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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20101217

Dossier : IMM-1560-10

Référence : 2010 CF 1298

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 17 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

 

AYOKANMI DEJI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne la décision par laquelle une commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a rejeté la demande d’asile du demandeur en se basant sur la conclusion que celui-ci n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. La demande de protection du demandeur est fondée sur ses opinions politiques à l’égard de la corruption policière au Nigeria.

 

[2]               Le demandeur a présenté la preuve suivante à l’appui de sa demande. M. Deji, un citoyen nigérian, possédait et exploitait un autobus commercial de passagers à Ibadan, au Nigeria. En décembre 2006, son autobus a été intercepté par la police locale. Les policiers lui ont demandé de leur verser un pot-de-vin, ce que M. Deji était habitué de faire. Toutefois, à cette occasion, il n’avait pas pu payer un pot-de-vin, faute d’avoir suffisamment d’argent. Lorsque M. Deji a commencé à s’en aller avec son véhicule, les policiers se sont montrés agressifs envers lui, et l’un des agents a fait feu avec son arme et a blessé grièvement l’un des passagers de l’autobus de M. Deji. Avec le soutien de son syndicat des travailleurs des transports, M. Deji a tenté de déposer une plainte officielle auprès de la police. La plainte a finalement été reçue par la police, mais M. Deji croit que c’est cette plainte qui est à l’origine de son arrestation illégale et de ses cinq semaines de détention, au cours desquelles il aurait été torturé et battu par ses compagnons de cellule. En outre, à une deuxième occasion, le père et le frère de M. Deji ont été arrêtés parce que les policiers n’avaient pas pu trouver M. Deji chez lui; son frère est décédé en détention. À ce moment-là, M. Deji se cachait chez sa tante. Puisqu’il se considérait comme une cible pour la police et craignait pour sa sécurité personnelle, M. Deji a fui le Nigeria pour venir au Canada en mars 2007. La SPR a entendu la demande d’asile du demandeur le 6 novembre 2009 et a rendu sa décision lui refusant le statut de réfugié le 26 février 2010.

 

[3]               En rejetant la demande de M. Deji, la commissaire de la SPR a formulé la conclusion générale suivante : « le tribunal estime qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi relativement à des aspects fondamentaux du témoignage du demandeur d’asile et de la preuve documentaire […] [et que] le demandeur d’asile n’a pas fourni d’éléments de preuve crédibles quant aux événements qui ont mené à sa fuite du Nigeria ou au risque auquel il s’exposerait s’il devait y retourner » (dossier du tribunal, page 5). À l’appui de cette conclusion, la commissaire a renvoyé à plusieurs éléments de preuve que « le tribunal n’a pas jugés crédibles » (dossier du tribunal, page 5).

 

[4]               L’avocat de M. Deji a soutenu que, du fait des exemples qu’elle a utilisés, la commissaire de la SPR, dans sa décision de rejeter la demande d’asile du demandeur, a tiré des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire (dossier de la demande, page 111). Les conclusions que j’estime décisives se divisent en deux catégories : celles qui ne sont pas étayées par la preuve au dossier et celles qui sont essentiellement des conclusions d’invraisemblance ne reposant sur aucune attente raisonnable. Pour les motifs qui suivent, j’accepte l’argument de l’avocat.

 

Les conclusions de fait erronées

[5]               La commissaire de la SPR a mis en doute l’aide apportée à M. Deji par son syndicat des travailleurs des transports pour le dépôt d’une plainte auprès de la police à l’encontre des policiers. Au paragraphe 7 de sa décision, la commissaire de la SPR a conclu, au sujet du représentant syndical ayant aidé M. Deji à déposer sa plainte auprès de la police, que : « le dirigeant syndical n’a pas l’autorité nécessaire pour enquêter sur la police » (dossier du tribunal, page 5). L’avocat du demandeur a fait valoir que le tribunal avait dénaturé les faits. J’en conviens. Au cours de son audience, M. Deji n’a jamais prétendu que le syndicat ou le représentant syndical avait eu l’intention d’enquêter sur la police. Il a plutôt expliqué que le représentant syndical devait l’aider à porter plainte à la police (dossier du tribunal, pages 204 et 205).

 

[6]               Au paragraphe 7 de sa décision, la commissaire de la SPR a conclu que M. Deji « ne pouvait pas expliquer ce qui est arrivé à son autobus […] ». Or, au cours de sa plaidoirie, l’avocat de M. Deji a renvoyé au dossier certifié du tribunal pour affirmer que, dans les faits, M. Deji avait expliqué à la commissaire que le propriétaire original de l’autobus, à qui M. Deji devait toujours de l’argent, avait repris possession du véhicule alors que M. Deji était détenu par la police. En fait, M. Deji a fourni cette explication à la commissaire à deux reprises au cours de l’audience (dossier du tribunal, pages 205 et 217). Je suis d’accord avec l’avocat de M. Deji quant au caractère erroné de la conclusion de la Commission.

 

[7]               La commissaire de la SPR a remis en question les lettres fournies par M. Deji à l’appui de sa demande d’asile; elle a écrit qu’« il n’y avait pas d’éléments de preuve dignes de foi relativement au moment où les lettres du Nigeria ont été écrites ou envoyées au demandeur d’asile » (dossier du tribunal, page 7). L’avocat de M. Deji a soutenu que la totalité des documents présentés à la commissaire de la SPR portaient leur date de délivrance (dossier de la demande, page 114). La considération la plus importante, toutefois, est que la commissaire de la SPR a omis de fournir des motifs clairs pour appuyer sa conclusion non fondée, qui ne repose sur rien d’autre qu’un simple soupçon. En conséquence, cette conclusion est déraisonnable.

 

[8]               Par ailleurs, la commissaire de la SPR a émis des doutes à l’égard du décès du frère de M. Deji; elle a écrit ce qui suit dans sa décision : « le demandeur d’asile n’a pas été en mesure de fournir une explication cohérente ou raisonnable quant aux deux dates de décès de son frère » (dossier du tribunal, page 7). L’avocat de M. Deji a fait valoir que l’explication du demandeur était raisonnable (dossier de la demande, page 114). Il ressort de la lecture de la transcription de l’audience que la commissaire de la SPR s’est davantage préoccupée des deux dates inscrites sur les certificats de décès que du fait qu’il y avait deux certificats de décès et qu’ils étaient manifestement des documents officiels. Nonobstant cette observation, l’explication de M. Deji au sujet de ces deux dates est que son père a uniquement été informé du décès du frère de M. Deji le 1er mars 2007, alors que la véritable date du décès était apparemment le 26 février 2007. En ce qui concerne les deux certificats de décès, M. Deji a également expliqué, au cours de l’audience, que les deux avaient été délivrés au Nigeria, l’un à Ibadan, et l’autre à Lagos, en attendant l’inhumation de son frère dont s’est chargé un membre du clergé (dossier du tribunal, pages 193, 194 et 228). J’estime que la conclusion de la commissaire de la SPR selon laquelle M. Deji n’avait pas fourni d’explication cohérente ou raisonnable au sujet des certificats de décès est déraisonnable.

 

Les conclusions erronées relatives à l’invraisemblance

[9]               En ce qui a trait à la mise en liberté de M Deji par la police alors qu’il souffrait de troubles gastro-intestinaux, la commissaire de la SPR a remis en question le fait que la police n’avait pas exigé de pots-de-vin. Au paragraphe 7 de sa décision, la commissaire a conclu que le « demandeur d’asile ne pouvait pas expliquer la raison pour laquelle la police n’avait pas demandé de pots‑de‑vin » (dossier du tribunal, page 5). L’avocat de M. Deji a fait valoir qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de s’attendre à ce que M. Deji fournisse une hypothèse quant aux raisons pour lesquelles la police ne lui avait pas demandé de pots-de-vin et de tirer une conclusion défavorable relative à la crédibilité au motif que M. Deji était incapable de fournir une réponse (dossier de la demande, pages 112 et 113). Je suis d’accord. À mon sens, il était déraisonnable d’exiger une réponse à cette question, car on ne pouvait tenir pour acquis que M. Deji était au fait des motivations de la police, et toute réponse qu’il aurait donnée à cet égard n’aurait été que supposition.

 

[10]           Qui plus est, la commissaire de la SPR a contesté la fuite de M. Deji du Nigeria; elle a affirmé qu’il « ne pouvait pas expliquer la raison pour laquelle il a quitté le pays alors qu’il était sur le point de poursuivre la police devant les tribunaux en raison de sa corruption, de ses activités illégales, du décès présumé de son frère et des prétendues arrestation et détention illégales de lui‑même et de son père » (dossier du tribunal, page 8). L’avocat de M. Deji a allégué qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que M. Deji confronte ses persécuteurs au lieu de prendre la fuite (dossier de la demande, page 115). J’en conviens. Je conclus que poser à M. Deji cette question, à laquelle il ne peut fournir qu’une réponse qui va de soi, est déraisonnable.

 

[11]           De façon semblable, la commissaire de la SPR a émis l’hypothèse que si la police était à la recherche de M. Deji, on aurait mis en détention des membres de sa famille à sa place. L’avocat de M. Deji a soutenu qu’il s’agissait là d’une attente déraisonnable, compte tenu du fait qu’on avait déjà arrêté le père et le frère de M. Deji lorsqu’on n’avait pas pu trouver M. Deji à sa résidence (dossier de la demande, page 115). Puisque ces arrestations avaient déjà eu lieu avant la fuite de M. Deji, et dans la mesure où la menace proférée contre lui s’était déjà matérialisée, il n’y avait aucune raison sur le plan de la preuve pour que la SPR s’attende à ce qu’on arrête de nouveau des membres de la famille de M. Deji après son départ.

 

[12]           Par conséquent, je conclus que la décision contestée est entachée d’erreurs susceptibles de contrôle judiciaire.


ORDONNANCE

 

En conséquence, la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

 

Il n’y a pas de question aux fins de certification.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Julie-Marie Bissonnette


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1560-10

 

INTITULÉ :                                       AYOKANMI DEJI

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre 2010

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adetayo G. Akinyemi

 

 

Melissa Mathieu

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Adetayo G. Akinyemi

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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