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         Date: 20000802

                                                                                                                  Dossier: T-167-00

ENTRE:

BELGRAVIA INVESTMENTS LIMITED, 3438644 MANITOBA LTD., SPACE FUEL GAS PRODUCTS LTD., RES RESOURCES LTD., SUPREME GRAPHICS LTD., J.E. BOWES INVESTMENTS INC., 409707 ALBERTA LTD.,BEACH AVENUE HOLDING COMPANY LTD., BAYOU DEVELOPMENTS (1996) LTD., NLK CONSULTANTS INC. et TRICONTINENTAL DISTRIBUTION LIMITED,

                                                                                                                     demanderesses,

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                        défenderesse.

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         Le 18 mai 2000, les demanderesses ont déposé au greffe de la Cour un avis de requête visant l'obtention d'une ordonnance enjoignant à la défenderesse de modifier l'affidavit de Walter Wong, souscrit le 25 avril 2000, [TRADUCTION] « en en retranchant les paragraphes 3, 6, 7 et 8 ... et en supprimant ou modifiant toute mention de l'expression définie " société servant d'abri fiscal " » .

[2]         À la page 3 de l'avis de requête, les demanderesses invoquent les motifs suivants au soutien de leur demande :

[TRADUCTION]

1. Les paragraphes 3, 6, 7 et 8 de l'affidavit de M. Wong ont trait à des points manifestement sans rapport avec la seule question qui doit être tranchée par la Cour, et leur inclusion peut nuire à l'instruction équitable de la demande ou la retarder.

2. Les paragraphes 3, 6, 7 et 8 de l'affidavit de M. Wong comportent indûment des interprétations d'articles de loi dont l'inclusion peut nuire à l'instruction équitable de la demande ou la retarder.

3. Les paragraphes 3, 6, 7 et 8 de l'affidavit de M. Wong comportent indûment des avis, des arguments ou des conclusions juridiques dont l'inclusion peut nuire à l'instruction équitable de la demande ou la retarder.

4. Les paragraphes 3, 6, 7 et 8 de l'affidavit de M. Wong visent abusivement et injustement à qualifier la conduite des demanderesses de contraire ou non conforme aux dispositions de la Loi, et leur inclusion peut nuire à l'instruction équitable de la demande ou la retarder.

5. La caractérisation de Taseko Resources Inc., Taseko Mines Ltd., Pacific Sentinel Resources Inc. et Pacific Sentinel Gold Corp. comme les " sociétés servant d'abri fiscal " au paragraphe 2 de l'affidavit de M. Wong, et l'emploi constant de cette expression dans les autres paragraphes dudit document sont préjudiciables, tendancieux et étrangers à l'objet déclaré de la demande, et l'inclusion de ces mots peut nuire à l'instruction équitable de la demande ou la retarder.

[3]         Les demanderesses donnent les renseignements généraux suivants :

[TRADUCTION]

1. Le 1er février 2000, l'Investor Group a déposé un avis de demande sous le régime de la partie 5 des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 et de leurs modifications (les Règles de la Cour fédérale) au greffe de la Cour fédérale - Section de première instance (le greffe), par lequel la société demandait le prononcé d'une ordonnance en vertu de l'article 232 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.), chapitre 63, et de ses modifications (la Loi) déterminant si certains documents (les documents privilégiés) visés par une demande faite en vertu des alinéas 231.2(1)a) ou b) de la Loi et signifiée à chacun des onze membres de l'Investor Group par l'Agence des douanes et du revenu du Canada le 10 décembre 1999 (le 22 décembre 1999 pour Tricontinental Distribution Limited) sont protégés par le privilège des communications entre client et avocat. Les demanderesses invoquent comme motifs à l'appui de leur demande qu'elles n'ont pas à produire les documents parce qu'ils sont légitimement protégés par le privilège des communications entre client et avocat.

2. La seule question que la Cour a à trancher est la question de savoir si lesdits documents sont protégés par le privilège des communications entre client et avocat.

3. Le 25 avril 2000 ou vers cette date, la Couronne a déposé au greffe une copie de l'affidavit de M. Wong souscrit en défense à la demande.

[4]         La défenderesse expose, dans les observations écrites qu'elle a déposées pour les fins de la présente requête, qu'elle [TRADUCTION] « ne conteste pas l'exactitude des faits énoncés aux paragraphes 1 à 4 des observations écrites » qui font suite aux renseignements généraux précités.

[5]         Le point de droit qu'il faut trancher relativement à la présente demande est le suivant : en supposant que les allégations ou déclarations contenues aux paragraphes 3, 6, 7 et 8 de l'affidavit souscrit le 25 avril 2000 par M. Wong ne sont pas nécessairement pertinentes pour déterminer si le privilège des communications entre client et avocat s'applique aux documents prétendus privilégiés, y a-t-il lieu d'ordonner à la défenderesse de modifier l'affidavit avant que la Cour statue sur le fond de la question (documents privilégiés).

[6]         Les parties à la présente instance ont exposé, en détail, l'état actuel du droit en ce qui concerne la radiation d'affidavits. Il appert, à la lecture de leurs observations, qu'elles souscrivent à la règle générale énonçant que l'admissibilité de parties d'affidavits est déterminée par le juge instruisant la demande au fond. Dans la décision Home Juice Co. v. Orange Maison Ltd., [1968] R.C.É 163, à la p. 2, le juge Jackett affirme que cette règle comporte deux exceptions :

[TRADUCTION]

Cette règle générale souffre deux exceptions :

a) lorsqu'une partie doit obtenir l'autorisation de présenter une preuve et qu'il est manifeste, de l'avis de la Cour, que la preuve est inadmissible,

b) lorsque la Cour est convaincue qu'il serait opportun, du point de vue pratique, d'examiner, un peu avant l'audience, la question de l'admissibilité des affidavits déposés par une partie pour que l'audience puisse se dérouler de façon ordonnée.

[7]         L'alinéa a) ne s'applique pas aux faits de la présente espèce.

[8]         Dans l'affaire L'Hirondelle c. Canada, [2000] J.C.F., no 192 (C.F., 1re inst.), où il s'agissait de déterminer s'il convenait de radier un affidavit déposé à l'appui de la requête principale, le juge Hugessen a affirmé aux paragraphes 5 et 6 (p. 2 et 3) :

[5]            J'examinerai d'abord la première requête présentée par les intervenants afin de faire radier l'affidavit de Clara Midbo pour cause de non conformité aux règles. Après avoir examiné cet affidavit, je suis absolument certain qu'il est irrégulier. Il déborde d'allégations constituant des conclusions et des arguments, touchant presque toutes des questions de droit à l'égard desquelles son auteur n'est apparemment pas qualifiée. Je reproduis ci-dessous, simplement à titre d'exemple, les paragraphes 3 et 4 de l'affidavit dans lesquels son auteur tente d'interpréter les actes de procédure, les Règles et différentes ordonnances prononcées en l'espèce, alors qu'elle est éminemment incompétente dans ce domaine et que ces questions ne relèvent manifestement pas de la preuve de toute façon :   

[Traduction] 3. La question en litige est celle de savoir qui a le pouvoir et la compétence constitutionnels de déterminer qui est membre de la bande. Mon avocat m'a dit, et je tiens pour véridique, que, même si les représentants des intervenants initiaux à l'instruction (soit le CNAC (devenu depuis le CPA), le CNAC(Alberta) et la NSIAA) ont fait des déclarations publiques et présenté au tribunal des observations à l'effet contraire, la présente instance, définit par les actes de procédure des parties, ne porte manifestement pas sur la question de savoir si les dispositions concernant le statut d'Indien incluses dans la Loi sur les Indiens sont valides. La pièce « A » ci-jointe est une copie d'un rapport journalistique émanant d'un leader de Lakeside en date du 16 juillet 1986. La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si le Parlement ou la collectivité des Premières Nations du Canada ont le pouvoir de déterminer qui en est membre, question qui oblige la Cour à déterminer quels sont les droits ancestraux et issus de traités des demandeurs dans le contexte de l'article 35. Cette instance n'exige pas et ne devrait exiger d'aucune manière que la Cour examine la question de savoir comment les Premières Nations ou le Parlement pourraient exercer leur pouvoir de déterminer qui est membre d'une bande dans un cas particulier ou à l'avenir.

               4. Les intervenants proposés s'appuient sur la règle 369. Mon avocat m'a appris que, bien que cette règle soit conçue pour servir l'intérêt commun qu'ont la Cour et les parties à promouvoir des solutions pratiques et efficaces et à réduire les dépenses, elle n'écarte pas la condition fondamentale selon laquelle les requêtes présentées à la Cour doivent être appuyées par une preuve adéquate avant d'être considérées comme conformes à la procédure ou bien fondées. En ce qui concerne la participation des intervenants au procès, ils ont obtenu la qualité de quasi-parties sans présenter une demande ni une preuve décrivant l'opportunité ou la portée de leur intervention dans l'instance telle qu'elle a été constituée par les actes de procédure des parties. De plus, la NWAC a obtenu ce qui équivaut à la qualité de quasi-partie sans présenter de demande ni de dossier de preuve et malgré le fait qu'elle n'ait pas demandé la qualité d'intervenante lors de la première instruction. L'examen de l'historique de la participation des intervenants illustre les plaintes des demandeurs.

[6]            Cela dit, je ne suis pas convaincu que cet affidavit doit être radié. Selon moi, dans une procédure moderne saine, les irrégularités dans les actes de procédure ne doivent pas faire l'objet d'une requête et ne doivent pas commander que la Cour prononce des ordonnances radiant ou corrigeant de telles irrégularités à moins que la partie qui soulève l'irrégularité puisse démontrer qu'elle lui cause un préjudice quelconque. J'ai expliqué ce point clairement à l'avocat des intervenants et le seul préjudice causé éventuellement à ses clients qu'il a pu mentionner était que la Cour, lorsqu'elle entendra la requête principale, pourrait être incitée à croire que ces allégations très tendancieuses de l'affidavit sont des questions de fait non contestées. Je crois que l'avocat attribue à la Cour un degré de crédulité qui n'est, je l'espère, pas justifié. Par conséquent, en l'absence de la preuve d'un préjudice et même si presque tout l'affidavit est irrégulier et n'aurait pas dû être présenté à la Cour, aucun motif ne justifierait que je radie l'affidavit. L'avocat des intervenants reconnaît d'emblée que pratiquement chaque paragraphe de l'affidavit énonce un argument admissible qui peut être invoqué régulièrement par l'avocate des demandeurs et qu'elle a effectivement fait valoir dans sa plaidoirie écrite à l'appui de la requête principale. Je vais donc rejeter la requête en radiation de l'affidavit.

[9]         Les avocats des parties ont soumis d'autre jurisprudence. Je ne crois pas nécessaire de citer ces autres décisions puisqu'elles reprennent les propos précités des juges Jackett et Hugessen.

[10]       Je conclus de la jurisprudence qui précède que la radiation d'un affidavit ou de parties d'affidavits dans le cadre d'une requête préliminaire en radiation est une mesure exceptionnelle que la Cour ne doit ordonner que si la partie demandant ce redressement peut démontrer clairement l'existence d'un préjudice.

[11]       Aux paragraphes 3, 6, 7 et 8 de son affidavit souscrit le 25 avril 2000, M. Walter Wong déclare :

[TRADUCTION]

3. L'investissement réalisé par les demanderesses auprès des sociétés servant d'abri fiscal a permis le transfert aux demanderesses des dépenses d'exploration engagées par lesdites sociétés et leur utilisation en déduction d'autres revenus des demanderesses.

6. La vérification que j'ai effectuée visait notamment à déterminer si l'investissement des demanderesses dans les sociétés servant d'abri fiscal constitue un « abri fiscal » au sens de la Loi. Essentiellement, le paragraphe 237(1) de la Loi énonce que l'investissement est un « abri fiscal » lorsque ont été faites ou envisagées des déclarations ou annonces selon lesquelles les déductions ou pertes provenant de l'investissement pourraient en excéder le coût. L'investissement dans un abri fiscal a notamment comme conséquence qu'un l'investisseur ne sera autorisé à déduire sa part des pertes ou à prendre une déduction relativement à l'investissement que s'il remplit le formulaire prescrit contenant le numéro d'inscription de l'abri fiscal.

7. Toutes les demanderesses ont réclamé, quant aux sociétés servant d'abri fiscal, des déductions excèdant le coût de l'investissement. Aucune des demanderesses n'a déposé le formulaire prescrit portant le numéro d'inscription relatif à leur investissement dans les sociétés servant d'abri fiscal.

8. Toutes les demanderesses ont soutenu au moment de la vérification que leur investissement dans les sociétés servant d'abri fiscal n'était pas un abri fiscal au sens du paragraphe 237.1(1) de la Loi, ajoutant que ni les sociétés servant d'abri fiscal ni leurs conseillers ou mandataires ne leur avaient fait, à elles ou à leurs mandataires, de déclaration ou d'annonce visée par ladite disposition ou n'avaient envisagé d'en faire.

[12]       Relativement à la présente demande, j'estime que les mentions relatives aux sociétés servant d'abri fiscal ou relatives à la finalité d'abri fiscal de certaines sociétés n'ont pas de pertinence quant à la question litigieuse, soit la question de savoir si un privilège s'attache ou non à certains documents. J'estime aussi que la déclaration de M. Wong tentant d'établir le droit applicable relativement au paragraphe 237.1(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu est sans rapport à la principale question dont la Cour est saisie, c'est-à-dire le caractère privilégié ou non de certains documents.

[13]       Comme le juge Hugessen l'a exposé dans la décision L'Hirondelle, précitée, le demandeur doit démontrer qu'il subirait un préjudice si l'affidavit ou la partie en cause de l'affidavit n'était pas radié.

[14]       Les demanderesses croient que les paragraphes dont elles demandent la radiation ont été inclus pour tenter injustement et indûment de caractériser leur conduite et d'abuser la Cour de quelque façon causant ainsi un préjudice aux demanderesses.

[15]       Je ne puis souscrire à cet argument.

[16]       Lorsque la demande sera entendue au fond (le caractère privilégié des documents), les demanderesses pourront faire valoir que les paragraphes 3, 6, 7 et 8 de l'affidavit de M. Wong ne sont pas pertinents et ne devraient pas être pris en considération.

[17]       Je suis d'avis que l'audience ne s'en déroulera pas moins de façon ordonnée si les paragraphes en cause ne sont pas radiés maintenant.

[18]       La demande est rejetée avec dépens.

                                                                                                Max. M. Teitelbaum                                                                                                                J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

2 août 2000

Traduction certifiée conforme

                                   

Ghislaine Poitras, LL.L.


                                                COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                            SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :T-167-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :Belgravia Investments Ltd. c. Sa Majesté la Reine

DATE DE L'AUDIENCE :Le 27 juillet 2000

LIEU DE L'AUDIENCE :Calgary (Alberta)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM

EN DATE DU 2 août 2000

ONT COMPARU :

M. David C. Maxwell pour les demanderesses

M. Robert Carvalho                              pour la défenderesse


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tetrault

Calgary (Alberta)                                              pour les demanderesses

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                   pour la défenderesse


                                                                                                                     Date: 20000802

                                                                                                                  Dossier: T-167-00

OTTAWA (ONTARIO), LE MERCREDI 2 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DU JUGE TEITELBAUM

ENTRE:

BELGRAVIA INVESTMENTS LIMITED, 3438644 MANITOBA LTD., SPACE FUEL GAS PRODUCTS LTD., RES RESOURCES LTD., SUPREME GRAPHICS LTD., J.E. BOWES INVESTMENTS INC., 409707 ALBERTA LTD.,BEACH AVENUE HOLDING COMPANY LTD., BAYOU DEVELOPMENTS (1996) LTD., NLK CONSULTANTS INC. et TRICONTINENTAL DISTRIBUTION LIMITED,

                                                                                                                     demanderesses,

                                                                    - et -

                                                  SA MAJESTÉ LA REINE,

                                                                                                                        défenderesse.

                                                         ORDONNANCE

            Pour les raisons exposées dans les motifs de l'ordonnance, la demande est rejetée avec dépens.

                                                                                                Max. M. Teitelbaum                                                                                                                J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

                                   

Ghislaine Poitras, LL.L.

 

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