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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101222

Dossier : IMM-2091-10

Référence : 2010 CF 1319

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2010

En présence de madame la juge Snider

 

 

ENTRE :

 

ROBERT ZUPKO

ZANET BENDIGOVA

(alias BENDIGOVA, ZANET)

KAMILA ZUPKOVA

SARA ZUPKOVA

ESTER ZUPKOVA

ROBERT ZUPKO

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

 

défendeur

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Le contexte

 

[1]               Le demandeur principal, M. Robert Zupko, sa conjointe de fait et ses enfants (collectivement les demandeurs) sont des citoyens de la République tchèque. Prétendant être persécutés dans ce pays en raison de leur origine ethnique rom, les membres de la famille demandent au Canada de leur accorder l’asile en application de l’article 96 et du paragraphe 97(1)  de la Loi sur l’immigration et le protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a entendu le témoignage des demandeurs lorsqu’ils ont comparu relativement à leurs demandes d’asile. Ceux-ci ont en outre présenté en preuve des déclarations faites par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre), le défendeur dans le cadre de la présente demande. Ces déclarations démontraient selon eux qu’il était raisonnable de craindre, pour partialité, que la Commission ne puisse se prononcer de manière équitable sur leurs demandes.

 

[3]               Dans une décision datée du 16 mars 2009, la Commission a conclu qu’était sans fondement cette allégation de crainte raisonnable de partialité. La Commission a en outre conclu, selon la prépondérance de la preuve, que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens de la LIPR. En plus de douter de la crédibilité du demandeur principal et de sa conjointe, la Commission a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection offerte par l’État.

 

II.        Les questions en litige

 

[4]               Les demandeurs, qui sollicitent l’annulation de la décision de la Commission, soulèvent les questions qui suivent :

 

1.                  La Commission a-t-elle conclu erronément à l’absence de crainte raisonnable de partialité?

 

2.                  La Commission a-t-elle recouru erronément à un mauvais critère de protection de l’État?

 

3.                  La Commission a-t-elle commis une erreur

 

a.                   en se fondant, lorsqu’elle a conclu au manque de crédibilité de la prétention de stérilisation forcée de la demanderesse, sur une mauvaise interprétation de la preuve et sur une inférence défavorable tirée de manière déraisonnable du défaut de mention de la stérilisation dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) tant du demandeur principal que de la demanderesse,

 

b.                  en faisant abstraction de la preuve documentaire la plus récente quant à l’absence de protection des Roms par l’État, ou encore,

 

c.                   en ne concluant pas que l’insuffisance de la protection de l’État était démontrée par le défaut de la police de s’être rendue sur les lieux d’un crime?

 

III.       Analyse

 

A.        La norme de contrôle judiciaire

 

[5]               La première question en litige est une pure question de droit; la conclusion en cause de la Commission appelle donc la décision correcte comme norme de contrôle. On peut également estimer que la seconde question – l’application du critère approprié à la question de la protection de l’État – est une question de droit qui commande également la décision correcte. Les dernières questions, par contre, mettent en cause la conclusion générale de la Commission concernant la crédibilité des demandeurs et le caractère adéquat de la protection de l’État. On appliquera donc la norme de raisonnabilité pour le contrôle des motifs et des conclusions de la Commission sur le sujet, et selon cette norme, la Cour ne doit intervenir que si la décision échappe aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 47).

 

[6]               J’examinerai maintenant les cinq questions soulevées par les demandeurs.

 

B.         La Commission a-t-elle conclu erronément à l’absence de crainte raisonnable de partialité?

 

[7]               À l’audience devant la Commission, les demandeurs ont fait valoir que les déclarations du ministre donnaient lieu à une crainte raisonnable de partialité institutionnelle. Ils ont fait observer que ces déclarations pouvaient influer indûment sur la Commission. Le ministre prenant directement part à la nomination et à la reconduction des commissaires de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en effet, une personne bien renseignée qui étudierait la question de façon réaliste et pratique conclurait que le décisionnaire ne pourrait se prononcer de manière équitable sur les demandes d’asile de Roms tchèques.

 

[8]               Les demandeurs ont soumis à l’appui de leurs prétentions un article d’avril 2009 rapportant les commentaires du ministre, un article de revue de juillet 2009 traitant de ces commentaires ainsi que des données statistiques comparatives sur l’issue des dossiers de Roms tchèques instruits par la Commission en 2008 et pendant une partie de l’année 2009.

 

[9]               La Commission a procédé à l’analyse, dans sa décision, de l’ensemble des arguments et des documents d’appui présentés par les demandeurs. Elle s’est également penchée sur la jurisprudence pertinente (Committee for Justice and Liberty c. Canada (L’Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, 68 D.L.R. (3d) 716; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, 19 C.R.R. 354; Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884, 2003 CSC 36; Mohammad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 C.F. 363, 55 D.L.R. (4th) 321). La Commission a conclu comme suit sur cette question :

[. . .] je suis d’avis que la CISR, en particulier la Section de la protection des réfugiés, et moi-même sommes suffisamment indépendants sur le plan institutionnel et que les circonstances soulignées par le conseil ne permettent pas de soulever une crainte raisonnable de partialité.

 

[10]           Les demandeurs font valoir devant moi que la conclusion de la Commission était erronée, et demandent à la Cour de déclarer que les commentaires du ministre donnaient bien lieu à une crainte raisonnable de partialité.

 

[11]           Comme le savent les parties, la question de la crainte raisonnable de partialité dans le contexte même qui nous occupe a été abordée et examinée dans les trois décisions distinctes suivantes :

 

·                    Dunova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 438, 367 F.T.R. 89 (Dunova) (le juge Crampton);

 

·                    Gabor c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2010 FC 1162 (Gabor) (le juge Zinn);

 

·                    Cervenakova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1281 (Cervenakova) (le juge Crampton).

 

[12]           La Cour a rejeté les arguments des demandeurs dans chacune de ces décisions. Dans Gabor, le juge Zinn a ainsi déclaré ce qui suit (paragraphe 35) :

[traduction]

Une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne croirait pas, selon toute vraisemblance, que la Commission, consciemment ou non, se prononcerait de manière inéquitable sur la demande d’asile d’un Rom tchèque.

 

[13]           Je ferai également remarquer que l’avocat des demandeurs a reconnu devant moi que, lors de l’instruction de l’affaire Gabor où il agissait aussi comme avocat, les arguments qu’il avait alors avancés s’appuyaient sur la même preuve qu’en l’espèce.

 

[14]           J’estime, compte tenu de la jurisprudence existant ainsi sur le point même, que le principe de la courtoisie judiciaire est d’application directe en l’espèce. Le juge Lemieux a déclaré ce qui suit sur le sujet dans la décision Almrei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1025, 316 F.T.R. 49, paragraphes 61 et 62 :

Le principe de courtoisie judiciaire est bien reconnu par la magistrature canadienne. Appliqué dans des décisions rendues par les juges de la Cour fédérale, ce principe signifie qu’une décision essentiellement semblable qui est rendue par un juge de notre Cour devrait être adoptée dans l’intérêt de favoriser la certitude du droit. […] [Citations omises.]

 

Il y a plusieurs exceptions au principe de courtoisie judiciaire qui est exposé ci-dessus; ce sont les suivants :

 

1.         Les cas où l’ensemble de faits ou les éléments de preuve ne sont pas les mêmes pour les deux causes;

 

2.                  Les cas où la question à trancher est différente;

 

3.                  Les cas où la décision antérieure n’a pas examiné la loi ou la jurisprudence qui auraient donné lieu à un résultat différent, c’est-à-dire lorsque la décision était manifestement erronée;

 

4.                  Les cas où la décision suivie créerait une injustice.

 

[15]           Aucune des exceptions au principe ne s’applique en l’espèce. Comme l’a admis l’avocat des demandeurs, l’« ensemble de faits » de même que la question à trancher sont pour nos fins identiques. Bien que les demandeurs se soient dits en désaccord quant à la décision Gabor, ils n’ont aucunement fait valoir que le juge Zinn n’avait pas examiné une loi ou une jurisprudence qui aurait donné lieu à un résultat différent. Je ne puis trouver quoi que ce soit d’injuste, enfin, dans les décisions en cause de mes collègues.

 

[16]           Je fais miens, par conséquent, le raisonnement et la conclusion des juges Zinn et Crampton dans les décisions Dunova, Gabor et Cervenakova. Je conclus ainsi qu’une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne croirait pas, selon toute vraisemblance, que la Commission, consciemment ou non, se prononcerait de manière inéquitable sur la demande d’asile d’un Rom tchèque.

 

[17]           J’en arriverais toutefois à une conclusion identique, même si je n’appliquais pas le principe de courtoisie judiciaire. Mais plutôt que de procéder à une longue analyse, répétant pour large part les motifs de mes collègues dans les décisions Dunova, Gabor et Cervenakova, j’exposerai les motifs principaux permettant de conclure que n’a pas été établie l’existence d’une crainte raisonnable de partialité.

 

[18]           Les deux sources d’où sont tirés les commentaires du ministre sont les suivantes :

 

·                    Un article du 15 avril 2009 du National Post, dans lequel on rapportait certains commentaires sur les demandeurs d’asile roms originaires de la République tchèque formulés par le ministre lors d’une entrevue accordée à Canwest News Service, portant notamment qu’il était [traduction] « difficile de croire que la République tchèque soit un ilot de persécution en Europe ».

·                    L’édition Web du 22 juillet 2009 du magazine Embassy (http://embassymag.ca/page/printpage/political_interference-7-22-2009), qui rapportait notamment les propos suivants tenus le 24 juin 2009 par le ministre : [traduction] « Si une personne leur affirme que des policiers l’ont tabassée, les commissaires de la CISR peuvent alors se référer à leur rapport et dire : "En fait, il n’existe aucune preuve de brutalité policière" ». On a aussi fait allusion dans l’article aux commentaires d’autres personnes, dont les professeurs Peter Showler et Audrey Macklin, qui avaient critiqué la déclaration du ministre.

 

[19]           Ne disposant d’aucun compte rendu de première main de l’ensemble de l’entrevue ou du discours du ministre (qu’il s’agisse par exemple d’une transcription, ou de l’affidavit d’une personne présente lorsque les commentaires ont été faits), je n’ai pas connaissance du contexte dans lequel les commentaires ont été formulés. De même, les professeurs Peter Showler et Audrey Macklin n’ont pas confirmé les commentaires qui leur ont été attribués. Lorsque est portée une aussi grave allégation que celle de crainte de partialité, on pourrait s’attendre à ce que soit présentée une meilleure preuve que des déclarations tirées sélectivement des médias.

 

[20]           J’admets que le ministre exerce une influence sur les nominations et reconductions par le gouverneur en conseil de commissaires de la CISR. Cela ne suffit toutefois pas pour fonder une prétention de crainte raisonnable de partialité. La LIPR prévoit l’indépendance vis-à-vis de  Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de la Commission. Celle-ci dispose de son propre président, et tout commissaire est requis par la loi de prêter un serment professionnel, par lequel il s’engage à s’acquitter « régulièrement, fidèlement, impartialement et au mieux de [sa] capacité et de [s]es connaissances de [s]es fonctions de [commissaire] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ». Les nominations de commissaires sont d’une durée déterminée et la rémunération de ces derniers n’est pas fonction des décisions qu’ils rendent. Les commissaires ne peuvent être révoqués que pour invalidité, manquement à l’honneur ou à la dignité, incompétence ou conflit d’intérêts (se reporter, par exemple, aux articles 152, 153, 156, 161, 162 et 170 de la LIPR et aux Règles sur le serment professionnel ou la déclaration (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), DORS/2002‑231). Hormis de simples conjectures, il n’y a aucune preuve que les nominations s’appuient sur l’opinion qu’ont les éventuels commissaires des discours du ministre, ou que les reconductions dépendent, même en partie, du taux d’acceptation par les commissaires des demandes d’asile.

 

[21]           Les demandeurs s’appuient fortement sur les statistiques publiées. Selon eux, la diminution des demandes d’asile acceptées provenant de citoyens roms de la République tchèque constitue la preuve de l’effet nuisible des déclarations du ministre. Les statistiques de la Commission révéleraient ainsi que le taux d’acceptation de ces demandes d’asile était de 94 % en 2008 et de 81 % entre janvier et mars 2009, le premier trimestre complet ayant précédé les déclarations contestées du ministre, et que ce taux a chuté à 30 % pendant le trimestre ayant suivi les déclarations (juillet à septembre 2009) et à 0 % lors du dernier trimestre de 2009.

 

[22]           Ce qui mine toutefois cet argument, c’est que d’autres facteurs ont pu jouer un rôle dans le déclin des taux d’acceptation. Je ne souhaite pas m’engager dans une analyse statistique approfondie (en partie parce qu’aucun expert en la matière n’a présenté une telle analyse). Je ferai néanmoins observer que les taux d’acceptation obtenus ont très bien pu résulter d’une mise à jour de la preuve documentaire ou de l’abandon d’un certain nombre de demandes d’asile. Le taux d’acceptation avait d’ailleurs commencé à décliner (quoique pas de manière aussi marquée) avant même que le ministre formule ses commentaires. Il serait difficile, sans l’apport d’experts, de tirer des conclusions à partir d’une telle preuve, à moins que les statistiques ne soient à première vue absolument convaincantes, ou étayées sans conteste par d’autres éléments de preuve dignes de foi. On ne peut établir par de seules statistiques la crainte raisonnable de partialité (se reporter à Geza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 124, 52 Imm. L.R. (3d) 163, paragraphe 72; Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1043, [2002] 1 C.F. 559, paragraphe 130).

 

[23]           On peut aisément s’écarter en l’espèce de l’arrêt Geza, précité, où la Cour d’appel avait conclu à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité. La Cour d’appel avait examiné dans cet arrêt la pratique de la Commission consistant à élaborer des « causes types » que suivraient ses tribunaux subséquemment constitués. Dans Geza, l’« ensemble des faits » mettait en cause un processus interne auquel avaient apparemment contribué divers commissaires, avocats et membres du personnel de la CISR et qui avait orienté la prise de décision dans certaines affaires. La situation est ici fort différente, comme il n’y a en l’espèce aucune preuve – hormis quelques commentaires rapportés et certaines statistiques discutables – qui mette en question l’indépendance individuelle des commissaires de la CISR.

 

[24]           En résumé, la preuve n'établit tout simplement pas de façon convaincante que les commentaires du ministre donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité de la Commission lorsqu’elle se prononce sur les demandes d’asile de Roms tchèques.

 

C.        La Commission a-t-elle recouru erronément à un mauvais critère de la protection de l’État?

 

[25]           Selon les demandeurs, la Commission a analysé erronément la question de la protection de l’État en appliquant le critère de « sérieux efforts ». La Commission aurait plutôt dû examiner, pour se conformer au critère approprié, si les Roms obtiennent ou ont obtenu dans le passé une protection « efficace » (Bobrik c. Canada (1994), 85 F.T.R. 13, [1994] A.C.F. no 1364 (QL); Kraitman c. Canada (Secrétaire d’État) (1993), 27 Imm. L.R. (2d) 283, [1994] A.C.F. n1063 (QL); Wisdom-Hall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 685, [2008] A.C.F. no 851 (QL); Deheza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 521, [2010] A.C.F. no 639 (QL)).

 

[26]           Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, toutefois, le critère approprié de protection de l’État est de savoir si cette protection est ou non « suffisante » (Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, 69 Imm. L.R. (3d) 309). La Cour d’appel fédérale avait en outre déclaré ce qui suit sur le sujet dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130, 99 D.L.R. (4th) 334, paragraphe 7 :

Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou affirme son respect des droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Ainsi donc, il ne suffit pas que le demandeur démontre que son gouvernement n'a pas toujours réussi à protéger des personnes dans sa situation

 

[27]           Les demandeurs ne m’ont pas convaincue de l’application erronée par la Commission d’un mauvais critère de protection de l’État.

 

D.        La Commission a-t-elle conclu erronément que la prétention de stérilisation de la demanderesse manquait de crédibilité?

 

[28]           Un élément central de la prétention de persécution des demandeurs était l’allégation faite qu’on avait forcé la demanderesse à subir une ligature des trompes après la naissance de son enfant. La Commission a conclu dans sa décision au manque de crédibilité de cette allégation. Tout particulièrement, la Commission a tiré une inférence défavorable du fait que les demandeurs n’avaient pas tenté d’obtenir de l’hôpital ou du psychiatre qui avait par la suite traité la demanderesse le moindre document pouvant étayer l’allégation. En outre, les demandeurs n’avaient pas mentionné dans leur FRP original ce fait qu'ils alléguaient – pourtant un élément central de leur demande d’asile. La Commission n’a été informée de cette allégation de stérilisation que deux jours avant l’audience, par lettre transmise par l’avocat des demandeurs.

 

[29]           Les demandeurs soutiennent avoir demandé un certificat médical au moment de la stérilisation, mais qu’on n’a pas accédé à leur demande, et que les déclarations de la Commission selon lesquelles la demanderesse n’avait « pas essayé de l’obtenir » étaient erronées en fait. Je ne souscris pas à l’interprétation par les demandeurs des motifs de la Commission sur ce point. Il ressort clairement des motifs que la Commission avait bien compris que la demanderesse avait tenté d’obtenir, sans succès, un certificat lors de l’intervention chirurgicale. Mais ce qui importait à la Commission, c’était que la demanderesse n’avait pas demandé de certificat à l’hôpital aux fins de l’audience. La Commission a aussi relevé, en outre, que les demandeurs auraient pu demander des documents de corroboration au psychologue qui suivait la demanderesse et « qui l’aidait vraiment ». En l’absence de tout document de corroboration, l’inférence tirée par la Commission n’était pas déraisonnable.

 

[30]           Les demandeurs soutiennent que la Commission aurait dû examiner le comportement de la demanderesse lors de son témoignage et prendre en compte la honte qu’elle avait ressentie lorsqu’on l’avait stérilisée sans son consentement. La demanderesse a déclaré dans son affidavit qu’elle [traduction] « tremblai[t] et pleurai[t] » lorsqu’elle avait décrit à la Commission les faits allégués. Cependant, la honte ressentie par la demanderesse et son comportement ne changent rien au fait que cette dernière ou le demandeur principal aurait pu tenter d’obtenir de l’hôpital ou du psychiatre des documents étayant cet élément essentiel de leur demande d’asile. Je relève également que les demandeurs ont obtenu l’occasion de fournir des documents additionnels après l’audience, mais qu’ils ne l’ont pas fait; le défaut de ce faire ne peut assurément pas être expliqué par le comportement de la demanderesse.

 

[31]           Finalement, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en tirant une inférence défavorable du fait qu’ils n’aient pas mentionné la stérilisation forcée dans leurs FRP. Ils font valoir à cet égard le paragraphe 6(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, qui les autorisait à modifier leurs FRP avant l’audience. Une fois informée de la modification apportée (deux jours avant la tenue de l’audience), à leur avis, la Commission ne pouvait tirer une inférence défavorable de l’absence de mention dans le FRP original.

 

[32]           Il est de droit constant que la Commission peut tirer une inférence défavorable du défaut de mention dans le FRP d’un élément essentiel de la demande d’asile. Dans la décision Basseghi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1867 (QL), 52 A.C.W.S. (3d) 165, paragraphe 33, le juge Teitelbaum a succinctement énoncé, comme suit, l’état du droit sur la question des omissions dans un FRP :

Il n'est pas inexact de dire que les réponses fournies dans un FRP devraient être concises, mais il est inexact de dire que ces réponses ne devraient pas contenir tous les faits pertinents. Il ne suffit pas à un requérant d'affirmer que ce qu'il a dit dans son témoignage oral était un développement. Tous les faits pertinents et importants devraient figurer dans un FRP. Le témoignage oral devrait être l'occasion d'expliquer les informations contenues dans le FRP.

 

[33]           Sur le plan des principes, il n’y a selon moi aucun motif pour que la communication d’un élément essentiel deux jours avant l’audience empêche la Commission de tirer une inférence défavorable de l'absence de cet élément dans le FRP original. Le principe énoncé par le juge Teitelbaum vaut toujours; les demandeurs d’asile devraient mentionner tous les faits importants dans leur FRP, faute de quoi la Commission peut en tirer une inférence défavorable.

 

[34]           Pour résumer sur ce point, il était raisonnable pour la Commission, au vu du dossier, de conclure que la prétention de stérilisation forcée avancée par la demanderesse n’était pas crédible.

 

 

E.         La Commission a-t-elle commis une erreur en faisant abstraction de la preuve documentaire la plus récente quant à l’absence de protection des Roms par l’État?

 

[35]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve documentaires pertinents. Ces éléments de preuve récents démontraient, à leur avis, qu’il y avait bien augmentation des agressions à l’endroit des Roms.

 

[36]           La Commission est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve dont elle était saisie. Le juge Evans a déclaré ce qui suit sur le sujet dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (QL) (Cepeda-Gutierrez), paragraphe 16 :

 [P]ar ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

 

[37]           La Cour d’appel de l’Ontario a succinctement décrit l’obligation d’un tribunal administratif en la matière dans l’arrêt Clifford c. Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670, [2009] O.J. n° 3900 (QL), paragraphe 40 :

[traduction]

[...] [L]es juges majoritaires ont reproché au tribunal de ne pas avoir mentionné des éléments de preuve qui auraient pu l’amener à rendre une décision différente. Je suis encore une fois d’un avis différent. Je l’ai dit, chaque élément de preuve n’a pas à être mentionné pour que les motifs soient suffisants; on doit simplement expliquer adéquatement dans ceux-ci quels étaient les fondements de la décision. [Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[38]           J’admets, quoi qu’il en soit, que le défaut de mentionner un document particulier essentiel (comme le rapport psychologique de l’intéressé) peut faire présumer que la Commission n’a pas examiné ce document (Cepeda-Gutierrez, précité, paragraphe 16). En l’espèce, toutefois, les demandeurs ont cité une preuve documentaire qui ne les visait pas personnellement. Il ressort des motifs de la Commission que celle-ci a bien lu la preuve documentaire contraire à ses conclusions et compris sa nature, et qu’elle a expliqué adéquatement quels étaient les fondements de sa décision. Je conclus que la Commission n’a pas fait abstraction de la preuve à laquelle avaient renvoyé les demandeurs.

 

F.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que l’insuffisance de la protection de l’État était démontrée par le défaut de la police de s’être rendue sur les lieux d’un crime?

 

[39]           Les demandeurs ont soutenu devant la Commission, au sujet d’une agression particulière qu'ils affirmaient qu'elle avait eu lieu, que le défaut de la police de s’être rendue sur les lieux du crime faisait douter de la capacité de l’État de protéger ses citoyens contre les agressions à caractère raciste. La Commission a formulé le commentaire suivant en réponse à cet argument : « Il est difficile de comprendre quels bénéfices pourraient tirer les policiers en allant sur la scène de l’incident bien après le départ de toutes les personnes. » Selon les demandeurs, le défaut de la police de s’être présentée sur les lieux d’un crime démontre sans équivoque que la protection de l’État n’était pas adéquate et que la conclusion de la Commission était déraisonnable.

 

[40]           Peut-être serais-je du même avis que les demandeurs si la preuve avait démontré que les policiers refusaient toujours de se rendre sur les lieux d’un crime, mais il n’en a pas été ainsi en l’espèce. La lecture du reste du paragraphe permet d’inscrire en contexte la déclaration contestée de la Commission. Celle-ci a en a effet conclu, dans la situation d’espèce où les demandeurs n’avaient pu fournir quelque détail que ce soit sur le crime qui aurait été commis, que le défaut de la police de s’être une fois rendue sur les lieux d’un crime ne remettait pas en question la capacité ou la volonté générale de l’État d’offrir sa protection. Aucune erreur n’a été commise.

 

IV.       Observations additionnelles

 

[41]           La décision Cervenakova, précitée, ayant été rendue le jour même de la présentation des plaidoiries dans la présente affaire, j’ai autorisé les parties à présenter des observations écrites additionnelles sur l’incidence éventuelle de cette décision sur le présent contrôle judiciaire. Les deux parties ont soumis des commentaires. Les demandeurs ont attiré mon attention sur la mention dans la décision d’autres commentaires provocateurs formulés par le ministre, et avancé des arguments quant au fait qu’on pourrait considérer que ces commentaires donnent naissance à une crainte raisonnable de partialité. J’ai rejeté la tentative ainsi faite d’ajouter au dossier dont je suis actuellement saisie. Même si j’étais disposée à examiner ce nouvel élément, toutefois, cela ne changerait en rien ma décision dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

[42]           Les demandeurs ont en outre fait valoir dans leurs observations écrites que la Cour, dans Cervenakova, et le défendeur, en l’espèce, ont erronément appliqué le critère de préjugé réel plutôt que celui de crainte raisonnable de partialité. Ces arguments des demandeurs pourraient bien être hors de propos, étant donné qu'ils auraient pu être présentés à l’audience. Même en considérant ces arguments comme étant une réponse opportune à la demande d’observations, toutefois, je suis d’avis, après examen attentif de la décision Cervenakova, que le juge Crampton y a appliqué le bon critère. Le principe de courtoisie judiciaire demeure par conséquent applicable.

 

V.        Conclusion

 

[43]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[44]           Les demandeurs ont proposé que la question suivante soit certifiée :

[traduction]

Est-ce que les commentaires catégoriques faits par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, soit qu’il était [traduction] « difficile de croire que la République tchèque est un îlot de persécution en Europe », engendrent une crainte raisonnable de partialité, même si la CISR avait publié simultanément des documents de fond qui sont équivoques et imprécis sur ce même point, compte tenu de la baisse marquée du taux d’acceptation de Roms tchèques au cours de la période pertinente.

 

[45]           Subsidiairement, les demandeurs proposent la question suivante :

[traduction]

Est-ce que des opinions exprimées par un ministre au sujet de la résolution de dossiers confiés à un tribunal administratif indépendant peuvent engendrer une crainte raisonnable de partialité même quand ces opinions se fondent de façon sélective sur certains documents internes produits par le tribunal administratif indépendant?

 

[46]           Le défendeur s’oppose à la certification de l’une et l’autre questions.

 

[47]           Comme l’a reconnu l’avocat des demandeurs, ce sont là les mêmes questions que celles proposées au juge Zinn dans l’affaire Gabor, précitée. Or dans Gabor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1231, le juge Zinn a refusé de certifier l’une et l’autre questions. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés par le juge Zinn, je refuse également de certifier ces questions.

 

[48]           Dans une lettre à la Cour datée du 21 décembre 2010, l’avocat des demandeurs a proposé trois questions révisées en vue de leur certification. L’avocat n’avait pas demandé de délai additionnel pour pouvoir proposer des questions et la Cour n’avait pas accordé un tel délai. La Cour rejette les questions nouvellement formulées.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2091-10

 

INTITULÉ :                                       ROBERT ZUPKO ET AL.

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 DÉCEMBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 DÉCEMBRE 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Max Berger

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Gregory G. George

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Max Berger Professional Law Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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