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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101207

Dossier : IMM-644-10

Référence : 2010 CF 1237

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

PREDEEP NEUPANE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision du 11 janvier 2010 (la décision) par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande introduite par le demandeur pour qu’on le considère être un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger aux fins des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Népal qui est marié et a des enfants. Dans ce pays, il était le directeur général d’une entreprise de transformation de produits laitiers. Le demandeur soutient avoir été enlevé en septembre 2005, par des maoïstes qui demandaient que l’entreprise et lui-même embauchent davantage d’habitants de la région et versent plus d’argent au Syndicat des cultivateurs du Népal (All Nepal Farmers Union), une organisation proche des maoïstes. Les ravisseurs ont également réclamé le versement par le demandeur lui-même d’argent pour leur cause.

 

[3]               En juillet 2007, un groupe de maoïstes ont enlevé le demandeur une seconde fois. Ils ont menacé de le tuer s’il ne satisfaisait pas à leurs demandes. Le demandeur a convenu par écrit d’obtempérer pour pouvoir être relâché.

 

[4]               Entre juin 2006 et juin 2007, le demandeur est allé suivre une formation professionnelle aux États-Unis. Selon ses dires, les maoïstes n’ont approché personne d’autre que lui à l’époque au sein de l’entreprise. Ils ont toutefois continué de se rendre chez lui et ils ont averti son épouse et ses enfants qu’ils allaient le tuer s’il ne respectait pas ses engagements écrits envers eux.

 

[5]               En juillet 2007, soit un mois après son retour des États-Unis, les maoïstes ont à nouveau tenté d’extorquer de l’argent au demandeur et menacé de le tuer. Le conseil d’administration de l’entreprise laitière a par conséquent aidé le demandeur à sortir du Népal en l’inscrivant à une foire culinaire devant se dérouler en Ontario. Le demandeur a obtenu un visa de visiteur le 26 juillet 2007 et il a quitté le Népal le 27 septembre 2007.

 

[6]               Le demandeur a reçu une lettre datée de décembre 2007, dans laquelle son ancien patron l’informait que l’entreprise laitière tentait de régler les problèmes qu’elle avait avec les maoïstes. Le demandeur a déclaré qu’entre le moment de son départ et la tenue de son audience devant le SPR en septembre 2009, les maoïstes avaient fait treize appels de menaces à son épouse et à ses enfants.

 

[7]               Le demandeur soutient ne pas pouvoir retourner au Népal en raison des menaces proférées par les maoïstes. Il est principalement ciblé par ceux-ci, prétend-il, parce qu’il est un monarchiste bien connu et que ni lui ni d’autres membres de sa famille n’ont voulu rallier la cause maoïste. Les maoïstes le tueraient s’il devait retourner au Népal, parce qu’il a refusé de leur verser l’argent qu’ils réclamaient.

 

[8]               Le demandeur a comparu devant la SPR le 23 septembre 2009. Il était représenté par un conseil et un interprète était présent à l’audience.

 

[9]               La SPR a conclu à l’audience que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, aux fins de l’article 96 de la Loi, ni une personne à protéger, aux fins de son article 97. Elle a rejeté la demande d’asile pour ce motif. Il s’agit de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire.

 

 

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[10]           La SPR a fait état de cinq « questions déterminantes » ayant entraîné le rejet de la demande d’asile du demandeur : i) la crédibilité; ii) le défaut d’établir l’élément subjectif de la crainte fondée de persécution; iii) le défaut d’établir le fondement probatoire objectif d’une telle crainte; iv) le départ tardif du Népal; v) le défaut d’avoir demandé l’asile aux États-Unis.

 

[11]           La SPR a jugé invraisemblable une bonne part du témoignage du demandeur. Selon la jurisprudence, la véracité du témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumée faute d’un motif valable de la mettre en doute. Se reporter à Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 C.F. 302, [1979] A.C.F. no 248 (QL) (C.A.) [Maldonado]. La SPR a toutefois conclu qu’en l’espèce, le témoignage du demandeur était suffisamment « invraisemblable » pour que soit réfutée cette présomption.

 

[12]           La SPR a, par exemple, demandé au demandeur pourquoi les maoïstes l’avaient ciblé, alors que son poste au sein de l’entreprise laitière ne lui permettait pas de prendre, en matière de marketing et de fixation des prix, les décisions requises pour satisfaire à leurs demandes. Le demandeur a répondu qu’il croyait avoir été ciblé en raison de ses allégeances politiques, lui-même et les membres de sa famille étant des monarchistes. La SPR a conclu que, si les maoïstes avaient été sérieux, ils auraient vraisemblablement pris pour cible le propriétaire ou les membres du conseil d’administration de l’entreprise laitière, qui disposaient du pouvoir d’accéder à leurs demandes. La SPR a également jugé déterminant que les maoïstes n’aient approché personne d’autre que le demandeur pendant son séjour aux États-Unis en 2006 et en 2007.

 

[13]           Aucun élément de preuve, selon la SPR, n’expliquait pourquoi les maoïstes auraient cru que le demandeur, simplement parce qu’il était monarchiste, pourrait accéder à leurs demandes concernant le versement d’argent et des pratiques d’embauche plus satisfaisantes à l’entreprise laitière.

 

[14]           La SPR a fait état de raisons additionnelles de douter de la crédibilité du demandeur. Ainsi, lorsqu’on lui a demandé si les maoïstes avaient communiqué des exigences à qui que ce soit d’autre dans l’entreprise après qu’il eut quitté le Népal, le demandeur a répondu que ceux-ci avaient téléphoné chez lui treize fois en deux ans. Et lorsque la SPR l’a interrogé sur la lettre provenant de son patron et les négociations engagées avec les maoïstes, le demandeur a donné une réponse confuse et insatisfaisante. Le demandeur ayant rapporté les conclusions de son patron selon lesquelles les demandes des maoïstes lui étaient personnellement adressées, la SPR a conclu que ces demandent auraient pour seule portée l’influence au sein de l’entreprise prêtée au demandeur par les maoïstes. Le demandeur ne travaillant plus pour celle-ci, il ne serait donc plus d’aucun intérêt pour les maoïstes.

 

[15]           Quant à la question de la crédibilité, la SPR a conclu que le témoignage n’était « absolument pas digne de foi ni crédible et que, selon la prépondérance des probabilités, les incidents, tels qu’ils ont été décrits, n’ont jamais eu lieu. Donc, le tribunal ne croit pas les allégations du demandeur d’asile […] ». La SPR s’est fondée sur la décision Orelien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.), dans laquelle le juge Patrick Mahoney a fait observer ce qui suit : « Il me semble que l’on ne peut être convaincu que les éléments de preuve sont crédibles ou dignes de foi sans être convaincu qu’il est probable qu’ils le sont, et non simplement possible. »

 

[16]           La SPR a conclu que le demandeur n’avait fourni aucune explication raisonnable quant au délai de deux mois ayant existé entre la réception de son visa de visiteur pour le Canada (le 26 juillet 2007) et son départ pour le Canada (le 27 septembre 2007). La SPR a rejeté la prétention du demandeur selon laquelle il lui avait fallu deux mois pour réunir la somme requise pour son billet. Le demandeur avait un bon emploi et son employeur lui prêtait son appui. La SPR s’attendait à ce que, si le demandeur craignait pour sa sécurité, il aurait trouvé l’argent nécessaire et aurait pris la fuite à la première occasion. La SPR ayant tiré une conclusion défavorable du défaut du demandeur de ce faire, elle a conclu que celui-ci n’avait pas la crainte subjective d’être persécuté.

 

[17]           Quant à la crainte objective de persécution, la SPR a reconnu que, selon la preuve documentaire, il y avait toujours « des cas d’extorsion et d’enlèvement » et que les maoïstes continuaient à extorquer de l’argent aux camionneurs et « à recruter des villageois dans leur armée, et ce, malgré l’accord de paix ». La SPR a toutefois jugé qu’il serait déraisonnable de conclure, en raison « des conclusions défavorables quant à la crédibilité dans le cadre des circonstances particulières du demandeur d’asile », que les maoïstes s’intéresseraient davantage au demandeur qu’à qui que ce soit d’autre au Népal. La SPR a également estimé déraisonnable de conclure qu’après deux ans, les maoïstes se donneraient la peine de dépister le demandeur s’il devait retourner au Népal. La SPR a finalement jugé impossible de conclure que le demandeur, simplement parce qu’il était monarchiste et avait travaillé pour une entreprise laitière, serait exposé à davantage qu’à une simple possibilité de persécution en cas de retour au Népal. Le demandeur ne satisfaisait pas, pour ce motif, à la définition, prévue à l’article 96 de la Loi, d’un réfugié au sens de la Convention, non plus qu’à la définition, prévue à l’article 97, d’une personne à protéger.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[18]           Le demandeur a soulevé les questions de savoir

1.            si les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient déraisonnables;

2.            si la SPR avait fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, tenu compte d’éléments non pertinents ou mal interprété la preuve;

3.            si la conclusion de la SPR, selon laquelle le demandeur n’avait pas une crainte fondée de persécution, s’appuyait sur une conclusion de fait erronée;

4.            si la SPR avait recouru au bon critère pour établir que le demandeur n’avait pas une crainte fondée de persécution;

5.            si la SPR avait privé le demandeur de l’occasion de répondre à ses préoccupations, ou avait manqué d’une manière quelconque aux principes d’équité procédurale ou de justice naturelle.

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

 

[19]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

 Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’était pas toujours nécessaire de se livrer à l’analyse relative à la norme de contrôle. Lorsqu’est déjà bien établie en jurisprudence la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour de révision est saisie, en effet, celle-ci peut s’en rapporter à cette norme. Lorsque la recherche d’une telle jurisprudence s’avère infructueuse, uniquement, la cour de révision doit examiner les quatre facteurs constitutifs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[21]           La décision de la SPR se fondait, en partie, sur son appréciation de la crédibilité du demandeur, une question qui relève du domaine d’expertise de la Commission. Les conclusions quant à la crédibilité, pour ce motif, commandent la norme de la raisonnabilité. Se reporter à Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571, [2008] A.C.F. no 732 (QL), au paragraphe 14.

 

[22]           Le demandeur a également soulevé devant la Cour une question touchant le traitement par la SPR de la preuve dont elle était saisie. Lorsqu’il s’agit d’examiner si la SPR a fait abstraction d’éléments de preuve pertinents, a tenu compte d’éléments non pertinents, n’a pas reconnu à tort la valeur probante de certains documents ou a mal interprété la preuve, c’est encore la norme de la raisonnabilité qui est applicable. Se reporter à Dunsmuir, précité, paragraphes 51 et 53.

 

[23]           Aux fins du contrôle d’une décision en fonction de la norme de la raisonnabilité, on s’attardera dans l’analyse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, paragraphe 47). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[24]           La question de savoir si la SPR a appliqué le bon critère pour déterminer si le demandeur craignait avec raison d’être persécuté appelle la norme de la décision correcte. Se reporter à Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296; Mooker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 779, au paragraphe 16; Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 632, aux paragraphes 24 et 29.

 

[25]           La question de savoir si la SPR a accordé au demandeur l’occasion de répondre à ses préoccupations soulève une question d’équité procédurale et de justice naturelle. C’est la norme de la décision correcte qui lui est applicable. Se reporter à Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1284, au paragraphe 35.

 

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

            Les arguments du demandeur

                        Le caractère déraisonnable des conclusions quant à la crédibilité

 

[26]           Le demandeur soutient que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité étaient déraisonnables. Il a juré que ses allégations étaient vraies et que, faute de preuve contraire, la SPR devait présumer qu’elles l’étaient. Se reporter, par exemple, à Maldonado, précité, page 305.

 

[27]           Comme, en outre, la preuve du demandeur était source de préoccupation pour la SPR, celle-ci était tenue d’en faire état ainsi que de motiver ses conclusions quant à la crédibilité. Or, la SPR ne l’a pas fait. Se reporter à cet égard à Ababio c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 5 Imm. L.R. (2d) 174 (C.A.F.); Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 150 (C.A.F.) (Armson); Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

 

[28]           Dans l’appréciation de la crédibilité du demandeur, la SPR n’a pas tenu compte du fait que ce dernier avait présenté son témoignage par l’entremise d’un interprète. Pour ce motif, la SPR n’aurait pas dû manifester une « vigilance excessive » et aurait dû se montrer prudente lorsqu’elle a comparé les déclarations faites en diverses occasions. La SPR a commis une erreur à ce titre. Se reporter à Attakora c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.) (Attakora).

 

[29]           Les conclusions défavorables quant à la crédibilité tirées par la SPR étaient aussi déraisonnables, parce que celle-ci a fait abstraction d’éléments de preuve présentés par le demandeur d’asile pour expliquer l’existence de contradictions apparentes. Se reporter à Owusu‑Ansah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.).

 

[30]           Lorsque la SPR a fondé ses conclusions sur des inférences tirées de la preuve du demandeur, la Cour peut examiner le caractère raisonnable de ces inférences. Se reporter à Frimpong c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 8 Imm. L.R. (2d) 183 (C.A.F.).

 

[31]           Bien que la SPR ait conclu que le demandeur n’était pas un témoin crédible, il n’en découlait pas automatiquement qu’il n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention. Si le demandeur établit l’existence des éléments subjectif et objectif du critère d’octroi du statut de réfugié, on doit présumer qu’il est un réfugié au sens de la Convention. Se reporter à Attakora, précité, et à Armson, précité. En outre, la SPR doit prendre en compte toute partie de la preuve qu’elle admet lorsqu’elle détermine si le demandeur a qualité ou non de réfugié au sens de la Convention. Or la SPR ne l’a pas fait en l’espèce. Se reporter à Yaliniz c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 7 Imm. L.R. (2d) 163 (C.A.F.). Le juge Arthur Stone a déclaré ce qui suit sur le sujet dans la décision Rajaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 135 N.R. 300, [1991] A.C.F. no 1271 :

 

S’il appert qu’une décision de la Commission était fondée purement et simplement sur la crédibilité du demandeur et que cette appréciation s’est formée adéquatement, aucun principe juridique n’habilite cette Cour à intervenir (Brar c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, no du greffe A-937-84, jugement rendu le 29 mai 1986). Des contradictions ou des incohérences dans le témoignage du revendicateur du statut de réfugié constituent un fondement reconnu pour conclure en l’absence de crédibilité. Voir Dan-Ash c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.), où le juge Hugessen a observé ce qui suit, à la page 35 :

 

[…] à moins que l’on ne soit prêt à considérer comme possible (et à accepter) que la Commission a fait preuve d’une crédulité sans bornes, il doit exister une limite au-delà de laquelle les contradictions d’un témoin amèneront le juge des faits le plus généreux à rejeter son témoignage.

 

La Cour a aussi reconnu la situation particulière du revendicateur du statut de réfugié dont la langue maternelle ne correspond à aucune de nos deux langues officielles, mais qui a pu remplir un formulaire de renseignements personnels et témoigner au cours d’une audience grâce à l’aide d’un interprète. Dans l’arrêt Owusu-Ansah c. Canada (M.E.I.), (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), le juge Mahoney a dit, aux pages 107 et 108 :

 

Dans de nombreuses affaires, au nombre desquelles figure la présente demande, la déposition du requérant a été faite par l’intermédiaire d’interprètes, qui n’étaient habituellement pas les mêmes d’une instance à l’autre. La procédure prévue est fort propice à ce que des malentendus surviennent entre personnes de bonne foi.

 

 

                        Le traitement déraisonnable de la preuve par la SPR

 

[32]           Le demandeur soutient que le Rapport sur le processus accéléré, daté du 3 novembre 2008, et la décision sont contradictoires quant à l’appréciation qui y est faite de sa crédibilité. L’appréciation est favorable dans le rapport, qui précise que le demandeur a [traduction] « fait un témoignage sans détour », dénué de contradictions et d’hésitations, et que la preuve étayait sa demande d’asile. Dans la décision, par contre, on a conclu que le demandeur manquait de crédibilité. Le demandeur soutient que la SPR a fait fi de la jurisprudence et a manqué aux principes de justice naturelle, parce qu’elle n’a pas apprécié sa crédibilité d’une manière s’harmonisant avec celle de l’agent du tribunal qui a mené l’entrevue aux fins du Rapport sur le processus accéléré.

 

[33]           La SPR a accordé trop peu de poids, voire aucun, à d’importants éléments de preuve présentés par le demandeur, notamment certains attestant son appartenance au parti monarchiste, les lettres d’anciens employeurs mentionnant les problèmes causés par les maoïstes et une lettre de maoïstes démontrant que ceux-ci avaient bien menacé le demandeur. La SPR n’a pas non plus apprécié correctement la preuve documentaire qui décrivait la situation régnant au Népal, tout particulièrement les documents faisant état de [traduction] « violations massives des droits de la personne » et de 31 meurtres commis pour faire progresser la cause maoïste.

 

[34]           Le demandeur soutient, pour ces motifs, que la décision de la SPR était déraisonnable et inéquitable.

 

Les arguments du défendeur

Le caractère raisonnable des conclusions de la SPR quant à la crédibilité

 

[35]           Le demandeur présume que la SPR était tenue de souscrire à l’appréciation faite par l’agent du tribunal dans le Rapport sur le processus accéléré. C’est à tort qu’il fait pareille présomption. Dans le guide d’information figurant sur le site Web de la SPR, on renseigne les demandeurs d’asile sur le processus préalable à l’audience et sur les rapports établis à la suite des entrevues. Or, il est clairement déclaré dans ce guide que, bien qu’un agent du tribunal procède à une entrevue et rédige un rapport, le demandeur d’asile peut être tenu d’assister à une audience où un commissaire de la CISR tranchera la demande d’asile.

 

[36]                       Si l’agent du tribunal avait été convaincu de la crédibilité et du bien-fondé de la demande d’asile, il aurait pu recommander l’acceptation sans audience de cette demande. Cela ne s’est pas produit. C’est donc à tort que le demandeur s’est appuyé sur le Rapport sur le processus accéléré.

 

 

            Le traitement raisonnable de la preuve par la SPR

 

[37]           Le demandeur n’a présenté aucun argument démontrant de manière convaincante que la SPR avait commis une erreur dans sa décision. Ce qu’il demande à la Cour de faire, c’est d’apprécier la preuve à nouveau. La Cour n’ayant pas ce rôle à jouer, son intervention n’est pas justifiée. Se reporter à Medina c. Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration) (1990), 120 N.R. 385 (C.A.F.); Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration) (1972), 26 D.L.R. (3d) 216 (C.S.C.).

 

[38]           Faute de preuve contraire, les tribunaux sont présumés avoir apprécié l’ensemble de la preuve. Le demandeur n’a présenté aucun argument déterminant permettant de réfuter cette présomption. Se reporter à Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.); Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d’oeuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102. Le demandeur renvoie explicitement à la lettre de son ancien employeur et à son propre témoignage sur le sujet. La SPR a toutefois conclu, malgré cette preuve, que la demande d’asile n’était « absolument pas digne de foi ni crédible ». Le défendeur fait valoir sur ce point l’arrêt Clifford c. Ontario, 2009 C.A. Ont. 670, autorisation d’appel rejetée, [2009] C.S.C.R. no 461, paragraphe 40 :

[traduction]

 

[L]es juges majoritaires ont reproché au tribunal de ne pas avoir mentionné des éléments de preuve qui auraient pu l’amener à rendre une décision différente. Je suis encore une fois d’un avis différent. Je l’ai dit, chaque élément de preuve n’a pas à être mentionné pour que les motifs soient suffisants; on doit simplement expliquer adéquatement dans ceux-ci quel était le fondement de la décision.

 

[39]           Enfin, les commentaires suivants du juge MacKay dans la décision Pehtereva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1491 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 13, répondent à l’argument du demandeur concernant les renvois par la SPR à la preuve documentaire et son appréciation de celle-ci :

En dernier lieu, la décision du tribunal ne précise pas pourquoi il a préféré certaine preuve documentaire à d’autres éléments de preuve, mais cela ne constitue pas une erreur. En l’espèce, la préoccupation de la requérante portait principalement sur le fait que la preuve documentaire et autre présentée par l’AA avait été invoquée sans qu’on précise pourquoi celle de la requérante ne l’avait pas été. Mais cette préférence du tribunal se rapportait à la preuve de la situation générale au sein de l’Estonie, dont l’expérience de la requérante n’était qu’un exemple. La situation générale fondée sur la preuve documentaire provenant de sources reconnues permettait d’apprécier objectivement la crainte exprimée par la requérante. À mon avis, le tribunal n’a pas eu tort de méconnaître la preuve présentée par la requérante, ni d’omettre de donner les motifs de sa préférence pour d’autres sources de preuve, particulièrement dans la recherche d’un aperçu de la situation en Estonie. Je ne suis pas non plus persuadé que le tribunal a mal interprété ou mal exposé la preuve de la requérante d’une façon qui influe, dans une grande mesure, sur sa conclusion définitive que la requérante n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, parce qu’il n’a trouvé aucune sérieuse possibilité ni aucun risque possible qu’elle soit persécutée, dans l’éventualité de son retour, pour un motif énuméré dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

 

[40]           On ne saurait dire, en souscrivant à ces commentaires en l’espèce, que le traitement de la preuve documentaire par la SPR était déraisonnable.

 

 

ANALYSE

 

[41]           Le demandeur s’est représenté lui-même à l’audition du présent contrôle. Il me semble, après avoir examiné ses documents et entendu sa plaidoirie, qu’il a fait valoir pour deux motifs principaux l’existence d’une erreur susceptible de contrôle.

 

 

Conclusions contradictoires quant à la crédibilité

 

[42]           Le demandeur juge déraisonnable et incohérent que des contradictions semblent exister entre les conclusions quant à la crédibilité tirées par la SPR et celles tirées par l’agent du tribunal qui lui a fait passer une entrevue avant l’audience et qui a produit le Rapport sur le processus accéléré.

 

[43]           Le demandeur, toutefois, ne comprend pas l’objet et la nature du Rapport sur le processus accéléré. Tel qu’il est clairement exprimé dans le Guide du demandeur d’asile figurant sur le site Web de la SPR, celle-ci tient des entrevues pour traiter les demandes d’asile qui semblent simples et, lors de l’ « Entrevue tenue dans le cadre du processus accéléré », un agent du tribunal pose des questions et rédige un rapport. L’agent recommande aussi d’accepter ou non la demande d’asile sans audience.

 

[44]           Le guide fait très clairement savoir à tout demandeur d’asile que, malgré l’existence du processus accéléré, la « décision finale au sujet de votre demande d’asile est rendue par un commissaire ».

 

[45]           Ainsi, même si l’agent du tribunal recommande l’acceptation sans audience d’une demande d’asile, il est loisible au commissaire soit de souscrire à cette recommandation, soit de la rejeter et de décider de la tenue d’une audience.

 

[46]           Après avoir fait passer une entrevue au demandeur, l’agent du tribunal n’a pas recommandé en l’espèce l’acceptation sans audience de la demande d’asile. Il a même plutôt recommandé la tenue d’une audience. Autrement dit, quoique l’agent du tribunal ait pu écrire dans son rapport, il estimait nécessaire que la SPR procède à une instruction approfondie pour décider du bien-fondé de la demande d’asile.

 

[47]           Les commentaires formulés par l’agent du tribunal dans son rapport, que le demandeur fait valoir pour contester la conclusion de la SPR au sujet de sa crédibilité, ont en fait bien peu à voir avec la question de la crédibilité. La perception du demandeur par l’agent du tribunal lors de l’entrevue tenue dans le cadre du processus accéléré peut très bien ne correspondre en rien à ce qui se dégagera en fin de compte d’une instruction approfondie. Tel qu’il est très clairement exprimé dans le guide, la décision de l’agent ne lie pas, et pour cause, la SPR. L’entrevue dans le cadre du processus accéléré diffère entièrement de l’instruction approfondie devant la SPR. Cette instruction est de nature beaucoup plus exhaustive et bien des choses sont susceptibles d’en ressortir qu’on n’aura pu déceler à l’entrevue. En l’espèce, bien que l’agent du tribunal ait eu le sentiment que le demandeur avait témoigné sans détour et de manière cohérente, et qu’il avait répondu de bonne grâce à toutes les questions posées, sans se montrer hésitant ni évasif, il a néanmoins recommandé la tenue d’une audience, jugée nécessaire pour trancher la demande d’asile. Manifestement, le demandeur n’avait pas convaincu l’agent du tribunal au point que sa demande d’asile puisse être acceptée sans la tenue d’une d’audience.

 

[48]           Il n’y a donc pas d’incohérence en l’espèce et, quoi qu’il en soit, le guide du site Web fait parfaitement comprendre aux demandeurs d’asile que c’est toujours la SPR, et non un agent du tribunal, qui rend la décision définitive au sujet de leur demande.

 

[49]           Le processus suivi n’enfreint pas les principes de justice naturelle, parce que tous les demandeurs d’asile sont informés d’entrée de jeu que leur demande ne sera pas nécessairement acceptée sans audience, même si on leur fait passer une entrevue dans le cadre du processus accéléré, et parce que, lors de la tenue d’une telle entrevue et d’une éventuelle instruction, chaque demandeur se voit pleinement accorder l’occasion d’établir le bien-fondé de sa cause. En l’espèce, le demandeur est simplement déçu de ce que la perception de l’agent du tribunal, lors de l’entrevue menée antérieurement dans la cadre du processus accéléré, n’ait pas été partagée ou avalisée par la SPR après son instruction approfondie. Cela ne donne pas lieu, toutefois, à une erreur susceptible de contrôle.

 

La situation régnant dans le pays

 

[50]           La SPR a commis une erreur, selon le demandeur, en n’appréciant pas la situation d’ensemble régnant au Népal. Il ressort toutefois clairement de la décision que la SPR a bien examiné tous les documents sur le pays et les rapports corroborés de poursuite par les maoïstes de leurs activités d’extorsion et de leurs enlèvements. Comme la SPR l’a cependant explicitement déclaré (au paragraphe 13), la situation générale régnant dans le pays n’était pas la véritable question en litige dans la décision. Celle-ci se fondait plutôt sur une conclusion défavorable quant à la crédibilité en lien avec la situation personnelle du demandeur. La SPR a simplement conclu qu’il n’était « pas raisonnable de conclure que les maoïstes s’intéresseraient plus au demandeur d’asile qu’à n’importe quelle autre personne au Népal ».

 

Les questions touchant la crédibilité

 

[51]           Le demandeur affirme qu’en appréciant sa crédibilité personnelle, la SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de documents qui étayaient ses dires quant aux menaces proférées par les maoïstes.

 

[52]           La SPR a jugé invraisemblable le témoignage du demandeur :

Si les maoïstes avaient comme objectif de faire en sorte que l’entreprise se plie à leurs demandes, le tribunal entretient certains doutes quant à la logique du demandeur d’asile concernant les raisons pour lesquelles les maoïstes choisiraient un employé n’ayant aucune influence pour apporter les changements exigés.

 

 

[53]           Le demandeur a expliqué qu’on l’avait ciblé parce que lui et les membres de sa famille étaient des monarchistes, mais aucun élément de preuve objective ne laissait supposer que les maoïstes pouvaient croire qu’en raison de ses allégeances monarchistes, le demandeur était en mesure d’influer sur son employeur, l’entreprise laitière, pour qu’il accède à leurs demandes :

Le tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve selon lequel le demandeur d’asile serait ciblé pour une raison autre que son association avec l’entreprise, et, selon le témoignage même du demandeur d’asile, le poste de ce dernier en tant qu’employé ne lui accordait aucun pouvoir décisionnel financier ou stratégique.

 

 

[54]           Il y avait bien toutefois trois lettres que le demandeur a produites en preuve; la SPR en a mentionné une seule, uniquement en passant, dans sa décision.

 

[55]           L’une des lettres, datée du 5 août 2007, provenait du Parti national démocratique (National Democratic Party, le parti monarchiste) et était signée par Hari bahadur Basnet, président de l’unité villageoise du parti (Village Party Unit). Selon cette lettre, le demandeur était un [traduction] « membre actif du Parti national démocratique » et avait participé [traduction] « activement à diverses activités politiques organisées dans les collectivités et les villages ». On a ajouté dans cette lettre : [traduction] « Nous avons appris que des cadres maoïstes avaient menacé de s’en prendre à la vie et à la liberté de M. Neupane et des membres de sa famille » (la citation est tirée de la traduction). Cette lettre ne fournit guère d’explications, et il est aisé de comprendre pourquoi la SPR a pu la considérer de peu d’importance. Il convient toutefois de l’apprécier en tenant compte des autres lettres.

 

[56]           Il y a également une lettre de l’ancien patron du demandeur chez Kapan Dairy Udhyog Pvt. Ltd., qui semble être la lettre mentionnée par la SPR dans sa décision, même si elle porte la date du 24 septembre 2007.

 

[57]           La teneur de cette lettre est la suivante :

[traduction]

 

La présente vise à informer tous les intéressés et les employés de l’entreprise que M. Pradeep Neupane, notre DIRECTEUR GÉNÉRAL, a fait l’objet d’actes de violence et de torture et de menaces ainsi que d’une tentative d’enlèvement de la part d’insurgés du Parti communiste (maoïste) du Népal (Nepal Community Party) et d’organisations sœurs, le Syndicat révolutionnaire des agriculteurs du Népal (All Nepal Farmer Union Revolutionary) et la Ligue des jeunesses communistes (Young communist league). La direction de l’entreprise tente de négocier avec ces groupes d’individus pour en arriver à une entente.

 

Tel qu’en a décidé le conseil d’administration lors de sa réunion du 9 juillet 2007, M.Neupane va prendre part à la plus importante foire d’aliments biologiques au monde, la Foire des aliments ethniques et de spécialité 2007 ( Ethnic and Specialty Food Expo 2007) , tenue en Ontario, au Canada. L’entreprise a pris tous les arrangements nécessaires en vue de la participation de M. Neupane à cet événement.

 

Nous souhaitons longue vie à M. Neupane.

 

 

[58]           Dans sa décision, la SPR a déclaré ce qui suit au sujet de cette lettre :

Le demandeur d’asile a soumis comme preuve une lettre de son ancien patron datée de décembre 2007 qui signalait que l’entreprise tentait de résoudre le problème avec les maoïstes. Questionné à l’audience au sujet de cette information, le demandeur d’asile a répondu de façon incohérente. Il a d’abord affirmé qu’il ne savait pas, qu’il n’avait pas demandé, qu’il n’avait pas d’information et que, lorsqu’il a posé la question à son patron, il n’avait pas obtenu de réponse satisfaisante.

 

 

[59]           Lorsqu’il a comparu devant moi, le demandeur éprouvait effectivement des difficultés linguistiques et il semblait parfois confus, mais j’attribue cela au fait qu’il avait du mal à comprendre ce que je lui disais et ce que je lui demandais. Ce qui importe toutefois davantage, c’est que la SPR n’a aucunement fait allusion à l’autre aspect, d’importance, de la lettre, soit la mention faite que les maoïstes avaient soumis le demandeur à des actes de violence et de torture ainsi qu’à des menaces et avaient tenté de l’enlever. Ces renseignements étayent le récit du demandeur et constituent une preuve contredisant directement la conclusion de la SPR selon laquelle ce dernier n’est d’aucun intérêt pour les maoïstes.

 

[60]           Une troisième lettre produite en preuve, datée du 25 janvier 2006, était adressée par les maoïstes mêmes au demandeur. Voici un extrait de la traduction de cette lettre :

[traduction]

 

Par la présente, nous faisons état du fait que vous, M. Pradeep Neupane, directeur général de Kapan Dairy Udhyog, aviez consenti verbalement à veiller à ce que votre employeur paie ce qu’il leur doit aux fermiers producteurs de lait des villages de Pachkahl et de Kusadevi et des régions avoisinantes du district de Kavre. Nous vous avons envoyé diverses lettres afin que vous respectiez cette entente verbale, mais vous n’y avez jamais donné suite. Nous vous avons alors informé à diverses reprises de la position de notre parti sur le sujet. Même alors, vous n’avez pas répondu de manière favorable. Nous vous informons que vous devrez en subir les conséquences, et que notre parti a décidé de prendre toutes les mesures pouvant être requises pour vous punir.

 

 

[61]           Encore une fois, cette lettre étaye le récit du demandeur, selon lequel les maoïstes lui font subir des menaces, et constitue une preuve qui contredit la conclusion de la SPR sur ce point.

 

[62]           La SPR n’a pas fait état de cette preuve; pour ce qui est de la lettre mentionnée de l’ancien patron du demandeur, elle a passé sous silence la partie qui étayait le récit de ce dernier. Je ne dis pas, bien sûr, que la SPR devait prêter foi à cette preuve, mais il s’agissait d’une preuve contredisant une conclusion tirée et, conformément aux principes bien connus énoncés dans la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, aux paragraphes 15 et 17, elle aurait dû la mentionner expressément. La SPR ne l’ayant pas fait, cela me mène à conclure que soit elle a fait totalement abstraction de cette preuve, soit elle n’en a tout simplement pas tenu compte, parce que, malencontreusement, elle contredisait une conclusion qu’elle était résolue malgré tout à tirer. Dans l’un ou l’autre cas, une erreur susceptible de contrôle a été commise.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour nouvel examen.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-644-10

 

INTITULÉ :                                       PREDEEP NEUPANE

 

                                                                                                                        demandeur               

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IIMMIGRATION

                  

                                                                                                                        défendeur

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 décembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Predeep Neupane                                                                     DEMANDEUR (non représenté)

 

John Loncar                                                                             DÉFENDEUR

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Predeep Neupane                                                                     DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan                                                                        DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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