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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20100707

Dossier : IMM-128-10

Référence : 2010 CF 727

Montréal (Québec), le 7 juillet 2010

En présence de monsieur le juge Mainville 

 

ENTRE :

JOSE WALTER TROYA JIMENEZ

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire soumise en application des articles 72 et suivants de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) par M. Jose Walter Troya Jimenez (le demandeur) concernant une décision d’un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (le tribunal), portant le numéro MA8-12101 et datée du 8 décembre 2009. Le présent jugement est rendu par le juge soussigné à titre de juge d’office de la Cour fédérale tel que le prévoit le paragraphe 5.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[2]               Le tribunal a refusé la qualité de réfugié ou de personne à protéger au demandeur au motif que la protection de l’État s’offrait à lui en Équateur. Le demandeur conteste cette décision.

 

[3]               Il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire principalement au motif que l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État devrait normalement être précédée d’une analyse de la crainte subjective de persécution du demandeur d’asile, ce qui comprend une appréciation de la crédibilité du demandeur et de la vraisemblance de son récit.

 

[4]               Dans ma récente décision Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 503, [2010] A.C.F. no 607 (QL) (Flores), j’ai conclu que la disponibilité de la protection de l’État ne devrait pas être décidée dans un vide factuel quant aux circonstances personnelles d’un demandeur d’asile. Une décision concernant la crainte subjective de persécution, ce qui comprend entre autres une analyse concernant la crédibilité du demandeur d’asile et la vraisemblance de son récit, devrait être prise par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin de fixer un cadre approprié pour procéder, s’il y a lieu, à une analyse de la disponibilité de la protection de l’État qui tient compte de la situation particulière du demandeur d’asile en cause. Les principes établis dans Flores s’appliquent également dans le présent dossier.

 

Le contexte

[5]               Le demandeur est un citoyen de l’Équateur maintenant âgé de 33 ans et qui enseignait la philosophie à l’Académie militaire Borja #3, à Quito, en Équateur. Il s’agit d’une école privée pour les enfants de militaires, de policiers ou de notables équatoriens.

[6]               Le demandeur allègue qu’il s’est laissé entraîner dans une relation amoureuse avec une militante gauchiste qui l’aurait présenté à certains membres des FARC menant des opérations en Équateur. Les FARC auraient exigé du demandeur des renseignements sur les élèves de son école afin d’organiser des enlèvements aux fins d’extorsion. Les FARC auraient menacé le demandeur pour assurer sa coopération afin de mener à terme leurs opérations criminelles et terroristes. Le demandeur allègue qu’il a refusé de collaborer dans ces machinations criminelles.

 

[7]               Il a donc pris la fuite vers les États-Unis en juillet 2005. Après l’expiration de son visa de visite aux États-Unis en novembre 2005, il décide d’y résider sans statut, et ce, jusqu’à son arrestation par les autorités américaines en mai 2008. Il est libéré par les autorités américaines en juillet 2008, et il prend alors la fuite vers le Canada.

 

[8]               Le demandeur est entré au Canada par des moyens illicites. Il se présente néanmoins aux autorités canadiennes en septembre 2008 afin de réclamer le statut de réfugié.

 

La décision du tribunal

[9]               Le tribunal n’a pas procédé à une analyse de la crédibilité du demandeur ou mis en question la vraisemblance de son récit. Il n’y a donc aucune analyse ni décision concernant la crainte subjective de persécution dans la décision du tribunal.

 

[10]           Le tribunal ne porte aucun commentaire sur le long séjour du demandeur aux États-Unis, sur son refus d’y solliciter le refuge, ou sur son entrée illicite au Canada. Aucune analyse des impacts de ces faits sur la demande d’asile au Canada n’est entreprise par le tribunal. De plus, le tribunal ne réfute pas les allégations du demandeur quant au complot d’enlèvement des FARC ou quant aux menaces de mort à son égard.

 

[11]           Le tribunal appuie sa décision strictement sur la question de la disponibilité de la protection de l’État en Équateur. Le tribunal constate que le demandeur n’y a pas sollicité la protection avant de fuir le pays. Pour le tribunal, la protection aurait sûrement été fournie vu que les victimes visées par les FARC étaient des enfants de militaires et de policiers. Le tribunal conclut donc que le demandeur n’a pas réfuté la présomption de la protection de l’État. 

 

La norme de contrôle applicable

[12]           Dans l'arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, [2007] A.C.F. no 584 (QL), au paragraphe 38, la Cour d'appel fédérale a confirmé que les questions relatives au caractère adéquat de la protection de l'État sont des « questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ». 

 

Analyse

[13]           Dans Flores, j’ai procédé à une longue analyse des décisions de la Cour suprême du Canada dans les arrêts Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 et Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S 177, de même que des décisions de la Cour d’appel fédérale dans Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1984), 55 N.R. 129, [1984] A.C.F. no 601 (QL), dans Zhuravlvev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 3, [2000] A.C.F. no 507 (QL), dans Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 D.L.R. (4th) 413, [2007] A.C.F. no 584 (QL), et dans Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, [2008] 4 R.C.F. 636, [2008] A.C.F. no 399 (QL), et des décisions de la Cour fédérale dans L.A.O. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1057, [2009] A.C.F. no 1295 (QL), dans Torres c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 234, et dans Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 119. J’y ai aussi analysé le cadre administratif de la Loi, dont notamment les liens entre les demandes de refuge décidées par la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés et les demandes d’évaluation des risques avant renvoi.

 

[14]           Cela m’a permis de conclure dans Flores que l’analyse concernant la disponibilité de la protection de l’État ne devrait s’effectuer que dans la mesure où la crainte subjective de persécution du demandeur d’asile a été préalablement établie par le tribunal chargé de l’enquête. C’est seulement à compter d’une crainte subjective établie de persécution que le reste de l’analyse, dont l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État, peut s’effectuer adéquatement.

 

[15]           En d’autres mots, sauf dans des cas exceptionnels, on ne devrait pas procéder à l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État sans avoir au préalable établi l’existence d’une crainte subjective de persécution. Le tribunal responsable des questions de fait devrait donc analyser la question de la crainte subjective de persécution, ou autrement dit, se prononcer sur la crédibilité du demandeur d’asile et sur la vraisemblance de son récit, avant d’aborder le volet de la crainte objective, ce dernier volet comprenant une analyse de la disponibilité de la protection de l’État.

 

[16]           L’analyse de la crainte objective doit donc normalement se faire après l’analyse de la crainte subjective, puisque le contexte particulier propre à chaque cas est souvent déterminant dans le cadre de l’analyse objective. Ainsi, un demandeur d’asile qui n’a aucune crainte subjective de persécution ne peut normalement alléguer l’absence de protection de l’État. De même, l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État varie considérablement selon la crainte subjective en cause.

 

[17]           De plus, une analyse préalable de la crainte subjective permet au tribunal d’éviter d’avoir à procéder à des analyses tronquées de la disponibilité de la protection de l’État. Dans ce cas-ci, le tribunal n’a effectivement fait aucune analyse ni porté aucun jugement sur la crainte subjective de persécution, donc sur la crédibilité du demandeur et sur la vraisemblance de son récit. Aucun cadre propre au demandeur n’a été établi pour diriger l’analyse de la disponibilité de la protection de l’État. Il s’agit là d’une erreur donnant ouverture au contrôle de cette Cour. L’analyse de la disponibilité de la protection de l’État ne devrait pas devenir un moyen pour éviter de se prononcer sur la crainte subjective de persécution.

 

[18]           Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47. Dans les circonstances du présent dossier, aucune analyse motivée de la crédibilité du demandeur et de la vraisemblance de son récit n’a été effectuée par le tribunal. La décision du tribunal sur la disponibilité de la protection de l’État est en conséquence déficiente vu que le cadre factuel dans lequel cette analyse doit s’effectuer n’a pas été établi au préalable.

 

[19]            En conséquence, le dossier sera renvoyé pour un nouvel examen et une nouvelle enquête afin de procéder à l’analyse préalable requise de la crainte subjective du demandeur.

 

[20]           Les parties n’ont suggéré aucune question aux fins de l’alinéa 74d) de la Loi, et aucune telle question ne sera ainsi énoncée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR :

 

1.         Accueille la demande de contrôle judiciaire;

 

2.         Renvoie à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le dossier pour en saisir un autre tribunal de la Section de la protection des réfugiés, qui devra notamment procéder à une analyse de la crainte subjective du demandeur, ce qui comprend une appréciation de la crédibilité du demandeur et de la vraisemblance de son récit, et ce, préalablement à l’analyse concernant la disponibilité de la protection de l’État.

 

 

« Robert Mainville »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-128-10

 

 

INTITULÉ :                                                   JOSE WALTER TROYA JIMENEZ c. MCI

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 15 juin 2010

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          le juge Mainville

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  le 6 juillet 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LE DEMANDEUR

Yael Levy

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ALAIN JOFFE

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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