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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100423

Dossier : T-1194-09

Référence : 2010 CF 439

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2010

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

Entre :

AIR CANADA

demanderesse

et

 

Le syndicat canadien de la fonction publique,

DIVISION DU TRANSPORT AÉRIEN,

composante d’air Canada

défendeur

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de Pierre Guénette, un agent d'appel nommé en vertu de l'article 145.1 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2 (le Code), dans laquelle il a conclu, notamment, qu'un rapport de sécurité aérienne rédigé par un pilote d'Air Canada est un rapport de l'employeur au sens du paragraphe 135(9) du Code et qu’Air Canada en a illégalement refusé l'accès. Air Canada sollicite l'annulation de la décision de l'agent d'appel.

 

Contexte factuel

[2]               Les faits pertinents de la présente affaire se sont produits le 14 juin 2002, lorsque la queue d’un Airbus 330-343 d’Air Canada, vol AC875, a frappé la piste lors du décollage à l'aéroport de Francfort, en Allemagne. Vu cet incident, l'avion a dû revenir à l'aéroport et a atterri sans problème. À la suite de ces événements, un pilote du vol AC875 a déposé un rapport de sécurité aérienne (RSA) auprès de la division de la sécurité aérienne d'Air Canada. Aucune blessure n'a été signalée à la suite de ces événements et les employés n'ont rempli aucun rapport de blessure.

 

[3]               Toutefois, Elizabeth Niles, l'agente de bord qui était assise dans le siège d'observateur dans le poste de pilotage a plus tard signalé qu'à la suite de l'incident du vol AC875, elle était anxieuse et avait peur de prendre l'avion. Elle a signalé son état de santé et a déposé un rapport de blessure le 12 septembre 2002. Le comité de santé et de sécurité au travail de Montréal (le comité) a examiné le rapport de blessure. Dans le cadre de son enquête, le comité a demandé le RSA déposé par le pilote. Cette demande a été refusée et le comité a été informé que le RSA ne pouvait pas être communiqué, à moins d'obtenir le consentement de l'employé qui l’avait déposé ou que la loi l'exigeait. Le comité a alors fait une plainte à un agent de santé et de sécurité de Transports Canada le 26 février 2003.     

 

[4]               Le 13 février 2004, l'agent de santé et de sécurité a conclu qu’Air Canada, en ne communiquant pas le RSA au comité, avait contrevenu au paragraphe 135(9) du Code en ce qui a trait à son obligation de donner aux comités en milieu de travail accès à la totalité ou une partie des rapports de l'employeur. Air Canada a interjeté appel de cette décision et, le 18 juin 2009, l’agent d’appel a rendu une décision dans laquelle il a conclu, notamment, que le RSA appartenait à la catégorie des rapports de l'employeur au sens du paragraphe 135(9) du Code.  

 

[5]               Seule cette partie de la décision de l'agent d'appel fait l'objet du présent contrôle judiciaire.

 

Décision contestée

[6]               Dans le cadre de l'instance, qui a compté 24 jours d'audience du 11 juillet 2005 au 11 décembre 2007, l’agent d’appel a entendu le témoignage de dix témoins. Dans sa décision, il a indiqué les éléments de preuve qu'il a retenus des différents témoins. Certains de ces éléments de preuve peuvent être brièvement résumés comme suit. Selon le témoignage du coprésident patronal du comité, la demande de RSA avait pour but de permettre au comité de mener son enquête et de comprendre la raison pour laquelle l'agente de bord se trouvait dans le poste de pilotage, car cela était contraire à une politique d'Air Canada.

 

[7]               Le directeur de la Sécurité des vols a expliqué qu'un RSA est un récit personnel d'un incident rédigé par un membre d'équipage, habituellement un pilote. Ce récit fournira des renseignements factuels à propos du vol et un résumé de l'événement à l'égard de ce qui s'est produit et de la raison pour laquelle l'événement s'est produit. Les RSA sont utilisés pour faire de la sensibilisation à la sécurité, améliorer la formation en sécurité et cerner les problèmes de sécurité des vols et en discuter. Dans son témoignage, il a également indiqué que toutes sortes d’incidents de vol peuvent être signalés au moyen d'un RSA, mais que cela n'est pas obligatoire même si la loi exige que certaines catégories d'incidents de vol soient signalés, soit par écrit, soit verbalement. La politique qui régit les RSA a pour but de fournir aux employés une occasion de signaler sans contrainte des événements qui pourraient menacer la santé et la sécurité. Pour cette raison, l'identité de l'employé qui rédige un RSA demeure confidentielle et aucune mesure disciplinaire ne peut être prise à l'encontre d'un employé qui rédige un rapport. Finalement, à son avis, fournir des RSA à d'autres organismes diminuerait le signalement des dangers pour la sécurité des vols.  

 

[8]               Le président de l'Association des pilotes d'Air Canada a aussi témoigné à propos de l'importance de l'immunité et de la confidentialité en ce qui a trait aux RSA. Dans son témoignage, le président de la santé et de la sécurité de la composante d'Air Canada de la division du transport aérien du Syndicat canadien des employés de la fonction publique a déclaré que le comité était tenu de respecter la confidentialité de certains rapports qu’il reçoit et que cela pouvait inclure les RSA, ce qui l'empêcherait de les communiquer à d'autres parties.  

 

[9]               Après avoir résumé les arguments de chaque partie, l'agent d'appel a caractérisé comme suit la question dont il était saisi et sur laquelle il devait se prononcer : la question de savoir si [traduction] « Air Canada contrevient au paragraphe 135(9) du Code à l'égard du droit d'accès des comités en milieu de travail à la totalité ou une partie des rapports, études et analyses de l'État et de l'employeur sur la santé et la sécurité des employés » (voir la décision, au paragraphe 181).

 

[10]           L’agent d’appel a souligné que l’un des droits que le Code accorde est le droit de savoir et que c'est par l’entremise du comité en milieu de travail qu'un employé aura le droit d'avoir accès aux rapports de l'employeur sur la santé et la sécurité. En l'espèce, le RSA permettra au comité de connaître la raison pour laquelle on a demandé à l'agente de bord d'occuper le siège d'observateur du poste de pilotage, ce qui a eu une incidence sur sa santé pendant les événements du vol et qu'il s'agit du seul rapport rédigé par un employé. L’agent d’appel a également reconnu que le dépôt de RSA n'est pas obligatoire, mais a conclu que la pratique de les déposer dans le cas d'incidents ou d’événements relatifs à la sécurité est largement répandue chez les employés d'Air Canada et que ces rapports représentent une grande partie de tous les rapports de sécurité reçus annuellement.

 

[11]           Il a conclu que les RSA constituent des rapports de l'employeur pour l’application du paragraphe. Il a déclaré qu'ils faisaient partie intégrante de la politique d'Air Canada en matière de rapports. Il s'est également appuyé sur les faits que le formulaire lui-même est fourni par Air Canada et porte son logo. De plus, les éléments que doivent contenir les RSA sont entièrement établis à l’avance par Air Canada. Il a de plus conclu que même si les RSA sont déposés sur une base volontaire, ils existent principalement à l'avantage d'Air Canada et c’est Air Canada qui a élaboré sa propre politique (Politique d’Air Canada sur les rapports en matière de sécurité) [Air Canada Safety Reporting Policy] qui comprend les RSA.  

 

[12]           En ce qui a trait à l'argument d'Air Canada selon lequel sa propre politique l'a empêchée de communiquer les RSA, car elle prévoyait qu'ils ne pouvaient être communiqués sans le consentement de l'employé ou à moins que la loi ne l’y oblige, l’agent d’appel a conclu que les dispositions du Code doivent prévaloir sur les politiques et les pratiques privées qui pourraient porter atteinte à la réalisation de l'objectif premier de la partie II du Code qui est d'assurer la santé et la sécurité de tous les employés.

 

[13]           Pour en arriver à cette conclusion, l’agent d’appel s'est appuyé sur un arrêt dans lequel la Cour d'appel fédérale a statué qu'une partie ne pouvait pas s'appuyer uniquement sur ses propres politiques et pratiques antérieures pour déterminer si des informations sont confidentielles pour l’application de l'alinéa 20(1)b) de la Loi sur l'accès à l'information (Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Bureau d'enquête sur les accidents de transport et la sécurité du transport), 2006 CAF 157, [2007] 1 R.C.F. 203, aux paragraphes 75 et 76). Il a conclu que le même genre de raisonnement doit s'appliquer en l'espèce et que les politiques et les pratiques antérieures d'Air Canada, de même que son engagement envers la confidentialité des RSA, ne sont pas en soi suffisantes pour que les RSA échappent à la portée des dispositions expresses du Code. L’agent d’appel a également indiqué qu'Air Canada pouvait quand même répondre à ses préoccupations en matière de confidentialité en utilisant d'autres moyens tels que le droit d'accès restreint.      

 

[14]           Compte tenu des motifs qui précèdent, il a conclu que le comité a le droit de recevoir le RSA déposé à l'égard du vol AC875.

 

Question en litige

[15]           Les deux parties conviennent qu'il n'y a qu'une seule question en litige :

a.                   La décision de l'agent d'appel selon laquelle le RSA est un rapport de l'employeur qui doit être communiqué en application du paragraphe 135(9) du Code était-elle raisonnable?

 

[16]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs suivants.

 

Dispositions législatives pertinentes

[17]           Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L‑2.

122. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

 

« employé » Personne au service d’un employeur.

 

« employeur » Personne qui emploie un ou plusieurs employés — ou quiconque agissant pour son compte — ainsi que toute organisation patronale.

 

125. (1) Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité ainsi que toute tâche accomplie par un employé dans un lieu de travail ne relevant pas de son autorité, dans la mesure où cette tâche, elle, en relève :

[…]

z.18) de fournir, dans les trente jours qui suivent une demande à cet effet ou dès que possible par la suite, les renseignements exigés soit par un comité d’orientation en vertu des paragraphes 134.1(5) ou (6), soit par un comité local en vertu des paragraphes 135(8) ou (9), soit par un représentant en vertu des paragraphes 136(6) ou (7);

 

135. (9) Le comité local, pour ce qui concerne le lieu de travail pour lequel il a été constitué, a accès sans restriction aux rapports, études et analyses de l’État et de l’employeur sur la santé et la sécurité des employés, ou aux parties de ces documents concernant la santé et la sécurité des employés, l’accès aux dossiers médicaux étant toutefois subordonné au consentement de l’intéressé.

122. (1) In this Part,

 

 

 

“employee” means a person employed by an employer;

 

“employer” means a person who employs one or more employees and includes an employers’ organization and any person who acts on behalf of an employer;

 

125. (1) Without restricting the generality of section 124, every employer shall, in respect of every work place controlled by the employer and, in respect of every work activity carried out by an employee in a work place that is not controlled by the employer, to the extent that the employer controls the activity,

 

(…)

(z.18) provide, within thirty days after receiving a request, or as soon as possible after that, the information requested from the employer by a policy committee under subsection 134.1(5) or (6), by a work place committee under subsection 135(8) or (9) or by a health and safety representative under subsection 136(6) or (7);

 

135. (9) A work place committee, in respect of the work place for which it is established, shall have full access to all of the government and employer reports, studies and tests relating to the health and safety of the employees, or to the parts of those reports, studies and tests that relate to the health and safety of employees, but shall not have access to the medical records of any person except with the person’s consent.

 

 

Position de la demanderesse

[18]           La demanderesse soutient que la décision de l’agent d’appel selon laquelle un RSA constitue un rapport de l'employeur au sens du paragraphe 135(9) du Code est déraisonnable. Selon les motifs de la demanderesse, la décision est déraisonnable puisque l'agent d’appel a omis d’énoncer le critère juridique qu'il a utilisé et, subsidiairement, la décision est déraisonnable, car elle passe sous silence le libellé utilisé dans le Code.

 

[19]           En ce qui a trait au premier motif, la demanderesse prétend que l’agent d’appel a omis d’énoncer une définition ou un critère juridique pour le « rapport de l'employeur ». Elle fait valoir que l’agent d’appel a omis d'interpréter la définition selon le sens précis du paragraphe et de la loi comme il aurait dû le faire plutôt que passer directement à l'examen des faits en l'absence d'un critère juridique. La demanderesse maintient que lorsque le sens d'un critère juridique ne peut être établi, il doit être déclaré déraisonnable, et elle s'appuie à cet égard sur la décision Syndicat canadien de la fonction publique, composante d'Air Canada c. Air Canada, 2008 CF 1299, 337 F.T.R. 291.

 

[20]           Pour ce qui est du second motif, la demanderesse soutient que, subsidiairement, la définition ou le critère qu'a utilisé l’agent d’appel est déraisonnable, car il ignore la distinction que fait le Code entre les employeurs et les employés et leurs rapports respectifs, distinction qui devrait être prise en compte dans l'interprétation du paragraphe 135(9). La demanderesse fait valoir que le Code fournit des définitions claires des mots « employeur » et « employé » (le paragraphe 122(1)) et que ces définitions ne comportent aucune ambiguïté. La demanderesse fait ressortir que, outre les définitions, la partie II du Code distingue clairement les employeurs des employés (à titre d'exemple, voir les articles 125, 125.1 et 126). La demanderesse s'appuie également sur les articles 19.3 et 19.4 du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304 (le Règlement) qui font une distinction entre les rapports de l'employé faits en vertu de certains articles du Code et les rapports de l'employeur. Compte tenu de ces distinctions, la demanderesse soutient qu'un rapport de l'employeur au sens du paragraphe 135(9) du Code doit être un rapport rédigé par des employés agissant pour le compte de l'employeur, c'est-à-dire des cadres.        

 

[21]           À la lumière de la distinction suggérée, la demanderesse prétend qu'un RSA est rédigé par un employé, habituellement un pilote, qui n'agit pas pour le compte de la direction. De plus, la demanderesse fait état d'éléments de preuve dont l'agent d'appel a été saisi et qui confirment que le dépôt d'un RSA est volontaire. La demanderesse fait une distinction entre les RSA et les autres rapports que les pilotes sont tenus de présenter selon la loi et les politiques obligatoires de la société. Elle souligne que le RSA est déposé en plus de ces autres rapports uniquement si le pilote souhaite fournir plus d'informations ou dans les cas où aucun rapport n'est exigé et que le pilote désire volontairement signaler les événements et présenter des recommandations.

 

[22]           La demanderesse ajoute de plus que la décision de l’agent d’appel néglige l’objet précis du paragraphe 135(9) qui restreint l'accès aux « rapports, études et analyses de l'État et de l'employeur sur la santé et la sécurité des employés, ou aux parties de ces documents concernant la santé et la sécurité des employés ». Cependant, au paragraphe 225 de la décision, l'agent d'appel déclare qu'il existe un droit d'accès à tous les documents pertinents sur la santé et la sécurité des employés. La demanderesse soutient que cela fait abstraction de l'intention du législateur qui est plus limitée.  

 

[23]           En résumé, en ce qui a trait à ce deuxième motif, la demanderesse souligne que l’agent d’appel, en concluant comme il l'a fait, a éliminé la distinction entre les rapports de l'employé et de l'employeur, a étendu la portée du paragraphe et a négligé la preuve en ce qui a trait aux RSA. En conséquence, la décision ne peut pas être maintenue.

 

Position du défendeur

[24]           En réponse, le défendeur soutient que l’agent d’appel n’était pas tenu de fournir une définition ou un critère juridique à l'appui de sa conclusion. Il était plutôt tenu d’interpréter les termes en appliquant les principes de base de l'interprétation et en donnant aux mots leur sens ordinaire d'une manière compatible avec le contexte et l'objet de la loi. Le défendeur affirme que c'est exactement ce qu'a fait l’agent d’appel et qu'il n'y avait aucune erreur.

 

[25]           Le défendeur s'appuie également sur la définition du mot « employeur » dans l'article 122 du Code qui inclut « quiconque agissant pour son compte » et fournit une définition du dictionnaire de [traduction] « pour son compte » comme signifiant [traduction] « dans l'intérêt de ou au profit de ». Le défendeur souligne que l’agent d’appel a conclu que les RSA existent au profit d'Air Canada et qu'ils font partie intégrante du système de rapport d'Air Canada. Par conséquent, l'interprétation de l’agent d’appel est raisonnable, car elle est compatible avec le sens ordinaire des mots et de la loi.

 

[26]           En ce qui concerne l'arrêt sur lequel s'appuie la demanderesse, le défendeur fait une distinction en ce que l’agent d’appel dans cette affaire avait fourni deux définitions contradictoires, ce qui avait rendu sa décision inintelligible. Le défendeur maintient qu'il n'existait aucune contradiction de la sorte en l'espèce et que la décision est raisonnable.    

 

[27]           En ce qui a trait à l'argument subsidiaire d'Air Canada, le défendeur soutient que rien dans le paragraphe n'indique qu'un « rapport de l'employeur » se limite uniquement à un rapport dont l'auteur est l'employeur et souligne qu'Air Canada n'a présenté aucune loi ni aucune jurisprudence pour étayer son interprétation. Le défendeur fait valoir que la définition qu'a adoptée l’agent d’appel est raisonnable, car elle est appropriée pour déterminer si l'employé agit pour le compte de l'employeur ou à son profit. Le défendeur soutient de plus que l'interprétation de la demanderesse mènerait à un résultat absurde, car les documents ne seraient pas communiqués uniquement parce qu'ils contiennent des renseignements fournis par un employé, ce qui entraverait les enquêtes. Même si le défendeur nie que les RSA sont présentés sur une base volontaire, il prétend que la question de savoir si le RSA est volontaire n'est pas un facteur déterminant en l'espèce.

 

[28]           Pour ce qui est des observations d'Air Canada concernant la distinction entre les rapports de l'employeur et de l'employé et selon lesquelles le rapport de l'employeur doit être rédigé par un employé pour le compte de l'employeur, c'est-à-dire par un cadre, le défendeur maintient que la demanderesse a tout simplement tort. Le défendeur souligne qu'aucune jurisprudence n'a été citée à l'appui de l'argument et que la partie II du Code, contrairement à la partie I, ne fait pas la distinction entre les cadres et les employés non cadres. Comme il n'existe aucune distinction de la sorte, le défendeur indique qu'adopter la position d'Air Canada aurait pour effet d'empêcher la communication de tous les rapports dont les employés sont les auteurs. En conséquence, l'interprétation de l'agent d'appel doit être privilégiée et est raisonnable.

 

[29]           Le défendeur soutient que l'interprétation de l'agent d'appel est compatible avec l'opinion de Transports Canada et de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC) telle qu'exprimée dans le document intitulé « Exposé de position sur les exigences du système de gestion de la sécurité contenues dans le Règlement de l'aviation canadien et sur les exigences de la politique de santé et de sécurité stipulée dans le Code canadien du travail » (l’exposé de position).

 

Norme de contrôle

[30]           Les deux parties conviennent que la décision de l'agent d'appel doit être examinée en fonction de la norme de la raisonnabilité. Elles soutiennent que la question de savoir si un RSA constitue un rapport de l'employeur au sens du paragraphe 135(9) du Code est une question mixte de droit et de fait, car elle exige que l'agent d'appel interprète le paragraphe et applique ensuite la définition aux faits.   

 

[31]           Je suis convaincu que la norme de contrôle applicable est la norme de la raisonnabilité et que la Cour doit faire preuve de retenue à l'égard de la décision de l'agent d'appel (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2009 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47, 53 et 54; Société canadienne des postes c. Pollard, 2008 CAF 305, 382 N.R. 173, aux paragraphes 10 à 12). En conséquence, la Cour se penchera sur « l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

Analyse

[32]           Il est clair que la décision de l'agent d'appel concernant la contravention repose sur sa conclusion selon laquelle un RSA constitue un rapport de l'employeur au sens du paragraphe 135(9) du Code. La partie II du Code ne fournit pas une définition du rapport de l'employeur et l’agent d’appel devait décider si un RSA constitue un rapport de l'employeur. Comme cela l'a été énoncé dans l'arrêt Dunsmuir, la Cour se penche non seulement sur l'issue de la décision, mais également sur la manière dont elle est prise. Ainsi, la Cour doit également vérifier « […] la justification de la décision, […] la transparence et […] l'intelligibilité du processus décisionnel » (au paragraphe 47). La défenderesse soutient que cette décision est déraisonnable à la fois en ce qui a trait à la manière dont elle a été prise et en ce qui a trait à son issue. Cependant, après avoir examiné la preuve et entendu cette question, je ne peux accepter les arguments susmentionnés pour les motifs qui suivent.  

 

[33]           Tel qu’il a été affirmé dans l'arrêt Dunsmuir, lorsqu'elle examine une décision selon la norme de la raisonnabilité, la cour doit être convaincue que la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicables à l'affaire. De plus, dans l'arrêt Lake c. Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 R.C.S. 761, au paragraphe 41, la Cour suprême a souligné que la norme de la raisonnabilité peut admettre la possibilité de plus d'une conclusion et qu'il n'appartient pas à la cour de révision de substituer sa propre évaluation des considérations pertinentes.

 

[34]           Selon le premier argument de la demanderesse, la décision est déraisonnable, car l'agent d'appel n'a pas énoncé clairement le critère qu'il a appliqué pour conclure qu'un RSA constitue un rapport de l'employeur. La demanderesse fait valoir cet argument sans citer de texte à l’appui et la seule décision qu'elle a citée n'est pas pertinente pour cette question et offre peu d'indications.

 

[35]           Dans le contexte d'une extradition, il a été déclaré qu'une conclusion ne pourra être justifiée selon la norme de la raisonnabilité si l'analyse pertinente n'est pas réalisée. Une analyse pertinente exige que le critère appliqué soit identifié et les faits pertinents pris en compte (arrêt Lake, au paragraphe 41). Je soulignerai cependant que la présente affaire ne met pas en jeu les mêmes intérêts qu'une extradition et qu'il n'existe pas de critère explicite à appliquer en l'espèce. Je n'accepte pas l'argument de la demanderesse selon lequel la décision est déraisonnable dans un cas comme celui-ci simplement parce qu'un critère juridique n'a pas été identifié. En l’espèce, il était nécessaire que l'agent d'appel, en l'absence d'une définition prévue par la loi, se prononce sur la question de savoir si un RSA constitue un rapport de l'employeur au sens de la partie II du Code. Pour ce faire, il devait appliquer le principe de base de l'interprétation des lois, c'est-à-dire interpréter l'expression et donner aux mots leur sens ordinaire d'une manière compatible avec le contexte et l'objet de la loi.

 

[36]           Pour arriver à sa décision, l'agent d'appel a observé que l'un des droits que le Code garantit est le droit de savoir et ce droit est exercé par l'entremise d'un comité de sécurité en milieu de travail qui peut avoir accès aux rapports de l'État et de l'employeur. Il a également souligné qu'en l'espèce, le RSA pourrait être utile au comité en ce qu'il pourrait expliquer la raison pour laquelle on a demandé à l'agente de bord d'occuper le siège d'observateur du poste de pilotage. Enfin, il a conclu qu’un RSA est un rapport de l'employeur parce qu'il fait partie intégrante de la politique d'Air Canada en matière de rapports, le formulaire lui-même est fourni par Air Canada et son logo y figure, les éléments que doit contenir le RSA sont établis d’avance par Air Canada, le RSA, même s'il est déposé de façon volontaire, existe principalement au profit d'Air Canada et cette dernière a élaboré sa propre politique de rapport.

 

[37]           Tel qu'il a été mentionné précédemment, la Cour doit également vérifier « […] la justification de la décision, […] la transparence et […] l'intelligibilité du processus décisionnel » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Même si l'agent d'appel n'a pas énoncé explicitement un critère, j'estime que ses motifs montrent une approche appropriée et la justification fournie est transparente et intelligible. Il n'y a ici aucune ambiguïté quant à la signification bien qu'il n'y ait aucune définition explicite dans la loi. L’agent d’appel ne se prononçait pas sur deux significations possibles de l'expression « rapport de l'employeur »; il devait plutôt décider si le RSA, compte tenu des faits de l'espèce, est un rapport de l'employeur. Il a effectivement fait une observation sur la nature de la disposition et son but, à savoir assurer l'accès des employés, par l’intermédiaire du comité, à des documents concernant la santé et la sécurité. Il a aussi indiqué la raison pour laquelle un RSA pouvait être utile au comité dans le cadre de son enquête. En effet, il s'agit d'un document qui concerne les incidents relatifs à la sécurité des vols et pourrait contenir des renseignements sur la santé et la sécurité des employés. À mon avis, cela est compatible avec la partie II du Code. Enfin, les faits sur lesquels l'agent d'appel s'est appuyé montrent que selon lui, un rapport de l'employeur est un rapport présenté au profit de l'employeur en fonction de sa propre politique de rapport.

 

[38]           Tout bien considéré, les motifs montrent que l'approche de l'agent d'appel a reflété le contexte et l’objet de la partie II du Code, et les facteurs pertinents pour décider si le RSA constitue un rapport de l'employeur sont identifiés. Les motifs ne manquent pas de justification, de transparence et d'intelligibilité, et cet argument doit être rejeté.

 

[39]           J'examinerai maintenant l'argument subsidiaire de la demanderesse concernant le caractère raisonnable de la conclusion selon laquelle un RSA est un rapport de l'employeur. Tel qu'il a déjà été mentionné, le Code ne contient pas de définition du rapport de l'employeur. Il appartient donc à l'agent d'appel de décider si un document constitue un rapport de l'employeur.

 

[40]           Le Code contient des définitions des mots « employeur » et « employé ». Un « employé » désigne une personne au service d'un employeur et un « employeur » désigne une personne qui emploie un ou plusieurs employés – ou quiconque agissant pour son compte – ainsi que toute organisation patronale (paragraphe 122(1)). La définition du mot « employé » qui figure à la partie II du Code n'exclut pas une personne occupant un poste de direction, contrairement à la définition se trouvant à la partie I (voir l’article 3). La demanderesse a soutenu que seul un rapport rédigé par une personne occupant un poste de direction ou demandé par un employeur devrait être un rapport de l'employeur, mais cela ne semble pas être compatible avec la définition contenue dans la partie II du Code. De plus, les dispositions du Règlement citées par la demanderesse ne contiennent pas de définitions générales et n'offrent pas d’indications à l'égard de la présente question.

 

[41]           Compte tenu de la définition du mot « employeur » contenue dans la partie II du Code, la décision de l'agent d'appel selon laquelle un document peut être un rapport de l'employeur même si son auteur est un employé non cadre est raisonnable. Il a reconnu que l'employé qui a déposé le rapport – un pilote en l'espèce – agissait pour le compte de l'employeur et à son profit. Cette conclusion est également raisonnable compte tenu de la preuve concernant les RSA et leur utilisation par Air Canada et elle n'écarte pas la distinction faite entre les employeurs et les employés dans la partie II du Code.

 

[42]           La demanderesse soutient de plus qu'il y a lieu de faire une distinction entre un RSA et les autres rapports exigés par d'autres lois, puisque le RSA est un rapport présenté volontairement, utilisé par Air Canada à ses propres fins. La demanderesse fait valoir que l'agent d'appel a fait abstraction de la preuve concernant le caractère volontaire du RSA et que cela rend sa décision déraisonnable.

 

[43]           Même si l'agent d'appel a conclu que le formulaire est fourni par Air Canada, que son logo y figure et que les éléments que le RSA doit contenir sont entièrement établis à l’avance par Air Canada, cela n'est pas suffisant pour conclure qu'il a écarté la preuve concernant le caractère volontaire du rapport.

 

[44]           De plus, l’agent d’appel a conclu que le RSA était un rapport présenté volontairement. Au paragraphe 219 de sa décision, il écrit ce qui suit : [traduction] « Bien qu'elle ne soit pas obligatoire, la pratique de déposer des RSA dans le cas d’incidents ou d'événements relatifs à la sécurité a été largement adoptée par les employés d'Air Canada. » De plus, la question de savoir si les RSA sont obligatoires n'était pas un élément déterminant dans la décision de l’agent d’appel. Au paragraphe 222, il écrit que [traduction] « même s'ils sont déposés sur une base volontaire, comme le soutient l'appelante, les RSA existent principalement au profit d’Air Canada. » Rien n'appuie non plus l'argument d’Air Canada selon lequel le RSA ne peut pas être un rapport de l'employeur parce qu’il n'est pas obligatoire.   

 

[45]           La demanderesse cite une décision récente de mon collègue le juge Near, Syndicat canadien des employés de la fonction publique, composante Air Canada c. Air Canada, 2010 CF 103, [2010] A.C.F. no 93 (QL). J'ai lu la décision avec soin et je suis d’avis qu'elle ne traite pas de la question sur laquelle je dois me prononcer en l'espèce.

 

[46]           La Cour n'est saisie d'aucun élément de preuve selon lequel l’agent d’appel, en prenant la décision qu'il a prise, a étendu la portée du paragraphe 135(9) du Code ou a négligé la preuve en ce qui a trait aux RSA.

 

[47]           La Cour juge que la décision est raisonnable et qu'elle appartient aux issues possibles acceptables.

 

[48]           Comme les parties en ont convenu, les dépens sous forme de somme forfaitaire d'un montant de 5 000 $ sont adjugés à la partie qui a gain de cause.

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. La demanderesse est tenue de payer au défendeur la somme de 5 000 $, y compris les débours.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        T-1194-09

 

Intitulé :                                       AIR CANADA et

                                                            le syndicat canadien de la fonction publique, DIVISION DU TRANSPORT AÉRIEN, composante d’air Canada

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 20 avril 2010

 

Motifs du jugement

et jugement :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 23 avril 2010

 

 

ComparutionS :

 

Rachelle Henderson                                                                  pour la demanderesse

Maryse Tremblay

 

 

Ben Millard                                                                              pour le défendeur

Beth Symes

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Air Canada, Affaires juridiques                                     pour la demanderesse

(Rachelle Henderson)

 

Heenan Blaikie, s.e.n.c.r.l., SRL

(Maryse Tremblay)

Montréal (Québec)                                                      

 

Symes & Street                                                                        pour le défendeur

Toronto (Ontario)

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