Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20101027

Dossier : T-476-10

Référence : 2010 CF 1056

[TRADUCTION CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 octobre 2010

En présence de monsieur le juge O'Reilly

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

EMMANUEL MANAS

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.     Le contexte

 

[1]               En 2001, M. Emmanuel Manas est arrivé au Canada à titre de résident permanent. Sa famille et lui ont établi leur demeure à Mississauga. L’année suivante, M. Manas a trouvé un emploi à New York dans son champ d’expertise, soit l’entretien de matériel électronique maritime. Les personnes qui œuvrent dans ce domaine travaillent habituellement dans des ports en eau profonde; New York est l’endroit approprié le plus près du Mississauga. M. Manas travaille selon un horaire flexible qui lui permet de retourner à la maison la plupart des fins de semaine pendant deux à trois jours.

 

[2]               En 2007, M. Manas a demandé la citoyenneté canadienne. Selon la Loi sur la Citoyenneté, un demandeur doit démontrer qu’il a résidé au Canada pendant trois des quatre années qui ont précédé la date de sa demande (L.R.C. 1985, ch. C-29, alinéa 5(1)c)). S’il n’a pas été physiquement présent pendant les trois années exigées, il doit démontrer qu’il a établi et maintenu, grâce à des liens solides au Canada, sa résidence au Canada pendant la période exigée. Il s’agit du critère qualitatif (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Nandre, 2003 CFPI 650,

au paragraphe 21).

 

[3]               En raison de son emploi aux États-Unis, M. Manas n’a pas réussi à démontrer qu’il a vécu au Canada pendant trois ans au cours de la période pertinente, soit de 2003 à 2007. Il lui manquait 423 jours pour satisfaire à la condition de 1 095 jours de résidence. Cependant, le juge de la citoyenneté qui a examiné la demande de M. Manas lui a accordé la citoyenneté canadienne parce que celui-ci a établi sa résidence au Canada et y a centralisé son mode de vie.

 

[4]               Le ministre allègue que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en n’appliquant pas le bon critère en matière de résidence, qu’il a tiré une conclusion déraisonnable, a commis une importante erreur de fait et n’a pas fourni de motifs suffisants. Il m’a demandé d’annuler la décision du juge de la citoyenneté. Je suis d’avis que le juge de la citoyenneté a commis une erreur et je vais donc accueillir le présent appel. J’estime notamment que la décision du juge était déraisonnable.

 

 

 

 

II.   La décision du juge de la citoyenneté

 

[5]               Le juge de la citoyenneté a invoqué la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.). Dans cette affaire, le juge en chef adjoint Thurlow a conclu qu’une personne ayant établi sa résidence au Canada peut partir temporairement sans pour autant cesser d’être un résident du Canada. Le fait que la famille de la personne continue de résider au Canada est un facteur important tout comme l’est la fréquence des visites de la personne au Canada. La question principale est de savoir si la personne a centralisé son mode de vie au Canada au moyen de relations sociales et d’autres intérêts.

 

[6]               Le juge de la citoyenneté a conclu que M. Manas avait établit sa résidence familiale au Canada avant le début de son emploi aux États-Unis. Il a souligné que M. Manas avait passé plus de temps aux États-Unis qu’au Canada, mais a conclu que M. Manas avait démontré que son mode de vie était centralisé au Canada. Parmi les facteurs qui figuraient dans la conclusion du juge de la citoyenneté, il y avait la nature de l’emploi de M. Manas, la proximité relative de New York, l’horaire flexible de M. Manas et la fréquence et la durée de ses visites au Canada. La preuve a démontré que M. Manas entretenait des liens professionnels et sociaux au Canada grâce à son appartenance à l’Ontario Association of Certified Engineering Technicians and Technologists, à sa participation à son église ainsi que grâce à ses ententes en matière de soins médicaux et d’assurances. En outre, sa famille habite, travaille et va à l’école au Canada.

 

 

 

III.La décision était-elle raisonnable?

 

[7]               M. Manas allègue que la décision était raisonnable, car le juge de la citoyenneté a tenu compte de tous les facteurs pertinents et il a tiré une conclusion étayée par la preuve.

 

[8]               À mon avis, le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte de facteurs importants. Premièrement, le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte du fait que l’emploi de M. Manas n’était pas temporaire. La durée de ce poste était indéterminée, voire permanente. Sa situation est différente de celle visée dans la décision Papadogiorgakis dans laquelle le demandeur n’a résidé aux États-Unis que pendant quelques années dans le but de faire ses études postsecondaires. La demande de M. Manas ne révèle aucune intention de vivre à temps plein au Canada. Bien que M. Manas aurait pu exercer ses compétences à Halifax qui, comme New York, est un port en eau profonde, il n’a fourni aucune preuve au juge de la citoyenneté de son intention de travailler au Canada.

 

[9]               Deuxièmement, le juge de la citoyenneté a estimé que le fait que M. Manas paie tous ses impôts sur le revenu au Canada jouait en sa faveur. Cependant, la preuve a révélé que M. Manas paye en réalité un montant important en impôt sur le revenu aux États-Unis.

 

[10]           Troisièmement, M. Manas a dit à un agent d’immigration qu’il est résident des États-Unis depuis 2005. Le juge de la citoyenneté n’a fait aucune mention de cette déclaration.

 

[11]           À mon avis, si l’on considère chacun de ces motifs de façon indépendante, ils n’auraient pas justifié l’annulation de la décision du juge de la citoyenneté. Cependant, pris conjointement, ils me convainquent que la décision n’était pas raisonnable.

 

 

 

IV.              Conclusion et dispositif

 

[12]           En raison des facteurs dont le juge de la citoyenneté n’a pas tenu compte, sa conclusion n’appartenait pas aux issues possibles, acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, je dois accueillir le présent appel et annuler la décision en appel. Étant donné que le juge de la citoyenneté a souligné plusieurs facteurs jouant en faveur de la demande de M. Manas, j’estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de renvoyer l’affaire au juge de la citoyenneté pour nouvel examen. Ce faisant, je souligne que la Cour fédérale reconnaît maintenant le critère en matière de résidence suivant comme étant celui qui prévaut :

Le demandeur a-t-il prouvé qu’il a établi sa résidence au Canada et qu’il l’a maintenu pour la durée exigée? Dans son examen de la question de savoir si les exigences du critère ont été satisfaites, le juge de la citoyenneté peut tenir compte de divers facteurs, notamment ceux visés par la décision Koo(Re), [1993] 1 C.F. 286 (1er inst.). (Voir Nandre, susmentionné, au paragraphe 24; Dedaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 777, aux paragraphes 7-8.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                                          La demande d’autorisation d’appel est accueillie et la décision en appel est annulée.

2.                                          L’affaire est renvoyée au juge de la citoyenneté pour nouvel examen.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.
Annexe

Loi sur la citoyenneté, L.R.C., 1985, ch. C-29

 

  5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent,

 

 

Citizenship Act, R.S.C. 1985, c. C-29

 

  5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who



(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-476-10

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                            c.

                                                            MANAS

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 18 octobre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 27 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Tyler David Warren

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Tyles David Warren

Avocat

Mississauga (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.