Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

Date : 20101004

Dossier : IMM-786-10

Référence : 2010 CF 972

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2010

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Alla Serhiyivna BONDAR

 

Partie demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Partie défenderesse

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) le 12 janvier 2010. Le tribunal a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée ni une personne à protéger et a donc rejeté sa demande d’asile.

 

[2]          La demanderesse est une citoyenne de l’Ukraine. Elle était membre du conseil d’administration d’une société qui était propriétaire de plusieurs immeubles dans la ville de Kherson. En 2005, des gens d’affaires intéressés par ces immeubles, appuyés par les autorités municipales, y inclus le maire, ont commencé à la menacer. Suite au refus de la demanderesse de leur remettre ces immeubles, le maire de Kherson les a expropriés. Les menaces, cependant, ont continué. Le département fédéral des affaires internes, à qui elle s’est plaint, a remis la cause aux autorités municipales.

 

[3]          Le 2 novembre 2007, face à l’échec de ses tentatives de faire avorter l’expropriation, la demanderesse s’est retirée du conseil d’administration. Les menaces ont encore continué, jusqu’en avril 2008, lorsqu’elle a été menacée à la pointe d’un couteau.

 

[4]          En juin 2008, elle a quitté l’Ukraine, laissant des documents impliquant les autorités municipales dans l’expropriation illégale auprès de son ancienne adjointe. Celle-ci, tout comme les autres membres du conseil d’administration, demeurent en Ukraine et y vivent sans problème. La demanderesse est venue au Canada avec un titre temporaire de visiteur afin de rendre visite à son fils, qui habite ici.

 

[5]          Sans remettre en question la crédibilité de la demanderesse, le tribunal a conclu qu’elle ne serait pas exposée à un risque de persécution ou à des menaces à sa vie si elle devait retourner en Ukraine. Il a noté que ceux qui convoitaient les immeubles de l’entreprise que dirigeait la demanderesse ont réussi à s’en emparer. Il a également souligné que les autres membres du conseil d’administration, y compris l’adjointe de la demanderesse, qui l’a appuyé tout au long de sa bataille contre les autorités et qui détient maintenant les documents impliquant ces dernières, n’ont plus de problèmes en Ukraine. La demanderesse n’a plus de lien avec la société. Dès lors, les autorités n’ont plus aucune raison de s’en prendre à elle. Ainsi, selon le tribunal, « la crainte décrite par madame n’existe plus aujourd’hui ».

 

[6]          La demanderesse soutient que le tribunal a refusé de tenir compte de son témoignage concernant sa crainte de persécution en Ukraine. Selon elle, le tribunal, qui n’a pas mis en doute sa crédibilité, ne pouvait pas « conclure qu’elle n’a pas de crainte advenant son retour ». De plus, la demanderesse plaide que le tribunal n’a pas expliqué pourquoi il rejetait ses explications concernant sa lutte contre les autorités municipales de Kherson et sa vulnérabilité.

 

[7]          Le défendeur, pour sa part, soutient que la décision du tribunal, en plus d’être fondée sur la preuve, est raisonnable et suffisamment motivée. Il souligne que c’est au tribunal qu’il appartient d’évaluer la preuve présentée et d’en tirer les conclusions, et non à la demanderesse. En jugeant la demanderesse crédible, le tribunal reconnaît implicitement qu’elle entretient une crainte subjective de persécution, mais en vertu des articles 96 et 97 de la Loi, elle doit également démontrer le bien-fondé objectif de cette crainte ou encore l’existence d’un risque à sa vie objectif, présent ou futur (d’après Ward c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 689 à la page 723, citant l’affaire Rajudeen c. Canada (M.E.I.), [1984] A.C.F. no 601 (C.A.F.); Sanchez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 99 au paragraphe 15).

 

[8]          L’évaluation des faits par le tribunal « appelle un degré élevé de déférence » (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339 au paragraphe 46). La Cour n’interviendra que si cette évaluation est déraisonnable, en ce sens qu’elle a été « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments » du dossier (ibid.; Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, alinéa 18.1(4)d)). Quant aux motifs de la décision, ils sont suffisants s’ils permettent de s’« assurer que la décision administrative soit justifiée, transparente et intelligible » (Nicholas c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 452), et donc raisonnable.

 

[9]          En l’espèce, je suis d’avis que le tribunal n’a ni ignoré le témoignage de la demanderesse, ni conclu qu’elle n’avait pas de crainte en cas de retour en Ukraine. Bien que l’expression utilisée par le tribunal lorsque celui-ci écrit que « la crainte décrite par [la demanderesse] n’existe plus aujourd’hui » puisse paraître ambiguë, il ressort des motifs considérés dans leur ensemble que c’est au fondement objectif de la crainte que fait référence le tribunal. Ainsi, il a conclu que bien que la crainte existe dans l’esprit de la demanderesse, elle n’est plus justifiée.

 

[10]      À cet égard, il n’est pas inutile de rappeler que l’alinéa 108(1)e) de la Loi dispose qu’« [e]st rejetée la demande d’asile et le demandeur n’a pas qualité de réfugié ou de personne à protéger [si] les raisons qui lui ont fait demander l’asile n’existent plus ». La difficulté que peut avoir un demandeur d’asile d’« actualiser sa crainte », à laquelle se réfère la demanderesse, n’est pas une raison pour passer outre à cette règle législative expresse.

 

[11]      Par ailleurs, le tribunal explique bien pourquoi il a conclu que la crainte de la demanderesse n’est plus objectivement fondée. Les gens qui harcelaient et menaçaient la demanderesse ont obtenu ce qu’ils recherchaient et n’ont plus de raisons pour s’en prendre à elle. S’ils voulaient s’en prendre à elle parce qu’elle « en savait trop », il est logique de penser qu’ils s’en seraient pris à son adjointe qui, aux dires de la demanderesse, avait en sa possession des documents incriminants. Or, cela ne s’est pas produit. Ce raisonnement est transparent, intelligible et justifié eu égard à la preuve devant le tribunal. Je ne peux que conclure que la décision rendue par celui-ci est raisonnable.

 

[12]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 janvier 2010 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-786-10

 

INTITULÉ :                                       Alla Serhiyivna BONDAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 septembre 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 octobre 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois                            POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Christine Bernard                           POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois                                                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.