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Date : 20101101

Dossier : IMM‑4509‑09

Référence : 2010 CF 1069

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er novembre 2010

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD NAEEM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) à l’encontre de la décision, en date du 28 août 2009, par laquelle un agent d’immigration (l’agent) a conclu à l’interdiction de territoire du demandeur en application de l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

[2]               Le demandeur sollicite l’annulation de la décision de l’agent et le renvoi de l’affaire à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour nouvel examen par un autre agent.

 

Contexte

 

[3]               Né en 1972 à Karachi, le demandeur est un citoyen du Pakistan. Il appartient au sous‑groupe ethnique des Mohajirs, établi dans la province de Sindh, dans le sud du Pakistan. La plupart des Mohajirs vivant au Pakistan qui parlent l’ourdou sont les descendants de familles qui avaient fui l’Inde au moment de la partition de ce pays en 1947. Le mouvement mohajir quami (le MQM) a été formé en 1984 pour défendre les intérêts des Mohajirs du Sindh de langue ourdoue.

 

[4]               De 1988 à 1993, le demandeur a été membre de l’organisation de tous les étudiants mohajirs du Pakistan (l’APMSO), l’aile étudiante du MQM, dont il a également été membre d’avril 1988 à mars 1999.

 

[5]               Le demandeur a été un membre actif de l’APMSO, dont il a été secrétaire adjoint de 1998 à 1990. Par la suite, de 1990 à 1993, le demandeur a fréquenté un autre établissement d’enseignement. Pendant cette période, il n’était qu’un membre régulier de l’APMSO et il participait régulièrement à des assemblées et à des rassemblements du mouvement mohajir quami Altaf (le MQM‑A).

 

[6]               Le demandeur allègue que le MQM s’est scindé en 1992 en deux factions, la faction MQM‑A dirigée par Altaf Hussain, et la faction MQM‑H. Après la scission, le demandeur n’a été affilié qu’au MQM‑A.

 

[7]               Toutefois, bon nombre de publications, dont la plupart des publications que cite le défendeur, présentent le MQM comme une seule organisation.

 

[8]               Le gouvernement pakistanais a commencé à adopter une position dure envers le MQM, ce qui, en 1993, a amené le demandeur à se cacher. De 1993 à 1999, le demandeur a vécu dans la clandestinité et n’a pas travaillé pour le MQM‑A. Il affirme qu’il cherchait à l’époque seulement à sauver sa vie et à survivre à la répression militaire.

 

[9]               Le demandeur est arrivé au Canada le 22 avril 1999. Il a demandé l’asile et l’a obtenu le 21 février 2001. Le demandeur a mentionné son appartenance aux organisations susmentionnées dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP).

 

[10]           La demande de résidence permanente du demandeur a fait l’objet d’une approbation de principe le 3 mai 2001, sous réserve d’une vérification de ses antécédents. Le demandeur a été interviewé par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) le 12 mars 2002 et, depuis, il a fait l’objet de trois constats distincts d’interdiction de territoire fondés sur l’alinéa 34(1)f) de la Loi.

 

[11]           Le 25 février 2005, le demandeur s’est présenté devant un agent d’immigration pour une entrevue d’admissibilité. Aux termes d’une décision datée du 7 mars 2005, le demandeur a été déclaré interdit de territoire en raison de son appartenance à l’APMSO et au MQM‑A au motif que ces organisations s’étaient livrées à du terrorisme. Il a saisi notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire. La Cour a annulé la décision et renvoyé l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision (Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 4 R.C.F. 658, 60 Imm. L.R. (3d) 221 (la décision Naeem 2007)).

 

[12]           Une seconde entrevue a eu lieu le 23 janvier 2008 devant un autre agent. Par lettre datée du 23 mai 2008, le demandeur a de nouveau été déclaré interdit de territoire en raison de son appartenance au MQM. Notre Cour a encore une fois annulé la décision et renvoyé l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision (Naeem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1375, 78 Imm. L.R. (3d) 23 (la décision Naeem 2008)).

 

[13]           En mai 2009, l’agent A. Sorenson a envoyé une lettre au demandeur lui indiquant à nouveau que, selon certains renseignements détenus par CIC, il était peut‑être interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 34(1)f) de la Loi en raison de son appartenance au MQM. Un dossier d’information sur le MQM était joint à la lettre.

 

[14]           Le 2 juin 2009, le demandeur a assisté à une entrevue au bureau de CIC à Scarborough, en compagnie d’un avocat. À cette entrevue, il a déclaré que le MQM‑A n’avait jamais été violent et n’avait jamais ni soutenu ni encouragé le recours à la violence. Il a ajouté que tout acte de violence qui avait pu être commis en 1995 aurait été l’œuvre de membres voyous du MQM agissant contre les activités approuvées par le groupe. Il a aussi répondu, au sujet des actes de violence du MQM qui avaient été signalés, que la plupart des incidents cités par CIC étaient tirés de journaux pakistanais qui avaient un parti pris contre le MQM. Pour démontrer que le MQM‑A n’était pas un groupe terroriste, le demandeur a souligné que le sous‑secrétaire d’État des États‑Unis avait rencontré le chef de ce mouvement, Altaf Hussain, en plus de mentionner que le maire de Karachi, un représentant du MQM, était un homme respecté. Il a aussi soulevé le fait que tous les documents de CIC étaient rédigés par des gens qui n’avaient pas vu de leurs yeux la violence dont ils rendaient compte. Pour terminer, le demandeur a signalé que tout acte de violence du MQM, le cas échéant, était probablement attribuable à la faction Haqiqi du MQM, ou MQM‑H, laquelle avait été éliminée du parti, ou à d’autres membres voyous.

 

[15]           Après l’entrevue, l’avocat du demandeur a envoyé un document contenant un dossier d’information sur le MQM visant à contrer l’information transmise par CIC. Le dossier renfermait notamment des transcriptions des témoignages de Mme Lisa M. Given et M. Gowher Rizvi à l’audition d’une demande d’asile en 2006 (les transcriptions des témoignages d’experts) qui remettraient en question la validité et la fiabilité des sources invoquées par CIC.

 

Décision de l’agent

 

[16]           Dans sa décision, l’agent A. Sorensen (l’agent) a conclu que le demandeur avait été membre du MQM‑A et de son aile étudiante, l’APMSO, et qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A s’était livré au terrorisme.

 

[17]           L’appartenance du demandeur aux organisations en cause n’était pas en litige. La question était celle de savoir si ces organisations s’étaient livrées à du terrorisme.

 

[18]           L’agent a examiné les sources de CIC suivantes :

1.                  Document publié en novembre 1996 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, intitulé Le Pakistan : le Mouvement Qaumi Mohajir (MQM) à Karachi, janvier 1995‑avril 1996, dans lequel étaient relatées les origines du MQM et de l’APMSO, deux organisations fondées par Altaf Hussain en 1984 et en 1978 respectivement.

2.                  Publication de Jane’s intitulée Jane’s World Insurgency and Terrorism profile, exposant la chronologie de faits cruciaux liés au MQM‑A, notamment :

a.       1986 – Grand rassemblement du MQM au cours duquel Altaf Hussain a déclaré que les Mohajirs devaient constituer des stocks d’armes. À un autre rassemblement, il a affirmé : [traduction] « si nos droits ne nous sont pas reconnus, nous emploierons la force sous toutes ses formes ».

b.      1988 – Assassinats présumés, par le MQM, de 90 Sindhis au cours de divers incidents. Toujours en 1988, des militants de l’APMSO auraient agressé d’autres étudiants et des maîtres de conférences sous la supervision de cinq conseillers municipaux élus.

c.       1990 – Karachi et Hyderbad ont été le siège d’émeutes violentes et d’actes de terrorisme politique; le MQM a refusé de participer à une conférence visant à négocier la paix au Sindh.

3.                  Article du New York Times datant de 1986 sur la violence généralisée entre les Mohajirs et d’autres groupes à Karachi.

4.                  Article de la revue universitaire Asian Survey, qui décrit la création du MQM à la suite de violences ethniques.

5.                  Informations faisant état d’actes de violence commis en 1995 lorsque le MQM se serait livré à des actes de terrorisme en déclenchant des émeutes et en organisant une attaque massive des quartiers anti‑MQM. Selon les sources, la violence a été provoquée par l’assassinat d’un membre important du MQM et le viol de la sœur d’un autre membre.

a.   L’agent a examiné et cité des articles des sources suivantes : CISR, Toronto Star, New York Times, Reuters News et l’Agence France‑Presse.

6.                  Document de 1996 d’Amnistie Internationale, intitulé « Pakistan : Situation critique des droits de l’homme à Karachi » et faisant état d’actes de violence et d’atteintes aux droits de la personne attribués au MQM durant les émeutes de 1995 à Karachi.

 

[19]           Le demandeur a soutenu qu’il n’existait aucun élément d’information crédible et fiable permettant d’affirmer que le MQM‑A s’était livré à du terrorisme. Il a ajouté que tout acte de violence qui avait pu être commis était l’œuvre de membres voyous du MQM‑A agissant de leur propre chef. Après avoir examiné la preuve documentaire du demandeur, l’agent s’est dit en désaccord avec ces affirmations. Les éléments de preuve documentaire susmentionnés ont convaincu l’agent qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que MQM‑A était une organisation qui s’était livrée à du terrorisme et que l’APMSO était une composante du MQM‑A. L’agent s’est également dit convaincu que [traduction] « […] les actes de terrorisme auxquels le MQM‑A s’est livré ne sauraient être qualifiés de recours occasionnel à la violence. Je suis convaincu que le MQM‑A s’est livré à du terrorisme pour promouvoir son programme politique et pour s’imposer comme principale organisation à Karachi, au Pakistan ».

 

[20]           L’agent a ensuite expliqué pourquoi les déclarations des experts ne l’avaient pas convaincu. Dans son témoignage, Mme Given avait soulevé d’éventuels problèmes en ce qui concerne les méthodes de recherche de certaines sources de CIC, dont Jane’s et Amnistie Internationale. L’agent a par ailleurs constaté que Mme Given n’avait signalé aucun problème pour bon nombre des sources de CIC et que CIC avait puisé ses renseignements sur le MQM dans un éventail de sources et pas seulement auprès de Jane’s et d’Amnistie Internationale. L’agent a aussi contesté les critiques faites par Mme Given et a fait remarquer que la CISR et les tribunaux avaient confirmé la fiabilité de Jane’s et d’Amnistie Internationale comme sources. Malgré les critiques, l’agent a déclaré être convaincu que, dans l’ensemble, les sources de CIC étaient fiables et valables.

 

[21]           Dans sa déclaration et son témoignage de 2006, M. Rizvi avait mentionné que le MQM ne préconisait pas la violence, mais il ne pouvait pas nier que des membres du MQM avaient commis des actes de violence. L’agent a conclu qu’après avoir examiné les sources susmentionnées et les transcriptions des témoignages d’experts, il était convaincu que le MQM‑A s’était livré à des actes de terrorisme et il n’était pas convaincu, par contre, que les actes de terrorisme en question étaient attribuables à des membres qui agissaient à titre personnel.

 

[22]           En conclusion, l’agent a décidé qu’à la suite d’un examen des documents au dossier, il y avait des motifs raisonnables de croire que le MQM ou le MQM‑A s’était livré au terrorisme au sens de l’alinéa 34(1)c), que l’APMSO constituait l’aile étudiante du MQM et que la participation du demandeur aux deux organisations signifiait qu’il en était membre. Par conséquent, le demandeur était interdit de territoire au Canada.

 

Questions en litige

 

[23]           Le demandeur a soumis les trois questions suivantes à la Cour :

1.         L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en n’utilisant pas le critère applicable à une situation où une organisation se livre à des actes de terrorisme?

2.         L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en concluant que l’APMSO et le MQM‑A s’étaient livrés à des actes de terrorisme, en ce sens qu’il a omis d’expliquer comment il comprenait la notion de « terrorisme » et comment il l’a appliquée et qu’il a omis de fournir une analyse et des motifs adéquats relativement à sa conclusion?

3.         L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit du fait qu’il a mal compris les témoignages d’expert de Mme Given et de M. Rizvi et qu’il a omis de fournir des motifs valables de son refus d’accepter ces témoignages?

 

[24]           Les parties conviennent que la norme de contrôle qui s’applique à toutes ces questions est celle de la décision raisonnable.

 

Observations écrites du demandeur

 

[25]           Le demandeur admet que des membres du MQM‑A ont commis des actes de violence, mais il allègue que la position officielle de la direction du MQM consiste à ni tolérer ni encourager la violence, sous quelque forme que ce soit, et que des membres qui ont commis des actes de violence ont été expulsés. C’est le MQM‑H qui a commis des actes de violence susceptibles de constituer des actes de terrorisme, et le MQM‑A nie tout lien avec le MQM‑H.

 

[26]           Le demandeur fait valoir que l’agent a conclu que des membres de l’organisation s’étaient livrés au terrorisme, mais il devait plutôt conclure que l’organisation même s’était livrée à de tels actes et fournir un raisonnement juridique à l’appui de sa position. L’agent n’a pas saisi la distinction entre des actes commis par des membres ou des activistes et des actes commis par l’organisation même. Dans ses motifs, il n’a jamais mentionné le manifeste ou la plateforme politique du MQM, ou encore le fait que l’organisation rejetait la violence. Suivant le demandeur, ni le manifeste du MQM ni les écrits d’Altaf Hussain ne contiennent la moindre indication que le MQM croit à la violence ou la préconise. Au contraire, les documents révèlent la foi en la tolérance, la démocratie et l’égalité des droits. L’agent a également reçu un exposé de principe que M. Altaf Hussain avait rédigé en réponse aux allégations non fondées des autorités pakistanaises. De plus, il importe de souligner que ni le Canada ni les États‑Unis n’ont placé le MQM‑A sur leurs listes de groupes terroristes et que le MQM‑A exerce ouvertement ses activités au Canada. Le demandeur affirme que le MQM‑A est un parti politique du Pakistan qui est représenté à l’Assemblée législative et au gouvernement de la province de Sindh ainsi qu’au Parlement et au Sénat du Pakistan. Le MQM‑A exerce aussi ses activités ouvertement au Royaume‑Uni, où se trouve son siège.

 

[27]           Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur de droit en n’expliquant pas comment il comprenait la notion de « terrorisme » et comment il l’a appliquée. Il n’a ainsi pas fourni une analyse et des motifs adéquats à l’appui de sa conclusion.

 

[28]           Le demandeur allègue que l’agent a simplement énuméré des incidents violents documentés. L’agent a reproduit la définition de terrorisme et a conclu que la documentation tirée de sources crédibles indiquait que le MQM‑A s’était livré au terrorisme. Il faut soutenir par des éléments de preuve une conclusion selon laquelle une organisation se livrait au terrorisme.

 

[29]           L’agent doit préciser les actes précis du MQM‑A qui répondent à la définition de terrorisme et fournir une analyse de ces éléments de preuve. Il faut que les actes qui ont été commis aient eu pour but de tuer ou de blesser grièvement, qu’ils aient été commis contre des civils et qu’ils aient eu pour objectif d’intimider une population ou de contraindre un gouvernement à faire ou à ne pas faire un acte quelconque. Dans Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 246, [2006] 4 R.C.F. 471 (la décision Jalil 2006) au paragraphe 32, la Cour a expliqué que l’agent doit fournir la définition de « terrorisme » et expliquer en quoi les actes énumérés répondent à la définition de ce terme. En l’espèce, l’agent a omis d’expliquer pourquoi il avait assimilé ces actes violents à des actes de terrorisme.

 

[30]           Le demandeur soutient que l’article de 1986 du New York Times faisait uniquement état de la violence généralisée qui régnait à Karachi et qu’il relatait en fait des incidents au cours desquels les Mohajirs avaient été victimes de cette violence, que le gouvernement attribuait à des trafiquants d’armes et de drogue mécontents, et non au MQM. De plus, le rapport de Jane’s sur le MQM‑A est, selon le demandeur, d’une fiabilité douteuse et ne peut être qualifié de source de renseignements crédibles et convaincants permettant de respecter la norme des motifs raisonnables de croire énoncée dans l’arrêt Mugesera c. Canada (Ministre Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100. Les autres sources de CIC sont également insatisfaisantes à cet égard parce qu’elles ne précisent pas ce sur quoi elles reposent.

 

[31]           L’agent a également commis une erreur en se fondant sur des éléments de preuve portant sur la période postérieure à 1993, puisque le demandeur n’était plus un membre actif du MQM‑A à cette époque et qu’il avait dû se réfugier dans la clandestinité.

 

[32]           Le demandeur avance que l’agent a mal interprété les témoignages d’expert de Mme Given et de M. Rizvi, qu’il n’en a pas tenu compte et qu’il n’a pas expliqué pourquoi il les rejetait. L’agent n’a pas compris le but du témoignage de Mme Given, soit de donner un aperçu de la façon de déterminer la fiabilité et la crédibilité des renseignements tirés d’une source d’information. Il affirme qu’il s’agit d’une erreur susceptible de révision. Mme Given avait souligné qu’il fallait aborder les questions d’autorité, de fiabilité, d’objectivité et de couverture. Ces questions étaient fondamentales pour établir la fiabilité des documents sur lesquels l’agent s’était fondé. Mme Given avait aussi mis en garde contre le phénomène du document qui acquiert une fiabilité non méritée du seul fait qu’il est devenu une source pour d’autres documents. Le fait que l’agent n’ait pas alors expliqué pourquoi il acceptait toujours la preuve tirée de Jane’s et d’Amnistie Internationale en dépit des critiques formulées par Mme Given, constitue une erreur susceptible de révision.

 

[33]           L’agent a commis une erreur en n’analysant pas et en ne motivant pas son refus d’accepter le témoignage de M. Rizvi. Cette erreur est d’autant plus flagrante que ce témoignage corroborait celui du demandeur sur les politiques du MQM‑A. M. Rizvi est très réputé pour sa connaissance de la politique pakistanaise, il n’avait aucun intérêt dans cette affaire et il avait accepté de témoigner gratuitement pour que la vérité jaillisse. M. Rizvi a été catégorique sur le fait que le MQM‑A ne prônait pas la violence et qu’il constituait un parti politique démocratique. La documentation de M. Rizvi révélait aussi que, par le passé, les militaires pakistanais s’étaient empressés d’interdire certains partis politiques, mais jamais le MQM, et que ce dernier fait la promotion d’objectifs séculiers. L’agent n’a tenu compte d’aucun de ces éléments de preuve cruciaux. Dans la décision Naeem 2008, précitée, il a été jugé que le défaut d’examiner plus à fond le témoignage d’un expert constitue une erreur susceptible de révision.

 

Observations écrites du défendeur

 

[34]           Le défendeur affirme que la décision de l’agent était manifestement raisonnable. Il ajoute que le demandeur n’a soumis aucune preuve convaincante permettant de penser que l’agent s’est trompé sur les questions ou les faits en cause ou que les conclusions qu’il a tirées étaient inexactes. L’agent n’a par ailleurs commis aucune des erreurs signalées par la juge Dawson et le juge Gibson dans les décisions Naeem 2007 et Naeem 2008, précitées.

 

[35]           Ce n’est pas parce que le mot « terrorisme » n’est pas mentionné dans le manifeste, le programme ou les publications du MQM‑A qu’il était pour autant impossible pour l’agent de conclure que le MQM‑A se livre ou s’est livré à du terrorisme. On peut à juste titre écarter ces documents lorsque la preuve démontre que l’organisation en cause recourt au terrorisme pour atteindre ses objectifs. Contrairement à ce que prétend le demandeur, en l’occurrence que toute la violence terroriste est l’œuvre de la faction rivale, le MQM‑H, la preuve démontre que les deux factions, à savoir le MQM‑A et le MQM‑H, utilisent la violence inconsidérée comme outil.

 

[36]           De même, la légalité actuelle du MQM‑A au Canada, aux États‑Unis ou au Royaume‑Uni n’a rien à voir avec la question que l’agent était appelé à trancher, à savoir s’il existait des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A se livre ou s’est livré à du terrorisme.

 

[37]           Après avoir défini correctement le terrorisme, l’agent a conclu que les actes accomplis par le MQM‑A dont il est fait état dans la preuve documentaire constituaient du terrorisme. L’agent a examiné les objections à la preuve soulevées par les experts, mais il a finalement conclu que les éléments de preuve documentaires objectifs défavorables au MQM‑A étaient suffisants, crédibles et dignes de foi. La Cour a, à quelques reprises, confirmé la légitimité de la décision des agents de se fier aux mêmes sources documentaires pour conclure à l’existence de motifs raisonnables de croire que le MQM‑A s’est livré à du terrorisme. La Cour a par ailleurs expliqué dans Ali c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1306, [2005] A.C.F. no 1590, au paragraphe 40 :

Le MQM est reconnu pour nombre d’activités criminelles qui sont attestées dans la documentation : violences […], possession d’armes […], grèves violentes […], sévices contre les dissidents […], extorsion […], participation aux guérillas urbaines […], meurtres et torture.

 

[38]           Les arguments invoqués par le demandeur au sujet de l’appréciation que l’agent a faite du témoignage des experts équivalent à un désaccord avec l’appréciation que l’agent a faite de la preuve. Le défendeur affirme que l’agent a analysé la transcription du témoignage des experts en détail et qu’il a analysé leurs arguments, mais qu’en fin de compte, il a expliqué pourquoi il préférait les autres éléments de preuve. Cette appréciation de la preuve faisait partie du pouvoir discrétionnaire de l’agent.

 

Analyse et décision

 

[39]           Question 1

            L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en n’utilisant pas le critère applicable à une situation où une organisation se livre à des actes de terrorisme?

            Selon l’alinéa 34(1)f) de la Loi, emporte interdiction de territoire le fait d’être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte de terrorisme. Le demandeur souligne à raison qu’il ne suffit pas pour l’agent de conclure que des personnes ou militants qui se trouvent à être membres d’une organisation se sont livrés à de tels actes.

 

[40]           Le demandeur affirme qu’il faut appliquer un critère juridique additionnel distinct pour déterminer si une organisation se livre à du terrorisme. Suivant le demandeur, l’agent doit conclure que l’organisation en question commet des actes de terrorisme [traduction] « […] soit en raison de son manifeste et de son programme, soit en assumant sa responsabilité, en tant qu’organisation, relativement à certains actes de terrorisme, soit encore en encourageant ou en incitant autrui à commettre de tels actes » (dossier du demandeur, au paragraphe 52). Je ne suis pas de cet avis. La conclusion à tirer est de nature factuelle. Certes, il faut tenir compte jusqu’à un certain point de la différence entre les agissements des membres lorsqu’ils agissent de leur propre chef et les actes expressément ou tacitement approuvés par l’organisation. Il n’y a ni précédent ni fondement quelconque qui permette de retenir le critère supplémentaire que le demandeur souhaite imposer.

 

[41]           La Cour a rejeté des arguments semblables invoqués relativement à d’autres membres du MQM‑A. Dans Jalil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 568, [2007] A.C.F. no 763, au paragraphe 38 (la décision Jalil 2007), le juge Teitlebaum, qui confirmait la conclusion tirée par l’agent au sujet du MQM‑A, a conclu qu’établir si une organisation s’est livrée au terrorisme constituait une décision de fait fondée sur la preuve documentaire. Cette preuve pouvait porter non seulement sur les déclarations des dirigeants ou des membres, mais aussi sur leurs actes.

 

[42]           L’agent n’a pas à produire des éléments de preuve attestant que l’organisation a sanctionné officiellement les actes de terrorisme. Dans Daud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 701, [2008] A.C.F. no 913 (QL), la juge Tremblay‑Lamer a abordé précisément cette question :

[14]     En ce qui a trait à la question connexe de savoir si le MQM‑A, en tant qu’organisation, a été l’auteur d’actes de terrorisme, le demandeur soutient que cette violence ne faisait pas partie des objectifs du MQM‑A. Bien que la loi n’exige pas d’établir qu’une organisation « a sanctionné ou approuvé » les actes terroristes, l’agent doit dans son appréciation sous le régime de l’alinéa 34(1)f) de la Loi déterminer s’il existe assez d’éléments de preuve établissant que l’organisation sanctionne effectivement ces actes […]

 

[15]      Le demandeur soutient que l’agent ne pouvait pas conclure que le MQM‑A avait été l’auteur d’actes de violence puisque cela ne faisait pas partie des objectifs de l’organisation. Je ne suis pas d’accord avec lui. Cette décision est de nature factuelle et est fondée sur la preuve documentaire qui nous informe non seulement sur les déclarations des membres dirigeants ou de membres de l’organisation mais aussi sur leurs actions. L’analyse en soi se prête mal à une simple comptabilité des membres qui appuient ouvertement les actes de violence; cependant il devient difficile, à ce stade, compte tenu de l’importance et de la fréquence des tactiques de violence employées par l’organisation en question, de considérer les auteurs de ces actes comme de simples membres dévoyés agissant contrairement à la volonté du groupe.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[43]           Dans le cas qui nous occupe, les motifs de l’agent ne permettent pas de penser qu’il n’a pas compris qu’il était tenu d’avoir des motifs raisonnables de croire qu’en tant qu’organisation, le MQM‑A avait été impliqué dans des actes de terrorisme. Il ressort de l’extrait qui suit que l’agent a bien saisi cette importante nuance :

[traduction] Je constate par ailleurs que les actes de terrorisme auxquels le MQM‑A s’est livré ne sauraient être qualifiés de recours occasionnel à la violence. Je suis convaincu que le MQM‑A s’est livré à du terrorisme pour promouvoir son programme politique et pour s’imposer comme principale organisation à Karachi, au Pakistan.

 

 

[44]           Comme les organisations ne peuvent agir que par l’intermédiaire de leurs membres et partisans, il n’est pas étonnant que la preuve documentaire sur laquelle l’agent s’est fondé était axée sur les agissements d’individus déterminés.

 

[45]           L’agent a également tenu compte d’éléments de preuve portant sur la nature et la mission du MQM‑A. Il a relevé certains éléments de preuve suivant lesquels le MQM‑A condamne toute intervention entraînant la mort d’innocents, la faction du MQM‑H avait été expulsée et le MQM‑A était farouchement opposé à tout fanatisme religieux. L’agent a également dirigé le demandeur vers une liste d’incidents violents attribués au MQM ou à l’APMSO et a invité le demandeur à lui faire part de ses observations au sujet de ces documents.

 

[46]           Je suis convaincu qu’aucune erreur de droit n’a été commise.

 

[47]           Question 2

L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en concluant que l’APMSO et le MQM‑A s’étaient livrés à des actes de terrorisme, en ce sens qu’il a omis d’expliquer comment il comprenait la notion de « terrorisme » et comment il l’a appliquée et qu’il a omis de fournir une analyse et des motifs adéquats relativement à sa conclusion?

            Je tiens à signaler que, dans une lettre adressée en mars 2005 à CIC, le demandeur écrivait qu’il avait [traduction] « en horreur la violence à laquelle le MQM recourt parfois » mais qu’il était [traduction] « en faveur des buts et objectifs du parti ». Il désavoue maintenant cette déclaration, affirmant que c’est son avocat qui l’a rédigée et qu’il a signé la lettre sans l’avoir lue.

 

[48]           L’article 34 ne requiert pas que l’individu soit une menace pour la sécurité nationale. L’interdiction de territoire prévu à l’alinéa 34(1)f) porte simplement sur la question de savoir si l’intéressé est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’actes de terrorisme. Il découle d’une interdiction aussi large que les individus qui font partie de ces groupes sans avoir jamais eux‑mêmes pris part à des actes de terrorisme et ceux qui en étaient membres à une époque où l’organisation était pacifique peuvent néanmoins être interdits de territoire.

 

[49]           En conséquence, l’argument du demandeur suivant lequel on ne devrait pas tenir compte des éléments de preuve portant sur les activités du MQM‑A à l’époque où il n’en était pas membres est sans fondement. De plus, les éléments de preuve présentés par le demandeur au sujet du statut et de la légalité actuels du MQM‑A tant au Pakistan qu’à l’étranger n’ont tout simplement rien à voir avec la question qui était soumise à l’agent.

 

[50]           L’agent a énoncé de façon appropriée la définition du terme « terrorisme » établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Suresh, précité, au paragraphe 98 :

[…] tout « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque ».

 

 

[51]           L’agent avait fourni auparavant une liste des éléments de preuve à l’appui des actes attribués au MQM‑A. Bon nombre des actes signalés correspondaient manifestement à la définition de terrorisme formulée dans l’arrêt Suresh parce que le MQM‑A avait perpétré des actes de violence à des fins politiques qui avaient causé des décès et des blessures graves. Le demandeur ne conteste pas le bien‑fondé ou le caractère raisonnable de la conclusion de l’agent comme tel, mais il continue à nier catégoriquement que l’organisation se soit livrée à du terrorisme. Le demandeur soutient en premier lieu que l’agent a commis une erreur de droit. Il affirme en second lieu que certaines des sources de CIC sur lesquelles l’agent s’est fondé n’étaient pas suffisamment fiables. Je vais examiner ces arguments à tour de rôle.

 

[52]           Le demandeur fait valoir que l’agent qui applique la définition de terrorisme doit explicitement (i) préciser en quoi les actes commis étaient destinés à causer la mort ou des blessures graves, (ii) indiquer que les actes avaient été commis contre des civils et (iii) établir que ces actes visaient à intimider une population ou à contraindre un gouvernement à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque. Je ne suis pas de cet avis. Le droit n’exige pas de l’agent d’immigration une analyse aussi précise. J’ai récemment écarté cet argument dans Mohammad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 51, [2010] A.C.F. no 50, au paragraphe 55.

 

[53]           Dans Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1174, [2005] 1 R.C. F. 485, la Cour a conclu que constituait une erreur susceptible de révision l’omission de l’agente de se reporter à la définition de terrorisme de l’arrêt Suresh, et ce, parce qu’il était impossible de savoir comment l’agente définissait le terme. Comme la définition applicable n’avait pas été fournie, la Cour s’inquiétait aussi du fait que l’agente avait omis de « …mentionner des actes précis posés par le MQM‑A qui satisferaient à la définition de “terrorisme” de l’arrêt Suresh ou de fournir une analyse de ces éléments de preuve » (paragraphe 64). De toute évidence, le fait que l’agente n’avait pas énoncé la définition pertinente du terme terrorisme augmentait son fardeau relativement à l’analyse de la preuve dont elle était saisie.

 

[54]           Dans Alemu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 997, [2004] A.C.F. no 1210 (QL), la Cour a exprimé à nouveau sa préoccupation quant à l’omission de fournir la définition de terrorisme adoptée dans l’arrêt Suresh et a jugé l’analyse insuffisante :

[…] le décideur doit préciser les actes auxquels l’organisation s’est livrée, savoir s’il s’agit d’un ou de plusieurs des actes mentionnés aux alinéas 34(1)a), b) ou c). Une simple affirmation péremptoire fondée sur l’alinéa 34(1)f), sans plus, ne suffit pas.

 

[. . .]

 

Une conclusion d’exclusion doit être fondée sur des motifs qui permettent de connaître la nature du groupe et de conclure à la participation du demandeur au groupe.

 

 

[55]           Dans la décision Naeem 2007, précitée, la Dawson déclare, au paragraphe 46 :

À mon avis, la décision de l’agente souffre en l’espèce des mêmes failles. On ne sait trop comment l’agente a interprété et appliqué la définition du terme « terrorisme ». Les motifs de sa décision n’exposent pas les détails et les circonstances des actes qualifiés de terroristes. L’enlèvement, l’agression et l’assassinat sont sans aucun doute des actes criminels, mais ne sont pas nécessairement des actes terroristes. Il incombait à l’agente d’expliquer pourquoi, selon elle, il s’agissait d’actes terroristes. Elle ne l’a pas fait, et ses motifs ne résistent donc pas à un examen assez poussé.

 

 

[56]           Dans les affaires précitées, les agents ont tous commis la même erreur fatale, soit celle de ne pas fournir de définition de terrorisme. L’agent responsable d’une telle omission peut seulement remédier à la situation en présentant une analyse détaillée de ses raisons de croire que les actes commis sont des actes de terrorisme, afin que la cour de révision puisse établir si l’agent comprenait correctement ce que désigne le terme « terrorisme », même s’il avait omis de fournir la définition.

 

[57]           Lorsque le décideur présente la bonne définition de terrorisme, une analyse aussi approfondie n’est pas toujours requise. Dans la décision Jalil 2007, précitée, la Cour a accepté une explication un peu courte de ce en quoi les actes en litige constituaient des actes de terrorisme :

33     Le défendeur affirme qu’il ressort des motifs de l’agente que les actes attribués au MQM‑A sont manifestement visés par la définition de terrorisme établie dans l’arrêt Suresh étant donné que toutes les activités énumérées comportent des actes de violence perpétrés par le MQM‑A à des fins politiques qui ont causé des décès ou des blessures graves […]

 

34     Je suis d’accord avec le défendeur. Contrairement aux affaires Jalil et Naeem, l’agente a inclus une définition du terme terrorisme dans sa décision. Bien qu’elle n’ait pas explicitement expliqué ce qu’elle a compris de ce terme ni la façon dont elle l’a appliqué, elle l’a implicitement fait lorsqu’elle a soutenu qu’[traduction] « une preuve abondante établit – et tous les observateurs à Karachi le disent – que des membres du parti MQM recourent à la violence pour servir leurs objectifs politiques ». À mon avis, cela semble indiquer que l’agente a considéré les actes attribués au MQM‑A comme davantage que des actes criminels.

 

35    Bien qu’il eût été souhaitable que l’agente fournisse une analyse plus détaillée sur la façon dont les actes attribués au MQM‑A satisfont à la définition de terrorisme donnée dans l’arrêt Suresh, je suis convaincu que ses motifs résistent à un « examen assez poussé » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[58]           L’agent en l’espèce a cité le même passage du document d’Amnistie Internationale : [traduction] « une preuve abondante établit – et tous les observateurs à Karachi le disent – que des membres du parti MQM recourent à la violence pour servir leurs objectifs politiques ». L’agent a aussi énuméré et décrit les éléments de preuve, tirés de nombreuses sources, en ce qui a trait aux meurtres attribués au MQM‑A. En tout, l’agent a consacré plus de quatre pages de la décision à la définition du terme « terrorisme » et à la description de la preuve pertinente.

 

[59]           Le droit n’exige pas que la décision d’un agent résiste à une analyse encore plus poussée, contrairement à ce que prétend le demandeur. Selon la notion de retenue expliquée par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et confirmée dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 4, 51 et 59, bien que les motifs écrits des tribunaux constituent pour eux le principal moyen de rendre compte de leurs décisions, il faut reconnaître que ces motifs écrits ne sont pas les jugements officiels et qu’ils n’ont pas à résister à une analyse juridique méticuleuse ou microscopique. L’arrêt Dunsmuir nous enseigne, au paragraphe 47, que, dans la mesure où une décision répond aux critères de « justification, transparence et intelligibilité » et appartient « aux issues possibles acceptables », les cours ne devraient pas intervenir. En l’espèce, l’agent a présenté la définition juridique appropriée du terme « terrorisme », et a ensuite cité et examiné les éléments de preuve relatifs aux activités du MQM‑A qui correspondaient à cette définition. À mon avis, la méthode suivie par l’agent n’est entachée d’aucune erreur de droit.

 

[60]           Il était loisible au demandeur de soutenir que la preuve documentaire ne pouvait donner lieu de quelque manière que ce soit à des motifs raisonnables de croire que le MQM‑A s’était livré à du terrorisme et d’affirmer que cette conclusion était déraisonnable. Le demandeur a choisi de ne pas formuler cet argument. Il met plutôt en doute la crédibilité et la fiabilité de certaines des sources du CIC, à savoir Jane’s et l’article du New York Times. Cependant, comme le demandeur ne conteste pas la conclusion tirée par l’agent eu égard à l’ensemble de la preuve, cet argument ne lui est d’aucun secours. Rien ne permet de penser que les deux sources de CIC qui ont été mentionnées revêtaient une importance capitale en ce qui concerne la conclusion tirée par l’agent, d’autant plus que l’agent s’est fié en tout sur une dizaine de sources.

 

[61]           Je vais revenir sur la crédibilité et la fiabilité des sources de CIC dans mon analyse de la dernière question.

 

[62]           Question 3

L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit du fait qu’il a mal compris les témoignages d’expert de Mme Given et de M. Rizvi et qu’il a omis de fournir des motifs valables de son refus d’accepter ces témoignages?

            Le demandeur affirme que les agents sont tenus d’accorder une attention particulière aux témoignages des experts et que l’agent a manqué à son devoir à cet égard. Il est bien établi en droit que les tribunaux administratifs sont présumés avoir tenu compte de tous les renseignements et éléments de preuve dont ils disposaient et que l’appréciation de la preuve relève entièrement de leur pouvoir discrétionnaire (voir Velychko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 264, au paragraphe 26). Toutefois, lorsqu’il existe d’importants éléments de preuve qui permettent de réfuter la conclusion du tribunal administratif et que celui‑ci a écarté les éléments de preuve en question ou omis d’en tenir compte, la Cour peut fort bien conclure que le tribunal a rendu sa décision sans tenir compte de la preuve dont il disposait, contrairement à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales et accueillir la demande de contrôle judiciaire (voir Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. n1425 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 14 à 17).

 

[63]           Dans la décision Naeem 2008, précitée, le juge Gibson a accueilli la demande de contrôle judiciaire pour trois motifs, le dernier étant que l’agent n’avait ni compris ni pris en compte le témoignage de l’expert :

24   Bien que les succincts motifs exposés ci‑dessus justifient que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie, j’ajouterai que, de l’avis de la Cour et avec égards, l’analyse effectuée par l’agente concernant la pertinente preuve de Mme Given et le rejet, sans analyse aucune, de la preuve de M. Rizvi constituent des erreurs susceptibles de contrôle. Une décision comme celle contestée dans la présente affaire est cruciale pour une personne telle que le demandeur en l’espèce. Lorsqu’une importante preuve d’expert est déposée par un avocat respecté au nom d’une personne telle que le demandeur en l’espèce, une analyse plus poussée et plus détaillée est nécessaire si l’on veut la rejeter.

 

 

[64]           Dans la décision Mohammad, précitée, j’ai estimé que la transcription des témoignages de ces experts ainsi que leur curriculum vitae ne répondaient pas à la définition de ce qu’on considère normalement comme un témoignage d’expert. En l’espèce, un affidavit reprenant le témoignage de Mme Given a été présenté. De plus, la qualité d’expert a depuis été reconnue à Mme Given dans une autre affaire soumise à notre Cour.

 

[65]           Quoi qu’il en soit, dans le cas qui nous occupe, l’agent a consacré une grande partie de sa décision à analyser la transcription des témoignages des experts. L’agent a discuté en détail du témoignage de chaque expert et a examiné leurs arguments, mais a expliqué pourquoi il préférait en fin de compte les autres éléments de preuve. L’agent a pris acte du rapport de Mme Given ainsi que des observations qu’elle avait formulées au sujet des rapports provenant de Jane’s, d’Amnistie Internationale et de la CISR. L’agent a toutefois fait observer ce qui suit :

1.         Dans son rapport, Mme Given ne traite pas d’autres éléments de preuve comme l’article de l’Asian Survey et les articles publiés dans le New York Times et le Toronto Star;

2.         La CISR et la Cour fédérale se sont fondées sur les rapports publiés par Jane’s et par Amnistie Internationale;

3.         L’évaluation du MQM‑A ne se limitait pas aux rapports de Jane’s et d’Amnistie Internationale. Plusieurs articles provenant de diverses sources ont également été utilisés pour évaluer les activités du MQM‑A.

 

[66]           Il ressort également de ses motifs que l’agent a estimé que le témoignage de Mme Given n’était pas un témoignage d’expert sur le MQM‑A, mais un témoignage qui remettait en cause certaines des sources de CIC, en particulier sur le plan de l’objectivité, de la fiabilité et de la crédibilité.

 

[67]           L’agent a également tenu compte du témoignage de M. Rizvi. Il a pris acte de l’avis de M. Rizvi suivant lequel le MQM‑A était une organisation qui ne préconisait pas la violence mais on ne pouvait nier que certains de ses membres s’étaient livrés à des actes de terrorisme.

 

[68]           L’agent a formulé les observations suivantes au sujet du témoignage de M. Rizvi à la page 18 de sa décision (dossier de demande, à la page 25) :

[traduction]

[…] La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) et la Cour fédérale ont toutes les deux confirmé que les renseignements provenant de Jane’s World Insurgency and Terrorism et d’Amnistie Internationale constituaient des sources fiables. De plus, la CISR publie des dossiers d’information objectifs pour aider les commissaires et les employés de la CISR à prendre des décisions éclairées.

 

J’ai examiné la déclaration et le témoignage donnés en 2006 par M. Rizvi, qui était alors directeur de l’Institut Ash à l’Université Harvard. Dans sa déclaration de 2006, M. Rizvi écrit que, dans l’ensemble, le MQM en tant qu’organisation ne préconise pas le recours à la violence, mais qu’il ne pouvait nier que certains de ses membres s’étaient livrés à des actes de violence. Je prends acte de l’argument de M. Rizvi suivant lequel le MQM n’est pas une organisation qui s’est livrée à du terrorisme.

 

Toutefois, compte tenu de ma recension de divers articles provenant de diverses sources crédibles qui confirment que le MQM‑A a été impliqué dans des actes de violence et de terrorisme, je suis convaincu que le MQM‑A est une organisation qui s’est livrée à du terrorisme (ces articles sont énumérés dans la présente section). Je ne suis par ailleurs pas convaincu que les actes de terrorisme commis par le MQM‑A peuvent être attribués uniquement à certains membres isolés du MQM‑A agissant de leur propre chef, indépendamment du MQM‑A.

 

J’ai examiné les observations présentées par le représentant du demandeur, y compris celles de Mme Lisa Given et de M. Gowher Rizvi qui ont examiné une partie de la preuve documentaire dont CIC s’est servi pour procéder à son appréciation. Je suis toutefois convaincu que, dans l’ensemble, les sources de CIC étaient fiables et valables.

 

 

[69]           À mon avis, ces considérations sont plus que suffisantes pour répondre aux préoccupations exprimées par le juge Gibson dans la décision Naeem 2008, précitée.

 

[70]           À mon avis, les arguments formulés par le demandeur au sujet de l’appréciation que l’agent a faite du témoignage des experts équivalent à un désaccord avec l’appréciation de la preuve effectuée par l’agent. Or, l’appréciation de la preuve relève du pouvoir discrétionnaire de l’agent. Il n’appartient pas à la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’évaluer de nouveau la preuve soumise au tribunal administratif. En l’espèce, l’agent a certainement tenu compte de l’importance de la preuve, mais a expliqué pourquoi ce facteur n’était pas suffisant pour infléchir sa décision finale. De toute évidence, l’agent n’est pas allé à l’encontre du principe posé dans la décision Cepeda‑Gutierrez, précitée. Je suis convaincu que l’agent a effectivement tenu compte des témoignages des experts et je suis donc d’avis de ne pas faire droit à la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[71]           À mon avis, l’agent n’a pas commis d’erreur susceptible de révision en ce qui concerne les témoignages de Mme Given et de M. Rizvi.

 

[72]           Vu mes conclusions, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[73]           Aucune des deux parties n’a exprimé le désir de proposer une question grave de portée générale pour que j’examine la possibilité de la certifier.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR rejette la demande contrôle judiciaire.

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


ANNEXE

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

 

34.(1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

 

 

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

 

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

 

c) se livrer au terrorisme;

 

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

 

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

 

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

 

72.(1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

34.(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

 

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

 

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

 

 

(c) engaging in terrorism;

 

(d) being a danger to the security of Canada;

 

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

 

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

 

72.(1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4509‑09

 

INTITULÉ :                                                   MUHAMMAD NAEEM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 mai 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 1er novembre 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

Bernard Assan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman and Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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