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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20101116

Dossier : IMM-2025-10

Référence : 2010 CF 1150

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 16 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

LILLIAN NAOMI OWOBOWALE

ESTHER TEMITOPE OLUFUNWABI OWOBOWALE

JOAN TOLUWANIMI OWOBOWALE

PEACE OLUWATOBI OWOBOWALE

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La décision selon laquelle les demanderesses ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger comporte des lacunes importantes et doit être annulée. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’a pas analysé adéquatement les allégations des demanderesses mineures selon lesquelles elles craignent subir la mutilation génitale féminine (la MGF) si elles devaient retourner au Nigéria.

[2]               Les demanderesses sont Nigériennes : il s’agit de la mère, Lillian Naomi Owobowale, et de ses trois filles, Esther, Peace, et Joan, lesquelles étaient âgées respectivement de 15, 13, et 7 ans au moment où la Commission a rendu sa décision. Les demanderesses demandent l’asile parce qu’elles craignent que, si elles retournent au Nigéria, les membres de leur famille obligent les trois plus jeunes d’entre elles à subir une MGF. Mme Owobowale a subi cette intervention lorsqu’elle était âgée de 12 ans.

[3]               Les demanderesses sont de la tribu Yoruba, où la MGF est encore pratique courante;  on estime que 60 % des femmes yoruba subissent la MGF. La belle-famille de Mme Owobowale l’a souvent incitée à soumettre ses filles à la MGF. D’ailleurs, elle craint que sa belle-famille fasse subir ce traitement à ses filles sans son consentement. Les demanderesses ont été harcelées par des membres de la belle-famille qui voulaient la permission d’emmener les demanderesses mineures « en vacances », un euphémisme pour une excursion au village afin qu’elles subissent la MGF.

[4]               L’époux de Mme Owobowale habite aux États-Unis depuis 1999. Les parents des trois filles mineures sont des chrétiens régénérés et des pasteurs. Au Nigéria, Mme Owobowale a participé à des émissions de télévision dans le cadre de ses activités religieuses et a enregistré des albums de musique religieuse. Elle a tenté, sans succès, d’obtenir des visas de visiteur pour pouvoir entrer aux États-Unis. En juin 2005, Mme Owobowale et sa fille Joan ont obtenu un visa de visiteur pour le Royaume-Uni. Elle a visité le Royaume-Uni et a rencontré un avocat qui lui a dit qu’elle ne pourrait pas obtenir l’asile ou tout autre statut permanent au Royaume-Uni. Elle est retournée au Nigéria, mais elle a fait un autre voyage au Royaume-Uni en février 2006 en compagnie de ses trois filles. En août 2007, les membres de la belle-famille ont tenté d’emmener les filles « en vacances », mais les demanderesses ont refusé et elles sont restées chez une amie jusqu’au moment de leur départ pour le Canada en septembre 2007.

[5]               La Commission a conclu que « la question déterminante en l’espèce est l’absence de crainte objective et subjective des demandeures d’asile ».

[6]               La décision de la Commission était déraisonnable, car elle était centrée sur Mme Owobowale et ses actions et ne tenait pas adéquatement compte des trois jeunes filles qui sont bel et bien exposées à des risques de préjudice si elles retournaient au Nigéria. La Commission a accepté le récit des événements des demanderesses selon lequel il est évident que des membres de la famille au Nigéria veulent exciser les filles contre leur gré. Dans ce contexte, il est déraisonnable de mettre l’accent sur les décisions de la mère relativement au statut d’immigrant et sur son désir de travailler. Un court extrait du paragraphe 12 de la décision de la Commission illustre le caractère déraisonnable de la décision de la Commission : « Le tribunal estime que, en continuant d’exercer sa profession, la demandeure d’asile a préféré sa carrière à la sécurité de ses filles ».

[7]               Les choix que Mme Owobowale a faits dans sa vie ne sont pas des éléments pertinents à prendre en compte lorsqu’on évalue la crainte subjective éprouvée par ses enfants. La crainte subjective des demanderesses mineures ne peut pas être évaluée en fonction des décisions de leur mère, qui a présument tenté à la fois de les protéger et à la fois de subvenir à leurs besoins. Il était déraisonnable de la part de la Commission d’examiner les demandes de l’ensemble des demanderesses en ne concentrant son attention que sur Mme Owobowale. En outre, la conclusion de la Commission selon laquelle Mme Owobowale a accordé plus d’importance à sa carrière qu’à la sécurité de ses filles donne à entendre que ses filles ne seraient pas en sécurité au Nigéria. Le Guidance Note on Refugee Claims Relating to Female Genital Mutilation de mai 2009 du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, au paragraphe 10, renferme des règles permettant d’évaluer de façon raisonnable la crainte subjective des filles :

[traduction] Il peut arriver qu’une fille ne veuille pas ou ne puisse pas exprimer sa crainte, contrairement à ce à quoi on s’attendrait d’elle. […] Néanmoins cette crainte peut être considérée comme bien fondée puisque, objectivement, il est clair que la MGF est une forme de persécution. Dans de telles situations, il revient aux décideurs de faire une évaluation objective des risques auxquels est exposé l’enfant, et ce, malgré l’absence d’une expression de crainte.

[8]               La conclusion de la Commission selon laquelle les demanderesses n’ont pas établi l’existence d’une crainte subjective reposait uniquement sur l’appréciation des actions de Mme Owobowale. Cette conclusion était déraisonnable, comme l’était également la conclusion de la Commission relative à l’élément objectif de la crainte des filles.

[9]               Lorsqu’elle a apprécié l’élément objectif de la crainte des filles, la Commission n’a pas abordé la question sous l’angle des demanderesses mineures. Bien que la Commission ait souligné que les membres de la belle-famille n’ont pas tenté d’enlever de force les demanderesses mineures à leur mère, il semble qu’elle n’a pas tenu compte de la question plus pertinente : la MGF est un acte de violence physique non consensuel. Il n’est pas contesté que les membres de la belle-famille veulent forcer les demanderesses mineures à subir l’excision. Vu cette preuve, la Commission ne tient pas compte de la menace réelle qui vise les demanderesses mineures en attachant de l’importance au manque de conflit physique entre les membres de la belle-famille et la mère et au fait que les membres de la belle-famille finissent par s’en aller après les disputes portant sur la MGF.

[10]           Étant donné que des membres de la belle-famille veulent forcer les jeunes filles à subir une intervention dangereuse et douloureuse qui comporte de lourdes conséquences bien documentées, tant sur le plan physique que sur le plan psychologique, la conclusion de la Commission selon laquelle « aucun élément de preuve [ne donne] à penser que la belle-famille n’a fait guère plus que proférer simplement des menaces » est déraisonnable. En outre, la Commission était saisie d’une preuve incontestée que les membres de la belle-famille avaient tenté d’enlever les filles sans la permission de leur mère. La déclaration signée d’Esther, jointe au FRP des demanderesses, mentionne ce qui suit :

[traduction] Quelques semaines avant notre départ pour le Canada, des membres de la famille de mon père sont venus chez nous, mais cette fois-là ma mère et mon oncle n’étaient pas avec nous. J’ai répondu à la porte. Les membres de la famille de mon père m’ont dit que ma mère leur avait donné la permission de nous amener mes sœurs et moi en vacances dans leur village. Ils nous ont demandé de préparer nos bagages et d’aller passer du temps avec eux. Ma mère m’avait déjà dit de ne jamais quitter la maison sans l’avertir. Je suis donc allé dans la chambre à coucher, j’ai appelé ma mère et je lui ai tout dit. Elle m’a dit de rester à la maison et qu’elle revenait immédiatement. Lorsque ma mère est arrivée, elle était très fâchée contre la famille de mon père; elle nous a dit à mes sœurs et moi d’aller dans une autre pièce et je pouvais entendre ma mère et les membres de la famille de mon père se disputer violemment. J’ai eu très peur.

 

[11]           Il ressort clairement de cette déclaration et de la preuve que des membres de la belle-famille sont prêts à utiliser n’importe quel subterfuge pour faire subir la MGF aux demanderesses mineures. Dans ce contexte, une conclusion selon laquelle la crainte des demanderesses mineures est dénuée de fondement objectif est déraisonnable.

[12]           De plus, je souscris aux arguments des demanderesses selon lesquels la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du risque objectif auquel sont exposées les demanderesses mineures compte tenu de leur profil et de la preuve documentaire disponible. Les demanderesses ont présenté des éléments de preuve qui démontrent que la MGF est répandue dans la tribu Yoruba et que les demanderesses mineures font partie du groupe d’âge visé par la MGF. Dans la décision Alexandria c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1616, au paragraphe 4, le juge Campbell a estimé que « […] [ la SPR] aurait dû prendre en compte les éléments de preuve suivants : la fille de la demanderesse est Nigériane, elle est en bas âge et la MGF est très répandue au Nigéria ».

[13]           Le Commissaire n’a abordé aucun des éléments de la preuve documentaire objective qui démontrent clairement que les demanderesses mineures risquent d’être excisées.

[14]           La déclaration de la Commission selon laquelle il n’y a eu aucune communication avec les membres de la belle-famille depuis 2007 et qu’il n’y aucune preuve que les membres de la belle-famille sont intéressés à reprendre contact avec les demanderesses si elles devaient retourner au Nigéria, ne tient pas compte de la raison pour laquelle il n’y a pas eu de communication : les demanderesses sont en sécurité au Canada, hors de leur portée. Étant donné les nombreuses tentatives de la part des membres de la belle-famille pour forcer les demanderesses mineures à subir la MGF, il n’y a aucun fondement logique à l’argument de la Commission selon lequel les membres de la belle-famille ne tenteraient pas de reprendre contact avec les demanderesses si elles revenaient au Nigéria.

[15]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.         la demande est accueillie, la décision rendue le 19 mars 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est annulée et les demandes par lesquelles les demanderesses cherchent à se faire reconnaître le statut de réfugiées ou de personnes à protéger sont renvoyées à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen;

 

2.         aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2025-10

 

INTITULÉ :                                       LILLIAN NAOMI OWOBOWALE et autres

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 novembre 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 16 novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Naomi Minwalla

POUR LES DEMANDERESSES

 

Cindy Mah

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Naomi Minwalla

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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