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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date :  20100511

Dossier :  T-816-09

Référence :  2010 CF 511

Montréal (Québec), le 11 mai 2010

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

FRANÇOIS DUPUIS

demandeur

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision rendue le 1er mai 2009 par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission). Après enquête, la Commission a rejeté, en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6 (la Loi), la plainte de discrimination que le demandeur a portée contre son ancien employeur, le ministère des Affaires étrangères et Commerce international Canada (l’employeur ou le ministère).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

Contexte général

 

[3]               Les circonstances relatives à la plainte ont trait à la conduite respective du demandeur et de l’employeur au mois d’août 2006. La période d’emploi du demandeur, qui a été initialement embauché par le ministère le 1er avril 2003 (après avoir auparavant travaillé comme consultant à partir du 6 mai 2002) comme employé occasionnel, devait se terminer techniquement le 31 décembre 2006 (à moins d’un autre renouvellement). Toutefois, son contrat a pris fin prématurément le 24 août 2006.

 

[4]               Le demandeur reproche à cette occasion à l’employeur de ne pas avoir pris des mesures d’adaptation et de l’avoir congédié de façon déguisée à cause de sa déficience, soit une dépression majeure. L’employeur voit les faits bien différemment : le demandeur a démissionné volontairement à cause d’un conflit de personnalités avec une gestionnaire et le demandeur n’a jamais avisé ses supérieurs d’une déficience quelconque, de sorte que l’employeur n’avait aucune obligation d’accommodement.

 

[5]               Pour que la Commission accepte une plainte, le traitement dit « discriminatoire », lequel peut inclure le refus de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi (article 7 de la Loi), doit être directement lié à au moins un des motifs de distinction illicite mentionnés à la Loi (article 3), ce qui inclut la « déficience », celle-ci pouvant par ailleurs être une déficience physique ou mentale (article 25).

 

[6]               En l’espèce, si les allégations du demandeur sont prouvées, celles-ci constituent un acte discriminatoire prohibé permettant au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’accorder au demandeur un redressement, mais encore faut-il que la Commission ait statué que l’examen de la plainte est justifié, compte tenu des circonstances relatives à la plainte (articles 44, 49 et 53 de la Loi).

 

[7]               Dans un premier temps, l’employeur s’est opposé à la recevabilité de la plainte du demandeur faisant valoir que celui-ci devait d’abord épuiser la procédure de griefs prévue à la convention collective. D’un autre côté, le demandeur se faisait répondre par son syndicat (qui n’avait pas déposé de grief) que son seul recours contre l’employeur était la formulation d’une plainte de discrimination à la Commission.

 

[8]               Ayant décidé en juin 2008 de statuer sur la plainte du demandeur, un peu moins d’un an plus tard, la Commission rejetait néanmoins celle-ci. En l’espèce, la Commission a entériné la recommandation contenue dans le rapport d’enquête préparé par la personne qu’il avait chargée de faire enquête (l’enquêteur). Celle-ci recommandait de rejeter la plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi parce que « la preuve n’appuie pas les allégations selon lesquelles le [ministère] n’a pas pris les mesures d’adaptation et à congédié le [demandeur] en raison de sa déficience ». Le rapport d’enquête en question avait été sévèrement critiqué par le demandeur dans des observations écrites qui ont été apparemment communiquées à la Commission.

 

 

Norme de contrôle et rôle de la Commission

 

[9]               Il s’agit essentiellement de déterminer si la Commission a commis une erreur révisable en décidant de rejeter la plainte du demandeur en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi, parce que « la preuve n’appuie pas les allégations selon lesquelles le [ministère] n’a pas pris les mesures d’adaptation et a congédié le [demandeur] en raison de sa déficience », le demandeur reprochant également à la Commission d’avoir violé son obligation d’agir de façon équitable et neutre.

 

[10]           Depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la jurisprudence confirme que la bonne norme de contrôle s’appliquant à une question mixte de fait et de droit se soulevant devant la Commission est la décision raisonnable. Voir Bredin c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 360 au paragraphe 16 et Davidson c. Société Canadienne des postes, 2009 CF 715 au paragraphe 54.

 

[11]           Considérant les autres critères pertinents ainsi que la jurisprudence, la légalité de la décision contestée doit donc être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable, exception faite de toute question de compétence ou de respect de l’équité procédurale qui doit être examinée selon la norme de la décision correcte. Voir Lusina c. Bell Canada, 2005 CF 134 au paragraphe 29; Bateman c. Canada (Procureur général), 2008 CF 393 au paragraphe 20.

 

[12]           Le rôle de la Commission est bien connu et consiste essentiellement à vérifier s’il existe une preuve suffisante avant de déférer une plainte au Tribunal. Il s’agit d’un rôle très modeste. En effet, la Commission ne peut pas juger si la plainte est fondée ou non, mais doit plutôt déterminer si, eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. Il s’agit d’un seuil peu élevé, les questions de crédibilité de témoins étant normalement laissées à l’appréciation du Tribunal. Voir Société Radio-Canada c. Paul, 2001 CAF 93 aux paragraphes 76 et 77 (Paul); Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 au paragraphe 35 (C.A.) (Bell Canada); Bell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne); Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854 aux paragraphes 52 et 53; Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 aux pages 898 et 899 (SEPQA).

 

[13]           Le rejet d’une plainte par la Commission est final et est lourd de conséquences pour la présumée victime d’acte discriminatoire. Celle-ci est donc en droit de s’attendre que l’enquête menée par la personne chargée par la Commission en vertu du paragraphe 43(1) de la Loi d’enquêter sur une plainte (appelée dans la Loi, « l’enquêteur ») satisfasse ces deux conditions fondamentales : la neutralité et la rigueur. Voir : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 aux paragraphes 49 et suivants (1ère inst.) (Slattery), confirmé par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.).

 

[14]           Pour déterminer le degré de rigueur nécessaire, il faut considérer non seulement les intérêts des parties, mais également l'intérêt de la Commission à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif (Ibid. au paragraphe 55). Ceci dit, une enquête peut manquer du degré de rigueur légalement requis lorsque, par exemple, l’enquêteur « n’a pas examiné une preuve manifestement importante » (Ibid. au paragraphe 56; Tahmourpour c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113 au paragraphe 8).

 

[15]           En pratique, le rapport de l’enquêteur est soumis pour commentaires aux parties, de sorte que lorsque la Commission choisit de suivre la recommandation de l’enquêteur, le caractère raisonnable de la décision contestée tiendra principalement à la rationalité du raisonnement et des conclusions du rapport d’enquête, à moins bien entendu que la Commission ait fourni des motifs supplémentaires. Voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au paragraphe 37; SEPQA, ci-dessus, au paragraphe 35; Bell Canada, ci-dessus, au paragraphe 30; et Paul, ci-dessus, au paragraphe 43.

 

[16]           Enfin, comme il a été souligné par la Cour dans Herbert c. Canada (Procureur général), 2008 CF 969 au paragraphe 26 (Herbert), si la Commission choisit de rejeter la plainte pour des motifs autres que ceux avancés par l’enquêteur, elle doit exposer ses motifs dans sa décision. De plus, lorsque les observations d’une partie font état d’omissions importantes ou substantielles dans l’enquête et étayent ces affirmations, la Commission doit mentionner ces divergences et préciser pourquoi, à son avis, elles ne sont pas importantes ou ne suffisent pas à mettre en doute la recommandation de l’enquêteur; sinon, il faut conclure que la Commission a ignoré ou n’a pas pris en considération ces observations. Voir Ibid. au paragraphe 26 et Egan c. Canada (Procureur général), 2008 CF 649 au paragraphe 5.

 

Caractère révisable de la décision contestée

 

[17]           La décision contestée a été rendue sous l’autorité présumée de l’alinéa 44(3)b) de la Loi, qui prescrit :

...

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

...

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

...

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

 

[18]           Les deux options prévues aux sous-alinéas (i) et (ii) de l’alinéa 44(3)b) de la Loi sont mutuellement exclusives. Le sous-alinéa 44(3)b)(i) est clair. Cette disposition fait écho au sous-alinéa 44(3)a)(i) et au paragraphe 49(1), qui prévoient que la Commission peut demander au Tribunal d’instruire la plainte lorsque, compte tenu des circonstances, son examen est justifié. Précisons cependant que les alinéas 41c) à e), auxquels renvoie le sous-alinéa 44(3)b)(ii), visent le cas particulier où la plainte n’est pas de la compétence de la Commission, lorsque celle-ci est frivole, ou entachée de mauvaise foi, ou lorsque celle-ci est faite hors délai.

 

[19]           Or, à l’audience de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocate du défendeur qui représente l’employeur, a reconnu d’emblée que le défaut d’indiquer, dans la lettre de refus ou le rapport d’enquête, en vertu de quel sous-alinéa (i) ou (ii) de l’alinéa 44(3)b) de la Loi le rejet de la plainte est fondé, suffit en l’espèce pour casser la décision contestée et renvoyer l’affaire à la Commission.

 

[20]           Toutefois, au-delà de cette admission, il existe d’autres motifs qui justifient l’intervention de la Cour en l’espèce.

 

[21]           Il est manifeste que la plainte de discrimination du demandeur relève de la compétence de la Commission. De même, il n’y a aucune suggestion à l’effet que celle-ci soit frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi, ou encore que celle-ci a été présentée hors délai. Ceci dit, la Cour est convaincue que la décision de la Commission est déraisonnable et que celle-ci a autrement violé l’équité procédurale, en concluant comme elle l’a fait ici, sur la base des conclusions contenues au rapport d’enquête, que « la preuve n’appuie pas les allégations selon lesquelles [l’employeur] n’a pas pris de mesure d’adaptation et [...] a congédié [le demandeur] en raison de [sa] déficience ».

 

[22]           D’une part, les principales conclusions de fait contenues au rapport d’enquête daté du 30 décembre 2008 sont vivement contestées par le demandeur dans les observations écrites en date du 16 janvier 2009 adressées à la Commission. L’absence de motifs, dans la lettre de refus de la Commission datée du 1er mai 2009, pour écarter les objections de fond soulevées par le demandeur concernant le processus d’enquête et les conclusions de l’enquêteur, font dire à cette Cour que la Commission les a tout simplement ignorées ou arbitrairement écartées.

 

[23]           D’autre part, plutôt que de se demander s’il existe un fondement factuel aux allégations de discrimination du demandeur, l’enquêteur semble s’être érigé en Tribunal des droits de la personne en se prononçant sur le bien-fondé de la plainte, préférant, semble-t-il, la caractérisation donnée par l’employeur, et ce, sans véritable analyse du fondement des allégations du demandeur. Non seulement les conclusions de l’enquêteur sont-elles arbitraires et capricieuses, mais on peut raisonnablement s’interroger sur la neutralité et la rigueur du processus d’enquête ayant donné lieu à la décision contestée.

 

[24]           On peut également se demander si l’enquêteur et la Commission ont bien compris leur rôle et considéré les principes de droit applicables lorsqu’un employé souffre de dépression majeure et que celui-ci annonce subitement à l’employeur qu’il démissionne; la preuve au dossier établissant par ailleurs très clairement le caractère irrationnel de cette décision et le fait que le demandeur n’a pas travaillé par la suite et a même été hospitalisé pour dépression.

 

[25]           La maladie mentale, nous l’avons déjà mentionné plus haut, est une « déficience » définie à l’article 25 de la Loi. Celle-ci peut prendre diverses formes, entre autres : les troubles de l’humeur comme la dépression et le trouble bipolaire, la schizophrénie, les troubles anxieux comme le trouble obsessif-compulsif et le syndrome de stress post-traumatique, les troubles de l’alimentation et les dépendances, etc. Or, la loi interdit la discrimination au travail basé sur la perception ou l’impression d’une déficience et exige l’adoption de mesures d’adaptation par l’employeur à moins d’une contrainte excessive.

 

[26]           L’employé lui-même peut ignorer qu’il souffre d’une maladie mentale, de sorte qu’il peut très bien ne pas avoir consulté un médecin ou en avoir informé l’employeur. L’absence d’un diagnostic médical de dépression ou d’une autre maladie mentale ne veut pas dire que l’employé s’en portera mieux pour autant à la maison ou qu’il fournira un rendement satisfaisant à son travail. Compte tenu de l’ampleur et de la diversité des troubles psychiatriques, l’employé peut éprouver des difficultés cognitives, émotionnelles et sociales, tant à la maison qu’à son travail. Ces troubles de comportement peuvent notamment se manifester par des changements d’humeur.

 

[27]           Lorsque le gestionnaire est en mesure de déceler un changement de comportement pouvant être attribuable à un trouble d’ordre mental, il a la responsabilité de déterminer si des mesures d’adaptation sont nécessaires. Voir la Politique sur les mesures d’adaptation en matière de maladie mentale et procédures connexes de la Commission (octobre 2008). Il est aussi plausible de penser que des demandes erratiques d’un employé et des conflits de personnalités peuvent cacher un trouble d’ordre mental. Bien entendu, le diagnostic de maladie mentale ne relève pas du gestionnaire ou de l’employé, mais plutôt d’un médecin. Ceci étant dit, le gestionnaire peut aborder la question avec l’employé en privé et lui suggérer de consulter un médecin. Dans l’intérim, à titre de mesure d’adaptation, le gestionnaire peut permettre à l’employé de prendre un congé, ce qui est d’autant plus urgent s’il apparait alors que l’employé est épuisé, qu’il est sur le point de faire un surmenage professionnel ( burnout ), ou encore qu’il se comporte de manière irrationnelle. Chaque cas est un cas d’espèce et mérite d’être évalué individuellement.

 

[28]           D’un autre côté, il est admis en droit que la décision d’un employé de démissionner lui appartient exclusivement. Ainsi, pour être valable, la démission doit satisfaire deux éléments : l’employé doit réellement avoir l’intention de démissionner (l’élément subjectif) et cette intention doit se manifester par un geste concret (l’élément objectif), autrement on pourra parler de congédiement déguisé. L’élément subjectif peut ne pas être rencontré si la décision de démissionner est prise sur le coup de la colère. Il peut en être de même lorsque l’employé est dans un état de dépression majeure. Si l’employeur cherche indûment à profiter de la situation et s’empresse d’accepter la démission, on peut quelquefois lui imputer une responsabilité dans la cessation de la relation d’emploi. Voir notamment Donald J.M. Brown & David M. Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e éd., Aurora, Ont., Canada Law Book, 2006 à 7:7100; Re Nova Scotia Civil Service Commission et Nova Scotia Government Employees Union (1986), 27 L.A.C. (3d) 120 (C.R.T.N-É.); et Re Great Atlantic & Pacific Co. of Canada Ltd. et U.F.C.W., Locals 175 & 633 (1994), 42 L.A.C. (4th) 384 (C.R.T.O.).

 

[29]           En l’espèce, les preuves documentaires fournies par le demandeur à l’enquêteur établissent clairement que le demandeur souffrait d’une dépression majeure à l’époque où il a annoncé à l’employeur qu’il avait l’intention de démissionner suite au refus de sa gestionnaire de lui permettre de prendre des vacances en août 2006.

 

[30]           Le plaignant allègue que vers juin 2006, il y a eu un surcroît de travail et qu’il a été en déplacement d’affaires en Roumanie du 9 au 21 juillet 2006. La semaine de son retour, alors qu’il bénéficiait d’une semaine de vacances, le demandeur qui vivait une séparation difficile, déménageait dans sa nouvelle maison. Aux dires du demandeur, ses supérieurs étaient parfaitement au courant de ses problèmes d’ordre personnel. Pourtant, tant bien que mal, le demandeur tente de convaincre sa gestionnaire de lui accorder un congé additionnel, celui-ci ayant encore trois semaines de vacances en réserve, mais il se heurte au refus de sa gestionnaire.

 

[31]           Le 9 août 2006, lors d’un bref entretien avec son directeur général, le demandeur formule l’intention de quitter son poste parce qu’il est « fatigué, épuisé [du] genre d’incident » vécu avec la gestionnaire en question. Son directeur s’empresse alors de lui demander de confirmer le tout par écrit, ce que fait le demandeur le jour même, en indiquant qu’il restera en poste deux semaines pour assurer la transition. Le 11 août 2006, l’employeur accepte la démission du demandeur et l’avise que son contrat se terminera le 24 août 2006.

 

[32]           Trois jours plus tard, le demandeur se ravise, faisant alors valoir auprès de l’employeur qu’il était épuisé et malade et que sa décision de démissionner a été un « geste irréfléchi » ressemblant à un « appel à l’aide », plutôt qu’une « décision rationnelle ». Ainsi, dans un courriel daté du 14 août 2006 qu’il adressait à ses supérieurs, le demandeur avise l’employeur : « ...après discussion auprès de mes proches, je consulterai le plus rapidement possible mon médecin personnel afin de savoir si mon état de santé a influencé sur ma conduite et ma prise de décision.»

 

[33]           Le 15 août 2006, tandis qu’il était toujours à l’emploi du ministère, le demandeur avise son directeur qu’il a consulté un médecin qui l’a arrêté immédiatement de travailler pour des raisons médicales jusqu’au 29 août 2006 afin de ne pas aggraver son état de santé.

 

[34]           En plus de fournir un certificat médical, le demandeur écrivait :

...[Mon médecin traitant] est d’avis que la situation entourant ma conduite et la prise de décision relative à ma démission ont été influencé[sic] directement par un problème de santé. Celui-ci pourra certifié[sic] le tout par écrit à votre convenance. Ainsi, vous comprendrez que mon offre de démission est le résultat d’une dimension médicale et non le fruit d’une réflexion rationnelle.

 

[35]           En conséquence, le demandeur invite d’ores et déjà l’employeur à reconsidérer sa décision d’accepter sa démission et il s’attend à ce que la situation soit rectifiée par l’employeur.

 

[36]           Le 23 août 2006, son directeur répond qu’il maintient sa décision d’accepter la « démission » du demandeur, tout en acceptant cependant que celui-ci demeure en congé de maladie jusqu’au 24 août 2006, soit la dernière journée d’emploi du demandeur. À ce moment là, le demandeur avait accumulé tout près de 300 heures de congés de maladie, sans compter les trois semaines de vacances auxquelles il avait également droit.

 

[37]           Le 24 août 2006, le demandeur s’empresse de répondre par courriel au directeur qu’il est déçu de la décision de l’employeur et que « vous avez profiter [sic] de mon etat [sic] de sante [sic] pour affirmer d’autres interêts [sic] », ajoutant : « N’ayez crainte je n’ai pas la sante [sic] suffisante pour entamer un recours judiciaire. » On peut voir dans quel état de désespoir est alors plongé le demandeur qui laisse clairement entendre qu’il n’a pas la force et la santé d’entreprendre des procédures contre l’employeur.

 

[38]           Vu les faits susmentionnés, force est de conclure que le refus de la Commission de référer la plainte du demandeur au Tribunal repose sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission dispose. D’une part, l’enquêteur affirme erronément dans son rapport qu’il n’y a aucune indication au dossier que le demandeur souffrait d’une dépression à l’époque où il a remis sa démission, ce qui est contraire aux faits portés à la connaissance de l’enquêteur et à la preuve médicale au dossier. D’autre part, l’enquêteur n’a même pas pris la peine d’interroger le demandeur ou son médecin traitant, alors qu’il y a eu préjugement du bien-fondé de la plainte; l’enquêteur – et la Commission par voie de conséquence – préférant retenir, sans fournir d’explications raisonnables, la version des faits et l’interprétation soumises par l’employeur.

 

[39]           Ainsi, depuis le début, le demandeur maintient que le « conflit de personnalités » qu’on lui prête, repose sur du ouï-dire et sert de prétexte à un congédiement injustifié à cause de sa déficience : l’employeur connaissait ou aurait dû connaître la maladie mentale dont le demandeur souffrait à l’époque. Par conséquent, comment l’enquêteur peut-il conclure dans son rapport, sans apprécier la crédibilité respective du demandeur et des représentants de l’employeur, que le demandeur n’a pas été congédié de façon déguisée, mais a plutôt démissionné volontairement parce qu’il avait un conflit de personnalités avec la gestionnaire qui était responsable d’autoriser ses vacances et congés?

 

[40]           Le demandeur a fait valoir à l’enquêteur et à la Commission que sa décision de démissionner n’était pas rationnelle et qu’elle était la résultante d’une dépression majeure. Au moment de la cessation d’emploi survenue le 24 août 2006, selon la preuve au dossier, le demandeur était l’employé temporaire comportant le plus d’expérience continue, parmi une vingtaine, au sein de la Direction générale des Affaires intergouvernementales et de l’Engagement des citoyens au ministère. En l’espèce, vu les promesses d’une permanence à venir à l’automne 2006, la réception d’un certificat pour travail méritoire du sous-ministre, l’achat d’une maison dans laquelle il venait tout juste d’aménager, on peut raisonnablement s’interroger sur le caractère rationnel de la décision du demandeur de démissionner, annoncée au début d’août 2006. Quant au refus obstiné de l’employeur de maintenir sa décision d’accepter cette démission, on peut s’interroger sur les motifs réels de l’employeur dans un contexte où l’employé était en arrêt forcé de travail pour des raisons d’ordre médical. D’ailleurs, le demandeur a fait valoir qu’il avait invité l’employeur à appeler son médecin traitant et que le défaut de fournir un diagnostic écrit de dépression majeure n’était pas requis lorsqu’il a fourni, le 15 août 2006, un certificat médical d’arrêt de travail. Nous ignorons pourquoi la preuve et les explications du demandeur sont écartées par l’enquêteur et la Commission.

 

[41]           En ce qui concerne l’impartialité et la neutralité, le critère applicable a été exprimé par cette Cour dans l’affaire Société Radio-Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1993), 71 F.T.R. 214, [1993] A.C.F. no 1334 au paragraphe 47 (1ère inst.) (QL) :

[47] Le critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l'on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l'on s'est tellement écarté de la norme de l'ouverture d'esprit qu'on pourrait avec raison affirmer qu'il y a eu préjugement de la question portée devant l'organisme d'enquête.

 

[42]           Le critère susmentionné est satisfait. Il y a un manque flagrant à la norme d’ouverture d’esprit à laquelle on peut raisonnablement s’attendre dans un cas semblable. La Cour conclut que l’enquête de la plainte de discrimination du demandeur n’a pas été neutre et rigoureuse. Par la suite, la Commission a fait preuve d’un aveuglement volontaire en ne se donnant pas la peine d’examiner sérieusement les reproches formulés dans les observations écrites du demandeur, de sorte que la Cour n’est pas satisfaite que toutes les circonstances relatives à l’affaire ont été prises en considération par la Commission.

 

[43]           Répétons-le à nouveau : l’absence totale d’analyse sérieuse des questions en litige dans le dossier de la part de l’enquêteur et de la Commission rend la décision contestée déraisonnable. La question des accommodements raisonnables en vertu de la Loi a été totalement esquivée par l’enquêteur et la Commission. En l’espèce, le rapport d’enquête et la lettre de refus ne discutent pas véritablement du fait qu’il y avait une déficience présente ou passée, et encore moins si la dépression dont souffrait le demandeur a eu des effets sur sa capacité de démissionner et de demander des mesures d’adaptation pendant qu’il était dans un état dépressif. En conséquence, la Cour conclut que le rejet de la plainte de discrimination du demandeur, en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi, ne constitue pas l’une des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47).

 

[44]           En terminant, qu’on le comprenne bien, la Cour ne se prononce pas sur le bien-fondé de la plainte de discrimination du demandeur. Ce n’est pas son rôle, ni celui de la Commission. Ce qui est clair cependant, c’est qu’il existe suffisamment de preuves, dans l’état actuel du dossier, permettant à la Commission de statuer que l’examen de la plainte en question par le Tribunal, est justifié, compte tenu des circonstances relatives à la plainte.

 

Conclusion

 

[45]           Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision rendue le 1er mai 2009 est annulée et l’affaire retournée à la Commission afin que celle-ci statue à nouveau sur la plainte de discrimination du demandeur à la lumière des présents motifs et des conclusions de la Cour.  

 

[46]           Le demandeur se représente seul. En conséquence, la Cour lui accorde à titre de dépens une somme forfaitaire de 350 $ pour couvrir ses frais judiciaires et autres déboursés dans l’affaire.

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision rendue le 1er mai 2009 est annulée et l’affaire retournée à la Commission afin que celle-ci statue à nouveau sur la plainte de discrimination du demandeur à la lumière des motifs de jugement de la Cour et de ses conclusions. Une somme forfaitaire de 350 $ est accordée au demandeur à titre de dépens. 

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T‑816-09

 

INTITULÉ :                                                   FRANÇOIS DUPUIS c.

                                                                        PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 3 MAI 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 11 MAI 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

François Dupuis                                                POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

Talitha Nabbali                                                 POUR LE DÉFENDEUR

                                                                         

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Ottawa (Ontario)

 

 

 

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