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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20101109

Dossier : IMM-547-10

Référence : 2010 CF 1118

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 novembre 2010

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

FRANK BRODRICK

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 11 janvier 2010 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiés (la Commission) a statué que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le demandeur n’a pas réussi à établir son identité de manière à permettre à la Commission de conclure qu’il était bien qui il disait être.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

A.        Contexte factuel

 

[3]               Le demandeur, Frank Brodrick, est un citoyen de la République fédérale du Nigéria (Nigéria). Il dit être gai et demander l’asile au Canada pour échapper à la persécution qu’il aurait subie aux mains de son ex-copain, Roy, et d’autres membres d’une société clandestine gaie. Le demandeur prétend que ces hommes ont recruté la police nigériane pour que celle-ci le trouve et le tue.

 

[4]               Le demandeur prétend qu’il s’est joint à une société clandestine gaie appelée la X-Guys Society en août 2005. Par l’entremise de ce groupe, le demandeur a rencontré Roy en septembre 2005. Le demandeur et Roy ont eu une relation jusqu’en juillet 2007, lorsque le demandeur a rencontré un nouveau membre des X-Guys, Kay. Le demandeur et Kay ont commencé à se fréquenter clandestinement. Lorsque Roy a découvert que le demandeur avait une aventure, il l’a agressé et l’a menacé, à la suite de quoi le demandeur a dû être hospitalisé.

 

[5]               Alors qu’il était à l’hôpital, le demandeur a reçu un appel téléphonique d’un autre membre de la X-Guys Society qui l’a informé que Roy avait engagé des voyous et d’autres membres de la société pour venir le tuer. Le demandeur a appris plus tard que Roy avait aussi engagé les services de la police pour que celle-ci lui « donne une leçon », sous prétexte que le demandeur était un homosexuel qui avait tenté de séduire Roy. Roy et des policiers se seraient présentés chez les parents du demandeur et les auraient battus après que ceux-ci eurent refusé de dire où se trouvait leur fils.

 

[6]               Le demandeur s’est enfui à Lagos, où il a passé quatre jours à l’hôtel. Il a rencontré un agent qui a pris des dispositions pour qu’il puisse se rendre à Madrid, en Espagne. Dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), le demandeur affirme qu’il est resté à l’hôtel à Madrid, et que c’est là qu’il a trouvé un sac contenant le passeport canadien d’un Canado-Nigérian ainsi que d’autres pièces d’identité et un billet aller-simple pour Toronto. Cependant, lors de son audience devant la Commission, le demandeur a affirmé dans son témoignage qu’il avait découvert le sac dans un parc. Le demandeur a utilisé ces documents pour venir au Canada, où il est arrivé le 18 septembre 2007 et a demandé l’asile à l’aéroport.

 

B.        La décision attaquée

 

[7]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité. Étant donné les nombreuses réserves que la Commission avait quant à la crédibilité du témoignage du demandeur et quant aux documents que celui-ci avait produits pour corroborer sa demande, la Commission a tiré les conclusions suivantes :

·                    Le demandeur n’avait pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que son véritable nom était soit Frank Brodick ou Frank Brodrick. Lorsqu’il avait été interrogé au point d’entrée (PDE), le demandeur avait dit à l’Agence des services frontaliers que son nom était Frank Brodick, il avait signé des documents sous ce nom, et il avait employé ce nom pour désigner d’autres membres de sa famille. Sur son FRP, le nom dactylographié du demandeur était Brodrick; cependant, là où le demandeur avait écrit son nom à la main, il avait écrit Brodick. Lors de la deuxième séance de l’audition de sa demande, lorsqu’il lui avait été demandé de clarifier cette différence de noms, le demandeur avait affirmé que son nom était Brodrick. Il avait expliqué que cette différence était attribuable à son peu d’instruction, puis à l’excitation qu’il avait éprouvée à être au Canada. Le témoignage du demandeur quant à son peu d’instruction était contradictoire, et son faible degré d’alphabétisation avait été réfuté par le document qu’il avait lui-même produit, et qui était un imprimé de son profil sur le site Web gay.com, qu’il avait dit avoir rédigé lui-même. La Commission a conclu que ces explications étaient déraisonnables et qu’elles manquaient de crédibilité.

·                    Le demandeur avait produit un passeport nigérian frauduleux dans le but conscient d’induire la Commission en erreur. Le passeport du demandeur, au nom de Frank Brodrick, avait été envoyé à la GRC pour vérification. Au terme de son analyse, la GRC avait conclu qu’une page contrefaite relative à la date biologique avait été insérée par-dessus la page originale. Bien que le demandeur eût insisté pour dire qu’il avait obtenu le passeport légalement, la Commission a accordé plus de poids à l’analyse de la GRC qu’au témoignage du demandeur selon lequel les autorités nigérianes lui avaient délivré un document trafiqué. La Commission n’a pas conclu que le témoignage du demandeur était raisonnable ou crédible.

·                    Les autres pièces d’identité que le demandeur avait produites étaient fausses. Le demandeur avait produit une déclaration solennelle d’âge faite par M. Henry Brodrick et une demande de certificat de naissance national faite par M. Henry Brodrick pour corroborer qu’il était Frank Brodrick. Le demandeur avait affirmé que Henry était son meilleur ami, dont il ne connaissait pas le nom de famille, tandis que, dans la déclaration solennelle, Henry Brodrick avait affirmé qu’il était l’oncle du demandeur. La Commission a trouvé déraisonnable l’explication du demandeur selon laquelle cette confusion était probablement attribuable au fait que Henry craignait lui-même pour sa vie. Le demandeur avait aussi produit un permis de conduire nigérian qui avait été délivré après son passeport, même s’il avait d’abord affirmé qu’il avait obtenu les deux documents en même temps. Lors de la dernière séance de la Commission, le demandeur avait produit un certificat d’identité délivré d’urgence par le haut-commissariat nigérian à Ottawa. Puisque le certificat était fondé uniquement sur les déclarations du demandeur, que la Commission n’avait pas trouvé crédibles, la Commission n’a accordé aucun poids à cet élément de preuve. Le demandeur avait également produit une carte d’identité d’employé indiquant que le demandeur était Frank Brodrick, de même qu’une carte de membre « du 519 » délivrée à Frank Brodick. La Commission a conclu que ni l’un ni l’autre de ces documents ne confirmait l’identité du demandeur.

·                    Les éléments de preuve relatifs à l’identité des membres de la famille manquaient de crédibilité. Au PDE, le demandeur avait prétendu qu’il avait une sœur nommée Ken Brodick qui vivait à Toronto. Dans son FRP, le demandeur avait écrit qu’il avait une cousine/sœur nommée Lisa Brodrick à Toronto. Étant donné les déclarations contradictoires concernant la famille du demandeur, la Commission a conclu que les éléments de preuve que le demandeur avait produits concernant l’identité des membres de sa famille et leurs lieux de résidence manquaient de crédibilité et constituaient une autre confirmation de ce que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité personnelle.

·                    Les circonstances dans lesquelles le demandeur prétendait être venu au Canada étaient trop fortuites pour être vraies, et les éléments de preuve du demandeur à cet égard étaient invraisemblables et n’étaient pas crédibles.

 

II.         La question en litige

 

[8]               La présente demande soulève essentiellement la question suivante :

a)         La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réussi à prouver son identité personnelle était-elle raisonnable?

 

III.       La norme de contrôle

 

[9]               Les conclusions de la Commission au sujet des pièces d’identité du demandeur sont des conclusions de fait qui commandent une très grande retenue lors d’un contrôle judiciaire (Qiu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 259, 176 A.C.W.S. (3d) 493, au paragraphe 4).  Il convient également de faire preuve de la retenue qui s’impose à l’égard des décisions de la Commission qui concernent la crédibilité, le poids accordé aux éléments de preuve et l’appréciation des éléments de preuve. Ces conclusions sont toutes sujettes à contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.), au paragraphe 4; N.O.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045, [2009] A.C.F. no 1286, au paragraphe 38).

 

[10]           Comme la Cour suprême du Canada l’a affirmé dans les arrêts Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 et Khosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CSC 12; [2009] 1 R.C.S. 339, le caractère raisonnable tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

IV.       Arguments et analyse

 

A.        La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’a pas réussi à établir son identité est raisonnable

 

[11]           Pour pouvoir obtenir l’asile, le demandeur doit démontrer qu’il est bien qui il prétend être. Comme l’a expliqué la juge Danielle Tremblay-Lamer dans Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 877, 74 Imm. L.R. (3d) 28, au paragraphe 14 :

[…] Il incombe au demandeur de présenter des documents acceptables pour établir son identité. Cependant, s’il n’est pas en mesure de le faire, la Commission doit prendre en compte le fait que le demandeur ne peut raisonnablement justifier l’absence de tels documents et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

[12]           L’article 106 de la LIPR et l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés soulignent l’importance d’établir l’identité du demandeur.

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

 

[13]           Lorsque l’identité n’est pas établie, la Commission n’a nullement l’obligation d’examiner plus avant la demande (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 F 296, 146 A.C.W.S. (3d) 704, au paragraphe 8).  Dans la présente affaire, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité de manière crédible, selon la prépondérance des probabilités.

 

[14]           Le demandeur soutient que la Commission a agi de manière déraisonnable lorsqu’elle a rejeté son témoignage expliquant les différentes épellations de son nom de famille. Le demandeur soutient en outre que la Commission a erré lorsqu’elle a conclu que son passeport nigérian était frauduleux et lorsqu’elle a rejeté les autres pièces d’identité justificatives.

 

[15]           Le demandeur réplique que le demandeur ne fait que soutenir que la Commission aurait dû tirer d’autres inférences relativement à son témoignage. Afin de justifier un contrôle judiciaire de la décision, il faudrait que le demandeur démontre que les éléments de preuve n’étayent d’aucune façon les inférences que la Commission a tirées.

 

[16]           À mon avis, le défendeur a raison de soutenir que le demandeur n’a présenté aucun argument selon lequel la Commission aurait commis une erreur susceptible de révision. Les éléments de preuve justifiaient amplement la conclusion de la Commission selon laquelle les explications du demandeur n’étaient pas convaincantes et étaient déraisonnables. Dans la décision attaquée, la Commission documente plusieurs contradictions et incohérences relevées dans les éléments de preuve du demandeur. Il s’agit là d’un fondement bien établi à une conclusion de manque de crédibilité, et une telle conclusion est considérée comme « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » (He c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1107, 49 A.C.W.S. (3d) 562 (C.A.F.) (QL), au paragraphe 2).

 

[17]           Pour ce qui concerne les pièces d’identité, le demandeur cite plusieurs décisions au soutien de sa prétention selon laquelle il ne peut être conclu que des pièces d’identité apparemment délivrées validement sont frauduleuses si aucun élément de preuve ne le démontre. Cependant, l’analyse du passeport par la GRC et le témoignage souvent contradictoire du demandeur ont fourni ensemble à la Commission une abondance d’éléments de preuve à partir desquels il était raisonnable de rejeter ces documents. La Commission a expliqué en détail comment et pourquoi elle avait examiné chaque preuve d’identité, puis ne leur avait attribué aucune valeur probante.

 

[18]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pas tenu compte d’un document qui faisait partie du cartable national de documentation et qui expliquait la grande accessibilité de documents contrefaits au Nigéria. Cependant, la Commission a traité de cet élément de preuve documentaire, et elle a conclu qu’en l’espèce, le demandeur avait obtenu de faux documents dans le but conscient d’induire la Commission en erreur.

 

[19]           En outre, contrairement à ce que soutient le demandeur, la Commission n’est pas tenue de soumettre à une analyse judiciaire chaque élément de preuve dont elle doute de l’authenticité. Pourvu qu’il existe suffisamment d’éléments de preuve pour qu’il soit raisonnable de douter de l’authenticité d’un document, la Commission n’est pas tenue de procéder à une expertise (Hossain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 160, 102 A.C.W.S. (3d) 1133, au paragraphe 4).

 

[20]           Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle évaluation de l’efficacité des tentatives du demandeur d’expliquer ou de justifier ses éléments de preuve contradictoires ou invraisemblables. Il n’y a aucune raison de modifier la conclusion de la Commission.

 

V.        Conclusion

 

[21]           La Commission avait un motif raisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité.

 

[22]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et il ne s’en pose aucune.

 

[23]           Compte tenu des conclusions qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-547-10

 

INTITULÉ :                                       BRODRICK

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 OCTOBRE 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 9 NOVEMBRE 2010

 

COMPARUTIONS :

 

Richard Odeleye

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Richard A. Odeleye

Babalola, Odeleye

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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