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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20101125

Dossier : IMM-1090-10

Référence : 2010 CF 1163

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

ERVIN BAKU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27, par Ervin Baku (le demandeur), d’une décision rendue par Paule Robitaille, commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle elle a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

[2]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas établi que la protection de l’État était inadéquate dans son pays d’origine, la France, et que, par conséquent, il ne répondait pas aux conditions exigées pour être considéré comme réfugié au sens de la Convention ou personne à protéger.

 

[3]               Le demandeur est un journaliste âgé de 40 ans qui est à la fois citoyen de l’Albanie et à la fois citoyen de la France. Il a obtenu la citoyenneté française en demandant l’asile dans ce pays.

 

[4]               Le 8 juin 2007, le Muslim Forum of Albania, un journal quotidien, a émis un communiqué de presse dans lequel le demandeur était accusé d’islamophobie et, le 17 juin 2007, le journal a publié un éditorial dans lequel il pointait du doigt le demandeur comme étant un ennemi de l’Islam. À la suite de ces événements, le demandeur a fait continuellement l’objet de menaces de mort.

 

[5]               Le demandeur allègue que, le 2 août 2008, il a été kidnappé par deux hommes à l’extérieur de chez lui. Il a été entraîné dans une voiture et on lui a dit, en albanais, qu’il devrait cessé de critiquer publiquement l’Islam. Les kidnappeurs ont ensuite proféré des menaces à l’endroit des enfants du demandeur, ont battu celui-ci et l’on jeté hors de la voiture devant sa résidence.

 

[6]               Le lendemain, le demandeur est allé voit la police à Strasbourg, mais il prétend que son récit n’a pas été pris au sérieux et qu’on lui a dit de revenir la semaine suivante. Ensuite, il s’est enfui chez son frère en Allemagne avant de décider de partir pour le Canada. Il est arrivé au Canada le 15 août 2008 et il a fait une demande d’asile le 19 août 2008.

 

* * * * * * * *

[7]               La crédibilité n’était pas en cause à l’audience devant la Commission. Cette dernière a plutôt conclu que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État.

 

[8]               Le demandeur ne soulève qu’une question dans le présent contrôle judiciaire : La Commission a-t-elle commis une erreur lors de son analyse de la protection de l’État?

 

[9]               La question portant sur le caractère adéquat de la protection de l’État est une question de fait et elle doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable (Jabbour et autres. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 831, au paragraphe 18).

 

[10]           Le demandeur affirme que l’omission de ne pas prendre toutes les mesures nécessaires pour réclamer la protection de l’État ne devrait pas entraîner le rejet d’une demande, sauf si un tribunal détermine également que la protection aurait pu raisonnablement être offerte. La présomption de protection de l’État, soutient-il, a été réfutée par des témoignages de la part d’individus qui ont vécu des expériences semblables à la sienne.

 

[11]           Le demandeur allègue également que la Commission n’a pas tenu compte des caractéristiques uniques du pouvoir et de l’influence du prétendu agent persécuteur, et de la volonté de l’État de le protéger. La Commission était tenue d’examiner la motivation de l’agent persécuteur et de la capacité de ce dernier de poursuivre le demandeur dans une région ou dans l’ensemble du pays.

 

[12]           Il incombe au demandeur de réfuter, selon la prépondérance des probabilités, à l’aide d’une preuve claire et convaincante, la présomption relative à la protection de l’État (voir Samuel c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 762, au paragraphe 10). Plus la démocratie est bien établie dans un pays, plus lourd sera le fardeau imposé au demandeur pour démontrer qu’il a épuisé tous les moyens pour se prévaloir de la protection de l’État et que celle-ci ne pouvait pas être raisonnablement assurée (Hinzman et autres c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, au paragraphe 57).

 

[13]           Il est bien établi que le fait que les services de police soient inadéquats à l’échelle régionale ne constitue pas une absence de protection de l’État (voir Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 4 RCF 636 (C.A.); Rocque et autres c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 802). En outre, il est possible de demander la protection de l’État à d'autres organismes que la police, comme, par exemple, des organismes administrés par l’État (Nagy c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 281). Un demandeur ne sera exempté pas de son obligation d’épuiser tous les moyens possibles pour obtenir la protection de l’État lorsqu’il lui est objectivement déraisonnable de le faire (Hinzman, susmentionné, au paragraphe 56).

 

[14]           Le demandeur s’est adressé une seule fois à un agent de police à Strasbourg et il ne s’est pas présenté la semaine suivante comme on lui avait demandé de le faire. De plus, il n’a pas tenté de s’adresser à d’autres agents de police ou à d’autres organismes ailleurs en France. Je souscris à l’argument du défendeur selon lequel cette unique tentative ne constitue pas une démarche adéquate visant à se prévaloir de la protection de l’État, notamment dans un pays démocratique. En outre, la preuve fournie par le demandeur n’établit pas qu’il aurait été objectivement déraisonnable de faire d’autres tentatives pour obtenir la protection de l’État. La preuve dont disposait la Commission démontrait plutôt que la France prend très au sérieux les menaces proférées par des groupes religieux radicaux et la protection de ses citoyens. La simple croyance du demandeur selon laquelle l’État est incapable de le protéger, sans preuve suffisante à l’appui, ne justifie pas de conclure que la protection de l’État est inadéquate (Judge c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1089).

 

[15]           Le demandeur laisse entendre que le témoignage d’individus qui vivent des événements semblables à ceux qu’il a vécus en France (c.-à.-d., des individus qui reçoivent des menaces de mort de la part de groupes islamiques) devrait être déterminant quant à l’absence de la protection de l’État dans ce pays. Il ne peut en être ainsi; un commissaire doit évaluer la demande d’un demandeur en fonction de la situation particulière de ce demandeur, et de la capacité de l’État à le protéger compte tenu de sa situation. Bien qu’ils puissent être instructifs, les témoignages rendus par d’autres individus au sujet d’événements comparables ne permettent pas de trancher définitivement la question de l’existence ou du caractère adéquat de la protection de l’État. Quoi qu’il en soit, cette prise de position de la part du demandeur était curieuse puisque dans l’un des témoignages auxquels il a fait référence, un individu était sous la protection policière, et, dans l’autre témoignage, l’individu est toujours sous protection policière et doit vivre en cachette. Cela indique que l’on peut raisonnablement considérer que la protection de l’État est offerte. Il est bien établi que la protection offerte par l’État n’a pas besoin d’être parfaite (Mendez et autres c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 584). Ce n’est pas parce que le demandeur ne croit pas que l’État offre une protection adéquate, que c’est objectivement le cas.

 

[16]           La Commission a dûment pris en compte les facteurs pertinents afin de déterminer si le demandeur avait eu recours à tous les mécanismes prévus par l’État pour assurer sa protection. Sa conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas réfuté selon la prépondérance des probabilités la présomption de protection de l’État en France était raisonnable.

 

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[17]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[18]           Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 1er février 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié par laquelle elle a rejeté la demande d’asile du demandeur est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1090-10

 

INTITULÉ :                                       ERVIN BAKU

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 25 novembre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Arash Banakar                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Me Mario Blanchard                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Arash Banakar                                                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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