Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20101208

Dossier :  IMM-1823-10

Référence :  2010 CF 1247

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2010

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

BRIGITTE GARAS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]            Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision datée du 15 mars 2010 par laquelle un agent d’immigration a refusé la demande de résidence permanente présentée par la demanderesse depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

 

Contexte

[2]            Brigitte Garas (la demanderesse) est née en France le 11 mars 1971. En 1994, alors qu’elle vivait en France, elle a entamé une relation avec Michael Chamas. Ils ont commencé à vivre ensemble peu de temps après et sont toujours ensemble aujourd’hui. La demanderesse et M. Chamas ont eu trois enfants : Allen, né le 4 novembre 1995, Ines, née le 3 novembre 2001 et Michael fils, né le 21 avril 2008. Allen est né en France tandis qu’Ines et Michael fils sont nés au Canada. Les trois enfants sont des citoyens canadiens, tout comme M. Chamas qui est devenu citoyen canadien en octobre 1995.

 

[3]            La demanderesse est arrivée au Canada à titre de visiteuse le 16 septembre 1996. Elle habite avec M. Chamas et leurs enfants depuis ce temps. Il n’y a aucune documentation officielle dans le dossier de la Cour concernant le statut de la demanderesse pour les neuf premières années qu’elle a passées au pays.

 

[4]            Cependant, le 24 septembre 2002, une note a été enregistrée dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) par un agent des douanes à l’Aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal, lequel a permis à la demanderesse de rentrer au Canada (vraisemblablement après un voyage à l’étranger). L’agent a dit qu’il a avisé la demanderesse de prendre les mesures nécessaires pour faire une demande de résidence permanente au cours des 6 prochains mois.

 

[5]            Toutefois, la demanderesse indique dans son affidavit que ce n’est qu’en 2004 qu’elle a consulté un avocat au sujet de son statut temporaire au Canada. Elle soutient avoir bel et bien payé un avocat pour faire une demande de résidence permanente en son nom en 2004, mais que ce dernier n’a rien fait.

 

[6]            Le 5 juillet 2006, la demanderesse a encore une fois été arrêtée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à l’Aéroport Montréal-Trudeau à son retour d’un autre voyage à l’étranger. Cette fois, l’agent a jugé que la demanderesse était interdite de territoire compte tenu du fait qu’elle habitait au Canada depuis neuf ans et qu’elle n’avait jamais demandé le statut de résidente permanente. Par la suite, elle a pu rentrer au Canada, mais une mesure d’exclusion a été prononcée contre elle le 11 juillet 2006, avec prise d’effet le 21 juillet 2006.

 

[7]            Le 12 juillet 2006, la demanderesse a déposé une demande de permis de séjour temporaire (PST). Cette demande a été accordée le 7 août 2006 et le permis était valide jusqu’au 6 août 2007. La mesure d’exclusion du 11 juillet 2006 n’a donc pas été exécutée.

 

[8]            Le 11 août 2006, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire conformément au paragraphe 25(1) de la Loi, ainsi qu’une demande de parrainage par son conjoint de fait, M. Chamas. La demanderesse a présenté sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en s’appuyant sur son établissement au Canada, sur l’intérêt supérieur de ses enfants (plus particulièrement sur les difficultés d’apprentissage qu’éprouvait Allen depuis plusieurs années) et sur son conjoint de fait canadien, M. Chamas (pour le soutien financier, etc.).

 

[9]            La demanderesse a demandé le renouvellement de son PST durant l’été 2007, ce qui a été accordé. Le permis renouvelé était valide jusqu’en août 2008.

 

[10]        Le 2 juillet 2008, la demanderesse a présenté une troisième demande de renouvellement de son PST. Le 19 septembre 2008, cette demande a été refusée. On a ordonné à la demanderesse de quitter le Canada et on lui a dit que si elle n’obtempérait pas, des [traduction] « mesures d’exécution seraient prises contre [elle] ».

 

[11]        Le 27 avril 2009, la demande de résidence permanente de la demanderesse a été rejetée. Le rejet de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a également entraîné le rejet de sa demande de parrainage. Une décision distincte a été rendue à cet effet le 27 avril 2009. Aucune raison n’a été donnée pour le rejet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[12]        Le 5 mai 2009, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision refusant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Le 29 mai 2009, la demanderesse a reçu les « motifs », soit quelques notes brèves provenant du SSOBL; l’intérêt supérieur des enfants n’était pas mentionné dans les notes. Le 14 août 2009, le ministre défendeur a consenti à ce que la demande de résidence permanente de la demanderesse soit réexaminée par un autre agent d’immigration en ce qui a trait aux motifs d’ordre humanitaire.

 

[13]        Le 15 mars 2010, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires de la demanderesse a de nouveau été rejetée.

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[14]        Dans ses motifs, l’agente d’immigration a identifié les deux principaux motifs d’ordre humanitaire invoqués par la demanderesse : a) son établissement au Canada et b) l’intérêt supérieur de ses enfants. L’agente a conclu que les motifs présentés par la demanderesse ne suffisaient pas à justifier une exemption à la Loi.

 

[15]        L’agente a commencé par examiner le degré d’établissement de la demanderesse au Canada. Bien que la demanderesse habite au Canada depuis plusieurs années (c.-à-d. depuis septembre 1996), l’agente a accordé un poids important au fait que la demanderesse ne s’est pas conformée aux lois et règlements en matière d’immigration en restant au Canada pendant cette période sans demander sa résidence permanente, demande qu’elle n’a faite qu’en août 2006. L’agente a explicitement souligné le défaut de la demanderesse de respecter les directives formulées le 24 septembre 2002 lui ordonnant de faire une demande de résidence permanente dans un délai de 6 mois.

 

[16]        L’agente a également souligné que la demanderesse prétendait dépendre de son conjoint de fait, M. Chamas, un citoyen canadien, sur le plan financier. Or, M. Chamas se trouvait dans une situation financière précaire en raison d’une dette fiscale, mais était assez mobile malgré tout. Compte tenu de cette mobilité, l’agente a conclu qu’il continuerait de soutenir la demanderesse même si elle devait quitter le Canada. En ce qui concerne le soutien des membres de sa famille et de ses amis, bien que l’agente ait reconnu que la demanderesse a de la famille et des amis au Canada, elle a souligné que cette dernière a également de la famille en France. Plus particulièrement, l’agente a précisé que la demanderesse est restée en contact avec sa mère, sa sœur et son demi-frère en France. L’agente a conclu que ses proches seraient donc en mesure de lui apporter un soutien moral et logistique à son retour en France. De plus, l’agente a noté que puisque la demanderesse était habituée à voyager (10 dates d’entrées distinctes ont été enregistrées sur son passeport français depuis sa délivrance en décembre 2004), se rendre en France pour ensuite y faire une demande de résidence permanente au Canada ne lui causerait pas de difficultés inhabituelles.

 

[17]        En fin de compte, en ce qui concerne la question de l’établissement, l’agente a indiqué que même si elle accordait un certain poids à l’établissement de la demanderesse au Canada, cette dernière n’avait pas démontré que le fait de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

[18]        Ensuite, l’agente a examiné la question de l’intérêt supérieur des enfants de la demanderesse. Elle a noté les difficultés d’apprentissage d’Allen et la prétention selon laquelle tout changement futur dans sa vie pourrait lui causer préjudice. À cet égard, l’agente s’est appuyée sur les divers rapports concernant les difficultés d’apprentissage d’Allen. Elle a porté son attention sur le rapport du 13 juillet 2009, qui révèle qu’Allen vivait de l’anxiété et avait de la difficulté à s’adapter au changement. L’agente a par ailleurs souligné que la demanderesse n’avait pas précisé le type préjudice que subirait Allen s’il devait accompagner sa mère à l’extérieur du Canada. De plus, le rapport du 13 juillet 2009 n’indiquait pas précisément quels évènements traumatisants avaient déclenché l’anxiété d’Allen. L’agente a également mentionné qu’Allen avait récemment réussi à s’adapter à un changement important, soit le passage du primaire au secondaire. De plus, l’agente a souligné que le système scolaire en France est similaire à celui du Canada et que les services qu’Allen reçoit au Canada seraient également disponibles en France. L’agente a donc conclu qu’il était raisonnable de croire que si les enfants et le conjoint de la demanderesse décidaient de quitter le Canada avec elle, la mise en place d’une planification et d’une supervision adéquates permettraient à Allen de s’adapter à la vie en France.

 

[19]        L’agente a ensuite examiné brièvement la situation des deux autres enfants. Elle a indiqué qu’Ines n’éprouvait aucun problème à l’école et que puisque le système scolaire français est similaire à celui du Canada, elle s’adapterait bien au changement si elle déménageait en France avec sa mère. Quant à Michael fils, l’agente a affirmé que pour un bébé, le lieu de vie importe peu, tant qu’il est avec sa mère.

 

[20]        Dans sa conclusion, l’agente a indiqué qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait démontré qu’elle s’exposerait à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives si elle devait faire une demande de résidence permanente  depuis l’étranger.

 

Questions en litige

[21]        La demanderesse soutient que l’agente a commis plusieurs erreurs susceptibles de révision. Elle reproche essentiellement à l’agente d’avoir évalué déraisonnablement la question de son établissement et de l’intérêt supérieur de ses enfants. La présente demande soulève donc la question suivante :

 

1)      La décision par laquelle l’agente a refusé la demande de dispense était-elle déraisonnable?

 

 

Norme de contrôle

[22]        Il est bien établi que lors du contrôle judiciaire de décisions portant sur des motifs d’ordre humanitaire, lesquelles sont hautement discrétionnaires, la Cour doit appliquer la norme déférente de la raisonnabilité (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 174 DLR (4th) 193, par. 62; Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 R.C.F. 360, par. 18). La même norme s’applique à l’égard de l’appréciation de la preuve par le décideur (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 53; Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 798 (disponible sur CanLII); Ndam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 513 (disponible sur CanLII) par. 4). La cour ne doit pas procéder à une nouvelle appréciation de la preuve ni pondérer à nouveau les facteurs appliqués par le décideur ou encore substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du décideur à moins de l’existence d’une erreur manifeste ou de conclusions de fait arbitraires.

 

[23]        L’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, établit le rôle de la Cour dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

Cadre législatif

[24]        L’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire constitue une exception au principe selon lequel un étranger qui veut obtenir le statut de résident permanent canadien doit présenter sa demande à partir de l’étranger. Cette exigence est prévue au paragraphe 11(1) de la Loi, qui est rédigé de la façon suivante :

Visa et documents

 

 

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

Application before entering Canada

 

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

 

[25]        Le paragraphe 25(1) de la Loi est libellé comme suit :

 

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

 

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

 

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

  

 

[26]        Dans Serda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, 146 A.C.W.S. (3d) 1057, le juge De Montigny a souligné la nature exceptionnelle de l’exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi. Il a indiqué au paragraphe 20 :

L’une des pierres angulaires de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est l’obligation, pour les personnes qui souhaitent s’établir de manière permanente au Canada, de soumettre avant leur arrivée au Canada une demande hors du Canada, de satisfaire aux critères relatifs au statut de résident permanent et d’obtenir un visa de résidence permanente. L’article 25 de la Loi donne au ministre la possibilité d’autoriser certaines personnes, dans les cas qui le justifient, à déposer leur demande depuis le Canada. Cette mesure se veut clairement une mesure d’exception, comme l’indique le libellé de cette disposition.

 

En effet, la mesure prévue au paragraphe 25(1) est exceptionnelle et discrétionnaire (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358, par. 15; De Leiva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 717 (disponible sur CanLII) par. 15.

 

[27]        Dans Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a clairement défini le rôle de la Cour dans le cadre du contrôle d’une décision discrétionnaire comme en l’espèce :

 

37        C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter les passages de Baker où il est question de l’« importance accordée » à certains facteurs (par. 68 et 73-75).  Il n’incombait à personne d’autre qu’au ministre d’accorder l’importance voulue aux facteurs pertinents. […]

 

38        Cette norme tient dûment compte des diverses obligations du Parlement, du ministre et du tribunal de révision.  Le Parlement a pour tâche d’établir, conformément aux  limites fixées par la Constitution, les critères et procédures applicables en matière d’expulsion.  Le ministre doit rendre une décision conforme à la fois à la Constitution et aux critères et procédures établis par le Parlement.  Enfin, le rôle du tribunal appelé à contrôler la décision du ministre consiste à déterminer si celui-ci a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux limites imposées par les lois du Parlement et la Constitution.  Si le ministre a tenu compte des facteurs pertinents et respecté ces limites, le tribunal doit confirmer sa décision.  Il ne peut l’annuler,  même s’il avait évalué les facteurs différemment et était arrivé à une autre conclusion.

 

[28]        La Loi et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) ne précisent pas ce que constituent les « considérations d’ordre humanitaire ». Dans Baker, précité, au paragraphe 74, la Cour suprême du Canada a donc indiqué (en traitant de la disposition antérieure à l’actuel paragraphe 25(1)) que la Loi ne donne au demandeur invoquant des motifs d’ordre humanitaire aucun droit à l’application d’un critère juridique particulier (voir aussi Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 177, 405 N.R. 275, par. 39).

 

[29]        Néanmoins, notre Cour a statué à maintes reprises que la partie demanderesse doit démontrer qu’elle éprouverait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives si elle était tenue de présenter sa demande à l’étranger afin que sa demande de résidence permanente présentée depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire soit accueillie (Rachewiski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 244, 365 F.T.R. 1, par. 26; Sharma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1006 (disponible sur CanLII) par. 9; Pashulya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1275, 133 A.C.W.S. (3d) 1039, par. 43, Monteiro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1322, 166 A.C.W.S. (3d) 556, par. 20).

 

[30]        Citoyenneté et Immigration Canada publie des directives administratives pour aider ses agents lors de l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1). Ces directives n’ont pas d’effet obligatoire et ne visent pas à remplacer le pouvoir discrétionnaire des agents (Rogers c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 26, 339 F.T.R. 191, par. 34; et Legault, précité, par. 20). Toutefois, elles sont considérées comme étant « très utiles » à la Cour en matière de contrôle judiciaire (Legault, précité, par. 20; Baker, précité, par. 72). Les directives applicables sont énoncées dans le manuel IP 5 (Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire). Ces directives indiquent que « les difficultés sont évaluées en soupesant ensemble toutes les circonstances d’ordre humanitaire soumises par le demandeur » et prévoient deux types particuliers de difficultés, soit des difficultés « inhabituelles et injustifiées » et des difficultés « démesurées », lesquelles sont définies comme suit à la rubrique 5.6 :

Évaluation des difficultés

 

L’évaluation des difficultés dans une demande CH est un moyen pour les décideurs de CIC de déterminer s’il existe des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier l’octroi de la dispense demandée.

 

Quand on détermine les difficultés auxquelles un demandeur s’expose, il faut examiner les circonstances d’ordre humanitaire qu’il fait valoir globalement et non isolément. En d’autres mots, les difficultés sont évaluées en soupesant ensemble toutes les circonstances d’ordre humanitaire soumises par le demandeur.

 

Difficultés inhabituelles et injustifiées

Les difficultés auxquelles s’exposerait le demandeur (s’il n’obtenait pas la dispense demandée) seraient, dans la plupart des cas, inhabituelles. En d’autres mots, il s’agit de difficultés non prévues à la Loi ou au Règlement; et

 

Les difficultés auxquelles s’exposerait le demandeur (s’il n’obtenait pas la dispense demandée) seraient, dans la plupart des cas, le résultat de circonstances indépendantes de sa volonté.

 

OU

 

Difficultés démesurées

 

Il peut aussi exister des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes dans des cas où les difficultés entraînées par le refus de la dispense ne seraient pas considérées comme « inhabituelles et injustifiées », mais auraient des répercussions déraisonnables sur le demandeur en raison de sa situation personnelle.

 

[31]        Dans Irimie c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immmigration), [2000] A.C.F. no 1906, 10 Imm. L.R. (3d) 206, le juge Pelletier a traité comme suit du sens à donner au concept de « difficultés inhabituelles ou injustifiées » :

12        Si l'on examine ensuite les commentaires qui figurent dans le Guide au sujet des difficultés inhabituelles ou injustifiées, on conclut que ces difficultés sont appréciées par rapport à la situation d'autres personnes à qui l'on demande de quitter le Canada. Il semblerait donc que les difficultés qui déclencheraient l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire pour des raisons d'ordre humanitaire doivent être autres que celles qui découlent du fait que l'on demande à une personne de partir une fois qu'elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu'une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l'exercice du pouvoir discrétionnaire en question.

 

[…]

 

26        Je reviens à l'observation que j'ai faite, à savoir que la preuve donne à entendre que les demandeurs s'intégreraient avec succès dans la collectivité canadienne. Malheureusement, tel n'est pas le critère. Si l'on appliquait ce critère, la procédure d'examen des demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire deviendrait un mécanisme d'examen ex post facto l'emportant sur la procédure d'examen préalable prévue par la Loi sur l'immigration et par son règlement d'application. Cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester. La procédure applicable aux demandes fondées sur des raisons d'ordre humanitaire n'est pas destinée à éliminer les difficultés; elle est destinée à accorder une réparation en cas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Le refus de la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire causera sans doute des difficultés aux demandeurs, mais eu égard aux circonstances de leur présence au Canada et à l'état du dossier, il ne s'agit pas d'une difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive. Quelle que soit la norme de contrôle que l'on applique à la décision de l'agente qui a examiné la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, cette décision satisfait à la norme. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

 

 

La décision par laquelle l’agente a refusé la demande de dispense était-elle déraisonnable?

[32]        La demanderesse prétend que la décision de l’agente est susceptible de contrôle en raison de plusieurs erreurs et omissions.

 

[33]        Premièrement, la demanderesse prétend que l’agente a commis une erreur en n’examinant pas les difficultés qu’éprouveraient ses enfants s’ils devaient demeurer au Canada sans elle. La demanderesse s’appuie sur la décision de la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 C.F. 555, qui crée une obligation d’examiner « les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant [que l’enfant] quitte le Canada volontairement si [l’enfant] souhaite accompagner son parent à l’étranger » (Hawthorn, précité, par. 4).

 

[34]        Deuxièmement, la demanderesse soutient que l’agente a également commis une erreur en n’examinant pas comme « facteur » le fait que la demanderesse pourrait ne pas être en mesure de revenir au Canada à titre d’immigrante indépendante advenant le rejet de sa demande de résidence permanence pour des motifs humanitaires. La demanderesse affirme que cette question a été analysée par la CAF au paragraphe 21 de l’arrêt Hawthorn, précité.

 

[35]        Troisièmement, la demanderesse allègue que l’agente a commis une erreur susceptible de révision en s’appuyant sur la présumée similarité entre les systèmes scolaires français et canadien afin d’examiner la question de l’intérêt supérieur des enfants. Selon elle, aucune preuve n’appuyait la conclusion de l’agente à l’égard de la nature du système scolaire français.

 

[36]        Quatrièmement, la demanderesse prétend que l’agente a minimisé plusieurs rapports d’experts pour conclure que son fils aîné, Allen, serait en mesure de s’adapter advenant son départ du Canada. Elle fait valoir que l’agente a fondé sa conclusion sur ce point uniquement sur le fait qu’Allen avait été capable de bien s’adapter à la transition entre l’école primaire et l’école secondaire. Par conséquent, l’agente ne se serait pas montrée réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur d’Allen.

 

[37]        Cinquièmement, la demanderesse soutient que l’agente a commis une erreur en n’examinant pas l’union de fait avec M. Chamas, un citoyen canadien, ou le formulaire de demande de parrainage par un conjoint présenté au soutien de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Elle allègue qu’il s’agit du facteur principal sur lequel se fonde sa demande et qu’il est contraire aux articles 5.13, 5.15, 12.1 et 12.3 du manuel IP 5 de ne pas en tenir compte.

 

[38]        Enfin, la demanderesse prétend que l’agente a commis une erreur en concluant que la demanderesse a contourné les lois en matière d’immigration en restant au Canada pendant une longue période sans faire de demande de résidence permanente. Elle soutient qu’elle a été autorisée à rentrer au Canada à maintes reprises à titre de visiteuse et qu’elle a conservé ce statut juridique pendant ce temps (jusqu’à très récemment). Elle fait valoir que le paragraphe 22(2) de la Loi, qui prévoit que « [l]’intention [que l’étranger] a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ». Cette erreur est importante selon la demanderesse parce que l’agente a dit qu’elle y a accordé un poids important dans l’analyse relative à l’établissement.

 

Intérêt supérieur des enfants

[39]        La demanderesse allègue que l’agente a commis une erreur en évaluant de façon inadéquate l’intérêt supérieur de ses enfants en ce qu’elle a uniquement examiné la situation où les enfants devaient quitter le Canada pour aller en France avec leur mère et les conséquences s’y rapportant. La demanderesse soutient qu’il incombait à l’agente de discuter également de l’hypothèse où les enfants resteraient au Canada et seraient séparés de leur mère. La demanderesse s’appuie sur le paragraphe 4 de l’arrêt Hawthorne, précité, pour étayer sa proposition :

On détermine l’« intérêt supérieur de l’enfant » en considérant le bénéfice que retirerait l’enfant si son parent n’était pas renvoyé du Canada ainsi que les difficultés que vivrait l’enfant, soit advenant le renvoi de l’un de ses parents du Canada, soit advenant qu’elle quitte le Canada volontairement si elle souhaite accompagner son parent à l’étranger. Ces bénéfices et difficultés constituent les deux côtés d’une même médaille, celle-ci étant l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[40]        Toutefois, la CAF dans Hawthorne a poursuivi en affirmant qu’aucune formule magique ne devrait être imposée aux agents d’immigration dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire lorsqu’il s’agit d’examiner l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il ne faut pas privilégier la forme au détriment du fond (Hawthorne, précité, par. 7 et 37).

 

[41]        Il est en effet bien reconnu qu’il incombe à la partie demanderesse qui invoque des motifs d’ordre humanitaire d’établir le fondement de sa demande et de présenter des preuves pour étayer ce fondement. Dans Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 F.C.R. 635, par. 8, le juge Evans a souligné la responsabilité du demandeur à cet égard :

[…] puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n’a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l’intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l’agente n’ait d’autre choix que d’en tenir compte.

 

[42]        La CAF a repris ce même principe dans Kisana, précité.

 

[43]        Dans Ahmad c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 646, 167 A.C.W.S. (3d) 974, le demandeur prétendait que l’agent d’immigration avait commis une erreur en n’examinant pas le fait que sa fille serait victime de discrimination si elle devait retourner au Pakistan. La juge Dawson a rejeté cet argument parce que la demanderesse ne l’avait pas soulevé dans sa demande originale fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La juge Dawson s’est exprimée comme suit aux paragraphes 36 et 37 :

 

[36]      Les demandeurs n’ont relevé aucune erreur de fait dans l’analyse de l’agente, affirmant plutôt que son cadre d’analyse était trop étroit. Les demandeurs soutiennent que l’agente aurait dû tenir compte de la discrimination que la fille du demandeur, qui est maintenant âgée de huit ans, subirait au Pakistan.

 

[37]      À mon avis, cet argument n’est pas compatible avec le fait que c’était aux demandeurs qu’il incombait de préciser que leur demande était fondée, du moins en partie, sur l’intérêt supérieur des enfants et à qui il incombait de présenter des éléments de preuve pour établir les prétentions sur lesquelles reposait leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Il appartenait aux demandeurs de préciser, avec preuve à l’appui, tout problème auquel un des membres de la famille serait confronté et qui se traduirait par des difficultés que l’on pourrait qualifier d’inusitées, d’injustifiées ou de disproportionnées.

 

[44]        La question à trancher dans Baisie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 953, 132 A.C.W.S. (3d) 350, était similaire à celle soulevée en l’espèce. La demanderesse reprochait à l’agent de ne pas avoir examiné les conséquences possibles sur les enfants advenant qu’ils restent au Canada sans leur mère. La Cour a rejeté cet argument au motif que ce scénario n’était pas envisagé dans le dossier. Voici ce que le juge Mosley a écrit au paragraphe 15 :

 

[15]      À mon avis, vu le peu d’information que lui avait fournie la demanderesse, l’agent a adéquatement pris en compte les intérêts des enfants canadiens de la demanderesse dans son évaluation de la demande CH, conformément aux normes établies dans l’arrêt Baker, précité. Si la demanderesse avait informé l’agent qu’elle avait l’intention de laisser au Canada ses enfants, comme cela était leur droit d’y demeurer, l’agent aurait eu l’obligation d’examiner l’incidence sur eux de la séparation d’avec leur mère et de s’assurer que des dispositions avaient été prises pour subvenir à leur besoin au Canada, et de prendre ainsi en compte leurs intérêts supérieurs. Le dossier révèle, toutefois, que la demanderesse a dit à l’agent qu’elle emmènerait ses enfants avec elle au Ghana et, en fait, en fonction de cette intention, des dispositions ont été prises pour que le défendeur paye les frais de voyage des enfants. Dans ce cas, il était raisonnable que l’agent concentre son attention sur l’incidence que la réinstallation au Ghana avec leur mère aurait sur les enfants. […]

 

[45]        Je souscris au raisonnement du juge Mosley et j’estime qu’il devrait s’appliquer en l’espèce. Selon la demanderesse, l’agente a commis une erreur en n’examinant pas les difficultés qu’éprouveraient ses enfants si elle devait quitter le Canada sans eux. Toutefois, la demanderesse n’a jamais mentionné cette éventualité à l’agente dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ni à quelque moment durant le processus d’examen de sa demande, qui a commencé en 2006. Au contraire, dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’avocate de la demanderesse a conclu comme suit :

[traduction]

Il va sans dire que le renvoi de Brigitte […] ferait en sorte que ses deux enfants la suivraient automatiquement ce qui aurait pour effet de causer non seulement des problèmes émotifs à Allen mais également à sa jeune sœur Ines.

 

[46]        Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’est pas une formule mathématique appliquée dans l’abstrait. L’agent n’a pas la responsabilité d’examiner tous les scénarios qui pourraient possiblement résulter du renvoi du demandeur ou d’examiner des questions essentiellement spéculatives. Le rôle de l’agent est d’évaluer les circonstances spéciales que la partie demanderesse soulève et de déterminer si ces caractéristiques justifient l’application d’une dispense exceptionnelle.

 

[47]        Par conséquent, je conclus qu’en l’espèce la demanderesse n’a pas soulevé la possibilité que ses enfants restent au Canada et que l’agente n’était donc pas tenue d’examiner les répercussions d’un tel scénario sur les enfants.

 

[48]        J’examinerai maintenant l’argument de la demanderesse portant que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en s’appuyant sur les prétendues similarités entre les systèmes scolaires français et canadien dans l’évaluation qu’elle a faite de l’intérêt supérieur de ses enfants. Il est vrai que la conclusion de l’agent sur ce point ne semble pas se fonder sur une preuve documentaire précise. Or, dans la présente affaire, il ne s’agit pas d’une erreur susceptible de révision.

 

[49]        Dans Gomes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 98, 176 A.C.W.S. (3d) 206, notre Cour a examiné une question similaire. L’agent avait conclu que les soins médicaux offerts au Portugal étaient suffisants pour fournir au demandeur les soins dont il avait besoin. Le demandeur soutenait que cette décision était spéculative et ne s’appuyait sur aucune preuve. Le juge Phelan a conclu que la décision de l’agent était raisonnable. Voici comment il s’est exprimé au paragraphe 12 de ses motifs :

 

[12]        Les éléments conjecturaux de la décision découlent de l’omission du demandeur de produire une preuve contraire, comme il était tenu de faire. Lorsqu’il a conclu que le Portugal serait en mesure de fournir des soins médicaux, l’agent a sans aucun doute pris connaissance d’office du fait que le Portugal est membre de l’UE et qu’il est donc doté d’un système médical raisonnable. Le demandeur admet ne pas avoir fourni de preuve pour démontrer que les soins médicaux qui lui sont nécessaires n’étaient pas offerts au Portugal. Même s’il aurait pu être préférable que l’agent déclare tout simplement que le demandeur n’avait pas réussi à s’acquitter de la charge de la preuve à l’égard de cette question, la conclusion selon laquelle le Portugal, selon la prépondérance de la preuve, était en mesure de fournir des soins médicaux n’était pas déraisonnable.

 

[50]        De même, en l’espèce, bien qu’il aurait été préférable que l’agente indique simplement que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de prouver que le système scolaire français ne serait pas suffisant pour répondre aux besoins de ses enfants, la décision finale de l’agent n’était pas déraisonnable. Il ressort également de la décision que la conclusion de l’agent au sujet des similarités entre les systèmes scolaires français et canadien n’était pas déterminante dans l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[51]        Enfin, la demanderesse fait valoir que l’agente n’était pas sensible à l’intérêt supérieur d’Allen parce qu’elle n’a pas examiné adéquatement les rapports portant sur ses difficultés d’apprentissage et a tenu pour acquis qu’il serait en mesure de s’acclimater à la vie en France parce qu’il a été capable de bien s’adapter lors de transition entre l’école primaire et l’école secondaire.

 

[52]        En toute déférence, je ne peux conclure que l’agente n’était pas réceptive et sensible à l’intérêt supérieur d’Allen. L’agente a bien noté les difficultés d’apprentissage d’Allen et a consulté les divers rapports présentés. Elle a plus particulièrement analysé de manière plus détaillée la plus récente lettre du 13 juillet 2009. En fin de compte, elle a conclu, suivant les éléments de preuve dont elle a été saisie, qu’Allen serait en mesure de s’adapter à la vie en France avec sa mère grâce à une planification et une supervision adéquates.

 

[53]        Pour reprendre les mots du juge Mainville dans Medina c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 504 (disponible sur CanLII), au paragraphe 55 : « Ayant conclu que l’agente a traité de la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle de l’agente, sauf si la décision de l’agente faisait en sorte d’excéder le cadre de la raisonnabilité ». La décision de l’agente en l’espèce n’était pas déraisonnable.

 

Établissement

[54]        La demanderesse conteste le fait que l’agente, en analysant son degré d’établissement, a accordé beaucoup de poids au fait qu’elle a vécu au Canada pendant une longue période à titre de visiteuse plutôt que de chercher à obtenir son statut de résidence permanente. La demanderesse soutient que, jusqu’en 2006, son statut était régulier et que l’agente n’a pas examiné l’existence possible d’une double intention au sens de l’article 22 de la Loi.

 

[55]        J’estime que l’évaluation de l’agente à cet égard ne justifie pas l’intervention de la Cour.

 

[56]        Dans Legault, précité, au paragraphe 19, la CAF a clairement mentionné que le comportement du demandeur est pertinent pour trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

 

[19]      Bref, la Loi sur l’immigration et la politique canadienne en matière d’immigration sont fondées sur la prémisse que quiconque vient au Canada avec l’intention de s’y établir doit être de bonne foi et respecter à la lettre les exigences de fond et de forme qui sont prescrites. Quiconque entre illégalement au Canada contribue à fausser le plan et la politique d’immigration et se donne une priorité sur tous ceux qui, eux, respectent les exigences. Le ministre, qui est responsable de l’application de la politique et de la Loi, est très certainement autorisé à refuser la dispense que demande une personne qui a établi l’existence de raisons d’ordre humanitaire, s’il est d’avis, par exemple, que les circonstances de l’entrée ou du séjour au Canada de cette personne la discréditent ou créent un précédent susceptible d’encourager l’entrée illégale au Canada. En ce sens, il est loisible au ministre de prendre en considération le fait que les raisons d’ordre humanitaire dont une personne se réclame soient le fruit de ses propres agissements.

 

[57]        Dans la présente affaire, il n’a pas été allégué que la demanderesse vivait « illégalement » au Canada. Toutefois, le dossier n’explique pas pourquoi la demanderesse, qui habite réellement au Canada depuis 1996 avec l’intention d’y rester de façon permanente, n’a pas demandé son statut de résidente permanente avant 2006. Le dossier révèle qu’en 2002, un agent des douanes à l’Aéroport international Montréal-Trudeau a ordonné à la demanderesse de faire sa demande de résidence permanente au cours des 6 mois suivants. La demanderesse a expliqué qu’elle a retenu les services d’un avocat en 2004, mais n’a jamais dit pourquoi elle a attendu en 2004 pour prendre de telles démarches ni quelles mesures ont été prises à l’égard de sa demande entre 2004 et 2006. De plus, une mesure d’exclusion a été prononcée contre la demanderesse en juillet 2006.

 

[58]        Dans ces circonstances, l’agente n’a pas agi de manière déraisonnable en considérant le dossier d’immigration de la demanderesse comme un facteur pertinent et en concluant que cette dernière ne s’était pas conformée à la Loi en vivant au Canada pendant neuf ans à titre de visiteuse.

 

[59]        En toute déférence, j’estime que le paragraphe 22(2) de la Loi ne peut aider la demanderesse en l’espèce. D’abord, le paragraphe 22(2) est conçu pour permettre de fournir un visa temporaire à un étranger malgré le fait qu’il a l’intention de devenir un résident permanent. Ensuite, ce paragraphe doit être appliqué par un agent d’immigration « sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ».

 

[60]        L’agente n’était pas tenue d’appliquer l’article 22 de la Loi et, quoi qu’il en soit, la « double intention » de la demanderesse n’aurait pas empêché l’agent d’examiner la durée de la période qui s’est écoulée depuis son arrivée au Canada en 1996 à titre de visiteuse.

 

[61]        Compte tenu de ce qui précède, il n’était pas déraisonnable de la part de l’agente de considérer le choix qu’a fait la demanderesse de rester au Canada pendant une longue période sans demander son statut de résidente permanente comme un facteur pertinent aux fins d’évaluer le degré d’établissement de la demanderesse.

 

Autres facteurs

[62]        La demanderesse soutient également que l’agente a commis une erreur en n’examinant pas comme un « facteur » le fait qu’elle pourrait ne pas être en mesure de revenir au Canada à titre d’immigrante indépendante. Il est vrai que dans Hawthorne, précité, le juge Evans de la Cour d’appel a souligné ceci au paragraphe 21 de ses motifs concordants :

[…] dans la plupart des cas, la possibilité pour un demandeur de non seulement présenter une demande de résidence permanente au Canada, mais de se voir même attribuer le statut de résident permanent, est tributaire de l’issue de la demande fondée sur le paragraphe 114(2). Par conséquent, si la demande de considérations humanitaires de Mme Hawthorne est rejetée, elle sera presque certainement renvoyée du Canada. Si elle soumettait ensuite une demande de visa hors du Canada pour être admise comme résidente permanente dans la catégorie des immigrants indépendants, on refusera vraisemblablement de lui délivrer un visa parce qu’elle n’a ni le niveau d’études ni les compétences professionnelles nécessaires à l’atteinte du critère de sélection. Cependant, si on fait droit à sa demande de considérations humanitaires, elle se verra octroyer le statut de résident permanent au Canada à condition de satisfaire aux exigences en matière de santé et de sécurité.

 

[63]        Toutefois, les commentaires du juge Evans ont été formulés dans le contexte factuel propre au dossier en cause et ne peuvent pas être simplement transposés à la présente affaire. De plus, le juge Evans n’a pas fondé sa décision de rejeter l’appel (et de maintenir la décision annulant la décision de l’agent) sur le fait que l’agent d’immigration n’avait pas examiné la possibilité que Mme Hawthorne ait éventuellement gain de cause lors d’une demande de résidence permanente future.

 

[64]        La demanderesse n’a cité aucune jurisprudence à l’appui de sa prétention portant que, pour que la décision d’un agent d’immigration à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit raisonnable, l’agent doit analyser le fait qu’une demande ultérieure de résidence permanente de la personne en cause depuis l’étranger serait vraisemblablement refusée.

 

[65]        La demanderesse prétend également que l’agent a commis une erreur en n’examinant pas son union de fait avec M. Chamas, un citoyen canadien, ou le formulaire de parrainage par un conjoint présenté au soutien de se demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Toutefois, la correspondance entre la demanderesse et l’agente révèle que la relation entre la demanderesse et M. Chamas a été prise en compte. Dans une lettre date du 20 janvier 2010 adressée à l’agente, l’avocate de la demanderesse a indiqué que les recherches visant M. Chamas étaient excessives. Elle a affirmé ne [traduction] « pas comprendre l’accent mis sur le "répondant" » et a suggéré à l’agente d’accorder plus d’importance aux autres aspects de la demande, le formulaire de parrainage ayant simplement été fourni dans le but de faciliter les choses.

 

[66]        Quoi qu’il en soit, il est évident que l’agente a effectivement examiné l’union de fait entre la demanderesse et M. Chamas puisque leur relation a été mentionnée à plusieurs reprises par l’agente dans ses motifs. Plus particulièrement, l’agente a traité de la situation fiscale précaire de M. Chamas ainsi que de la mobilité de son travail. L’agente a également conclu qu’il était raisonnable de croire que, compte tenu de sa mobilité, M. Chamas pourrait continuer à subvenir aux besoins de sa famille même si la demanderesse devait quitter le Canada.

 

Appréciation globale

[67]        Enfin, la demanderesse fait valoir que s’il existe des considérations d’intérêt public qui l’emportent sur les motifs d’ordre humanitaire, elles doivent être clairement identifiées – autrement, le pouvoir exercé par le ministre serait de nature arbitraire plutôt que discrétionnaire. Cet argument est sans fondement.

 

[68]        Dans Legault, précité, la CAF a indiqué, au paragraphe 17, que la discrétion du ministre d’accorder une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire « s’exerce dans le contexte général des lois et politiques canadiennes d’immigration ». Ces lois et politiques comprennent la règle générale selon laquelle une demande de résidence permanente doit être faite depuis l’étranger ainsi que la notion fondamentale portant que « [l]es non-citoyens n’ont pas de droit d’entrer ou de s’établir au Canada » (Legault, précité, par. 16). C’est la raison pour laquelle une dispense en vertu du paragraphe 25(1) constitue une mesure exceptionnelle. Bien que l’agente n’ait pas exposé précisément ces aspects d’intérêt public découlant de la Loi à titre de facteurs défavorables à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il est clair qu’elle était consciente de leur existence. Ce sont des éléments inhérents à l’application du critère relatif aux « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ». Puisque ce critère reconnaît la nature exceptionnelle de la mesure recherchée, ainsi que son rôle au sein du régime général de la Loi, l’agente, dans ses motifs, n’est pas tenue de mentionner, à titre de « facteurs négatifs », les aspects d’intérêt public généraux relatifs à la Loi.

 

[69]        Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à des fins de certification et j’estime qu’il n’y a aucune question à certifier en l’espèce.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 « Marie-Josée Bédard »

Juge

 

                                                                                                                                   


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1823-10

 

INTITULÉ :                                       BRIGITTE GARAS c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

William Sloan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William Sloan

Montréal, Québec

 

POUR LA DEMANDERESSE

Miles J. Kirvan

Sous-Procureur Général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.