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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20100715

Dossier : T-1431-09

Référence : 2010 CF 747

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 juillet 2010

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

 

ENTRE :

WARREN MCDOUGALL

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et de l’alinéa 300a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le contrôle judiciaire de la décision du sous-commissaire principal du Service correctionnel du Canada (le SCC) de rejeter en partie, à l’échelon final, un grief qu’il avait déposé. La partie rejetée du grief concernait la validité de l’ordre permanent n° 770 édicté par le directeur de l’Établissement Ferndale (le directeur), et la suppression des droits de visite de deux des visiteurs du demandeur en application de l’ordre permanent.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

 

[2]               Le demandeur est un détenu de l’Établissement Ferndale.

 

[3]               Durant l’été de 2008, le directeur a édicté l’ordre permanent n° 770, en application d’un bulletin de sécurité diffusé par le directeur général intérimaire, Direction générale de la sécurité, du SCC, et conformément à une directive du commissaire du SCC (le commissaire), la directive n° 770 (la DC n° 770). Conformément au bulletin de sécurité et à l’ordre permanent n° 770, nul ne pouvait être autorisé à visiter des détenus à plus d’un établissement sans une justification suffisante.

 

[4]               Une recherche dans la base de données du SCC avait révélé que deux des visiteurs du demandeur figuraient sur des listes de visiteurs de détenus à plus d’un établissement. Le 27 août 2008, des lettres leur ont donc été envoyées, qui les priaient d’indiquer par écrit quels détenus ils visitaient, pourquoi ils les visitaient, et s’ils souhaitaient continuer de les visiter. Il était précisé dans les lettres que leurs autorisations de visite seraient supprimées si aucune réponse n’était reçue dans un délai de quatre semaines.

 

[5]               Les visiteurs du demandeur n’ont pas répondu aux lettres; la raison pour laquelle ils n’y ont pas répondu n’est pas indiquée dans le dossier. Le 2 octobre 2008, des lettres ont été envoyées aux deux visiteurs, qui les informaient que leurs autorisations de visite avaient été supprimées et qui les invitaient à communiquer avec le SCC pour plus amples informations. Ils n’ont pas communiqué avec le SCC.

 

[6]               Le demandeur n’a été informé de ces suppressions d’autorisations que le 23 décembre 2008, et, le même jour, a voulu savoir ce qu’il en était. On lui a répondu que les suppressions résultaient de l’ordre permanent n° 770. Le demandeur a déposé une plainte, puis assisté à une réunion du Comité des visites de l’Établissement Ferndale (le Comité) pour en discuter. Le Comité lui a dit que plusieurs visiteurs avaient répondu à des lettres semblables à celles qui avaient été envoyées à ses visiteurs et, leurs explications ayant été jugées satisfaisantes, leurs autorisations de visite avaient été maintenues. La plainte du demandeur a été rejetée. Il a alors déposé un grief, qui a été rejeté au dernier palier, et c’est de ce rejet qu’il sollicite maintenant le contrôle judiciaire.

 

LA DÉcision CONTESTÉE

 

[7]               Le sous-commissaire principal a informé le demandeur que l’ordre permanent n° 770 visait à prévenir l’introduction de drogues dans l’Établissement Ferndale et que cet ordre permanent s’inscrivait dans une stratégie nationale appliquée par le SCC. Des études antérieures avaient montré que les personnes qui visitent plus d’un détenu ou plus d’un établissement présentaient sur ce point un risque accru. Le commissaire expliquait que [traduction] « pour cette raison […] les visiteurs sans justification suffisante (par exemple deux (2) membres de la même famille incarcérés dans des établissements différents) n’obtiendront pas l’autorisation ». À cause du risque, et compte tenu de l’importance primordiale des impératifs de sécurité, [traduction] « il n’est pas déraisonnable que des visiteurs soient tenus d’apporter une justification suffisante quant aux raisons pour lesquelles ils souhaitent visiter tel ou tel détenu ».

 

[8]               Le sous-commissaire principal a également rejeté l’argument du demandeur selon lequel l’ordre permanent n° 770 ne s’appliquait qu’aux nouveaux visiteurs.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[9]               Cette demande soulève les questions suivantes :

1. L’opposition du demandeur à l’ordre permanent n° 770 relève-t-elle de la compétence des tribunaux?

2. Dans l’affirmative, l’ordre permanent n° 770 est-il illégal parce que :

            a) il excédait les pouvoirs du directeur?

b) il a été édicté en violation de l’obligation d’équité incombant au directeur?

c) il est inefficace, inutile ou injustifié?

3. La décision du sous-commissaire principal de rejeter le grief du demandeur était-elle raisonnable?

 

ANALYSE

 

1.         L’opposition du demandeur à l’ordre permanent n° 770 relève-t-elle de la compétence des tribunaux?

 

[10]           Cette question est soulevée par le défendeur, qui affirme que la Cour n’est pas habilitée à censurer l’exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire, conformément aux directives duquel l’ordre permanent n° 770 a été édicté. Le défendeur dit que, selon la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition , L.C. 1992, ch. 20 (la Loi), le commissaire a le pouvoir discrétionnaire [traduction] « de prendre les mesures qui sont nécessaires pour assurer la conduite et la gestion du SCC ». La Cour doit s’abstenir de revoir l’exercice de ce qui est [traduction] « un pouvoir purement discrétionnaire du commissaire et du directeur de donner effet aux lignes de conduite touchant l’administration et le contrôle des visites […] dans un établissement correctionnel fédéral ». Elle doit s’abstenir d’établir des lignes de conduite ou d’agir comme organe de réglementation. Le législateur a attribué ce rôle au commissaire, qui à son tour a délégué des pouvoirs au directeur. La Cour ne saurait reconsidérer la manière dont l’un et l’autre exercent ces pouvoirs.

 

[11]           Il n’appartient évidemment pas à la Cour d’établir des lignes de conduite en lieu et place du commissaire, mais l’opposition du demandeur à l’ordre permanent n° 770 concerne non seulement la sagesse de cet instrument, mais également sa légalité. Dans un cas comme celui-ci la Cour a l’obligation de s’assurer que l’acte administratif contesté s’accorde avec sa loi habilitante et avec la Constitution. Ainsi que l’expliquait la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, « [l]a primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit pas la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution ».

 

[12]           Ainsi, les tribunaux examineront avec retenue l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou décisionnel (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 53), mais ils appliqueront néanmoins la rigoureuse norme de la décision correcte dans l’examen de décisions se rapportant à la constitutionnalité et à la compétence (arrêt Dunsmuir, paragraphes 58 et 59). En outre, toute décision administrative doit s’accorder avec l’obligation pertinente d’équité et, comme l’expliquait d’une manière appuyée le juge Binnie, s’exprimant pour les juges majoritaires de la Cour suprême, dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, « [i]l appartient aux tribunaux judiciaires et non [à l’exécutif] de donner une réponse juridique aux questions d’équité procédurale. Seul l’exercice en dernière analyse du pouvoir discrétionnaire […] conféré [à l’exécutif] […] » dicte le niveau applicable de retenue.

 

2.         L’ordre permanent n° 770 est-il illégal?

 

a)         L’ordre permanent n° 770 excède-t-il les pouvoirs du directeur?

 

[13]           Selon le demandeur, le directeur n’avait pas le pouvoir de donner effet à l’ordre permanent n° 770, d’une part, parce qu’il n’avait pas consulté les détenus et, d’autre part, parce qu’il n’avait pas [traduction] « le pouvoir légal d’accorder des droits de visite, accrus ou réduits, en fonction des liens familiaux du visiteur avec le détenu ». Il relève que la Loi ne fait pas de distinction entre les proches parents et les autres catégories de visiteurs. Les détenus ont droit aux visites des personnes désireuses de les voir, sous réserve uniquement des restrictions liées aux impératifs raisonnables de sécurité.

 

[14]           Le défendeur, pour sa part, soutient que le pouvoir du commissaire d’établir des directives est conféré par les articles 97 et 98 de la Loi. La DC n° 770 est justifiée par ces dispositions. Il n’importe pas qu’elle n’en fasse pas état. Par ailleurs, la DC n° 770 n’autorise pas le directeur à imposer des limites générales aux visites; au contraire, elle prévoit une évaluation au cas par cas pour chaque visite projetée.

 

[15]           En application de la section 3 de la DC n° 770, le commissaire a prié à son tour le directeur de « préciser les procédures à suivre relativement aux visites ainsi que les conditions à remplir ». Les dispositions de la Loi et de son règlement d’application précisent le cadre à l’intérieur duquel le directeur exerce son pouvoir discrétionnaire. L’ordre permanent n° 770 respecte ce cadre. Il s’accorde avec les objectifs législatifs et réglementaires, qui sont de favoriser la réadaptation des détenus grâce à des visites, tout en préservant la sécurité des organismes correctionnels, l’Établissement Ferndale restant libre de mesurer le risque qu’un visiteur potentiel présente pour sa sécurité. En outre, l’ordre permanent n° 770 prévoit que le détenu et le visiteur seront tous deux informés d’une décision intéressant l’autorisation du visiteur et pourront se faire entendre. Finalement, l’ordre permanent n° 770 n’oblige pas tout visiteur à justifier ses visites, mais uniquement ceux qui visitent plusieurs détenus ou plusieurs établissements; c’est donc le moyen le moins restrictif possible d’atteindre ses objectifs.

 

[16]           J’aborderai séparément, sous la rubrique de l’équité procédurale, l’argument de la prétendue obligation du directeur de consulter les détenus avant de donner effet à l’ordre permanent n° 770. Je m’intéresserai pour l’instant à l’affirmation du demandeur pour qui l’ordre permanent n° 770 est contraire à la Loi et à son règlement d’application (dont les dispositions applicables sont reproduites intégralement dans l’appendice), parce qu’il impose une interdiction générale pour certaines visites. Je rejette cet argument, pour les raisons qui suivent.

 

[17]           L’alinéa 97b) de la Loi autorise le commissaire à « établir des règles concernant […] les questions énumérées à l’article 4 » de cette loi. Parmi ces questions, il y a la protection de la société (alinéa 4a)) et la réadaptation des détenus (alinéa 4i)). Ces objectifs justifient tous deux les moyens que prend le commissaire pour faire du milieu carcéral un milieu sans drogue. La DC n° 770 est l’un de ces moyens. Elle s’accorde aussi avec la règle, énoncée au paragraphe 71(1) de la Loi, selon laquelle « dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le [SCC] reconnaît à chaque détenu le droit […] d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites […] avec sa famille, ses amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier ». [Non souligné dans l’original.]

 

[18]           Comme le fait observer le défendeur, la section 19 de la DC n° 770 prévoit explicitement que « chaque visite doit faire l’objet d’une évaluation distincte. L’interdiction ou la suspension des droits de visite d’un individu en particulier à un détenu ne peut se faire que dans le respect du devoir d’agir équitablement ». Cette disposition n’autorise pas l’imposition de limites générales aux visites. L’ordre permanent n° 770 respecte cette règle. Il prévoit que les visiteurs dont l’autorisation est compromise peuvent se faire entendre, en expliquant pourquoi ils souhaitent visiter un détenu; si l’explication est acceptable, l’autorisation sera accordée ou maintenue, selon le cas. L’ordre permanent n° 770 est donc conforme au cadre législatif et réglementaire, et le demandeur est malvenu d’en contester la validité.

 

[19]           Dans ses observations écrites, le demandeur contestait aussi la validité de l’ordre permanent n° 770 en affirmant qu’il portait atteinte à ses droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, n’ayant pas signifié l’avis de question constitutionnelle ainsi que l’exige l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, avis dont la Cour d’appel fédérale a récemment confirmé la nécessité, dans l’arrêt Mercier c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 167, lorsque sont contestées des règles établies en vertu de la Loi, il a, à juste titre, abandonné cet argument durant l’audience.

 

b)         L’ordre permanent n° 770 a-t-il été édicté en violation de l’obligation d’équité incombant au directeur?

 

[20]           Le demandeur fait valoir que l’ordre permanent n° 770 a été édicté en violation de l’obligation du SCC de consulter les détenus. Les détenus n’ont pas de droit d’être consultés sur les décisions se rapportant à la sécurité, mais il dit que la mise en œuvre de l’ordre permanent n° 770 [traduction] « visait à réduire les menaces possibles à la sécurité; il ne s’agissait pas, en soi, d’une décision intéressant proprement la sécurité ».

 

[21]           Le demandeur affirme aussi qu’il n’a pas été informé de cette décision et qu’on ne lui a pas communiqué les raisons qui la justifiaient. Il ajoute que [traduction] « le seuil de la “justification” (c’est-à-dire deux membres de la même famille incarcérés dans des établissements différents) ne [lui] a jamais été communiqué ». Ne lui a pas non plus été communiquée l’information à l’origine du bulletin de sécurité, auquel donnait effet l’ordre permanent n° 770.

 

[22]           Le défendeur fait valoir que le directeur n’avait pas l’obligation de consulter les détenus avant de donner effet à l’ordre permanent n° 770, parce qu’il concerne des questions de sécurité – à savoir l’introduction de drogues en contrebande dans le pénitencier –, et les détenus n’ont pas à être consultés sur les questions de sécurité. Il reconnaît que le demandeur a été tardivement informé de la suppression des autorisations données à ses visiteurs à la suite de la prise d’effet de l’ordre permanent n° 770. Cependant, il affirme que le demandeur n’en a subi aucun préjudice, puisqu’il pouvait déposer une plainte, ainsi qu’un grief, pour contester cette décision. Les visiteurs du demandeur avaient d’ailleurs été informés de la suppression de leurs autorisations de visite, et invités à communiquer avec l’Établissement Ferndale.

 

[23]           Je partage l’avis du défendeur. Je ne saisis pas la distinction que le demandeur tente de faire entre les décisions prises pour [traduction] « réduire les menaces possibles à la sécurité » et celles [traduction] « intéressant proprement la sécurité ». Une décision qui réduit les menaces à la sécurité reste une décision intéressant la sécurité. L’article 74 de la Loi dispose que le SCC « doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité ». [Non souligné dans l’original.] Ni le directeur ni le SCC n’avaient donc l’obligation de consulter les détenus à propos de l’ordre permanent n° 770.

 

[24]           Par ailleurs, puisque les détenus n’avaient pas de droit d’être consultés à propos de l’ordre permanent n° 770, ils n’avaient pas de droit d’être informés au préalable de sa mise en œuvre. Il est fâcheux qu’une politique touchant un aspect important de la vie des détenus ne leur ait été communiquée que plusieurs mois après son adoption, mais elle n’en demeure pas moins valide.

 

c)         L’ordre permanent n° 770 est-il déraisonnable parce qu’il est inefficace, inutile ou injustifié?

 

[25]           Le demandeur conteste aussi l’ordre permanent n° 770 en avançant d’autres arguments. Il fait valoir qu’il pourrait bien se révéler inefficace, que le directeur a d’autres moyens à sa disposition pour enrayer la contrebande de drogue dans les cas particuliers où cette pratique semble être une menace, de telle sorte qu’il n’y a nulle raison d’imposer un filtrage préventif généralisé, et que rien ne permet en réalité au SCC de croire qu’une personne visitant plus d’un détenu constitue un risque au point de vue de la sécurité.

 

[26]           Selon moi, aucun des arguments avancés par le demandeur ne justifierait l’intervention de la Cour dans ce qui constitue, comme je l’expliquais plus haut, l’exercice légal, par le directeur, d’un pouvoir de réglementation validement délégué. L’inefficacité supposée d’un acte administratif, ou le fait que des politiques autres que celles appliquées par l’administration seraient tout aussi à même, ou mieux à même, d’atteindre ses objectifs, ne figurent tout simplement pas parmi les motifs de contrôle autorisant la Cour à intervenir dans le processus décisionnel d’un office fédéral.

 

[27]           Cela s’accorde avec le principe selon lequel « il n’appartient pas à un tribunal de juger de la sagesse de la législation par délégation ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences en matière de politique. La question essentielle que doit toujours se poser le tribunal est la suivante : le pouvoir conféré par la loi permet-il cette législation par délégation particulière? » (Jafari c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 C.F. 595, paragraphe 14). La Cour commettrait une erreur si elle devait « procéde[r] à une appréciation de novo de la justification, dans ces circonstances, de la [règle contestée] » (arrêt Mercier, précité, au paragraphe 80).

 

3.         La décision du sous-commissaire principal de rejeter le grief du demandeur était-elle raisonnable?

 

[28]           Ayant à juste titre conclu que le directeur avait le pouvoir d’édicter l’ordre permanent n° 770, le sous-commissaire principal était fondé à dire que la suppression des autorisations accordées aux visiteurs du demandeur était valide. Les visiteurs du demandeur n’ont pas expliqué pourquoi ils souhaitaient le visiter, comme ils étaient requis de le faire conformément à l’ordre permanent n° 770.

 

[29]           Cela dit, je suis embarrassée par les propos du sous-commissaire principal, dans sa décision de rejeter le grief du demandeur à l’encontre de l’ordre permanent, lorsqu’il dit que c’est [traduction] « l’incarcération de deux ou plusieurs membres de la même famille dans différents établissements » qui constitue la justification suffisante, s’agissant d’une personne qui souhaiterait visiter plusieurs détenus ou plusieurs établissements. L’ordre permanent n° 770 ne précise pas ni ne limite les justifications qui pourraient être suffisantes. Il s’accorde en cela avec la Loi, qui, comme le fait observer à juste titre le demandeur, donne le droit aux détenus d’être visités par leurs familles et par leurs « amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier ». Dans la mesure où le directeur ou le comité des visites refuserait d’admettre comme suffisante une justification autre qu’un lien de parenté, ils limiteraient leur pouvoir discrétionnaire d’une manière incompatible avec la Loi et avec la DC n° 770.

 

[30]           Néanmoins, le dossier ne montre pas que c’est ce qui est arrivé dans la présente affaire. Les visiteurs du demandeur n’ont tout simplement apporté aucune justification à l’appui de leur désir de le visiter. Si l’autorisation de le visiter leur a été retirée, ce n’est pas parce qu’ils ne faisaient pas partie de la famille du demandeur, mais plutôt parce qu’ils n’avaient apporté aucune justification.

 

CONCLUSION

 

[31]           L’ordre permanent n° 770 n’est pas invalide. Il n’a pas été édicté au mépris des règles de l’équité procédurale; il n’outrepasse pas les pouvoirs du directeur; il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur sa sagesse. La décision du sous‑­commissaire principal de rejeter le grief du demandeur était raisonnable. Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de la décision est rejetée, sans frais.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire de la décision est rejetée, sans frais.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


APPENDICE

Dispositions applicables

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20

4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

 

 

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel;

 

[…]

 

i) il est attendu que les délinquants observent les règlements pénitentiaires et les conditions d’octroi des permissions de sortir, des placements à l’extérieur et des libérations conditionnelles ou d’office et qu’ils participent aux programmes favorisant leur réadaptation et leur réinsertion sociale;

 

[…]

 

4. The principles that shall guide the Service in achieving the purpose referred to in section 3 are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the corrections process;

 

 

(i) that offenders are expected to obey penitentiary rules and conditions governing temporary absence, work release, parole and statutory release, and to actively participate in programs designed to promote their rehabilitation and reintegration;

 

 

 

71. (1) Dans les limites raisonnables fixées par règlement pour assurer la sécurité de quiconque ou du pénitencier, le Service reconnaît à chaque détenu le droit, afin de favoriser ses rapports avec la collectivité, d’entretenir, dans la mesure du possible, des relations, notamment par des visites ou de la correspondance, avec sa famille, ses amis ou d’autres personnes de l’extérieur du pénitencier.

 

[…]

 

71. (1) In order to promote relationships between inmates and the community, an inmate is entitled to have reasonable contact, including visits and correspondence, with family, friends and other persons from outside the penitentiary, subject to such reasonable limits as are prescribed for protecting the security of the penitentiary or the safety of persons.

 

 

74. Le Service doit permettre aux détenus de participer à ses décisions concernant tout ou partie de la population carcérale, sauf pour les questions de sécurité.

 

74. The Service shall provide inmates with the opportunity to contribute to decisions of the Service affecting the inmate population as a whole, or affecting a group within the inmate population, except decisions relating to security matters.

 

97. Sous réserve de la présente partie et de ses règlements, le commissaire peut établir des règles concernant :

 

[…]

 

b) les questions énumérées à l’article 4;

 

 

c) toute autre mesure d’application de cette partie et des règlements.

 

97. Subject to this Part and the regulations, the Commissioner may make rules

 

 

 

(b) for the matters described in section 4; and

 

(c) generally for carrying out the purposes and provisions of this Part and the regulations.

 

98. (1) Les règles établies en application de l’article 97 peuvent faire l’objet de directives du commissaire.

 

[…]

98. (1) The Commissioner may designate as Commissioner’s Directives any or all rules made under section 97.

 

 

 

Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620

 

91. (1) Sous réserve de l’article 93, le directeur du pénitencier ou l’agent désigné par lui peut autoriser l’interdiction ou la suspension d’une visite au détenu lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire :

 

 

 

a) d’une part, que le détenu ou le visiteur risque, au cours de la visite :

 

(i) soit de compromettre la sécurité du pénitencier ou de quiconque,

 

 

(ii) soit de préparer ou de commettre un acte criminel;

 

b) d’autre part, que l’imposition de restrictions à la visite ne permettrait pas d’enrayer le risque.

 

(2) Lorsque l’interdiction ou la suspension a été autorisée en vertu du paragraphe (1) :

 

a) elle reste en vigueur tant que subsiste le risque visé à ce paragraphe;

 

 

b) le directeur du pénitencier ou l’agent doit informer promptement le détenu et le visiteur des motifs de cette mesure et leur fournir la possibilité de présenter leurs observations à ce sujet.

91. (1) Subject to section 93, the institutional head or a staff member designated by the institutional head may authorize the refusal or suspension of a visit to an inmate where the institutional head or staff member believes on reasonable grounds

 

(a) that, during the course of the visit, the inmate or visitor would

 

(i) jeopardize the security of the penitentiary or the safety of any person, or

 

(ii) plan or commit a criminal offence; and

 

(b) that restrictions on the manner in which the visit takes place would not be adequate to control the risk.

 

(2) Where a refusal or suspension is authorized under subsection (1),

 

 

(a) the refusal or suspension may continue for as long as the risk referred to in that subsection continues; and

 

(b) the institutional head or staff member shall promptly inform the inmate and the visitor of the reasons for the refusal or suspension and shall give the inmate and the visitor an opportunity to make representations with respect thereto.

 

 

 

Directive du commissaire n° 770 : « Visites »

 

3. Le directeur de l’établissement doit :

 

  1. veiller à ce que tous les détenus aient la possibilité de recevoir des visites ordinaires;

 

  1. préciser les procédures à suivre relativement aux visites ainsi que les conditions à remplir;

 

  1. s’assurer que les détenus, les visiteurs et les employés sont tous informés des procédures et des conditions ayant trait aux visites;

 

  1. s’assurer que les visites sont normalement prévues au moins vingt-quatre (24) heures à l’avance.

 

3.

 

  1. ensure that general visiting is available to all inmates;

 

 

  1. specify the procedures to be followed and the conditions to be met with respect to visiting;

 

  1. ensure that procedures and conditions pertaining to visiting are communicated to all inmates, visitors and staff;

 

  1. ensure that visits are normally scheduled at least twenty-four (24) hours in advance.

 

4. Toute personne désirant rendre visite à un détenu doit remplir une formule de demande d’admission et de renseignements aux fins du contrôle de sécurité. Une vérification des fichiers du Centre d’information de la police canadienne doit être menée et, par la suite, une mise à jour doit être effectuée au moins tous les deux (2) ans pour les visiteurs actifs. Compte tenu de cette vérification et à la suite d’un examen des restrictions possibles, le directeur de l’établissement doit déterminer si l’autorisation de visite sera accordée. Dans des circonstances particulières, le directeur peut décider de dispenser le visiteur du contrôle de sécurité.

 

4. All inmates’ visitors shall complete an application and information form for the purpose of security screening. A verification of the Canadian Police Information Centre files shall then be conducted and subsequently updated at least every two (2) years for all active visitors. On the basis of this security check and following a review of possible restrictions, the Institutional Head shall decide whether or not visitor clearance will be granted. Under special circumstances, at the discretion of the Institutional Head, the security screening may be waived.

 

19. Chaque visite doit faire l’objet d’une évaluation distincte. L’interdiction ou la suspension des droits de visite d’un individu en particulier à un détenu ne peut se faire que dans le respect du devoir d’agir équitablement et ne reste en vigueur que tant que subsiste le risque ayant justifié l’interdiction ou la suspension de ce droit. Une réévaluation du risque devra être effectuée au moins tous les six (6) mois. Le résultat ainsi que la décision devront être communiqués au détenu par écrit dans les quatorze (14) jours.

 

19. Each visit shall be assessed on a case-by-case basis. The refusal or suspension of a visit from a specific individual to a particular inmate shall occur in accordance with the Duty to Act Fairly. The refusal or suspension of a visit from a specific individual shall continue only for as long as the risk which justified the refusal or suspension of the visit continues. The reassessment of the risk shall be done not less than once every six (6) months and the result and the decision shall be forwarded in writing to the inmate within fourteen (14) days.

 

 

 

 

Ordre permanent n° 770 de l’Établissement Ferndale : « Visites aux détenus »

 

[traduction]

6. Le Comité des visites examine les demandes des personnes qui souhaitent entrer dans l’établissement pour y visiter des détenus.

 

7. Le contrôle de sécurité des nouveaux visiteurs comprend une vérification portant sur tout autre détenu que l’intéressé pourrait visiter. Les procédures suivantes serviront à déterminer si un nouveau candidat aux visites figure sur la liste des visiteurs d’un autre détenu :

 

[…]

 

d) s’il figure sur la liste des visiteurs d’un autre détenu, une lettre lui sera envoyée le priant d’expliquer pourquoi il demande à visiter tel ou tel détenu à l’Établissement Ferndale;

 

e) l’explication reçue par le préposé aux visites et à la correspondance sera examinée au cours d’une réunion du Comité des visites […]

 

f) si l’explication est acceptable, la procédure suivra son cours […]

 

g) si l’explication n’est pas acceptable, le visiteur en sera informé par lettre… Le détenu sera lui aussi informé que le visiteur s’est vu refuser l’autorisation […]

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1431-09

 

INTITULÉ :                                       WARREN MCDOUGALL c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 JUILLET 2010

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 15 JUILLET 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Warren McDougall

POUR LE DEMANDEUR

(non représenté)

Charmaine de los Reyes

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s.o.

 

POUR LE DEMANDEUR

(non représenté)

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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