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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100809

Dossier : IMM-4591-09

Référence : 2010 CF 812

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 août 2010

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

SILVIA ADRIANA MARZANA GARCIA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 6 août 2009 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR) a refusé la demande présentée par la demanderesse en vue de se voir reconnaître la qualité de réfugiée ou celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Elle s’est mariée avec Olvera en 1994, alors qu’elle avait 17 ans. Olvera est devenu violent envers elle en 1995 et l’a battue à plusieurs reprises, à tel point qu’elle a dû recevoir des soins médicaux. La demanderesse a quitté Olvera en 1998, mais il l’a suivie, l’a enlevée, l’a battue, l’a agressée sexuellement et a menacé de la tuer, de tuer les membres de sa famille et de lui enlever les enfants si elle ne revenait pas vivre avec lui. Elle a obtempéré et est retournée vivre avec lui. Olvera a été arrêté à plusieurs reprises, mais il a été par la suite libéré et est rentré au foyer familial.

 

[3]               La demanderesse a quitté le Mexique en compagnie d’Olvera et de leurs deux enfants en novembre 2004. La demanderesse a d’abord présenté avec Olvera une demande d’asile qui était fondée sur la crainte de représailles de la part de son ancien employeur, Bernardo Ochoa, parce qu’Olvera et elle avaient obtenu gain de cause dans une plainte de congédiement injuste qu’ils avaient portée contre M. Ochoa.

 

[4]               Dans cette première demande d’asile, la demanderesse faisait état de nombreux incidents. Elle affirmait par exemple qu’à une occasion, des hommes habillés en policiers ont tenté de les enlever, Olvera et elle. Elle croyait que ces hommes avaient été envoyés par M. Ochoa pour les intimider et les inciter à laisser tomber leur plainte. Les hommes en question ont relâché la demanderesse lorsque des agents de sécurité privés qui se trouvaient à proximité sont venus à son secours.

 

[5]               Lors d’un autre incident, les mêmes hommes habillés en policiers ont tenté de passer prendre les enfants à l’école. Après être arrivés sur les lieux, d’autres policiers ont parlé à ces hommes mais les ont laissé partir et ont conseillé à la demanderesse de se désister de sa plainte. Elle allègue également que, deux ans plus tard, on a, sous la menace d’une arme à feu, forcé les membres de la famille à sortir de leur voiture.

 

[6]               Olvera a présenté avec la demanderesse une demande de protection en janvier 2005. Cette demande a été refusée mais on leur a accordé une nouvelle audience.

 

[7]               Olvera était alors redevenu violent. Le Service de police de Toronto et la Société catholique d’aide à l’enfance sont tous les deux intervenus. La demanderesse s’est séparée d’Olvera, pour ensuite reprendre la vie commune avec lui, avant de le quitter définitivement.

 

[8]               La demande de protection de la demanderesse et d’Olvera a été scindée et la demanderesse a ajouté au nombre de ses motifs de craindre de retourner au Mexique la crainte que lui inspire Olvera.

 

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

 

[9]               Dans son examen de la présente demande, la SPR a cité les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe  : directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) en précisant qu’il y avait lieu d’y recourir « pour aider à comprendre et à exercer la sensibilité nécessaire pour déterminer adéquatement si des problèmes de crédibilité, le cas échéant, découlaient de difficultés de cet ordre ou d’une tentative visant à fabriquer de la preuve ».

 

Analyse fondée sur l’article 96

 

[10]           À la suite de son examen des incidents de violence conjugale allégués par la demanderesse, la SPR a conclu que la question décisive, dans le cas d’une analyse fondée sur l’article 96, était celle de la protection de l’État. La SPR a estimé que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Suivant la SPR, « [l]’efficacité de la protection est un facteur pertinent; cependant, l’analyse porte sur le caractère adéquat de la protection offerte ».

 

[11]           La demanderesse a dit avoir été agressée par Olvera à de nombreuses reprises, mais la SPR a indiqué qu’elle n’avait pas été en mesure de fournir des détails ou des documents précis au sujet de tous les faits allégués. La demanderesse n’avait réussi à obtenir qu’un rapport de la police remontant à février 2001 et un rapport médical datant de décembre 1998. Toutefois, compte tenu du temps écoulé et des difficultés auxquelles les femmes en général peuvent être confrontées en pareil cas, la SPR n’a pas tiré de conclusion défavorable de ce fait.

 

[12]           La demanderesse a affirmé qu’elle s’est adressée à la police à plusieurs reprises, racontant qu’à certaines occasions, ses démarches en vue d’obtenir de l’aide avaient été accueillies par des remarques grossières de la part des autorités, qui laissaient entendre que c’était elle qui était à blâmer ou encore qu’elle méritait les agressions en question. À d’autres occasions, les policiers avaient refusé d’informer la demanderesse des démarches qu’elle pouvait entreprendre pour mettre fin aux actes de violence d’Olvera.

 

[13]           La SPR a fait observer qu’Olvera avait été arrêté à de nombreuses reprises à Cuernavaca (Morelos) et Acapulco (Guerrero). La demanderesse allègue qu’Olvera a été remis en liberté à Cuernavaca (Morelos) après que sa famille eut versé un pot-de-vin aux autorités.

 

 

[14]           La SPR a estimé que « [m]ême si la demandeure d’asile croit que les autorités n’ont rien fait pour la protéger contre Olvera, et [même si] elle peut avoir été déçue parce qu’il n’a pas été possible de faire plus, il ressort des faits que les autorités sont effectivement intervenues à quelques reprises ». La SPR a en outre rappelé que « [m]alheureusement, même dans les pays où les services policiers comptent les meilleures ressources, il n’est pas possible d’offrir une protection parfaite ».

 

[15]           Même si la demanderesse avait obtenu des résultats mitigés quand elle avait demandé la protection des autorités au Mexique entre 1995 et 2002, la SPR a fait remarquer que, selon la preuve documentaire, la situation a évolué depuis au Mexique en ce qui concerne la violence fondée sur le sexe au Mexique. Suivant la SPR, « [b]ien que la protection offerte aux femmes victimes de violence au Mexique soit loin d’être parfaite, il existe des lois au Mexique pour aider à protéger les femmes ». La SPR a ensuite passé en revue un certain nombre de lois et de programmes qui ont été mis en œuvre, notamment la loi générale sur le droit des femmes à vivre une vie sans violence, qui vise à empêcher, sanctionner et éliminer la violence faite aux femmes. Suivant la SPR, même si les progrès sont lents, les mesures prises par l’État sont sérieuses.

 

[16]           La SPR a fait observer que, même si la demanderesse se sent davantage en sécurité au Canada, l’expérience qu’elle avait vécue et qui précédait de nombreuses années l’adoption des nouvelles lois par le Mexique, montrait que les autorités lui avaient fourni une certaine protection. La SPR a par ailleurs estimé que la situation s’était améliorée avec les changements apportés, « y compris une augmentation des campagnes de sensibilisation du public et une amélioration de la formation des policiers et de leur intervention, des exigences légales relativement à des conseils et du counseling, ainsi que de l’aide médicale, des ordonnances de protection et une augmentation du nombre de refuges ». De fait, la SPR a estimé qu’en l’espèce, compte tenu des changements survenus au Mexique depuis le départ de la demanderesse, cette dernière pourrait probablement compter sur une protection adéquate de l’État, même si cette protection ne serait pas parfaite.

 

[17]           S’agissant des menaces proférées par Ochoa, la SPR a estimé que la question cruciale était celle de l’existence d’un lien, étant donné que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas ne réussissent pas, la plupart du temps, à établir le lien nécessaire entre leur crainte de persécution et l’un des motifs prévus par la Convention.

 

[18]           Bien que la demanderesse craigne Ochoa, qui cherche toujours à se venger, cette vengeance n’est pas liée à la race, à la religion, à la nationalité, à des opinions politiques ou à une appartenance à un groupe social. La SPR a donc conclu que la demanderesse était « victime d’une vendetta personnelle et de crimes, ce qui ne comporte pas de lien avec un motif prévu dans la Convention ».

 

Analyse fondée sur l’article 97

 

[19]           La question déterminante à trancher en ce qui concerne l’analyse fondée sur l’article 97 était celle de savoir si la crainte exprimée par la demanderesse était de nature prospective et si elle avait réfuté la présomption de protection de l’État.

 

Crainte pour l’avenir

 

[20]           La SPR a souligné que, bien qu’elle craigne toujours Ochoa en raison des menaces qu’il a proférées, la demanderesse a maintenu la communication avec sa famille au Mexique et Ochoa n’a rien fait au cours des quatre dernières années pour harceler ou même communiquer avec les membres de sa famille afin d’intimider ou de trouver la demanderesse. Depuis que l’affaire est réglée et que les biens d’Ochoa ont été saisis, ce dernier avait manifesté peu ou pas d’intérêt pour la demanderesse. La SPR a par conséquent conclu qu’il était peu probable qu’Ochoa fasse du tort à la demanderesse si elle retournait au Mexique.

 

            Protection de l’État

 

[21]           La SPR a estimé que, même si Ochoa voulait toujours faire du tort à la demanderesse, celle-ci pouvait compter sur une protection de l’État adéquate.

 

[22]           Bien que la demanderesse affirme avoir signalé le premier incident – au cours duquel des hommes habillés en policiers l’avaient intimidée –, la SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse sur la suite qui avait été donnée à ce signalement était incohérent et peu fiable. 

 

[23]           La demanderesse n’a pas produit de copies des rapports de police concernant les incidents relatés. La SPR en a tiré une conclusion défavorable et a conclu qu’aucun de ces incidents n’avait été signalé.

 

[24]           Suivant la SPR :

La demandeure d’asile doit au moins essayer d’obtenir la protection de l’État lorsqu’elle est raisonnablement accessible, et il aurait été raisonnable que la demandeure d’asile le fasse. En l’espèce, elle a cru que les policiers étaient associés à Ochoa. Pourtant, si la demandeure d’asile croyait que les policiers étaient corrompus, elle disposait de recours au Mexique pour régler les problèmes de corruption et de criminalité.

 

 

[25]           La SPR a également conclu que le fardeau qui incombait à la demanderesse de demander la protection auprès des organismes de l’État dans son pays était lourd parce que le Mexique est « une démocratie bien établie dotée d’institutions démocratiques, d’un système politique et judiciaire qui fonctionne bien et d’un appareil qui fournit une mesure de protection à ses citoyens, y compris une force policière et militaire ».

 

[26]           La SPR a également estimé qu’il ressortait de la preuve documentaire que le Mexique n’est pas dans une situation d’effondrement et qu’il fait et continue de faire des efforts pour lutter contre la criminalité et la corruption, et qu’il existe un certain nombre de mécanismes pour signaler des actes criminels et la corruption. Qui plus est, la SPR a fait observer que les autorités du pays sont disposées à prendre des mesures pour protéger les victimes d’actes criminels et de la corruption. Le Mexique collabore par ailleurs plus que jamais avec ses homologues américains chargés de faire respecter la loi en vue de lutter contre le crime. La SPR conclut sur cette question comme suit :


Il ne fait pas de doute que la criminalité et la corruption constituent de graves problèmes au Mexique. Le pays doit faire face à des défis considérables. Cependant, selon la prépondérance des éléments de preuve, le Mexique prend de sérieuses mesures pour lutter contre la criminalité et la corruption, et, même si les progrès ne sont pas aussi rapides que beaucoup le souhaiteraient, il y a tout de même du progrès.

 

 

La SPR a par conséquent conclu que la demanderesse ne s’était pas prévalue de la protection de l’État et qu’il était raisonnable de croire qu’elle pourrait obtenir cette protection. Ainsi, si la demanderesse devait retourner au Mexique, elle pourrait compter sur une protection adéquate.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[27]           La demanderesse soumet les questions suivantes dans la présente demande :

 

1.                  La SPR a-t-elle manqué à un principe de justice naturelle en tirant expressément une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité en ce qui concerne les signalements faits à la police mexicaine, alors qu’elle a dit, à l’audience, à l’avocate que la crédibilité ne faisait pas partie des questions que les avocats avaient à aborder dans leurs observations écrites?

2.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en estimant que la demanderesse disposait d’une protection de l’État adéquate à l’égard de chacun des aspects de sa demande?

3.                  La SPR a-t-elle commis une erreur en estimant que la demanderesse n’était pas justifiée de craindre M. Ochoa à l’avenir?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[28]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[29]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a expliqué qu’il n’est pas nécessaire de se livrer dans chaque cas à une analyse de la norme de contrôle applicable. Si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision entreprend l’analyse des quatre facteurs qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[30]           Suivant la demanderesse, la SPR a violé un principe de justice naturelle. La norme de contrôle qui s’applique en pareil cas est celle de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. no 2056, au paragraphe 46, et Dunsmuir, précité, aux paragraphes 126 et 129). En conséquence, la norme applicable est celle de la décision correcte lorsqu’il s’agit de déterminer si la SPR a manqué à un principe de justice naturelle en tirant expressément une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité après avoir dit, à l’audience, à l’avocate que la crédibilité ne faisait pas partie des questions en litige.

 

[31]           La norme de contrôle qui s’applique à la question de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable (Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 467, [2008] A.C.F. no 591, au paragraphe 6).

 

[32]           La demanderesse affirme aussi que la SPR a commis une erreur en estimant qu’elle n’était pas justifiée de craindre M. Ochoa à l’avenir. Il s’agit d’une question qui porte sur l’application que la SPR a faite du critère prévu par la loi aux faits de l’espèce. La norme de contrôle qui s’applique à cette question est donc elle de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 164).

 

[33]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).  En d’autres termes, la Cour n’interviendra que si la décision n’est pas raisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

            La demanderesse

                        Crainte de M. Ochoa

 

[34]           La SPR a conclu que M. Ochoa n’était plus intéressé par la demanderesse parce que la question du conflit de travail avait été réglée, que les biens de M. Ochoa avaient été saisis et qu’il avait manifesté peu ou point d’intérêt à l’égard de la demanderesse.

 

[35]           Cette conclusion est toutefois contredite par le témoignage de la demanderesse suivant lequel son avocat lui avait dit que M. Ochoa avait déclaré que le dossier n’était pas encore clos et qu’il ferait tout pour récupérer ses biens. La demanderesse soutient que ces déclarations montrent qu’il existe toujours un conflit avec M. Ochoa.

 

[36]           Par ailleurs, la demanderesse n’habitait pas avec ses parents. Le fait que M. Ochoa n’avait pas eu de contacts avec la famille de la demanderesse au cours des quatre dernières années ne tirait donc pas à conséquence. La demanderesse soutient que M. Ochoa aurait pu employer d’autres moyens pour savoir si elle se trouvait chez ses parents, notamment en faisant surveiller leur maison, ou qu’il aurait pu apprendre d’autres personnes qu’elle avait quitté le pays.

 

[37]           La demanderesse affirme que la conclusion que la SPR a tirée sur ce point était une conclusion d’invraisemblance. Tout en admettant que la SPR peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité en se fondant sur l’invraisemblance de la version des faits du demandeur d’asile lorsque l’on peut raisonnablement considérer que les inférences ainsi tirées peuvent être fondées, la demanderesse affirme que ce n’est pas le cas en l’espèce. De plus, les conclusions au sujet de la vraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents (voir, par exemple, Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 210, [2003] A.C.F. no 275).

 

Justice naturelle

 

[38]           La SPR a conclu que la demanderesse n’avait signalé à la police aucun des incidents impliquant M. Ochoa et qu’elle n’avait entrepris aucune démarche pour se prévaloir de la protection de l’État.

 

[39]           La demanderesse affirme que la conclusion de la SPR à cet égard donne lieu à un manquement à un principe de justice naturelle, étant donné qu’il s’agit d’une conclusion de fait importante qui reposait elle-même sur une conclusion défavorable au sujet de la crédibilité et que la SPR avait dit à l’avocate de la demanderesse que les avocats n’avaient pas à traiter de la question de la crédibilité dans leurs observations. De plus, l’avocate de la demanderesse avait fait savoir à la SPR, dans les observations écrites qu’elle avait déposées après l’audience, qu’elle s’était fiée à l’assurance donnée par la SPR. Une erreur semblable a été commise dans l’affaire Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 171 F.T.R. 240, [1999] A.C.F. n1142, et la Cour a conclu que le tribunal avait manqué à un principe de justice naturelle parce qu’il ne s’était pas tenu à sa déclaration antérieure suivant laquelle la crédibilité n’était pas en cause et avait ensuite rejeté la demande en partie pour des raisons de crédibilité.

 

Situation au Mexique

 

[40]           La demanderesse affirme que la documentation sur la situation au pays n’appuie pas la conclusion de la SPR suivant laquelle le Mexique est une démocratie pleinement développée de sorte que la présomption de la protection de l’État s’applique. Suivant la demanderesse, la documentation montre plutôt que [traduction] « la situation s’est détériorée au cours des deux dernières années en raison de la lutte que le gouvernement livre aux cartels de la drogue, ce qui a eu pour effet d’affaiblir le contrôle du gouvernement ». La demanderesse affirme que, malgré les tentatives faites par le gouvernement pour combattre la corruption, la situation a empiré en raison des attaques hardies des cartels de la drogue contre le gouvernement et la police et de l’infiltration des autorités par les cartels de la drogue. En conséquence, la SPR a commis une erreur en appliquant la présomption de la protection de l’État malgré la documentation sur le pays qui faisait état du contraire. La SPR a par conséquent commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait compter sur la protection de l’État.

 

[41]           Par ailleurs, certaines décisions de la Cour fédérale appuient l’argument de la demanderesse suivant lequel, d’après des documents récents sur la situation au pays, le Mexique devrait être considéré comme une démocratie moins développée (voir, par exemple, De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1307, [2007] A.C.F. no 1684, et Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98, [2007] A.C.F. no 181).

 

[42]           En outre, la SPR a commis une erreur en concluant que l’efficacité de la protection de l’État était simplement un facteur pertinent qui entrait en ligne de compte, alors que le critère approprié était celui du caractère adéquat de la protection. La demanderesse affirme que le critère applicable est celui de l’efficacité (voir, par exemple, les arrêts Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, [1993] A.C.S. no 74, et Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), Hughey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, [2007] A.C.F. no 584). La demanderesse soutient que « non seulement le pouvoir protecteur de l’État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre » (Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1999] A.C.F. no 1438, cité dans Skelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1244, [2004] A.C.F. no 1503, au paragraphe 45). De plus, la présomption de la protection de l’État peut être combattue par l’expérience personnelle antérieure de l’intéressé ou par l’expérience de personnes se trouvant dans une situation semblable ou encore par d’autres éléments de preuve démontrant l’absence de protection de l’État (voir, par exemple, Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, [2002] A.C.F. no 1425).

 

[43]           Malgré l’importante quantité de documents sur le pays soumis par la demanderesse au sujet de la protection de l’État et de la violence conjugale, la SPR ne mentionne que deux articles dans ses motifs. La demanderesse soutient que la SPR a commis une erreur en utilisant de façon sélective la documentation sur le pays et en ne tenant pas compte d’éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425).

 

[44]           Les éléments de preuve dont disposait la SPR démontraient que la demanderesse ne pourrait pas se prévaloir de la protection de l’État en ce qui concerne les menaces dont elle faisait l’objet de la part de M. Ochoa et de ses représentants. La demanderesse affirme qu’en raison de l’existence des puissants cartels de la drogue et de la corruption qui afflige le système de justice, les institutions de l’État sont affaiblies, de sorte que la protection offerte aux citoyens du Mexique est pratiquement inexistante (voir, par exemple, le 2008 Country Report on Human Rights Practices du Département d’État des États-Unis, le Rapport mondial 2008 de Human Rights Watch, et le rapport d’Amnistie Internationale intitulé « Des lois sans justice : les droits humains bafoués en toute impunité dans le domaine de la sécurité publique et de la justice pénale ».

 

[45]           La SPR a négligé de discuter des failles de la justice mexicaine, se concentrant plutôt sur des statistiques et sur l’existence de mécanismes de plainte contre des fonctionnaires corrompus. Or, c’est le système de justice pénale lui-même qui nous intéresse en ce qui concerne la situation de la demanderesse par rapport à M. Ochoa.

 

[46]           La SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. La demanderesse affirme que, bien qu’il ne soit pas nécessaire que la SPR mentionne tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis, elle devrait à tout le moins formuler ses observations au sujet des documents qui appuient la thèse de la demanderesse et préciser si elle accepte ou non ces éléments de preuve et expliquer pourquoi (voir la décision Cepeda-Gutierrez, précitée).

 

Violence conjugale

 

[47]           La SPR a également commis une erreur dans la façon dont elle a donné suite à la partie de sa demande dans laquelle la demanderesse affirmait avoir été victime de violence conjugale. La demanderesse affirme que la SPR n’a pas tenu dûment compte de son témoignage au sujet du rôle joué par la police.

 

[48]           Malgré le témoignage donné par la demanderesse et les éléments de preuve contenus dans son exposé circonstancié, la SPR a estimé que la demanderesse ne pouvait pas expliquer pourquoi son mari avait été relâché. La demanderesse affirme qu’il s’agit là d’un exemple de la norme de preuve trop élevée que la SPR lui a imposée. La demanderesse a par ailleurs également expliqué que la famille de son mari était riche, que de l’argent avait été versé et que la police était corrompue. En fait, la demanderesse était au courant de l’attitude des policiers lorsqu’elle a fait les signalements concernant son mari. Il résulte de la combinaison de ces faits qu’il existe des motifs raisonnables de conclure qu’un pot-de-vin a été versé à la police pour obtenir la remise en liberté du mari de la demanderesse. La demanderesse affirme en outre que les arrestations ne sont qu’une façon d’extorquer de l’argent et que les policiers avaient procédé à ces arrestations sans la moindre intention de lui venir en aide. Il était donc déraisonnable de la part de la SPR de conclure, vu l’ensemble des faits, que les policiers lui avaient offert leur protection parce qu’il [traduction] « leur arrivait à l’occasion d’intervenir ».

 

[49]           De plus, l’existence, au Mexique, de lois qui accordent en théorie une protection aux femmes n’est pas suffisante pour conclure qu’on peut se prévaloir de la protection de l’État. La demanderesse fait valoir qu’il ressort de la preuve que la protection de l’État offerte aux victimes de violence conjugale au Mexique est inefficace. La protection offerte par l’État au Mexique est donc inadéquate. La SPR a commis une erreur en tirant une conclusion différente.

 

[50]           La SPR a également commis une erreur en citant des éléments de preuve hors contexte. Bien que la SPR s’autorise de l’augmentation de 12 pour 100 qu’ont connue les plaintes contre la police pour y déceler un indice positif quant à la protection de l’État, les experts cités dans les documents mentionnés adoptent un point de vue contraire. D’ailleurs, dans un article intitulé « Macho culture stymies help for Mexican Women », le président de la Commission mexicaine des droits de la personne mentionne que les cas où des organismes chargés de l’application de la loi de Mexico n’avaient donné aucune suite aux plaintes portées par des femmes avaient augmenté de 12 pour 100 après l’adoption de la loi. Le même article signale par ailleurs que la violence faite aux femmes est bien ancrée dans la culture mexicaine. Suivant la demanderesse, [traduction] «  il se peut fort bien que les hommes vers lesquels elles se tournent pour demander de l’aide soient eux-mêmes des hommes violents qui sont davantage portés à justifier la violence qu’à venir en aide aux victimes ».

 

[51]           Ces attitudes ainsi que les nombreux problèmes auxquels sont confrontées les femmes qui cherchent à se prévaloir de la protection de l’État au Mexique étaient documentés à fond dans les éléments de preuve documentaires soumis à la SPR. La SPR n’en a pas tenu compte. On trouve par ailleurs dans la trousse documentaire de la SPR des éléments de preuve qui démontrent que le manque d’efficacité de la protection offerte aux femmes victimes de violence conjugale (voir, par exemple, le rapport de 2008 précité du Département d’État américain, et l’exposé publié en 2003 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulé « Mexique : Violence conjugale et autres questions liées à la situation de la femme », et le rapport publié en 2007 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulé « Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle »). Suivant le rapport de 2006 d’Amnistie Internationale intitulé « Rapport au Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes » :

[…] les efforts de l’État pour traiter les problèmes paraissent souvent superficiels et prennent pour référence des procédures ou des principes légaux censés réglementer le comportement institutionnel, au lieu de se fonder sur l’expérience des femmes ou de leurs proches qui, en dénonçant des violences, cherchent de l’aide auprès des autorités. Ces procédures diffèrent souvent largement du traitement idéal des cas.

 

Le même document donne des exemples de tortures et d’autres mauvais traitements infligés à des femmes par des agents de l’État :

Amnesty International continue de recevoir des rapports de femmes victimes de violences sexuelles, d’intimidations et d’humiliations lorsqu’elles sont maintenues en détention sous la garde de fonctionnaires des États, ainsi que le montrent les affaires ci-dessous. L’impunité pour les violations des droits humains reste largement répandue […]

 

Le Rapport mondial 2008 de Human Rights Watch (le Rapport mondial 2008) signale également que [traduction] « les jeunes filles et les femmes qui dénoncent des viols ou des actes de violence aux autorités font la plupart du temps face à une réaction de suspicion, d’apathie et d’irrespect ». Il s’ensuit que [traduction] « la violence conjugale et sexuelle contre les femmes et les jeunes filles demeure endémique et les auteurs de ces actes continuent à agir en toute impunité » (Rapport mondial 2008, précité).

 

[52]           La demanderesse affirme que la documentation qu’elle a fournie appuie sa demande et concorde avec son expérience personnelle. Toutefois, la SPR n’a pas abordé ces éléments de preuve. La SPR a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait, ce qui l’a amené à tirer des conclusions de fait erronées.

 

Le défendeur

 

[53]           Le défendeur affirme qu’une erreur commise sur le plan de l’équité procédurale en ce qui concerne une conclusion tirée par la SPR au sujet de la protection de l’État relativement à l’ancien employeur de la demanderesse n’invalide pas nécessairement toute la décision. La Cour suprême du Canada a jugé que, si l’issue de la cause est claire, la Cour ne doit pas infirmer la décision pour la simple raison qu’une erreur a été commise sur le plan de l’équité procédurale (voir, par exemple, l’arrêt Mobile Oil Canada Ltd. c. Office CanadaTerre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.S.C. 202, [1994] A.C.S. no 14). La Cour d’appel fédérale a appliqué ce principe en décidant qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’elle soit jugée de nouveau, et ce, même s’il y a avait eu manquement à l’équité procédurale, dès lors que les autres conclusions tirées par la SPR étaient déterminantes (Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 172 N.R. 308, [1994] A.C.F. no 949, aux paragraphes 8 à 11).

 

[54]           Dans le cas qui nous occupe, la SPR a fait remarquer que les conclusions qu’elle tirait au sujet de la protection de l’État étaient subsidiaires par rapport à ses conclusions quant à la crainte pour l’avenir. Les conclusions que la SPR avait tirées au sujet de la crainte pour l’avenir étaient raisonnables. La SPR a signalé que l’ancien employeur de la demanderesse n’avait pas communiqué avec la famille de la demanderesse pendant quatre ans et qu’il n’avait rien fait pour les harceler. De plus, M. Ochoa avait manifesté peu ou point d’intérêt à l’égard de la demanderesse. Le défendeur affirme que cette conclusion était raisonnable et que la Cour ne devrait pas la modifier.

 

[55]           Suivant la demanderesse, la SPR a également commis une erreur en n’insistant pas sur l’efficacité de la protection de l’État. Ce n’est toutefois pas sur la SPR que repose la charge de la preuve en l’espèce. C’est à la demanderesse qu’il incombe de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants établissant que la protection de l’État n’est pas adéquate (Samuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762, [2008] A.C.F. no 963, au paragraphe 10). Le défendeur affirme qu’au vu de l’ensemble de la preuve dont disposait la SPR, il était raisonnable de sa part de conclure que la demanderesse ne s’était pas acquittée de ce fardeau (voir, par exemple, l’arrêt Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] A.C.F. no 399, aux paragraphes 18 et 30).

 

[56]           La SPR a signalé que la police était venue en aide à la demanderesse à de nombreuses reprises lorsqu’elle avait été victime de violence conjugale. La SPR a ensuite estimé que la protection de l’État offerte aux victimes de violence conjugale s’était améliorée considérablement depuis que la demanderesse avait quitté le Mexique. Les conclusions de la SPR à cet égard étaient raisonnables, et il n’appartient pas à notre Cour de s’ingérer dans l’appréciation que la SPR a faite de la preuve (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 160 N.R. 315, [1993] A.C.F. no 732).

 

[57]           De plus, le fait que la SPR n’a pas fait état de telle ou telle preuve documentaire ne porte pas un coup fatal à sa décision, car la SPR est présumée avoir pesé et considéré toute la preuve dont elle est saisie, jusqu’à preuve du contraire (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. n° 598, au paragraphe 1, et Velinova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 268, [2008] A.C.F. n° 340, au paragraphe 21).

 

ANALYSE

 

[58]           Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire — et le défendeur l’admet — que la SPR a commis un manquement à un principe de justice naturelle en tirant des conclusions défavorables au sujet de la crédibilité en ce qui concerne les affirmations faites par la demanderesse relativement à sa dénonciation de M. Ochoa à la police, alors qu’elle avait donné à l’avocate de la demanderesse l’assurance qu’il n’était pas nécessaire de traiter de la crédibilité dans ses observations (voir la décision Griffith, précitée).

 

[59]           Toutefois, la conclusion tirée au sujet de la protection de l’État en ce qui concerne M. Ochoa constitue de toute évidence un motif distinct sur lequel la SPR s’est fondée pour rejeter les prétentions de la demanderesse en ce qui concerne M. Ochoa. La SPR a également conclu que M. Ochoa ne s’intéressait plus à la demanderesse et « selon la prépondérance des probabilités, il est peu probable qu’Ochoa fasse du tort à la demandeure d’asile si elle retourne au Mexique ».

 

[60]           En ce qui concerne la crainte à l’égard de M. Ochoa, la question est donc celle de savoir si la conclusion tirée au sujet de la crainte future était raisonnable. Il ressort de mon examen de la décision et de la transcription de l’audience que la SPR a admis en preuve le compte rendu que la demanderesse avait fait des renseignements qu’elle avait obtenus de son avocate au Mexique suivant lesquels M. Ochoa n’avait pas abandonné la partie et qu’il cherchait toujours à lui faire du tort.

 

[61]           Malgré le fait qu’elle a admis ces éléments de preuve, la SPR a néanmoins conclu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Ochoa n’était plus intéressé à faire du tort à la demanderesse parce que le conflit portant sur les biens était réglé et parce que la demanderesse « a aussi maintenu la communication avec sa famille [au Mexique et qu’] au cours des quatre dernières années, Ochoa n’a rien fait pour harceler ou même communiquer avec les membres de sa famille pour intimider ou retrouver la demandeure d’asile ». En d’autres termes, le témoignage de l’avocate de la demanderesse au sujet des menaces récentes de M. Ochoa était supplanté par la conclusion que M. Ochoa avait « manifesté peu ou pas d’intérêt » pour la demanderesse parce qu’il n’avait rien fait pour entrer en contact avec sa famille.

 

[62]           L’appréciation de la preuve est évidemment l’apanage de la SPR et la Cour ne peut intervenir pour la simple raison qu’elle n’est pas d’accord pour dire que les éléments de preuve les plus récents au sujet des menaces proférées par M. Ochoa devraient se voir accorder plus de poids que le défaut de M. Ochoa de communiquer avec la famille de la demanderesse au Mexique. Toutefois, en l’espèce, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve permettant de penser que M. Ochoa connaissait les parents de la demanderesse ou savait où ils vivaient. Rien ne permettait de conclure que M. Ochoa était proche des parents de la demanderesse ou qu’il avait les moyens ou la volonté de les trouver. En d’autres termes, il n’y avait aucun fondement factuel permettant de conclure que M. Ochoa n’était plus intéressé à la demanderesse parce qu’il n’avait pas communiqué avec les parents de cette dernière au cours des quatre dernières années, et il n’y avait aucun fondement factuel permettant de mettre ce facteur en balance avec les renseignements plus récents communiqués par l’avocate de la demanderesse (et acceptés par la SPR) suivant lesquels M. Ochoa menaçait toujours de faire du tort à la demanderesse. La question à résoudre ne porte donc pas sur l’appréciation de la preuve mais sur une conclusion tirée par la SPR à partir d’une erreur de fait qui, dans le cas qui nous occupe, constitue une erreur de fait cruciale et déterminante qui rend déraisonnable la conclusion tirée au sujet du danger que M. Ochoa pourrait présenter à l’avenir.

 

[63]           Pour cette seule raison, j’estime donc qu’il convient de renvoyer l’affaire à la SPR pour qu’elle la réexamine et je ne crois pas qu’il soit nécessaire que je reprenne en détail l’analyse de la SPR quant à la protection de l’État, en ce qui concerne la menace que constitue M. Ochoa ou les risques pour la demanderesse d’être à nouveau victime de violence conjugale. Je tiens cependant à préciser qu’après avoir examiné les éléments de preuve portés à la connaissance de la SPR à la lumière de la décision qu’elle a rendue, j’estime que la demanderesse a raison de dire que l’analyse que la SPR a faite de la question de la protection de l’État est stéréotypée, souvent dénuée de pertinence et qu’elle est insensible à la situation particulière en cause et à la détresse des femmes mexicaines victimes de violence conjugale qui cherchent à obtenir de l’aide. La SPR n’a tout simplement pas tenu compte de la masse de documents fiables et qui font autorité que la demanderesse lui avait soumis et qui renfermaient des éléments de preuve qui contredisaient directement les conclusions de la CISR suivant lesquelles le Mexique était en mesure de lui assurer la protection adéquate de l’État si elle y retournait (Cepeda-Gutierrez). Je ne dis pas, bien sûr, que la SPR était obligée d’accepter ces éléments de preuve, mais j’estime qu’elle avait l’obligation de les mentionner et d’expliquer pourquoi d’autres éléments de preuve devaient être préférés. La lecture de l’analyse que la SPR fait de la protection de l’État donne la nette impression qu’elle n’a pas abordé les éléments de preuve contradictoires parce que ces éléments de preuve donnaient fortement à penser que les femmes qui, comme la demanderesse, sont susceptibles d’être victimes de violence de la part des hommes dans la culture macho du Mexique ne bénéficient pas d’une protection de l’État adéquate.

 

[64]           En conclusion, j’estime donc que la SPR a commis des erreurs déraisonnables en l’espèce en raison de son analyse de ce que la demanderesse pouvait craindre à l’avenir de la part de M. Ochoa et de son analyse de la question de la protection de l’État.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la demande est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à la SPR pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué;

 

2.                  il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4591-09

 

INTITULÉ :                                       SILVIA ADRIANA MARZANA GARCIA        

                                            

                                                                                                                     DEMANDERESSE               

                                                            -   et  -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION                                                                                

                                                           

                                                                                                                      DÉFENDEUR

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 juillet 2010

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 août 2010

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Geraldine MacDonald                                                               POUR LA DEMANDERESSE

                                 

Neal Samson                                                                            POUR LE DÉFENDEUR

                                  

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

                                                                                                POUR LA DEMANDERESSE

 

                                                                                                              

Myles J. Kirvan                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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