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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100721

Dossier : IMM-5804-09

Référence : 2010 CF 768

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 21 juillet 2010

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

CARLOS ALBERTO TALAVERA MORALES

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

 ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de l'immigration de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que Carlos Alberto Talavera Morales est interdit de territoire aux termes de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, au motif qu’il est membre d’un groupe du crime organisé.

 

[2]               M. Talavera demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de l’immigration, soutenant que la Commission a commis une erreur dans son interprétation de la preuve, dans son examen de sa crédibilité et dans sa compréhension du concept d’« appartenance » en ce qui a trait à ses liens avec le gang « Los Zetas » au Mexique.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la Commission n’a pas commis les erreurs alléguées et qu’elle pouvait raisonnablement tirer sa conclusion d’interdiction de territoire en fonction du dossier dont elle était saisie. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Les dispositions légales applicables à la décision

[4]               Avant d’examiner les arguments présentés par M. Talavera, il convient de revoir le cadre légal qui gouverne les conclusions d’interdiction de territoire telles que celles en l’espèce.

 

[5]               La conclusion d’interdiction de territoire en l’espèce a été tirée conformément à l’alinéa 37(1)a) de a Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui prévoit :

 

37. (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

 

 

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan […]

37. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

 

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern …

 

 

[6]               En tirant une conclusion conformément à l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, la Section de l’immigration a aussi été guidée par l’article 33 de la LIPR, qui prévoit :

33. Les faits — actes ou omissions — mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

 

33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.

 

 

La norme de contrôle

 

[7]               La norme de la décision raisonnable s'applique aux conclusions de fait et aux conclusions relatives à la crédibilité de la Commission. Les deux parties s’entendent au sujet de la conclusion de l’agent portant sur la question de l’appartenance, pour laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique. Comme il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, je conviens que la décision raisonnable est la norme de contrôle appropriée pour la question de l’appartenance : voir Poshteh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] A.C.F. no 381, 331 N.R. 129.

 

[8]               En contrôlant une décision en fonction de la décision correcte, la Cour doit examiner la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 A.C.F. 190, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 A.C.F. 339 au paragraphe 59.

 

 

Analyse

 

[9]               Pour conclure que M. Talavera était interdit de territoire au Canada au sens de l’alinéa 37(1)a) de la LIPR, la Section de l’immigration devait déterminer qu’il était, ou qu’il avait été, un membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités criminelles organisées, au sens de l’article 37 de la LIPR. Il y a donc trois aspects qui entrent en jeu dans une telle conclusion d’interdiction de territoire : la définition d’« activités criminelles organisées », la norme des « motifs raisonnables de croire » et la notion d’« appartenance ».

 

[10]           En l’espèce, M. Talavera reconnaît que le gang Los Zetas se livre à des activités criminelles organisées au Mexique.

 

[11]           En ce qui a trait à la norme de preuve des « motifs raisonnables de croire », la Cour suprême du Canada a déclaré dans l’arrêt Mugesera c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 50, [2005] 2. R.C.S. 100, que cette norme exige « davantage qu’un simple soupçon mais reste moins stricte que la prépondérance des probabilités applicables en matière civile ». La Cour suprême a ajouté que les motifs raisonnables de croire existeront lorsqu’il y a « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et digne de foi », au paragraphe 114.

 

[12]           En ce qui a trait au critère de l’appartenance, il est clair que l’appartenance actuelle ou officielle à l’organisation n’est pas requise – le terme doit plutôt être plutôt être pris dans son sens large : voir Chiau c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 297, au paragraphe 57 (C.A.F.). De plus, il sera toujours possible de dire que même si plusieurs facteurs permettent de conclure qu’il y avait appartenance, d’autres autorisent une conclusion contraire : voir Poshteh,

 

[13]           Un examen du dossier en l’espèce montre clairement qu’il existait une preuve considérable à l’appui de la conclusion de la Section de l’immigration selon laquelle M. Talavera était un membre du gang Los Zetas, dont la majeure partie provenait de M. Talavera lui-même.

 

[14]           M. Talavera a reconnu s’être associé de façon régulière, pendant quelques années, avec des individus qu’il savait être des membres des Los Zetas, en particulier deux hommes nommés Raul (aussi connu sous le nom d’« el lobo » ou « le loup » et Eric (aussi connu sous le nom d’« el araña » ou « l’araignée »). Dans son formulaire de renseignements personnels (FRC), M. Talavera a décrit sa relation avec Raul et Eric comme étant [traduction] « forte », déclarant qu’il allait à des fêtes avec ces personnes. Ils lui donnaient de la marijuana et de la cocaïne et, en échange, il leur faisait des faveurs, telles que voler du matériel automobile, des outils et des pièces de rechange dans la compagnie où il travaillait.

 

[15]           M. Talavera insiste qu’il s’agissait simplement d’une relation sociale – qu’il passait du temps avec Raul et leurs amis à consommer de la drogue. Cependant, il a déclaré qu’Eric et Raul ont éventuellement essayé de le recruter pour qu’il se joigne aux Zetas. Lorsqu’il a refusé de se joindre au gang, on a attenté à sa vie, ce qui l’a poussé à quitter le Mexique et à venir au Canada.

 

[16]           La Section de l’immigration n’accepte pas que la relation de M. Talavera avec Raul et Eric n’était qu’une relation sociale entre consommateur de drogues et trafiquants de drogues. À ce sujet, la Commission a souligné le fait que M. Talavera avait reconnu avoir été mis au courant de renseignements au sujet des activités de trafic de drogues du gang. Entre autres, il avait été présenté à trois ou quatre narcotrafiquants et il avait été mis au courant des déplacements, des contacts et des lieux d’achat et de vente de drogues illégales du gang.

 

[17]           M. Talavera soutient qu’on lui a donné ces renseignements en vue de le recruter et de le préparer pour son futur travail avec le gang. La Commission a examiné cette explication et l’a rejetée, concluant qu’il était difficile de croire qu’un simple consommateur de drogues fournies par les Zetas aurait été avisé de [traduction] « détails de nature délicate » au sujet des activités de vente de drogues du gang. Il s’agit d’une conclusion tout à fait raisonnable, particulièrement compte tenu de la preuve documentaire détaillant le mode d’opération du gang.

 

[18]           La Commission a aussi examiné la déclaration de M. Talavera dans son FRP selon laquelle il avait [traduction] « décidé de quitter le gang, c’est‑à‑dire, je les ai coupés de ma vie et j’ai cessé de passer du temps avec Éric et de participer à leurs fêtes [» [non souligné dans l’original]. La Commission a noté et a rejeté l’explication de M. Talavera selon laquelle cette déclaration signifiait simplement qu’il avait cessé de passer du temps avec Raul, Eric et leurs amis.

 

[19]           M. Talavera soutient que la Commission a commis une erreur en prenant sa déclaration au pied de la lettre, suggérant que son commentaire au sujet du fait qu’il a décidé de quitter le gang découlait du fait qu’il n’avait pas eu d’aide juridique pour préparer son FRP et découlait aussi de problèmes d’interprétation. Cependant, comme la Commission l’a noté, M. Talavera a déposé un FRP modifié après avoir obtenu l’aide d’un avocat. Bien que de nombreux ajouts et retraits aient été faits au document original, la déclaration au sujet du fait qu’il a quitté le gang n’a pas été modifiée.

 

[20]           De plus, comme M. Talavera lui-même l’a reconnu en contre-interrogatoire, on ne peut pas quitter un gang auquel on ne s’est jamais joint.

 

[21]           La Commission a aussi conclu que la preuve démontrait une participation plus importante au gang de la part de M. Talavera qu’une simple relation sociale ou un simple achat de drogues auprès du gang. À ce sujet, la Commission a noté que pendant environ deux ans, M. Talavera a sciemment fréquenté des membres du gang de Zetas. Il a participé à leurs fêtes et a reçu des drogues de membres connus du gang. En échange, il a aidé Eric, qu’il savait être un membre du gang, en volant des pièces d’automobiles pour lui. Il connaissait les détails des activités liées aux drogues des Zetas. Selon la Commission, cela a entraîné des motifs raisonnables de croire que M. Talavera était un « membre » du gang Los Zetas.

 

[22]           M. Talavera conteste cette conclusion, notant qu’il n’existe aucun renseignement indépendant confirmant son appartenance aux gangs. Comme je l’ai noté plus tôt, la jurisprudence exige qu’il y ait un fondement objectif pour la croyance, fondé sur des renseignements concluants indignes de foi. La Commission a fondé sa conclusion au sujet de l’appartenance sur les propres déclarations de M. Talavera, tirant à partir de ces déclarations des inférences qui étaient, à mon avis, entièrement raisonnables.

 

[23]           M. Talavera ne m’a donc pas convaincue que la Commission a commis une erreur en concluant qu’il était interdit de territoire au Canada. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

 

Certification

 

[24]           M. Talavera propose que soit certifiée la question suivante :

Pour démontrer qu’une personne est membre d’une organisation criminelle au sens de l’alinéa 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, suffit-il de présenter des éléments de preuve tendant à établir qu'elle a connaissance de certaines des activités de l'organisation?

 

 

[25]           Il ne s’agit pas d’une question appropriée pour la certification, puisque la conclusion au sujet de l’appartenance en l’espèce était fondée sur plus qu’un simple connaissance de certaines des activités criminelles des Zetas de la part de M. Talavera.

 

JUGEMENT

 

 

            LA COUR STATUE QUE :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish » 

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5804-09

 

INTITULÉ :                                       CARLOS ALBERTO TALAVERA MORALES c.     

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE DU CANADA                                                                                              

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 20 JUILLET 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH.

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 21 JUILLET 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Eugenia Cappellaro-Zavaleta

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

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