Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), ce 5e jour de janvier 2011
En présence de l’honorable juge Pinard
ACTION PERSONNELLE EN MATIÈRE D’AMIRAUTÉ
ENTRE :
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CAPITAINES PROPRIÉTAIRES DE LA GASPÉSIE (A.C.P.G.) INC. et PAULIN COTTON et AXA ASSURANCES, INC.
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et
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et GUY LAFLAMME
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MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Par leur requête, les demandeurs désirent obtenir un jugement sommaire visant :
1. à faire déclarer valide, opérante et applicable entre les parties la clause d’exclusion de responsabilité contenue au contrat de « Manœuvre de bateau » intervenu entre les parties le 19 mai 2008;
2. à faire rejeter la défense des défendeurs ainsi que leur demande reconventionnelle en raison de l’application de la clause d’exclusion de responsabilité;
3. à obtenir toute autre ordonnance que cette Cour pourra juger appropriée dans les circonstances;
4. le tout avec frais à l’encontre des défendeurs.
[2] La requête est faite en vertu des règles 213, 214, 215, 359 et suivantes, et 70 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.
[3] En tout temps pertinent aux présentes, l’Association des Capitaines-propriétaires de la Gaspésie (A.C.P.G.) Inc. (« A.C.P.G. ») était incorporée en vertu de la partie 1A de la Loi sur les compagnies ayant son siège social au 1, de la Langevin, dans la ville de Rivière-au-Renard, dans la province de Québec (Canada).
[4] En tout temps pertinent aux présentes, le demandeur Paulin Cotton était l’employé de la demanderesse A.C.P.G. et l’opérateur désigné de la grue portique utilisée par A.C.P.G.
[5] En tout temps pertinent aux présentes, la demanderesse AXA Assurances, Inc. (« AXA Assurances ») était l’assureur de la demanderesse A.C.P.G. en vertu d’une police (Marine Liability Policy) portant le numéro 7822850.
[6] Les actionnaires de la demanderesse A.C.P.G. sont des capitaines et propriétaires de bateaux de pêche.
[7] L’un de ces actionnaires est le défendeur Guy Laflamme (le défendeur). Ce dernier détient majoritairement les actions de la compagnie défenderesse Pêcheries Guy Laflamme Inc. ayant son siège social au 232, boulevard Renard Est, dans la ville de Rivière-au-Renard, province de Québec. La défenderesse Pêcheries Guy Laflamme Inc. (la défenderesse) est elle-même propriétaire du navire Myrana I, dont le numéro de matricule est le 800832.
[8] La demanderesse A.C.P.G. offre à ses actionnaires un service de halage et opère un parc à bateaux. Elle opère une grue portique utilisée pour la mise à l’eau des bateaux au printemps et leur remisage à l’automne. Ces services sont sujets aux conditions contenues dans un contrat intitulé « Manœuvre de bateau - Autorisation d’exécuter les manœuvres / cale de halage de Rivière-au-Renard ». Ce contrat fait également office de facture pour les services rendus par la demanderesse aux capitaines pêcheurs. Le contrat comprend notamment la clause suivante :
Je, soussigné, _______________, résident à _______________, propriétaire du bateau V/M _______________ portant le numéro d’enregistrement ________ déclare assumer la responsabilité de tous les risques découlant du halage, du stationnement, de l’hivernage et/ou du lancement de ce bateau et je dégage le Propriétaire de cette cale de halage ainsi que son Opérateur _______________ de toute responsabilité civile découlant de ces opérations ou manœuvres s’y rattachant.
[9] Le contrat signé par Guy Laflamme en date du 19 mai 2008 pour la mise à l’eau ou lancement du Myrana I mentionnait que l’opérateur était le demandeur Paulin Cotton.
[10] En date du 19 mai 2008, le bateau de la défenderesse était mis à l’eau à l’aide de la grue portique opérée par le demandeur Paulin Cotton suivant les conditions du contrat. Alors que le bateau était soulevé à plusieurs mètres de la surface de l’eau, un problème mécanique aurait causé la chute du bateau dans l’eau. Suivant cet incident, le défendeur et la défenderesse ont déclaré que le bateau avait subi des dommages s’élevant à 552 181,07 $, et réclamé, par l’entremise d’une lettre de leurs procureurs en date du 3 avril 2009, cette somme à A.C.P.G. et AXA Assurances.
[11] Déclinant toute responsabilité, les demandeurs ont ensuite intenté une action contre les défendeurs dans le but d’obtenir une déclaration de cette Cour à l’effet que la clause d’exclusion de responsabilité contenue au contrat est opposable aux défendeurs et qu’en conséquence ces derniers ne peuvent pas leur réclamer de dommages.
[12] Les demandeurs plaident et fondent leur action sur le droit maritime canadien tel que défini à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.
[13] En défense à cette action, les défendeurs nient que la clause d’exclusion en question s’applique à leur cas. Ils présentent en outre une demande reconventionnelle contre AXA Assurances sur la base du fait qu’il ne fût jamais question, lors des manœuvres du bateau, de dégager la responsabilité de cette compagnie d’assurance avec laquelle le défendeur a contracté à titre de membre de l’A.C.P.G. La demande reconventionnelle allègue aussi qu’AXA Assurances se fait payer une obligation qu’elle ne remplit pas, ce qui désavantage le défendeur comme consommateur, et demande qu’AXA Assurances indemnise les défendeurs pour la somme totale de 408 277,05 $ plus les intérêts et l’indemnité additionnelle depuis la mise en demeure.
[14] Dans sa défense reconventionnelle, AXA Assurances plaide que la majorité des bris allégués du bateau de la défenderesse ne résultent pas de l’incident du 19 mai 2008; elle soutient en outre que les défendeurs ne sont pas ses assurés en vertu de la police d’assurance et qu’il n’y a donc pas de lien contractuel entre elle et les défendeurs. AXA allègue enfin que la clause d’exclusion de responsabilité est opposable aux défendeurs et ajoute que même si la clause ne s’appliquait pas, les dommages subis par les défendeurs ne devraient pas excéder 49 000 $.
[15] Les demandeurs ont subséquemment envoyé une assignation à comparaître au défendeur en vertu de la règle 91, et un interrogatoire oral de ce dernier a eu lieu le 11 juin 2010. C’est par la suite que les demandeurs ont déposé la présente requête en jugement sommaire.
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[16] Un jugement sommaire « permet d’empêcher les demandes et les défenses qui n’ont aucune chance de succès de se rendre jusqu’à l’étape du procès » (Canada (Procureur général) c. Lameman, [2008] 1 R.C.S. 372, para 10). Dans Apotex Inc. c. Merck & Co., [2003] 1 C.F. 242, au paragraphe 49, la Cour d’appel fédérale a précisé ce qui suit :
. . . On notera que les Règles de la Cour fédérale (1998), dans la mesure où elles prévoient qu’un jugement sommaire peut être rendu en l’absence d’une véritable question litigieuse, sont une exception. Les Règles de la Cour fédérale (1998) autorisent le juge des requêtes à dégager les conclusions de fait et de droit nécessaires pour trancher la requête, dans la mesure où la preuve pertinente figure au dossier et où n’intervient pas une question « sérieuse » de fait ou de droit qui dépend d’inférences à tirer. Fondamentalement, lorsque l’instruction apporterait des précisions sans fournir d’éléments de preuve additionnels importants, il est préférable que le juge des requêtes tranche la question de droit ou de fait litigieuse (voir la décision Pawar c. Canada, [1999] 1 C.F. 158 (1re inst.); confirmée par (1999), 247 N.R. 271 (C.A.F.); autorisation de pourvoi à la C.S.C refusée (2000), 257 N.R. 398; Warner-Lambert Co. c. Concord Confections Inc., (2001), 11 C.P.R. (4th) 516 (C.F. 1re inst.); Wetzel c. Canada (Procureur général), [2000] A.C.F. no 155 (1re inst.) (QL)).
[17] En l’espèce, tout en reconnaissant qu’ils ont le fardeau d’établir qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse, les demandeurs réfèrent à l’arrêt Suntec Environmental Inc. c. Trojan Technologies Inc., 2004 CAF 140, para 4 (citant Apotex Inc. c. Sa Majesté la Reine et al., 2003 CFPI 414, para 10), à l’effet que les deux parties doivent présenter leurs meilleurs arguments pour que le juge des requêtes puisse trancher cette question, et à l’effet que le juge doit examiner de près le fond et, si possible, tirer des conclusions de fait et de droit si les documents le permettent. Les demandeurs réfèrent aussi au paragraphe suivant de Suntec :
[19] Notre Cour a récemment examiné la portée des principes régissant les jugements sommaires dans l’affaire Succession MacNeil c. Canada (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50 (MacNeil). Le juge Sexton a abordé la question de l’ambiguïté inhérente aux paragraphes 216(2) et 216(3). En tout état de cause, le juge qui constate l’existence d’une véritable question litigieuse doit normalement renvoyer l'affaire pour qu’elle soit instruite au procès. Par contre, même lorsqu’il existe une véritable question litigieuse, le juge des requêtes peut trancher la question s’il est en mesure de dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait ou de droit. Cette ambiguïté comporte le risque de transformer les requêtes en jugement sommaire en procès sommaires jugés sur affidavits. Bien que les deux mécanismes constituent des mesures utiles susceptibles de contribuer à restreindre la durée et les coûts des procès, on ne doit pas les confondre.
Il importe de noter que Suntec rappelle qu’il est de jurisprudence constante que les véritables questions de crédibilité doivent être laissées au juge du procès.
[18] C’est avec tous ces principes bien présents à l’esprit que j’analyse les faits et le droit dans la présente affaire.
[19] En ce qui concerne d’abord les arguments des défendeurs voulant que le droit provincial s’applique au présent cas, notamment l’article 10 de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., ch. P-40.1, interdisant « la situation par laquelle un commerçant se dégage des conséquen-ces de son fait personnel ou de celui de son représentant », et le Code civil du Québec, ils m’appa-raissent sans fondement, puisque nous sommes ici clairement en présence d’une question qui doit être déterminée par l’application du droit maritime canadien (voir l’article 22 de la Loi sur les Cours fédérales et ITO – International Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752).
[20] Par ailleurs, les défendeurs soulèvent une importante question de crédibilité reliée à la capacité du défendeur, qui se dit illettré, de bien comprendre toute la signification et l’effet du contrat qu’il a signé le 19 mai 2008.
[21] De fait, lors de son interrogatoire du 11 juin 2010, le défendeur a exprimé ce qui suit :
- Moi, c’est parce que je n’ai pas mes lunettes, là, puis j’ai arrêté l’école en septième année, moi, je ne lis pas vite, puis j’ai de la misère à lire puis écrire.
[. . .]
- Puis quand même moi, j’ai arrêté l’école de septième année, j’ai de la misère à lire puis écrire. Ça va prendre un mois pour lire une page, là.
[22] De plus, le défendeur fait état de son incompréhension de la portée du contrat en question et de son illettrisme dans son affidavit déposé à l’appui de sa contestation de la présente requête en jugement sommaire, notamment aux paragraphes suivants :
14. Je ne pensais aucunement devoir un jour poursuivre ma propre association pour les fautes commises dans l’exécution de leur fonction à titre de commerçant;
16. Il ne fut jamais question entre moi et l’Association d’exclure Axa Assurance inc. de ses obligations à titre d’assureur envers les membres de l’Association;
21. L’Association (A.C.P.G.) et Axa Assurances inc. tentent d’abuser de moi qui est un citoyen québécois sans scolarité qui a réussi à gagner sa vie honnêtement avec son bateau depuis que je suis propriétaire d’un bateau;
23. Le comportement de l’Association (A.C.P.G.) et d’Axa Assurances inc., de par leur comportement abusif à l’égard d’un illettré comme moi, mettent en péril mon futur et ma carrière de pêcheur, ce qui me pénalise auprès des exigences des programmes de Pêche et Océans Canada;
[23] Il appert donc de l’affidavit du défendeur qu’il n’était pas bien instruit, qu’il avait de la difficulté à lire, qu’il aurait cru qu’en tant qu’actionnaire de l’A.C.P.G., il était bénéficiaire de la police d’assurance AXA, qu’il se croyait en situation de confiance avec l’A.C.P.G. et n’aurait jamais pensé que cette association essaierait de lui imposer une exclusion telle celle invoquée par les demandeurs, vu sa difficulté à lire et son moindre niveau de scolarité.
[24] À mon sens, ces allégations du défendeur soulèvent une importante question reliée à sa crédibilité, pour déterminer la valeur de son consentement au sens et à l’effet de la clause d’exclusion invoquée par les demandeurs. Les demandeurs soulèvent bien quelques éléments de preuve, notamment la signature de contrats similaires antérieurs par le défendeur, pour tenter de minimiser l’importance de l’illettrisme de ce dernier en regard de sa compréhension de la clause d’exclusion en question. Toutefois, le tout étant lié à l’appréciation de la crédibilité du défendeur, cette importante question doit être laissée à l’appréciation du juge du procès, comme le souligne d’ailleurs le juge Denis Pelletier, pour la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Suntec, ci-dessus, au paragraphe 20 :
. . . Il est en effet de jurisprudence constante que le tribunal saisi d’une requête en jugement sommaire ne doit pas se prononcer sur les questions de crédibilité (voir l’arrêt MacNeil, précité, au paragraphe 32). . . .
[25] Par ces motifs, la requête en jugement sommaire est rejetée, frais à suivre l’issue de la cause.
ORDONNANCE
La requête en jugement sommaire des demandeurs est rejetée. Les frais suivront l’issue de la cause.
« Yvon Pinard »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1444-09
INTITULÉ : CAPITAINES PROPRIÉTAIRES DE LA GASPÉSIE (A.C.P.G.) INC. et PAULIN COTTON et AXA ASSURANCES, INC. C. PÊCHERIES GUY LAFLAMME INC. et GUY LAFLAMME
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 14 décembre 2010
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 5 janvier 2011
COMPARUTIONS :
Me Jean-François Bilodeau POUR LES DEMANDEURS
Me Guylaine Gauthier POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robinson Sheppard Shapiro, s.e.n.c.r.l. POUR LES DEMANDEURS
Montréal (Québec)
Guylaine Gauthier POUR LES DÉFENDEURS
Québec (Québec)