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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20110113

Dossier : IMM-2192-10

Référence : 2011 CF 36

Ottawa (Ontario), le 13 janvier 2011

En présence de monsieur le juge Scott 

 

ENTRE :

 

ELEONORA GALINKINA AND JOSEPH KARPMAN

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la « Loi »), à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le « tribunal »), rendue le 9 avril 2010 selon laquelle les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu de la Loi.


Les faits

[2]               La demanderesse principale et son mari sont des juifs nés en URSS. Ils ont quitté l’URSS en 1990 suite à des agressions antisémites pour se réfugier en Israël.

 

[3]               En janvier1991, lors de bombardements, ils font la connaissance avec une famille arabe, celle de Hidjazi Mahmoud Omaina, qui les conduit dans un abri anti-bombardement. Ils se lient d’amitié par la suite.

 

[4]               En 2000, après le début de l’Intifada, Mahmoud est agressé par des Israéliens. La demanderesse principale tente alors d’intervenir, mais elle est bousculée à son tour et son mari, Jakob Karpman, ainsi que son beau-fils doivent intervenir pour la protéger.

 

[5]               La demanderesse principale soutient également avoir été insultée par les voisins qui appelaient les policiers lorsqu’elle recevait Mahmoud et sa famille. Elle aurait alors fait l’objet de contrôle d’identité par des policiers israéliens à trois reprises.

 

[6]               En 2006, lors du conflit libano-israélien, la demanderesse constate une hostilité accrue contre les arabes.

 

[7]               Le 4 avril 2007, la demanderesse principale et sa famille sortent en banlieue avec leur ami Mahmoud. Alors que les hommes jouent au volley-ball, un des voisins pousse monsieur Karpman qui tombe par terre  Mahmoud tente de venir à sa rescousse mais en vain ; plusieurs hommes l’agressent à son tour.

 

[8]               Jakob Karpman est conduit à l’hôpital où l’on constate des contusions multiples au niveau de son bras et de ses côtes. La demanderesse principale se rend par la suite au poste de police pour déposer une plainte; elle déclare n’avoir reçu aucune aide des autorités.

 

[9]               Les demandeurs auraient également consulté un juriste qui aurait affirmé que ça ne valait pas la peine de s’en occuper.

 

[10]           Suite à une conversation téléphonique avec leur fille Viktoria qui habite Montréal, ils décident de se rendre au Canada et demander l’asile. Ils arrivent le 2 juin 2007 et déposent leur demande le 4 juin 2007.

 

La décision contestée

[11]           Le tribunal a d’abord conclu que la demanderesse principale et son mari ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger car les mauvais traitements subis ne constitueraient pas de la persécution au sens de la Convention et  les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de la protection de l’État.

 

Les questions en litige

[12]           Cette demande de contrôle judiciaire présente les questions suivantes :

1.           Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les mauvais traitements subis par les demandeurs ne constituaient pas de la persécution?

2.         Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

 

L’analyse

A.        La norme de contrôle

[13]           La question de la protection de l’État est une question mixte de faits et de droit; elle s’apprécie selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 2008 1 RCS 190, aux paras. 55, 57, 62 et 64; Hinzman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4e) 413 au para. 38; Liang v. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 450 aux paras. 15 et 17.). La même norme s’applique en ce qui concerne l’examen de la preuve et de la crédibilité (Ndam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 513 au para. 4).

 

B.         La crédibilité des demandeurs

[14]           Les demandeurs soutiennent que le tribunal a erré en concluant que les mauvais traitements subis ne constituaient pas de la persécution. Selon eux, le tribunal banalise les incidents rapportés en les qualifiant de déplaisants plutôt que de mauvais traitements de gravité supérieure.

 

[15]           L’appréciation des éléments de preuve présentés appartient au tribunal. Il est bien établi que les questions de crédibilité, d’évaluation des faits et d’appréciation des éléments de preuve relèvent entièrement de la discrétion du tribunal, à titre de juge des faits (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 767, 148 ACWS (3e) 118. Il n’appartient donc pas à la Cour de substituer son appréciation de la preuve à celle du tribunal.

 

[16]           Le tribunal a appliqué les critères énoncés dans l’arrêt Ward (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, [1993] A.C.S. no 74 [Ward]) à savoir que les mauvais traitements subis doivent constituer un préjudice grave, une violation des droits fondamentaux pour constituer une crainte objective de persécution, il en vient à la conclusion que les incidents rapportés par les demandeurs ne répondent pas aux dits critères.

 

[17]           Certes les demandeurs dans leur mémoire relatent à nouveau les incidents qui se sont déroulés sur une période de plus de quinze (15) ans, mais ils ne démontrent pas en quoi le tribunal a erré sur l’appréciation de ces faits ou quels éléments de preuve ont été ignorés par le tribunal.

 

[18]           À l’audience, le procureur des demandeurs réitère les reproches adressés au tribunal quant à la gravité objective des incidents, particulièrement les sévices subis par monsieur Karpman et soumet que le tribunal a erré.

 

[19]           À la lecture de la décision on constate que le tribunal a tenu compte de chacun des incidents relatés par les demandeurs dans leur témoignage et en est arrivé à une conclusion raisonnable dans les circonstances. Il n’y a donc pas lieu pour cette cour d’intervenir quant à cette première question.

 

C.        La possibilité de refuge interne

[20]           Est-ce que le tribunal a erré en concluant que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État?

 

[21]           La jurisprudence de cette Cour est claire : pour réfuter la présomption de protection de l’État, le demandeur doit présenter des éléments de preuve clairs et convaincants de l’incapacité de l’État de lui fournir une protection. Ces éléments de preuve doivent être fiables et pertinents et doivent être en mesure de convaincre le tribunal qui est maître des faits, de l’insuffisance de la protection de l’État (Ward précité, Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 RCF 636).

 

[22]           L’obligation de recourir à la protection de l’État augmente lorsqu’il s’agit d’un état démocratique comme Israël. Les demandeurs, en l’espèce, doivent démontrer qu’ils ont tenté d’épuiser tous les recours qui s’offraient à eux en Israël en vue d’obtenir la protection nécessaire (Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 1376, 206 NR 272 (CAF) [Kadenko]).

 

[23]           Cette Cour a déjà conclu que l’état d’Israël était une démocratie avec la volonté et la capacité de protéger ses citoyens, dont les anciens citoyens de la Russie et les personnes qui ne sont pas juives (Sverdlov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 652, [2007] ACF no 892; Hanna c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 580, [2006] ACF no 720).

 

[24]           Les demandeurs reprochent au tribunal de ne pas avoir considéré tous les éléments de preuve quant à leurs démarches pour obtenir une protection de l’État d’Israël, plus particulièrement de ne pas avoir cru la demanderesse qui allègue avoir dénoncé l’incident du 4 avril 2007 aux autorités compétentes et avoir consulté un juriste sur ses recours par la suite.

 

[25]           Le tribunal fait valoir dans sa décision que les demandeurs auraient pu s’adresser à d’autres organismes qui existent en Israël en l’occurrence l’Ombudsman. Même si le reproche adressé aux demandeurs d’avoir fait défaut de déposer une copie de la plainte du 4 avril 2007 est mal fondé, il n’en demeure pas moins que les demandeurs n’ont pas épuisé tous les recours possibles comme le tribunal le souligne dans sa décision.

 

[26]           Si des demandeurs d’asile omettent de prendre toutes les mesures disponibles pour chercher la protection de l’État avant de faire une demande d’asile, ils ne pourront alors réfuter la présomption de la protection de l’État (Cordova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 309, [2009] ACF no 620). C’est une règle clairement établie par la jurisprudence de cette Cour (voir également Kadenko, précité et Castellanos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 307, [2009] ACF no 663).

 

[27]           Dans ces circonstances, la Cour constate que la décision du tribunal est raisonnable. Les demandeurs n’ont pas tenté de rechercher d’autres moyens de protection de l’État d’Israël, et ils n’ont pas démontré aux moyens d’éléments de preuve que la protection de l’État n’était pas raisonnablement disponible en Israël.

 

[28]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

-           La demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2192-10

 

INTITULÉ :                                       ELEONORA GALINKINA ET JAKOB KARPMAN V. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               14 décembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                      13 janvier 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martial Guay

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Isabelle Brochu

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Martial Guay, Procureur

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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