Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20101125

Dossier : IMM-4573-09

Référence : 2010 CF 1186

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

En présence de monsieur le juge O'Keefe

 

 

Entre :

SHERLINE SAMANTHA GILBERT

SHERWIN GILBERT (MINeur)

 

demandeurs

 

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

motifs du jugement et jugement

 

 

[1]               Il s'agit d'une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire de la décision du 7 août 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que les demandeurs n'avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi. Cette décision reposait sur la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l'État à Sainte-Lucie.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision de la Commission et le renvoi de la demande d'asile à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Les demandeurs, Sherline Samantha Gilbert et son fils mineur, Sherwin Gilbert, des citoyens de Sainte-Lucie, sont entrés au Canada en 2004. La demanderesse principale allègue que sa vie est menacée par son ancien petit ami, Shawn Octave, qui, selon ses allégations, l’a agressée physiquement et sexuellement à répétition et lui a proféré des menaces de mort.

 

[4]               La demanderesse principale allègue que son ancien petit ami, le père de son deuxième enfant, l’a agressée physiquement à trois reprises entre septembre et décembre 2001 et l’a également agressée sexuellement et à une occasion, a menacé de la tuer. Après la dernière agression physique, elle s'est présentée au poste de police où on lui a répondu que la police ne se mêlerait pas des affaires de cœur. La demanderesse principale a déménagé, mais son ancien petit ami a continué à la harceler mais les policiers n’ont rien fait. La demanderesse principale est revenue vivre avec son ancien petit ami, mais en mars 2002, alors qu'il était ivre, il l'a agressée physiquement en lui disant ce qui suit : [TRADUCTION] « Ta sœur a assassiné mon frère. Crois-tu que tu peux t'en tirer librement? » (En fait, la sœur de la demandeure d'asile a accidentellement tué le frère d'Octave en mars 2001.) Après cette agression, les demandeurs ont emménagé avec la mère de la demanderesse principale et son ancien petit ami a continué à les harceler et a battu le demandeur mineur. À deux reprises, la mère a signalé l'ancien petit ami à la police, mais celle-ci n'a rien fait. Pendant un certain temps, l'ancien petit ami a semblé avoir disparu et la demanderesse a cru qu'il était parti pour de bon.

 

[5]               La demanderesse principale est venue temporairement au Canada en mai 2004 pour aider un ami à récupérer après une chirurgie au cerveau. Une fois de retour à Sainte-Lucie, l'ancien petit ami est revenu et a agressé physiquement la demanderesse, la menaçant avec un pistolet et lui ordonnant de revenir vivre avec lui dans la semaine, à défaut de quoi il la tuerait. La demanderesse principale a déménagé chez sa mère et ensuite chez des amis. Elle s'est enfuie au Canada le 12 décembre 2004.

 

[6]               À son arrivée en Colombie‑Britannique, la demanderesse principale a vécu avec un ami canadien qu'elle avait rencontré à Sainte-Lucie et qui avait offert de l'aider à obtenir l’asile. L'ami n'a pas fourni son aide et la demanderesse principale a alors déménagé à Toronto où elle réside depuis. En novembre 2007, un avocat lui a été présenté et elle a déposé une demande d'asile.

 

La décision de la Commission

 

[7]               La Commission a examiné la question du temps que la demanderesse principale a mis à présenter sa demande d'asile et l'explication de son conseil pour ce retard. La Commission a conclu que le retard était important, soit trois ans, et qu'il minait l'allégation de la demanderesse principale selon laquelle elle était exposée à un préjudice grave si elle retournait à Sainte-Lucie. Cela n'était toutefois pas un facteur déterminant pour la Commission.

 

[8]               La Commission a estimé qu’en définitive la demanderesse principale n’avait pas établi que sa crainte était objectivement justifiée. Les principaux facteurs étaient la question de savoir s'il existait une protection de l'État adéquate à Sainte-Lucie et si la demanderesse principale avait fait toutes les démarches raisonnables pour se prévaloir de cette protection. La Commission a examiné la preuve documentaire et a conclu que Sainte-Lucie était une démocratie dotée d'un système judiciaire indépendant et d’un service de police hiérarchisé. Il existe un processus de plainte et de recours pour les allégations d'inconduite ou d'inefficacité policière.

 

[9]               La Commission a souligné que la violence à l'égard des femmes demeurait un problème, mais qu'une plus grande reconnaissance du problème a donné lieu à une meilleure protection des victimes. La Commission a ensuite passé en revue les diverses ressources institutionnelles auxquelles les victimes ont accès et des améliorations récentes apportées au service de police relativement au traitement de la violence conjugale. La Commission a reconnu qu'il continuait à y avoir des problèmes avec le signalement, puisque de nombreuses victimes sont souvent réticentes à faire un signalement ou à prendre une autre mesure, ou bien elles signalent la violence et se rétractent, et la réponse de la police est moins efficace la fois suivante. La Commission a examiné la preuve de la demanderesse principale selon laquelle la protection de l'État était insuffisante, mais a souligné que les articles présentés étaient vieux ou non datés et au bout du compte, a privilégié sa propre preuve documentaire au motif qu'elle était plus à jour et fiable.

 

[10]           La Commission a ensuite examiné la preuve de la demanderesse principale concernant ses tentatives d'obtenir une protection. Elle a eu des difficultés à se souvenir de certains incidents et la Commission a constaté certaines contradictions. La Commission a aussi estimé que la demanderesse principale n'avait pas cherché à obtenir les rapports de police rédigés à son sujet. La demanderesse principale a expliqué que cela aurait coûté trop cher, mais la Commission a conclu que l'explication était déraisonnable, vu qu'elle était représentée par un conseil. La Commission a également tenu compte des conseils donnés dans les Directives de la présidente concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe (les Directives) où il est recommandé de faire preuve d’une plus grande ouverture dans ce genre de demandes d'asile et de prendre en compte les expériences vécues par d’autres femmes se trouvant dans une situation similaire. Or la demanderesse principale n’a pu présenter une telle preuve. En définitive, la Commission a conclu que la demanderesse principale n'avait pas réfuté la présomption de la protection de l'État et a rejeté les demandes d'asile des demandeurs.

 

Les questions en litige

 

[11]           Les questions en litige sont les suivantes :

            1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2.         La Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité à l'égard du demandeur mineur en ne rendant pas une décision distincte en ce qui le concerne?

            3.         La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le retard signifiait que la demanderesse principale n'avait pas une crainte subjective?

            4.         La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’éléments de preuve essentiels ou en utilisant de façon sélective la preuve documentaire?

 

Les observations écrites des demandeurs

 

[12]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en ne consacrant pas d'analyse à la demande d'asile particulière du demandeur mineur. Le demandeur mineur se trouvait dans une situation factuelle différente et a présenté une demande d'asile distincte.

 

[13]           Les demandeurs prétendent, quant au fond, que la Commission n'a pas fourni de motifs suffisants pour justifier son rejet de l'explication de la demanderesse principale concernant son retard à présenter une demande d'asile. Elle ne savait que faire lorsqu'elle est arrivée au Canada et dépendait entièrement d'autrui.

 

[14]           S’agissant de la protection de l'État, les demandeurs font valoir que la Commission n’a pas renvoyé à la preuve documentaire qu’elle a elle-même produite où il est indiqué qu'il n'existe pas de protection réelle pour les femmes victimes de violence. La Commission s'est contentée de la preuve documentaire concernant les intentions de réprimer le problème, mais n’a pas examiné la question de savoir si ces mesures donnaient des résultats positifs. La Commission aurait dû se demander s'il y avait de la place au refuge des femmes de Sainte‑Lucie. Les policiers étaient condescendants envers la demanderesse principale et ne l'ont pas aidée. La demanderesse principale ne pouvait pas compter obtenir de la protection. De plus, la Commission a rejeté sans motif raisonnable la preuve documentaire des demandeurs. Si elle avait des préoccupations concernant la date d’un article, elle aurait pu attirer l'attention des demandeurs sur ce point. Les autres documents dataient de 2006 ou de 2008, non de 2002 ou de 2003 comme l'a déclaré la Commission. Enfin, la conclusion de la Commission portant que la demanderesse principale aurait dû obtenir les rapports de police était déraisonnable. La demanderesse a indiqué dans son témoignage qu’elle avait tenté de les obtenir, mais qu’elle n’avait pas les moyens pour en payer les frais. De plus, les Directives indiquent à la Commission de ne pas insister sur l'obtention de documents au soutien des demandes d'asile de femmes victimes de violence.

 

Les observations écrites du défendeur

 

[15]           Le défendeur soutient que les demandes d'asile de la demanderesse et de son fils mineur étaient fondées sur les mêmes faits tirés de leur vécu ensemble à Sainte‑Lucie. Les règles de la Commission exigent la jonction des demandes d'asile présentées par les membres d'une famille. De plus, le demandeur mineur n'a pas présenté de récit dans son FPR. Le seul élément de preuve concernant sa situation qu’invoquent maintenant les demandeurs provient du FPR de la demanderesse principale et, qui plus est, cet élément n'a été mentionné que brièvement. La Commission n'a pas commis d'erreur en examinant les demandes d'asile ensemble et quoi qu'il en soit, la conclusion quant à la protection de l'État s'applique de la même manière aux deux demandeurs.

 

[16]           La Commission n'a pas tiré de conclusion déterminante quant au retard de la demanderesse principale. La conclusion concernant la protection de l'État était la seule conclusion déterminante et a permis de trancher de manière définitive la demande d'asile.

 

[17]           La conclusion de la Commission concernant la protection de l'État était raisonnable. La Commission n'a pas ignoré les éléments de preuve contradictoires et elle a reconnu que la violence à l'égard des femmes demeurait un problème. La Commission a clairement reconnu que les éléments de preuve, de sources diverses, présentaient certaines contradictions. Pour s'assurer qu'elle avait tous les renseignements pertinents, la Commission a demandé à la demanderesse principale si elle connaissait des femmes dans une situation semblable. Elle a posé cette question conformément aux Directives. Après avoir soupesé les éléments de preuve dont elle était saisie, la Commission a conclu que même si la protection n'était pas parfaite, la preuve établissait de manière prépondérante qu’elle était suffisante.

 

L’analyse et la décision

 

[18]           La première question

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Les décisions finales de la Commission concernant les demandes d'asile sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Kalejova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 252, au paragraphe 19 et Sagharichi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 182 N.R. 398 (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 796, au paragraphe 3). C’est pourquoi la cour de révision se demande si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[19]           En ce qui a trait aux questions d'équité procédurale, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte.

 

[20]           La deuxième question

            La Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité à l'égard du demandeur mineur en ne rendant pas une décision distincte en ce qui le concerne?

            Selon la prétention des demandeurs, la Commission était tenue de rendre une décision distincte et de fournir des motifs distincts à l'égard de la demande d'asile du demandeur mineur. Les demandeurs ne soutiennent cependant pas que la Commission n’aurait pas dû joindre les demandes d'asile des demandeurs.

 

[21]           En effet, la présente affaire commandait l’application de la disposition prévue à l'article 49 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, concernant la jonction automatique des demandes.

 

[22]           La Commission était tenue de joindre les demandes d'asile, à moins d'une demande de séparation fondée sur le paragraphe 50(2) des Règles. Une telle demande n'a pas été présentée et les demandes d'asile de la demanderesse principale et de son fils mineur qui, après tout, se fondaient toutes deux sur la même allégation de crainte, ont été jointes à bon droit.

 

[23]           Les demandeurs n'ont présenté aucune décision ni aucune règle à l'appui de la prétention selon laquelle la Commission était tenue de rendre des décisions distinctes et de fournir des motifs distincts à l'égard de demandes d'asile jointes.

 

[24]           Les demandeurs soulèvent néanmoins l'argument plus ou moins de forme selon lequel les affaires devaient être examinées séparément parce que la demande d'asile de la demanderesse principale était certes fondée sur le motif qu'elle était une femme victime de violence, alors que celle de son fils était fondée sur le motif qu'il était un enfant victime de violence. Je ne trouve pas que cet argument est convaincant. À aucun moment pendant l'instance, ni la demanderesse principale ni son conseil n'ont présenté d'observation selon laquelle la demande d'asile de son fils devrait être traitée comme étant substantiellement différente pour ce motif.

 

[25]           Je rappelle également que les demandeurs ont qualifié cet élément de manquement à l'équité procédurale, mais n'ont rien souligné d'inéquitable au cours du processus. La Commission a assurément fourni aux demandeurs toutes les occasions de présenter leur preuve avant l'audience et pendant celle-ci. En conséquence, cet élément peut être qualifié uniquement de question procédurale dans la mesure où les motifs étaient insuffisants.

 

[26]           L'allégation de l'insuffisance d'un exposé des motifs doit être suffisamment grave pour porter atteinte au droit d'un demandeur de solliciter un contrôle judiciaire (voir Za'Rour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1281, 321 F.T.R. 120 (en anglais), aux paragraphes 19 et 20). En l'espèce, les motifs de la Commission sont suffisamment clairs pour éviter toute confusion quant aux raisons justifiant sa décision. Les demandes d'asile jointes des demandeurs ont été rejetées au motif qu'ils pouvaient se prévaloir de la protection de l'État. La Commission n'a pas commis d'erreur en estimant implicitement que le demandeur mineur pourrait et pouvait se prévaloir de cette même protection à l'encontre de l'agent de persécution.

 

[27]           Les demandeurs indiquent que la Commission renvoyait souvent dans sa décision à la demandeure d’asile au singulier. Il est vrai qu’il s’agissait peut-être d’une erreur ou d’une erreur typographique, je ne puis conclure qu’une telle erreur constitue un manquement à l'équité procédurale. Qui plus est, les demandeurs ont nettement concentré leur preuve sur la solidité du témoignage de la demanderesse principale et ils ont à peine fait mention du demandeur mineur. Les demandeurs n'ont pas présenté d’éléments de preuve distincts relativement à la protection du demandeur mineur et il était clair que sa demande dépendait de la demanderesse principale, dont les allégations, le récit et le témoignage étaient les seuls éléments examinés lors de l'audience. En outre, au cours de l'audience, le conseil des demandeurs a désigné la demanderesse principale comme la demandeure d'asile au singulier à plusieurs reprises (voir le dossier certifié du tribunal, aux pages 250 et 304). Au bout du compte, je ne puis conclure à un traitement injustifié du dossier ou à une iniquité causée par la décision de la Commission. Je n'accueillerais pas la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[28]           La troisième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le retard signifiait que la demanderesse principale n'avait pas une crainte subjective?

            Cet argument doit également être rejeté puisque les motifs de la décision révèlent clairement que la Commission n'a pas tiré une telle conclusion.

 

[29]           Il est bien établi que la Commission peut et doit souvent prendre en compte un retard comme facteur qui peut potentiellement miner l'allégation de crainte subjective d'un demandeur d'asile (voir Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 271). La Commission a examiné le retard et en a tenu compte, et il en a été de même pour l'explication fournie par la demanderesse principale concernant ce retard. La Commission n'était pas entièrement convaincue que l'explication concernant le retard était suffisante et elle a donc conclu que le retard minait l'allégation de la demanderesse principale concernant sa crainte subjective. Une telle conclusion n'est pas la même qu'une conclusion selon laquelle la demanderesse principale n'avait pas de crainte subjective, ce qui aurait été en soi une conclusion déterminante pour refuser la demande d'asile.

 

[30]           Quoi qu'il en soit, la conclusion concernant le retard est devenue théorique. Aucune décision définitive n'a été prise en ce qui a trait à la crainte subjective de la demanderesse principale et la décision a été rendue au motif que la crainte des demandeurs n'était pas objectivement raisonnable parce que la protection de l'État était adéquate.

 

[31]           La quatrième question

            La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments de preuve essentiels ou en utilisant de façon sélective la preuve documentaire?

            La prétention selon laquelle les éléments de preuve essentiels ont été ignorés est la seule question en litige.

 

[32]           L'allégation selon laquelle la Commission a utilisé de façon sélective la preuve documentaire ne constitue pas une erreur, car la Commission étant en effet censée faire appel à son expertise pour glaner les éléments les plus pertinents de la preuve, l’on s'attend donc à ce qu'elle soit sélective.

 

[33]           Cependant, lorsque la Commission omet de mentionner le contenu d'éléments de preuve documentaire essentiels qui sont contraires à la conclusion qu’elle tire, la cour de révision sera plus susceptible d'inférer que cette conclusion a été tirée sans égard à la preuve (see Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL)). Si la cour conclut que la Commission a analysé le contenu de cette preuve contraire, ce motif de contrôle n'est pas établi. La cour n'examinera pas des demandes d'intervention lorsque la thèse d’un demandeur constitue simplement un désaccord concernant la manière dont la Commission a apprécié la preuve.

 

[34]           C'est le contenu des éléments de preuve contraire concernant la protection de l'État qui doit avoir été examiné et non les éléments particuliers d'un article précis. Il est bien établi en droit que la Commission est présumée avoir pris en compte toute la preuve et qu'elle n'est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve ni même des éléments de preuve précis, pourvu que l'examen des motifs indique que la Commission a pris en compte l'ensemble de la preuve (voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.); Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1163; Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 242).

 

[35]           Les demandeurs renvoient à l’un des documents de la Commission, intitulé Shadow Report for St. Lucia on the Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination Against Women (CEDAW) [rapport parallèle concernant Sainte-Lucie relativement à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes], un rapport de 2006 qui énonce clairement que la violence à l'égard des femmes est une question fondamentale. Bien que l'article se concentre sur la violence à l'égard des femmes, il ne porte pas directement sur la réponse insuffisante de l'État. Selon l'article, les délinquants sont souvent envoyés en prison, laissant les femmes victimes incapables de subvenir à leurs propres besoins et sans une aide suffisante de l’État. Il condamne également la police qui ne garantit pas de protection contre les auteurs de violence conjugale.

 

[36]           Le seul autre article invoqué par les demandeurs est un article de journal concernant une femme poignardée à mort chez elle.

 

[37]           Je ne puis conclure que la Commission a ignoré le contenu de ces articles pertinents eu égard à sa conclusion sur la protection de l'État. La Commission a entrepris une analyse équilibrée et fondée sur des principes concernant les victimes de violence conjugale à Sainte-Lucie. Elle n'a pas omis l’analyse des aspects défavorables et parce que son analyse de ces aspects défavorables portait essentiellement sur les mêmes sujets soulevés par les articles et maintenant soulevés par les demandeurs, je ne puis dire que ces articles ou leur contenu ont été ignorés. La Commission n'était pas tenue de renvoyer aux articles précis qu’invoquent maintenant les demandeurs dans ses motifs. La Commission a en effet admis le contenu de ces articles lorsqu'elle a statué comme suit :

            1.         La violence faite aux femmes demeure un problème (au paragraphe 13 de la décision).

            2.         Certains policiers sont encore parfois réticents à l'idée d'intervenir (au paragraphe 13 de la décision).

            3.         Les victimes qui retirent leurs plaintes ou se rétractent et l'intervention de la police devient moins efficace la fois suivante (au paragraphe 15 de la décision).

            4.         La violence familiale est un problème grave à Sainte-Lucie (au paragraphe 17 de la décision).

 

[38]           Là encore, vu que la Commission a reconnu ces problèmes, je ne peux modifier la décision pour le motif présenté par les demandeurs, à savoir que ces éléments de preuve ont été ignorés. Ils n'ont pas été ignorés.

 

[39]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[40]           Aucune des parties n'a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

[41]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27.

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4573-09

 

Intitulé :                                       SHERLINE SAMANTHA GILBERT

                                                            SHERWIN GILBERT (MINeur)

 

                                                            - et -

 

                                                            Le ministre de la citoyenneté

                                                            et de l’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

Date de l'audience :               Le 17 juin 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 novembre 2010

 

 

 

Comparutions :

 

Richard A. Odeleye

 

Pour les demandeurs

Alison Engel-Yan

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

North York (Ontario)

 

Pour les demandeurs

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.