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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20100205

Dossier : IMM-5686-08

Référence : 2010 CF 122

Ottawa (Ontario), le 5 février 2010

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

PARAMJIT KAUR GILL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Paramjit Kaur Gill, qui conteste la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que son mariage à Baljit Singh Sandhu n’était pas authentique aux termes de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement). La présente affaire comporte un élément quelque peu inhabituel dans la mesure où personne ne conteste que M. Sandhu et Mme Gill sont les parents d’un enfant né au Canada le 12 août 2006. 

 

I.                    Contexte

[2]               Mme Gill est arrivée au Canada en 2002, parrainée par son premier époux. Leur mariage a échoué après quelques mois, prétendument en raison de l’infidélité de l’époux. Peu après la rupture du premier mariage de Mme Gill, des parents canadiens de M. Sandhu et des parents indiens de Mme Gill ont amorcé des discussions en vue d’arranger leur mariage. Ces discussions ont porté fruit et Mme Gill s’est rendue en Inde pour épouser M. Sandhu. Ils se sont rencontrés pour la première fois le 18 mars 2005 et se sont mariés le 25 mars 2005. Ils ont apparemment vécu ensemble pendant trois semaines en Inde avant que Mme Gill ne retourne au Canada pour reprendre le travail. Mme Gill est retournée en Inde en novembre 2005 et a vécu avec M. Sandhu pendant un peu plus de deux semaines. C’est durant ce séjour que Mme Gill est tombée enceinte de M. Sandhu. Encore une fois, elle est retournée au Canada pour reprendre le travail. Les parties soutiennent avoir communiqué fréquemment par téléphone et courrier, mais elles n’ont pas vécu ensemble depuis.  

 

[3]               En mai 2005, Mme Gill a présenté une demande de parrainage de M. Sandhu. Le 14 novembre 2005, ils ont eu une entrevue avec un agent des visas (l’agent) en Inde. Les notes de l’agent font état d’un certain nombre de préoccupations concernant l’authenticité du mariage, notamment le soupçon que le premier mariage de Mme Gill avait peut-être été un mariage de convenance. L’agent a aussi exprimé des doutes en ce qui a trait à la conformité du mariage aux normes culturelles indiennes et à la compatibilité du couple. Le 23 mars 2006, l’agent a refusé la demande de parrainage au motif que le mariage n’était pas authentique et visait à permettre à M. Sandhu d’obtenir le statut d’immigrant au Canada. À l’époque, l’agent n’était pas au fait de la grossesse de Mme Gill. Cette dernière a interjeté appel du refus de sa demande devant la Commission et a soumis une preuve génétique confirmant que M. Sandhu était le père de son enfant. La Commission a entendu les témoignages présentés par Mme Gill, M. Sandhu et Mme Jatinder Kaur Singh, la tante paternelle de M. Sandhu.

 

[4]               Malgré la naissance de l’enfant entre-temps, la Commission a rejeté l’appel de Mme Gill. La Commission a conclu que les témoignages de Mme Gill et M. Sandhu étaient peu crédibles en ce qui concerne leur compatibilité et le développement de leur relation. Elle a également exprimé des réserves en raison du peu de fois que les époux se sont visités depuis leur mariage, d’une divergence au sujet d’un appel téléphonique et du bref délai avant que Mme Gill ne contracte un deuxième mariage. La décision fait également renvoi aux préoccupations soulevées par l’agent au sujet de la non-conformité du mariage aux normes culturelles habituelles et de certaines divergences relevées lors des entrevues initiales; toutefois, la Commission n’a pas expressément fait siennes les préoccupations de l’agent. 

 

II.         Question à trancher

[5]               La Commission a-t-elle commis une erreur dans son traitement de la preuve se rapportant à l’authenticité du mariage de la demanderesse?

 

III.       Analyse

[6]               Lorsque la Commission se penche sur l’authenticité d’un mariage en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, elle doit faire preuve d’une grande prudence parce que les conséquences d’une erreur seraient catastrophiques pour la famille. Cela s’avère particulièrement évident lorsque la famille compte un enfant né de la relation. La tâche de la Commission n’est pas aisée, car il peut être difficile d’évaluer l’authenticité des relations personnelles de l’extérieur. Des comportements qui peuvent sembler suspects de prime abord peuvent avoir une explication ou une interprétation simple. Par exemple, en l’espèce l’agent a noté que les photos du mariage avaient un air emprunté et que les parties semblaient mal à l’aise. Évidemment, une réponse simple serait que presque toutes les photos de mariage ont un caractère emprunté et que, dans le contexte d’un mariage arrangé, il faut s’attendre à une certaine gêne. La naissance subséquente d’un enfant devrait normalement dissiper toute préoccupation de ce genre. De même, en ce qui a trait au doute de la Commission du fait que Mme Gill s’est empressée de se marier à nouveau, il se peut que son divorce ait considérablement réduit ses chances d’un nouveau mariage. 

 

[7]               Quand elle évalue l’authenticité d’un mariage arrangé, la Commission doit veiller à ne pas se reporter à des attentes qui reflètent davantage les valeurs associées à un mariage occidental. De par sa nature, un mariage arrangé, quand il est perçu à travers une lentille culturelle nord-américaine, semblera inauthentique. Quand une relation unit des parties exposées à deux cultures, il faut également faire preuve de prudence en se reportant aux normes et traditions indiennes en matière de mariage et de divorce. 

 

[8]               La Commission a eu raison de reconnaître que, dans l’évaluation de la légitimité du mariage, il faut accorder un poids considérable à la naissance d’un enfant. Lorsqu’il n’y a pas de doute sur la paternité, il serait raisonnable d’adopter une présomption favorable à l’authenticité du mariage en cause. Il y a de nombreuses raisons d’accorder une grande importance à un tel événement, notamment l’improbabilité que les parties à un faux mariage s’imposent les responsabilités à vie associées au fait d’élever un enfant. Cette considération s’avère d’autant plus significative dans une situation comme la présente, où les parents sont des gens de moyens très modestes. 

 

[9]               Dans son évaluation du mariage en cause, la Commission a signalé qu’il faudrait disposer de « solides contre-preuves » pour faire contrepoids à l’importance de la naissance de l’enfant. Le problème avec la décision de la Commission, c’est que son appréciation de ces « solides contre-preuves » visait dans une large mesure des questions insignifiantes, peu concluantes ou dépourvues de pertinence, tout en ignorant une preuve considérable qui contredisait sa conclusion.

 

[10]           D’après les parties, il s’agit d’un mariage arrangé que leurs familles élargies avaient négocié. Le couple s’est rencontré pour la première fois seulement sept jours avant leur mariage, qui a eu lieu le 25 mars 2005 en Inde, et ils n’ont vécu ensemble que pendant une quarantaine de jours depuis cette date. Dans ce contexte, la préoccupation de la Commission au sujet du peu de connaissances qu’avait M. Sandhu sur la vie de Mme Gill au Canada était sans fondement. On peut en dire autant au sujet de la divergence de leurs témoignages concernant leur première conversation (à savoir si elle avait eu lieu ou non au téléphone). Dans le contexte d’un mariage arrangé par des tiers, il s’agit d’un point peu important qui, de toute manière, est facile à oublier avec le temps. 

 

[11]           La Commission n’a pas expliqué de façon adéquate son autre préoccupation, soit celle ayant trait au peu de séjours en Inde de Mme Gill. Selon le témoignage de Mme Gill, elle s’oppose à la contraception et, par conséquent, hésitait à se rendre en Inde et à courir le risque d’une autre grossesse. Il s’agissait d’une crainte tout à fait rationnelle étant donné que Citoyenneté et Immigration Canada avait refusé de reconnaître l’authenticité de sa relation. De plus, Mme Gill a déclaré qu’elle souhaitait se rendre en Inde en août 2008, après le décès de la mère de M. Sandhu, mais qu’elle n’avait pu obtenir à temps des documents de voyage pour l’enfant. Elle a également affirmé qu’ils communiquaient souvent par téléphone et courrier, et qu’elle souhaitait que la famille soit réunie. La Commission le mentionne, mais elle n’apprécie pas ce témoignage. Dans la décision, la Commission expose tout simplement sa conclusion selon laquelle « [i]l ne semble pas y avoir un désir authentique de la part de l’appelante d’être avec son mari ». C’est ce genre d’analyse rebattue qui contrevient à l’obligation de fournir des motifs intelligibles et justifiés : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, paragraphe 59. Le fait que la Commission ait omis d’examiner les éléments de preuve importants qui contredisent sa conclusion constitue une erreur susceptible de révision : voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264, paragraphe 17. 

 

[12]           De plus, la conclusion non étayée de la Commission selon laquelle M. Sandhu et Mme Gill n’étaient pas compatibles ne tient pas compte de leurs témoignages non contestés suivant lesquels ils sont tous les deux sikhs, ils parlent tous les deux le panjabi, ils ont tous les deux cinq ans de scolarité, ils ont des emplois de niveau comparable et ils sont tous les deux issus du milieu rural. La seule contradiction possible à ces égards serait l’observation de la Commission selon laquelle leurs âges respectifs et la situation de Mme Gill à titre de personne divorcée allaient à l’encontre des normes culturelles prédominantes en Inde. L’existence d’une différence d’âge idéale entre époux ne signifie pas qu’il ne peut y avoir de mariages entre des personnes dont la différence d’âge est légèrement plus élevée. Il en va de même pour la perception culturelle du divorce en Inde. Il y a vraisemblablement en Inde des mariages entre des personnes qui se marient pour la première fois et des personnes divorcées. De plus, selon la preuve présentée, le stigma culturel indien lié au divorce est moins important lorsqu’il n’y a aucun enfant né du premier mariage et que le divorce est imputable à l’autre partie. En l’espèce, le divorce de Mme Gill serait le résultat de l’adultère de son premier mari et aucun enfant n’est né de cette relation. La Commission a omis de signaler ces considérations hautement pertinentes et, par conséquent, n’a pas rempli son obligation d’examiner la totalité de la preuve, et pas seulement la preuve qui confirmait sa conclusion défavorable.

 

[13]           Enfin, la Commission a traité les deux éléments conjonctifs exposés à l’article 4 du Règlement comme s’ils étaient identiques. Il se peut fort bien que les éléments de preuve se rapportant à la question de savoir si le mariage visait l’acquisition du statut d’immigrant au Canada soient différents des éléments de preuve ayant trait à l’authenticité du mariage. En l’espèce, un examen de la situation de M. Sandhu en Inde avant qu’on le présente à Mme Gill aurait été utile pour décider s’il souhaitait quitter l’Inde pour le Canada pour des raisons autres que le mariage.

 

IV.       Conclusion

[14]           Les lacunes cumulatives de l’analyse effectuée par la Commission sont suffisamment graves pour que la présente affaire soit renvoyée en vue d’un nouvel examen sur le fond. 

 

[15]           Les parties n’ont pas proposé de question certifiée et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5686-08

 

INTITULÉ :                                       GILL

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph S. Farkas

416-784-9550

 

POUR LA DEMANDERESSE

Alison Engel-Yan

416-973-1179

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph S. Farkas

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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