrôle de la raisonnabilité. Il n’appartient pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle de la Commission ni de réévaluer le poids accordé par la Commission à certains éléments de preuve et elle n’interviendra que si les conclusions de la Commission sont tirées de façon arbitraire, abusive ou qu’elles ne tiennent pas compte de la preuve (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick [Dunsmuir], 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Martinez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 798, [2009] A.C.F. no 933.

 

[14]           Le rôle de la Cour lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité a été établi dans Dunsmuir, au paragraphe 47 :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 


La Commission a-t-elle apprécié la preuve de façon déraisonnable et a-t-elle omis de considérer des éléments de preuve documentaire pertinents?

 

[15]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a fait une appréciation déraisonnable de l’exposé circonstancié complété par la demanderesse et de son témoignage. La Commission aurait notamment omis de considérer les explications données par la demanderesse et le demandeur, pour justifier leur omission d’avoir déposé une plainte directement contre M. « XX » dans le contexte plus général du récit de la demanderesse. Selon les demandeurs, la Commission aurait dû tenir compte du fait que lors de l’assassinat de son mari, qui était policier, la demanderesse avait fait en vain des démarches pour faire condamné M. « XX » . Elle avait même demandé l’aide du patron de son défunt mari, le chef de la Police fédérale routière, mais ses démarches n’avaient pas abouti. La Commission aurait également dû considérer les plaintes déposées par les demandeurs suite aux divers délits dont ils ont été victime au lieu de mettre l’emphase uniquement sur leur omission de déposer une plainte contre M. « XX ».

 

[16]           Les demandeurs soutiennent également que la Commission a fait une analyse déraisonnable et sélective de la preuve documentaire relative aux lacunes du système judiciaire mexicain qui, à leur avis, démontrait clairement l’incapacité du Mexique à assumer leur protection. Les demandeurs s’appuyaient notamment sur le rapport que l’on trouve l’onglet 2.1 du Cartable national du Mexique qui traite des problèmes de violation des droits de la personne, de corruption et d’impunité surtout au niveau des structures locales du système judiciaire. Ils ont également insisté sur l’article Mexico Laws without justice : Human rights violations and impunity in the public security and criminal justice system, qui traite des nombreuses lacunes du système judiciaire du Mexique et qui note entre autre qu’une victime sur cinq dépose des plaintes en raison du manque de confiance envers les autorités policières et que seulement 11,4 % des plaintes reçues mènent à des accusations.

 

[17]           Le défendeur soumet pour sa part que la Commission a fait une appréciation raisonnable de la preuve et que ses conclusions sont appuyées sur la preuve. Le défendeur soutient que la Commission a pris en considération les explications des demandeurs, et qu’elle a également considéré les faiblesses du système judiciaire du Mexique ainsi que les problèmes de corruption et de violence. La Commission est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve et elle n’avait pas à mentionner ou à citer de façon expresse les passages des documents du Cartable national invoqués par les demandeurs. Le défendeur soutient de plus que la preuve documentaire retenue par la Commission est plus récente que la preuve documentaire invoquée par les demandeurs et qu’elle fait état de reformes judiciaires instaurées en 2008 et d’opérations anti-corruption en mises en œuvre en 2009.

 

[18]           Dans Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, à la page 725, la Cour suprême du Canada a clairement établi qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il existe une présomption qu’un pays est en mesure de protéger ses citoyens et qu’une personne doit se prévaloir des mesures de protection dans son pays avant de demander l’asile dans un pays étranger.

 

[19]           Le juge La Forest a expliqué de la manière suivante le principe sous-tendant le régime de protection des réfugiés et l’importance cruciale de la présomption selon laquelle l’État d’origine offre une protection à ses citoyens :

[18]  Il est utile d’examiner, au départ, la raison d’être du régime international de protection des réfugiés, car cela influe sur l’interprétation des divers termes à l’étude. Le droit international relatif aux réfugiés a été établi afin de suppléer à la protection qu’on s’attend à ce que l’État fournisse à ses ressortissants. Il ne devait s’appliquer que si la protection ne pouvait pas être fournie, et même alors, dans certains cas seulement. La communauté internationale voulait que les personnes persécutées soient tenues de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée. C’est pourquoi James Hathaway qualifie le régime des réfugiés de [traduction] « protection auxiliaire ou supplétive » fournie uniquement en l’absence de protection nationale; voir The Law of Refugee Status (1991), à la p. 135. Cela étant, j’examinerai maintenant les éléments particuliers de la définition de l’expression « réfugié au sens de la Convention » que nous avons à interpréter. 

 

[Je souligne]

 

[20]           La présomption concernant la disponibilité de la protection de l’État ne peut être réfutée que lorsque la partie demanderesse apporte la preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de son pays d’origine à lui offrir une protection efficace (Ward). Dans Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399, la Cour d’appel fédérale a traité de la qualité de la preuve qui était exigée et précisé, au paragraphe 30 :

[…] Autrement dit, le demandeur d'asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l'État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante.

 

 

[21]           De façon générale, une personne doit solliciter l’aide des autorités avant de conclure que l’État n’est pas en mesure de lui accorder une protection adéquate, mais ce n’est pas nécessaire dans tous les cas. Comme la Cour suprême l’a indiqué dans Ward au paragraphe 48:

[…]  Un réfugié peut prouver une crainte bien fondée d'être persécuté lorsque les autorités officielles ne le persécutent pas, mais qu'elle [sic] refusent ou sont incapables de lui offrir une protection adéquate contre ses persécuteurs [...] toutefois, il doit démontrer qu'il a demandé leur protection une fois convaincu, comme c'est le cas en l'espèce, que les autorités officielles -- lorsqu'elles étaient accessibles -- n'avaient rien à voir -- de façon directe ou indirecte, officielle ou non officielle -- dans la persécution dont il faisait l'objet. (José Maria da Silva Moreira, décision T86-10370 de la Commission d'appel de l'immigration, 8 avril 1987, aux pp. 4 et 5, V. Fatsis.)

 

Ce n'est pas vrai dans tous les cas. La plupart des États seraient prêts à tenter d'assurer la protection, alors qu'une évaluation objective a établi qu'ils ne peuvent pas le faire efficacement. En outre, le fait que le demandeur doive mettre sa vie en danger en sollicitant la protection inefficace d'un État, simplement pour démontrer cette inefficacité, semblerait aller à l'encontre de l'objet de la protection internationale.

 

 

[22]           Il appartient toutefois à la partie demanderesse de démontrer qu’il n’était pas raisonnable de lui imposer de solliciter la protection de son pays pour justifier son omission.

 

[23]           Dans Kadenko c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376, 143 D.L.R. (4th) 532, (CAF), le juge Décary a indiqué que le fardeau de la preuve reposait sur la partie demanderesse et qu’il était proportionnel au degré de démocratie du pays en cause.

 

[24]           Certaines collègues de notre Cour ont également énoncé l’importance de tenir compte de la place du Mexique dans le spectre des démocraties pour déterminer la preuve qui sera considérée suffisante pour repousser la présomption de protection de l’État (Capitaine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98, [2008] A.C.F. no 181 (J. Gauthier), [Capitaine]; Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2008] A.C.F. no 625 (J. Tremblay-Lamer) [Zepada]. Dans Zepada, la Juge Tremblay-Lamer a traité des principes énoncés dans Capitaine et elle s’est exprimée comme suit :

17     Pour ce qui est de la force de la présomption de protection de l'État dans le cas du Mexique, le défendeur fait valoir la décision Velazquez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 532, où le juge Michael Phelan a déclaré ce qui suit, au paragraphe 6 : "Le Mexique est une démocratie qui fonctionne, il est membre de l'ALENA et il possède des institutions démocratiques. En conséquence, la présomption d'existence de protection de l'État y est forte". (Se reporter également à Canseco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 73, au paragraphe 14; Alfaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 460, au paragraphe 18, où l'on souligne le caractère libre et démocratique de la société mexicaine.)

 

18     Dans d'autres décisions, toutefois, la Cour a plutôt fait ressortir les problèmes auxquels est toujours confrontée la démocratie mexicaine. Tout récemment, le juge suppléant Orville Frenette a déclaré dans De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1307, au paragraphe 28, que, le Mexique étant une démocratie en voie de développement, où la corruption et le trafic de stupéfiants sont courants et impliquent certaines autorités gouvernementales, il était plus facile de réfuter la présomption d'existence de protection de l'État dans le cas de ce pays.

 

19     Dans Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 98, aux paragraphes 20 à 22, ma collègue la juge Johanne Gauthier a semblablement traité de la question de la protection de l'État eu égard au contexte de la démocratie mexicaine :

·                          Le Mexique constitue une démocratie pour laquelle une présomption de protection de l'État s'applique, même si sa place dans l'"éventail démocratique" doit être appréciée pour déterminer quelle preuve crédible et digne de foi sera suffisante pour écarter cette présomption [...]

·                          Dans les démocraties développées comme les É.-U. et Israël, il ressort clairement de l'arrêt Hinzman (aux paragraphes 46 et 57) que pour réfuter la présomption de la protection de l'État, cette preuve doit comprendre la preuve qu'un demandeur a épuisé tous les recours dont il disposait. Il est clair également que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, il serait déraisonnable, dans de tels pays, de ne pas solliciter la protection de l'État avant de le faire au Canada.

·                          La Cour ne croit pas que l'arrêt Hinzman signifie que cette conclusion s'applique à tous les pays, peu importe où il se trouve dans l'"éventail démocratique", ni qu'il décharge le décideur de son obligation d'apprécier la preuve présentée pour établir que, au Mexique par exemple, l'État n'est pas en mesure (bien qu'il le veuille) de protéger ses citoyens ou qu'il était raisonnable pour le demandeur de refuser de se prévaloir de cette protection.

 

20.     Je souscris à la façon qu'a la juge Gauthier d'aborder la question de la protection de l'État au Mexique. En effet, bien que le Mexique constitue une démocratie et veuille généralement assurer la protection de ses citoyens, la documentation abonde quant aux problèmes de gouvernance et de corruption qui y existent. Les décisionnaires doivent par conséquent apprécier avec soin la preuve dont ils sont saisis et laissant voir que le Mexique, bien qu'il veuille protéger ses citoyens, peut bien ne pas être en mesure de le faire. Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d'origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités (Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 1211, au paragraphe 21; G.D.C.P. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 989, au paragraphe 18).

 

[Je souligne]

 

[25]           Je souscris de façon générale aux principes énoncés par les juges Gauthier et Tremblay‑Lamer et considère que ces principes doivent toujours s’appliquer à la lumière des circonstances particulières de chaque dossier. Comme l’a bien indiqué la juge Tremblay‑Lamer, la Commission doit prendre en compte la situation générale du pays, mais elle doit également considérer les mesures que les demandeurs ont pris et leur relation avec les autorités.

 

[26]           Je considère qu’en l’espèce la Commission a fait une appréciation raisonnable de la preuve testimoniale et documentaire soumises par les demandeurs. Une lecture de la décision démontre que la Commission a retenu le fait que la demanderesse maintenait avoir fait l’objet de délits commis par M. « XX » ou par des personnes à sa solde sur une période de plus de 20 ans. La Commission a mentionné le fait que le meurtrier du mari de la demanderesse n’avait pas été poursuivi en justice parce que les autorités avaient conclu qu’il avait agi en légitime défense et que la demanderesse avait fait des démarches pour le faire traduire en justice. Je ne peux donc pas conclure que la Commission a omis de considérer le contexte global du récit de la demanderesse. La Commission avait certainement ce contexte en tête puisqu’elle en a fait expressément mention et elle a analysé les explications fournies par les demandeurs, bien qu’elle les ait jugé insuffisantes.

 

[27]           Il est utile de reproduire l’extrait de la décision dans lequel la Commission traite des explications données par la demanderesse :

[15] Le tribunal estime que les explications fournies par les demandeurs quant aux motifs pour lesquels ils n’ont jamais déposé de plaintes contre XX ne constituent pas des explications « claires et convaincantes ».

 

[16] D’une part l’explication avancée par la demandeure concernant le fait qu’elle ne pouvait déposer de plainte car elle n’avait jamais vu XX durant la perpétration des crimes s’avère fausse puisqu’en 2003, selon son témoignage, elle avait reconnu XX comme étant le conducteur qui avait intentionnellement et à dessein embouti sa voiture. Elle dira par la suite qu’elle ne croyait pas qu’on ferait quelque chose à XX si elle s’était plainte aux autorités.

 

[17] D’une part, la demandeure a témoigné à l’effet qu’en 1986, lorsqu’elle s’était retrouvée veuve, elle avait été assistée dans ses pressions pour faire traduire en justice XX par le chef  de la police fédérale de la route. Il l’aurait ainsi appuyé car le mari décédé de la demanderesse était policier de la route. Elle dira que cela fait longtemps qu’elle n’a pas eu de ses nouvelles. Questionnée afin de savoir si elle avait tenté d’obtenir assistance auprès du chef de la police fédérale de la route, elle dira que non, elle n’avait rien tenté. Elle dira avoir perdu contact et que les bureaux avaient changé.

 

[18] Le tribunal conclut des réponses des demandeurs qu’ils n’ont pas déployé d’efforts afin de demander la protection des autorités en ne déposant aucune plainte auprès de celles-ci contre XX et en ne tentant pas d’obtenir l’assistance d’un dirigeant de la police qui avait dans le passé aidé la demandeure et qui était au fait de l’historique de toute cette problématique. Et même lorsque les menaces de mort ont été proférées directement au demandeur par XX en 2008, le demandeur n’a fait aucune tentative afin d’obtenir protection des autorités.

 

[19] Douter de l’efficacité de la protection de l’État alors qu’on ne l’a pas testé ne réfute pas pour autant l’existence d’une présomption de protection étatique.

 

[28]           Il appartenait à la Commission d’apprécier la preuve et la Cour doit être déférente à l’égard de cette appréciation. La Cour n’a pas à substituer sa propre appréciation de la preuve à celle de la Commission et la Commission n’a pas commis d’erreur qui justifie l’intervention de la Cour. Les demandeurs sont en désaccord avec l’appréciation de la preuve qu’a faite la Commission, mais ils ne m’ont pas convaincue que cette appréciation était déraisonnable.

 

[29]           Je traiterai maintenant de l’appréciation qu’a faite la Commission de la preuve documentaire relative à la situation au Mexique.  

 

[30]           Après avoir considéré les explications des demandeurs, la Commission a énoncé le principe suivant lequel le défaut de solliciter la protection de l’État dans son pays d’origine avant de demander l’asile était généralement fatal lorsque l’État en question est une démocratie et que la démocratie n’est pas remise en question et « si cet État est disposé à assurer un certain degré de protection à ses citoyens et possède les ressources pour le faire ». Cet énoncé n’est pas déraisonnable eu égard à l’état du droit sur la question. La Commission a par la suite fait une analyse de la preuve documentaire relative aux institutions judiciaires du Mexique.

 

[31]           La preuve documentaire que les demandeurs invoquent traite de problèmes au sein du système judiciaire du Mexique et de problèmes de corruption au sein des forces policières. Il appert de la décision que la Commission a analysé la preuve relative aux lacunes dans le système judiciaire du Mexique et qu’elle a reconnu ces problèmes, mais jugé que la preuve démontrait également que le Mexique est une démocratie dont le gouvernement en général respecte les droits de ses citoyens, que chaque état est doté d’une Commission des droits humains et qu’il existe également une Commission nationale des droits humains qui enquête lorsque des plaintes sont déposées contre des employés de l’État. La Commission a également indiqué que le gouvernement actuel du Mexique avait été élu suite à des élections libres, qu’il reconnaissait les problèmes de corruptions au sein de la police et qu’il avait pris des mesures pour s’y attaquer. La Commission a notamment mentionné la législation récente qui prévoit que les policiers sont maintenant mieux formés, qu’ils sont assujettis à des mécanismes d’évaluation et qu’il est dorénavant plus facile de congédier des officiers de police corrompus ou incompétents. La Commission a également mentionné que des initiatives anti-corruption amorcées sous l’ancien régime et poursuivies par le gouvernement actuel avaient entraîné l’arrestation et le congédiement de policiers. Elle a également mentionné la réforme des tribunaux instaurée en 2008.  

 

[32]           Je ne partage pas l’opinion des demandeurs que la Commission aurait dû expliquer pourquoi elle ne retenait pas la preuve documentaire soumise par les demandeurs. D’abord, la Commission est présumée avoir considéré l’ensemble de la preuve et il n’est pas nécessaire qu’elle mentionne tous les éléments de preuve documentaire dont elle disposait (Florea c Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 598; Chagoya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 721, [2008] A.C.F. no 908).

 

[33]           D’autre part, il ne s’agit pas d’un cas où la Commission a traité sommairement de la preuve relative à la capacité de l’État de protéger ses citoyens ou un cas où elle aurait omis de traiter d’éléments de preuve qui contredisaient directement ses conclusions (Cepeda-Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. nº 1425, 157 F.T.R. 35). En l’espèce, la preuve était contradictoire, la Commission a fait état des problèmes existants et elle a fait sa propre appréciation de la preuve et sa conclusion appartient aux issues possibles, eu égard à la preuve documentaire que la Commission a analysée. La décision est bien articulée et étoffée.

 

[34]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification et ce dossier n’en contient aucune.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3712-10

 

INTITULÉ :                                       CLAUDIA GONZALEZ LEON ET AL.

                                                            c.  M.C.I.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 12 janvier 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      le 13 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gisela Barraza

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Marilyne Trudeau

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gisela Barraza

Montréal (Québec)

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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