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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date :  20100208

Dossier :  IMM-3589-09

Référence :  2010 CF 127

Ottawa (Ontario), le 8 février 2010

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

MOHAMMED BICHARI

ET KHEDOUJA BICHARI

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité de la décision du 7 juillet 2009 par laquelle Jillan Sadek, directrice à la Direction générale du règlement des cas de Citoyenneté et Immigration Canada (la directrice), a refusé leur demande de résidence permanente.

 

[2]               La directrice a conclu que les circonstances d’ordre humanitaire étaient insuffisantes pour l’emporter sur l’interdiction de territoire de Mme Khedouja Bichari pour des raisons médicales aux termes de l’alinéa 38(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[3]               En raison de l’interdiction de territoire de son épouse pour des raisons médicales, le deuxième demandeur, M. Mohammed Bichari, est interdit de territoire pour inadmissibilité familiale en vertu de l’article 42 de la Loi.

 

I           DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES

[4]               Par souci de commodité, voici les dispositions pertinentes de la Loi :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l’état de santé de l’étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.

 

 

 

 

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

 

38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition

 

(a) is likely to be a danger to public health;

 

(b) is likely to be a danger to public safety; or

 

(c) might reasonably be expected to cause excessive demand on health or social services.

 

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non‑accompanying family member is inadmissible; or

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

 

 

[5]               Les règles qui encadrent le contrôle visant à établir si un étranger est interdit de territoire pour des raisons médicales sont exposées dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement). Les articles 20 et 34 du Règlement s’avèrent particulièrement pertinents pour décider si l’état de santé d’un étranger risque vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé :

20. L’agent chargé du contrôle conclut à l’interdiction de territoire de l’étranger pour motifs sanitaires si, à l’issue d’une évaluation, l’agent chargé de l’application des articles 29 à 34 a conclu que l’état de santé de l’étranger constitue vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risque d’entraîner un fardeau excessif.

 

 

 

34. Pour décider si l’état de santé de l’étranger risque d’entraîner un fardeau excessif, l’agent tient compte de ce qui suit :

 

 

 

a) tout rapport établi par un spécialiste de la santé ou par un laboratoire médical concernant l’étranger;

 

b) toute maladie détectée lors de la visite médicale.

 

20. An officer shall determine that a foreign national is inadmissible on health grounds if an assessment of their health condition has been made by an officer who is responsible for the application of sections 29 to 34 and the officer concluded that the foreign national’s health condition is likely to be a danger to public health or public safety or might reasonably be expected to cause excessive demand.

 

34. Before concluding whether a foreign national’s health condition might reasonably be expected to cause excessive demand, an officer who is assessing the foreign national’s health condition shall consider

 

(a) any reports made by a health practitioner or medical laboratory with respect to the foreign national; and

 

(b) any condition identified by the medical examination.

 

 

[6]               De plus, d’après le bulletin opérationnel 021 du 22 juin 2006, les agents d’immigration n’ont pas le pouvoir d’accorder une dispense de l’application de l’article 38 de la Loi. S’ils estiment que des considérations d’ordre humanitaire pourraient justifier une dispense, ou si une telle dispense est demandée, ils doivent transmettre le dossier au directeur de l’Examen des cas à l’Administration centrale.

 

II          CONTEXTE

[7]               Les demandeurs sont un couple âgé d’Algérie. M. Bichari a 77 ans et son épouse a environ 74 ans. Ils ont onze enfants, dont huit sont encore en Algérie, un vit en Espagne et deux habitent au Canada. Les Bichari habitaient d’abord chez leur fille au Québec, puis sont allés vivre chez leur fils en Colombie‑Britannique vers la fin de 2007.

 

[8]               Les demandeurs ont obtenu des visas de visiteur de l’ambassade du Canada à Paris le 18 octobre 1999. Ils sont arrivés au Canada le 28 novembre 1999 et ont présenté une demande d’asile le 13 janvier 2000, en plus de soumettre une demande de résidence permanente fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire (demande CH). Le 24 juillet 2000, les demandeurs ont été avisés qu’ils ne remplissaient pas les critères de la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[9]               En octobre 2000, Mme Bichari a reçu le diagnostic qu’elle souffrait de glomérulosclérose, une maladie chronique du rein. Le 18 décembre 2001, pendant que les Bichari vivaient encore chez leur fille au Québec, Mme Bichari a reçu une greffe du rein. Depuis cette greffe, elle doit prendre des médicaments anti‑rejet (immunodépresseurs) pour demeurer en vie.

 

[10]           Le 27 avril 2006, les demandeurs ont été avisés de l’approbation de principe de leur demande CH. Le document reconnaissait que les demandeurs seraient exposés à des « difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées » s’ils étaient contraints de retourner en Algérie afin de présenter une demande de résidence permanente, mais, avant que les autorités puissent leur accorder officiellement le statut de résident permanent, ils devaient démontrer qu’ils satisfaisaient aux autres exigences de la Loi, dont celle de démontrer qu’ils n’étaient pas interdits de territoire pour des raisons médicales aux termes de l’article 38 de la Loi. 

 

[11]           En 2006, les demandeurs ont appris que le gouvernement du Québec ne leur accorderait pas de certificat de sélection. Comme il s’agit d’une condition préalable à l’octroi de la résidence permanente aux étrangers qui habitent au Québec, ils ont décidé d’aller vivre chez leur fils en Colombie‑Britannique.

 

[12]           Le 22 janvier 2007, les autorités de l’immigration ont avisé Mme Bichari qu’elle était interdite de territoire pour des raisons médicales à cause de son insuffisance rénale depuis la greffe. D’après le médecin agréé qui a examiné le dossier, le Dr Quevillion, en raison de sa greffe, Mme Bichari aurait besoin de soins de suivi et d’un régime quotidien de médicaments immunodépresseurs coûteux. Étant donné que les régimes d’assurance‑maladie provinciaux couvrent les médicaments sur ordonnance, le Dr Quevillion a conclu que l’état de santé de Mme Bichari risquait vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé canadiens. 

 

[13]           Comme il s’agissait d’une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire, la demande des Bichari a été transmise à la Direction générale du règlement des cas de Citoyenneté et Immigration Canada, à Ottawa, pour que la directrice puisse décider si les circonstances justifiaient de lever l’interdiction de territoire de Mme Bichari pour des raisons médicales.

 

[14]           Comme d’habitude dans un dossier ayant trait à l’interdiction de territoire pour des raisons médicales, les autorités de l’immigration ont envoyé aux Bichari une lettre d’équité signalant l’interdiction de territoire de Mme Bichari et accordant aux demandeurs la possibilité de soumettre des observations ou de fournir de la preuve documentaire.

 

[15]           En réponse à cette lettre, les demandeurs ont soumis trois lettres de différents médecins attestant de l’excellent état de santé de Mme Bichari. Toutefois, aucune de ces lettres n’abordait le fait que cette dernière a besoin de médicaments immunodépresseurs. Dans un courriel envoyé le 8 octobre 2009, le Dr Quevillion a réitéré que [traduction] « bien que son activité fonctionnelle rénale soit excellente et que son pronostic soit favorable, le régime de médicaments immunodépresseurs dont elle a besoin risque vraisemblablement d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé canadiens et [par conséquent, les lettres] ne changent pas l’évaluation actuelle de l’interdiction de territoire pour des raisons médicales ».

 

[16]           Le 17 juin 2009, la directrice a envoyé un courriel à la Dre Hindle, l’attachée médicale responsable de la région du Maghreb, lui demandant s’il était possible d’avoir accès à des traitements après une greffe du rein en Algérie. Deux jours plus tard, celle‑ci a répondu qu’il existait des traitements dans les secteurs public et privé, mais que [traduction] « le secteur privé assure habituellement un bien meilleur accès aux services ».

 

[17]           Le 19 juin 2009, la directrice a envoyé une seconde lettre aux demandeurs, leur signalant que la décision de l’interdiction de territoire avait été maintenue. En plus de cette lettre, la directrice a fait parvenir aux demandeurs les notes du Système de soutien des opérations des bureaux locaux (SSOBL) tirées du dossier d’immigration des demandeurs, le courriel du Dr Quevillion, le courriel de la Dre Hindle et deux articles sur le traitement des maladies rénales en Algérie. Encore une fois, la lettre signalait aux demandeurs qu’ils avaient la possibilité de soumettre des observations ou de fournir de la preuve documentaire. 

 

[18]           Dans sa réponse du 6 juillet 2009, l’avocat des demandeurs a soulevé bon nombre des mêmes arguments qui sont soulevés dans la présente demande, mais les demandeurs n’ont présenté aucune nouvelle preuve documentaire.

 

III        LA DÉCISION CONTESTÉE

[19]           Le 7 juillet 2009, la directrice a rendu sa décision et a conclu ce qui suit :

[traduction]

[…]

 

Le 17 juin 2009, j’ai écrit au médecin agréé responsable de la région du Maghreb pour lui demander si le traitement nécessaire après une greffe du rein est disponible en Algérie et si ce traitement est offert par le secteur public ou privé. Selon le médecin agréé, la Dre Valerie Hindle, « les secteurs public et privé offrent le traitement, mais le secteur privé assure habituellement un bien meilleur accès aux services ».

 

D’après les articles communiqués à l’avocat, des greffes du rein sont pratiquées en Algérie et on comptait une quarantaine de greffes réalisées avant 1994. Je signale également que, selon un des articles, « les résultats des greffes de rein pour ce qui est de la survie des patients et des reins greffés sont conformes aux normes internationales ».

 

J’en conclus qu’on peut recevoir des soins adéquats après une greffe du rein en Algérie.

 

[…]

 

Je note également que la situation actuelle sur le plan de la sécurité en Algérie s’est, de manière générale, grandement améliorée depuis 1999. Pendant les années 1990, il y avait une quasi‑guerre civile entre le gouvernement et les groupes « terroristes ». Maintenant, le conflit est presque terminé […]

 

Je ne suis pas convaincue que, s’ils étaient contraints de retourner en Algérie, M. et Mme Bichari seraient exposés à des difficultés particulières à cause d’un manque de services médicaux ou d’une violence aléatoire généralisée.

 

[…]

 

M. et Mme Bichari ont vécu en Algérie pendant plus de 60 ans; ils maîtrisent la langue et connaissent bien la culture; ils y ont encore huit enfants, au moins un frère ou une sœur, et probablement de nombreux petits‑enfants. Je ne peux conclure qu’ils éprouveraient des difficultés s’ils étaient retournés en Algérie.

 

Inversement, ils viennent de passer une dizaine d’années au Canada et n’ont pas démontré qu’ils sont parvenus à apporter une contribution économique significative au Canada ou même de s’établir dans la communauté. Je note également que Mme Bichari, même si elle n’a jamais reçu la résidence permanente, a eu la chance de recevoir une greffe du rein pendant son séjour au Canada ainsi que des soins après la greffe.

 

Je ne suis pas convaincue qu’il y a suffisamment de circonstances d’ordre humanitaire pour lever l’interdiction de territoire de Mme Bichari pour des raisons médicales. J’ai également examiné la possibilité de lui accorder un permis de séjour temporaire et, dans le même ordre d’idée, je conclus qu’il n’y a pas suffisamment de circonstances d’ordre humanitaire pour lui accorder un tel permis, pour les mêmes motifs.

 

 

[20]           Cette dernière décision est celle que les demandeurs demandent à la Cour d’annuler.

 

IV        MOYENS DE CONTESTATION

[21]           Bien que les observations écrites des demandeurs soulevaient un certain nombre de moyens de contestation, à l’audience l’avocat des demandeurs a mis l’accent sur le caractère prétendument déraisonnable de la conclusion de la directrice selon laquelle il est possible d’avoir accès en Algérie à des soins adéquats après une greffe du rein. Essentiellement, les demandeurs soutiennent que cette conclusion est une conjecture et ne repose pas sur la preuve.

 

[22]           Selon les demandeurs, il incombait à la directrice de fonder sa décision sur des renseignements fiables. À cet égard, ils mettent en doute la fiabilité et la valeur de la réponse fournie par la Dre Hindle. D’après les demandeurs, la question posée était vague et la réponse ainsi obtenue n’était guère mieux. La directrice n’a pas indiqué le type de soins dont Mme Bichari aurait besoin et n’a pas demandé de précisions concernant l’abordabilité ou la disponibilité des soins. De plus, il n’y aucune façon de vérifier si la Dre Hindle possède les connaissances spécialisées requises pour fournir une réponse précise à la question; tout ce que nous savons à son sujet, c’est qu’elle est une attachée médicale qui travaille à Paris et qu’elle est responsable de la région du Maghreb.

 

[23]           En ce qui a trait aux deux articles auxquels a fait renvoi la directrice, les demandeurs soutiennent (i) que l’article datant de 1994 ne reflète pas la situation actuelle en Algérie et (ii) que l’autre ne traite pas de la situation en Algérie en particulier et n’indique pas s’il est facile d’avoir accès à des médicaments immunodépresseurs en Algérie. En fait, selon l’avocat des demandeurs, les deux articles contredisent la conclusion de la directrice selon laquelle on peut recevoir en Algérie des soins adéquats après une greffe du rein. Selon les demandeurs, étant donné que la directrice a omis d’expliquer pourquoi les éléments de preuve contradictoires dans les articles n’étaient pas pertinents, elle a commis une erreur en tirant une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments de preuve à sa disposition (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, paragraphes 16 et 17 (CF) (QL)). D’ailleurs, si le Canada, un des pays les plus prospères au monde, n’est pas disposé à fournir à Mme Bichari le traitement pharmacologique dont elle a besoin en raison du coût élevé encouru par le système de santé, les demandeurs demandent comment on peut s’attendre à ce que l’Algérie, un pays pauvre et déchiré par les conflits, puisse fournir un tel traitement de manière fiable et à un coût abordable?

 

V         ANALYSE

[24]           Avant d’entrer au Canada, les étrangers sont tenus de soumettre une demande de visa, qui leur sera accordé ou non selon qu’ils satisfont ou non aux autres exigences de la Loi (voir le paragraphe 11(1)). Le paragraphe 25(1) de la Loi permet de lever l’exigence de soumettre une demande de visa de l’extérieur du Canada, ainsi que de « lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives [au demandeur] — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient ».  [Non souligné dans l’original.]

 

[25]           En raison de la nature discrétionnaire de ces décisions, il est généralement reconnu que la Cour doit faire preuve de déférence envers l’agent d’immigration qui a rendu la décision. Depuis les arrêts de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), il est clair que la norme de contrôle judiciaire applicable à une décision sur une demande CH est celle de la décision raisonnable. En procédant à ce contrôle judiciaire, la Cour accordera son attention à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. Dans la mesure où la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, la Cour n’interviendra pas dans la décision de l’agent d’immigration (Dunsmuir, précité, paragraphe 47).

 

[26]           Dans le cadre d’une demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire, il incombe toujours aux demandeurs de fournir la documentation sur laquelle la décision sera fondée (Zambrano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 481, paragraphe 39 (Zambrano); Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1327, paragraphe 13 (Melchor); Arumugum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 985, paragraphe 16). La Cour a réitéré à de nombreuses reprises que le processus de décision qui régit les demandes fondées sur des considérations d’ordre humanitaire est hautement discrétionnaire (Quiroa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 495, paragraphe 19; Kawtharani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 162, paragraphe 15; Jasim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1017, paragraphe 11 (Jasim)). De plus, la décision d’un agent de ne pas accorder de dispense en vertu de l’article 25(1) de la Loi ne prive le demandeur d’aucun droit, car ce dernier peut toujours présenter une demande d’établissement de l’extérieur du Canada, conformément à l’exigence habituelle prévue dans la législation canadienne en matière d’immigration (Jasim, précitée, paragraphe 11).

[27]           En gardant à l’esprit ces principes généraux, je vais d’abord examiner la question accessoire soulevée par les demandeurs concernant la fiabilité des articles signalés dans la décision contestée et le poids qu’il faudrait leur accorder. À la lecture de ces articles, il est clair qu’ils ont rapport tous les deux à la question des soins disponibles en Algérie après une greffe du rein, dans la mesure où ils donnent un aperçu des forces et des lacunes du système de soins de santé en Afrique du Nord relativement aux patients souffrant de maladies du rein. Bien que l’article de 1994 (Hottman Salah, « An Overview of Renal Replacement Therapy in Algeria » (1994) 5:2 Saudi Journal of Kidney Diseases and Transplantation 190) remonte à quelques années, il n’est pas du ressort de la Cour de dicter à la directrice comment elle doit apprécier cette information. Toutefois, il convient de noter que, dans l’article plus récent (Rashad S. Barsoum, « End‑stage renal disease in North Africa » (2003) 63: S83 Kidney Journal S111), il est affirmé que [traduction] « [l]’activité liée aux transplantations en Afrique du Nord est impressionnante […], [l]es résultats des greffes de rein pour ce qui est de la survie des patients et des reins greffés sont conformes aux normes internationales ». Cela étant dit, la Cour reconnaît volontiers que les deux articles ne portent pas directement sur la disponibilité des traitements pharmaceutiques; toutefois, ils ont trait aux soins de santé après une greffe, ce qui permet d’inférer que ces soins englobent tout traitement pharmaceutique nécessaire. Si les demandeurs souhaitaient mettre en doute les conclusions ou inférences tirées de ces articles, ils ont eu amplement l’occasion de présenter, et auraient dû présenter, leurs propres éléments de preuve. Ils ne l’ont pas fait.

 

[28]           Cela nous amène au reproche formulé contre la directrice pour s’être fiée aux remarques de la Dre Hindle concernant la disponibilité des services de santé. Même si nous ne savons pas si cette dernière est déjà allée en Algérie, le fait qu’elle est l’attachée médicale affectée à la région de l’Afrique du Nord signifie qu’il n’était pas déraisonnable de la part de la directrice de se fier à sa déclaration. En fait, on peut s’attendre à ce qu’elle possède certaines connaissances spécialisées se rapportant aux services de santé offerts par les pays de cette région. Si les demandeurs s’opposaient à cette conclusion, il leur incombait de présenter de la documentation pour prouver le contraire. On fait également valoir qu’à la lumière de la réponse de la Dre Hindle selon laquelle le secteur public offrait un traitement, nous ne pouvons inférer que Mme Bichari serait en mesure de recevoir ses médicaments immunodépresseurs gratuitement en Algérie. Je conviens avec les demandeurs que le fait que le secteur public offre les médicaments requis ne signifie pas nécessairement que ces médicaments sont disponibles gratuitement. Cela étant dit, même si Mme Bichari était tenue de payer un prix subventionné pour ses médicaments, cela n’aurait pas pour effet de rendre la décision de la directrice déraisonnable. La norme pour rendre une décision sur une demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire ne peut être de vérifier si les demandeurs obtiendraient des soins supérieurs ou plus abordables au Canada parce que, si tel était le cas, presque toutes les personnes interdites de territoire pour des raisons médicales auraient le droit de rester au pays.

 

[29]           La présente demande doit être rejetée. Il convient de noter que même si la directrice aurait pu poser de meilleures questions dans son courriel, il ne s’agit pas du critère juridique applicable. Il suffit de noter que, selon la réponse fournie par la Dre Hindle, il est possible d’avoir accès à des services de santé après une greffe du rein en Algérie. Ainsi, faute de preuve du contraire, il était raisonnable de la part de la directrice de rendre la décision qu’elle a rendue. Une décision récente de la Cour confirme qu’un demandeur ne peut se contenter de fonder sa cause sur le fait que le décideur s’est fié à des éléments de preuve conjecturaux, alors que le demandeur ne s’est tout simplement pas acquitté de son fardeau de démontrer qu’il n’est pas possible d’obtenir des soins de santé appropriés dans son pays. Dans la décision Gomes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 98, paragraphes 10 à 12, mon collègue, le juge Phelan, a écrit ce qui suit :

[…]

 

[10]      Cette décision porte principalement sur la charge de la preuve qui incombe à un demandeur. Le motif à l’origine de la décision défavorable est l’omission du demandeur de s’acquitter de la charge de la preuve à l’égard des éléments essentiels de la demande.

 

[11]      Le demandeur a allégué qu’un bon nombre des conclusions de l’agent reposaient sur des conjectures, notamment la capacité du Portugal d’offrir des soins médicaux et la présence d’un ou plusieurs membres de la famille au Portugal susceptibles de lui apporter un soutien financier et affectif. Le demandeur a aussi remis en question la conclusion de l’agent selon laquelle sa mère pourrait avoir besoin d’aide pour continuer de lui prodiguer des soins dans l’avenir.

 

[12]      Les éléments conjecturaux de la décision découlent de l’omission du demandeur de produire une preuve contraire, comme il était tenu de faire. Lorsqu’il a conclu que le Portugal serait en mesure de fournir des soins médicaux, l’agent a sans aucun doute pris connaissance d’office du fait que le Portugal est membre de l’UE et qu’il est donc doté d’un système médical raisonnable. Le demandeur admet ne pas avoir fourni de preuve pour démontrer que les soins médicaux qui lui sont nécessaires n’étaient pas offerts au Portugal. Même s’il aurait pu être préférable que l’agent déclare tout simplement que le demandeur n’avait pas réussi à s’acquitter de la charge de la preuve à l’égard de cette question, la conclusion selon laquelle le Portugal, selon la prépondérance de la preuve, était en mesure de fournir des soins médicaux n’était pas déraisonnable.

 

[…]

 

 

[30]           Les demandeurs avaient le fardeau de démontrer qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’ils étaient renvoyés en Algérie. Ils ont soutenu qu’ils sont âgés, qu’ils habitent au Canada depuis dix ans et qu’ils ne se sentent plus en sécurité en Algérie. Afin de rendre une décision sur la demande fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire, la directrice a dû apprécier un certain nombre de facteurs. Les demandeurs ont également souligné dans leurs observations écrites que, avant que la directrice ne conclue que Mme Bichari était interdite de territoire pour des raisons médicales, les autorités de l’immigration avaient jugé que des considérations d’ordre humanitaire justifiaient l’octroi de la résidence permanente aux Bichari. Cet argument n’a pas été soulevé à l’audience, mais je signalerai quand même qu’il n’y avait pas lieu d’accorder une telle importance à l’approbation de principe de leur demande. Cette approbation était conditionnelle à ce que les demandeurs répondent aux autres exigences de la Loi, notamment l’exigence que les demandeurs soient admissibles sur le plan médical. Une fois qu’elle a conclu que Mme Bichari était interdite de territoire pour des raisons médicales, la directrice devait apprécier à nouveau les circonstances d’ordre humanitaire à la lumière des exigences de la Loi.

 

[31]           Ayant lu la décision contestée dans son intégralité, la Cour conclut qu’elle s’appuie sur la preuve et des facteurs pertinents. En l’espèce, les autorités de l’immigration ont avisé les demandeurs à deux reprises que Mme Bichari était interdite de territoire pour des raisons médicales. La lettre du 19 juin 2009 était accompagnée des éléments de preuve que la directrice examinait. Bien que l’avocat des demandeurs ait présenté des observations faisant valoir que ces éléments de preuve étaient inadéquats, ni lui ni les demandeurs n’ont jamais présenté de preuve documentaire pour réfuter la conclusion de la directrice selon laquelle il est possible d’avoir accès à des soins adéquats. Les seuls éléments de preuve produits par les demandeurs étaient les lettres de médecins attestant de la bonne santé de Mme Bichari. En l’espèce, la directrice n’a pas tiré une conclusion de fait déraisonnable en concluant que Mme Bichari aurait accès à des services médicaux appropriés en Algérie. Compte tenu de la preuve à la disposition de la directrice, même s’il ne s’agit pas de la seule décision qu’elle aurait pu rendre, il lui était néanmoins loisible de conclure que les demandeurs ne seraient pas exposés à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’ils n’obtenaient pas une dispense de l’application de l’article 38 de la Loi.

 

VI        CONCLUSION

[32]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. L’avocat des demandeurs convient que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑3589‑09

 

INTITULÉ :                                                   MOHAMMED BICHARI ET KHEDOUJA BICHARI

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 28 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 février 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Mitchell Goldberg

POUR LES DEMANDEURS

 

Me Michel Pépin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Mitchell Goldberg

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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