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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 


 

Date : 20100201

Dossier : T-463-08

Référence : 2010 CF 110

Ottawa (Ontario), le 1er février 2010

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

YURI BOIKO

demandeur

et

 

CONSEIL NATIONAL DE RECHERCHES CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), datée du 26 février 2008, selon laquelle la plainte du demandeur n’est pas de la compétence de la Commission aux termes de l’alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la Loi) et qu’elle est prescrite parce que l’alinéa 41(1)e) de la Loi prévoit un délai de prescription d’un an.

 

FAITS

Contexte

Emploi

[2]               Le demandeur était un scientifique qui travaillait pour le défendeur, le Conseil national de recherches Canada (le CNRC).

 

[3]               Le 16 novembre 2001, le demandeur a accepté une offre d’emploi du CNRC assujettie à une période d’essai en tant que chercheur associé dans la Section de l’optique et des normes de rayonnement, groupe de l’optique. Le contrat d’emploi était pour une période de trois ans, se terminant le 24 novembre 2004. Le Dr Chander Grover, son superviseur, a procédé à quatre examens de rendement pendant la période d’emploi du demandeur.

 

[4]               Selon le premier examen, le rendement du demandeur au cours des quatre premiers mois était « satisfaisant ». Selon les trois autres examens, le rendement du demandeur était « insatisfaisant ». Le 19 juillet 2004, soit trois mois avant la fin de la période d’essai, le demandeur a été congédié en raison de son rendement « insatisfaisant ».   

 

La plainte datée du 31 juillet 2006

[5]               Le demandeur prétend que le Dr Grover l’a harcelé en raison de son origine ethnique slave, de sa nationalité russe et de son état matrimonial en tant que célibataire. Le 31 juillet 2006, le demandeur a déposé une plainte devant la Commission selon laquelle le CNRC, en omettant d’enquêter sur ses griefs contre le Dr Grover, a exercé des mesures de représailles contre lui pour avoir déposé des plaintes relatives aux droits de la personne et des griefs contre le Dr Grover et le CNRC.

 

L’ensemble des plaintes et griefs du demandeur dans le cadre de son travail au CNRC  

[6]               Entre le 30 septembre 2003 et le 3 août 2004, le demandeur a déposé 12 griefs relatifs au milieu de travail contre le CNRC. Il a aussi déposé trois plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne, deux contre le CNRC et une contre son superviseur, le Dr Chander Grover.

 

Quatre demandes de contrôle judiciaire déposées par M. Boiko devant la Cour fédérale, dont trois à l’encontre des décisions de la Commission et une à l’encontre de la décision du CNRC

 

[7]               Le demandeur a aussi déposé quatre demandes de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. L’une d’elles a été tranchée récemment, le 18 décembre 2009, par la juge Danièle Tremblay-Lamer dans Boiko c. Grover, 2009 CF 1291. La juge a alors rejeté la demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission, par laquelle une plainte de harcèlement déposée par le demandeur contre son superviseur, le Dr Grover, a été rejetée.

 

[8]               Le demandeur a aussi intenté une action devant la Cour fédérale contre le CNRC, laquelle a été radiée le 14 janvier 2008.

 

 

 

Première demande T-136-08 (tranchée par la Cour fédérale le 18 décembre 2009)

[9]               Cette demande de contrôle d’une décision de la Commission concernant une plainte a été déposée le 22 octobre 2004 contre le superviseur du demandeur, le Dr Grover. La Commission avait refusé de renvoyer au Tribunal canadien des droits de la personne une plainte pour harcèlement contre le Dr Grover fondée sur l’origine nationale ou ethnique et l’état matrimonial. La juge Danièle Tremblay-Lamer a entendu la demande le 7 décembre 2009 dans Boiko, précité, et a ensuite rendu son jugement le 18 décembre 2009. Dans cette affaire, la Commission n’a pas voulu enquêter sur les allégations de harcèlement fondées sur l’état matrimonial, mais a enquêté sur celles qui étaient fondées sur la race ou l’origine ethnique. La juge Tremblay-Lamer a conclu au paragraphe 23 qu’il n’était pas nécessaire d’enquêter sur les allégations de harcèlement fondées sur l’état matrimonial :

23        Je souscris à la position du défendeur sur la nécessité d’une enquête. Il aurait été inutile d’enquêter sur les allégations du demandeur sur ce point parce que la Commission ne doutait pas que les faits décrits se fussent produits. La Commission a conclu que les paroles et les actes du défendeur n’avaient rien à voir avec l’état matrimonial du demandeur et qu’ils ne constituaient pas du harcèlement. À mon avis, cette conclusion n’est pas déraisonnable

 

La juge Tremblay-Lamer a conclu que les arguments du demandeur n’étaient « pas convaincants », que la « preuve à l’appui était insuffisante » et que « la logique de ces arguments était défaillante » : Boiko, précité, par. 32. Elle a conclu au paragraphe 37 que le demandeur ne pouvait produire suffisamment d’éléments de preuve pour prouver son allégation de discrimination ou de harcèlement :  

 

37        Cependant, le demandeur n’a malheureusement pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Commission qu’il a peut-être été victime de discrimination ou de harcèlement, de sorte que le renvoi de la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne était justifié. En outre, il n’a pas réussi à persuader la Cour que la décision de la Commission était déraisonnable

 

 

 

Deuxième demande T-137-08

 

[10]           Cette demande vise le contrôle de la décision de la Commission par laquelle la plainte déposée le 13 août 2004 contre le défendeur, le CNRC, a été rejetée pour les mêmes raisons qu’a été rejetée la plainte contre le Dr Grover. La Cour a rejeté la demande pour des raisons de procédure.     

 

Troisième demande T-463-08 (la présente demande)

[11]           Cette demande vise le contrôle d’une deuxième plainte, déposée le 31 juillet 2006, contre le CNRC qui, selon la Commission, outrepassait ses compétences et était prescrite en vertu des alinéas 41(1)c) et 41(1)e) de la Loi. Il s’agit de la présente demande.

 

Quatrième demande T-735-08

[12]           Cette demande, déposée le 8 mai 2008, vise le contrôle d’une décision du CNRC de mettre fin à l’emploi du Dr Boiko. Une date d’audience a été demandée, mais elle n’a pas encore été fixée par la Cour.  

 

 

La plainte en matière de droits de la personne déposée par le Dr Boiko contre le CNRC et visée par la présente demande

 

[13]           Le 31 juillet 2006, le Dr Boiko a déposé une plainte dont le début se lit comme suit :  

[traduction] Cette plainte porte sur le rejet de mon appel devant  l’administration du Conseil national de recherches Canada (CNRC) en juin 2005 et l’omission de reprendre l’enquête interne en novembre 2005 – juin 2006, lesquels sont des actes commis à titre de représailles.

 

[14]           L’exposé de la plainte contient trois pages, à simple interligne sur des feuilles de 14 pouces. Il est difficile à comprendre. Toutefois, le rapport de la Commission daté du 28 novembre 2007 (le rapport), lequel constitue les motifs de la décision en l’espèce, résume de façon précise et généreuse les faits qui sont à la base de la plainte. Le paragraphe 20 du rapport est ainsi rédigé :  

[traduction]

20        Dans la présente plainte, le plaignant prétend que les actes de représailles suivants ont été perpétrés :

1.                  3 novembre 2005 – le défendeur a décidé de ne pas donner suite à l’un des griefs;

 

2.                  25 juin 2005 – le défendeur a refusé la demande du plaignant de procéder à une enquête interne;

 

3.                  juillet 2004 – un enquêteur externe embauché par le défendeur a « intimidé » le plaignant lors d’une séance de « médiation ».

 

[15]           À la troisième page de l’exposé de la plainte, le demandeur précise ce qui suit au dernier paragraphe :

[traduction] Ces représailles sont en partie dues aux plaintes que j’ai déposées devant la Commission et au moins en partie, à mon origine nationale.

(Non souligné dans le texte original.)

 

[16]           Le demandeur a demandé la réparation suivante :

[traduction]

1.                  des lettres d’excuse des personnes qui ont exercé des représailles;

 

2.                   le renvoi de l’enquêteur, Phil Chodos;

 

3.                  la nomination d’un nouvel enquêteur;

 

4.                  terminer l’enquête en temps opportun;

 

5.                  sa réintégration temporaire jusqu’à la fin de l’enquête.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

[17]           La Commission a énoncé les motifs suivants en vertu des alinéas 41(1)c) et 41(1)e) de la Loi pour ne pas statuer sur la plainte du demandeur :   

[traduction]

1.                  la plainte est fondée sur des actes qui se sont produits plus d’un an avant le dépôt de la plainte;

 

2.                  les allégations portées dans la plainte outrepassent la compétence de la Commission.

 

Voir la lettre de la Commission datée du 26 février 2008 et le rapport daté du 28 novembre 2007.

 

[18]           La Commission a défini les représailles aux paragraphes 15 à 19 du rapport. Voici le résumé de son analyse :

[traduction]

                                      i.                              les représailles sont une forme de discrimination illicite en vertu de l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

 

                                    ii.                              une mesure prise par le CNRC qui a des conséquences négatives ou préjudiciables pour le Dr Boiko peut être considérée comme une forme de représailles et cela pourrait inclure de l’intimidation ou de la discrimination envers le Dr Boiko pour avoir déposé une plainte relative aux droits de la personne;

 

                                  iii.                              le Dr Boiko doit avoir des motifs raisonnables de croire que le CNRC a pris des mesures de représailles et bien que la norme de preuve des « motifs raisonnables » soit peu rigoureuse, elle doit être plus qu’une simple hypothèse ou qu’une simple affirmation. Les allégations qui de toute évidence ne sont fondées sur aucun motif raisonnable ne seront pas examinées par la Commission.

 

[19]           La Commission a relevé trois actes de représailles allégués par le demandeur et les a exposés au paragraphe 20 du rapport (que je reproduis par souci de commodité) :

[traduction]

20        Dans la présente plainte, le plaignant prétend que les actes de représailles suivants ont été perpétrés :

 

                                                              i.      3 novembre 2005 – le défendeur a décidé de ne pas donner suite à l’un des griefs;

 

                                                            ii.      25 juin 2005 – le défendeur a refusé la demande du plaignant de procéder à une enquête interne;

 

 

                                                          iii.      juillet 2004 – un enquêteur externe embauché par le défendeur a « intimidé » le plaignant lors d’une séance de « médiation ».

 

 

[20]           En ce qui concerne le premier acte de représailles, la Commission a conclu que la décision du CNRC datée du 3 novembre 2005 de ne pas donner suite au grief contre le Dr Grover ne constituait pas des représailles pour les motifs suivants énoncés par la Commission au paragraphe 22 du rapport :  

[traduction]

22        Le plaignant n’a pas de motifs raisonnables de prétendre que la décision du défendeur datée du 3 novembre 2005 de ne pas donner suite à son grief constituait des représailles, pour les motifs suivants :

 

i.          Le plaignant a déposé 12 griefs (voir le tableau joint à titre d’annexe « A » aux observations du défendeur);

 

ii.         Le défendeur a pris des décisions distinctes quant à la façon de procéder par rapport à chacun des griefs;

 

iii.        Pour ce qui est du grief en question, le défendeur a décidé de ne pas y donner suite parce que la Commission traite de l’objet du grief dans le cadre d’une autre plainte déposée par le plaignant;

 

iv.        Rien n’indique que le plaignant ne pourra pas reprendre le grief à la fin du processus de la Commission.

 

[21]           La preuve dont disposait la Cour démontrait que le CNRC avait envoyé une lettre au Dr Grover le 2 novembre 2005 pour l’informer qu’à son retour au travail prévu pour le 1er novembre 2005, l’enquête sur la plainte du Dr Boiko contre lui allait reprendre et que l’enquêteur allait communiquer « directement avec [lui] ». L’autre élément de preuve démontrait que le Dr Grover n’est retourné au travail que pour 30 jours non consécutifs sur une période de trois mois. Le Dr Grover était en congé de maladie et le CNRC ne pouvait enquêter sur les plaintes contre lui pendant qu’il était en congé et absent du travail. Par conséquent, selon la preuve, le CNRC n’a pas omis de reprendre l’enquête le 3 novembre 2005, soit la date à laquelle le Dr Grover est retourné au travail, par représailles contre le demandeur, mais plutôt parce que le Dr Grover n’était jamais là et qu’il était impossible pour l’enquêteur de le rencontrer. Le retour au travail du Dr Grover le 3 novembre 2005 et l’omission du CNRC de reprendre l’enquête sur la plainte déposée par le Dr Boiko contre le Dr Grover ne constituent donc pas une preuve permettant d’étayer une plainte raisonnable pour représailles.

 

[22]           Le deuxième acte de représailles allégué, indiqué au paragraphe 20 du rapport, est intitulé [traduction] « Le 25 juin 2005 – le défendeur a refusé la demande du plaignant visant à poursuivre l’enquête interne ». Cette allégation découle d’une lettre datée du 28 juin que le CNRC a envoyée au Dr Boiko pour l’informer que sa plainte contre le Dr Grover était toujours en cours et que l’enquêteur allait terminer l’enquête après le retour au travail du Dr Grover. Par conséquent, cet acte de représailles allégué est le même que celui décrit précédemment et, encore là, la preuve ne montre aucun motif raisonnable de conclure qu’il s’agit d’un acte de représailles. Le CNRC voulait reprendre l’enquête, mais le Dr Grover n’est retourné au travail que de manière sporadique, et ce, pendant une courte période. En se fondant sur la preuve, c’était la raison pour laquelle l’enquête interne n’a pas eu lieu. Toutefois, la Commission a rejeté cet aspect de la plainte parce que le formulaire de plainte avait été déposé plus d’un an après le « refus » de mener une enquête interne du 28 juin 2005. En fait, la Cour n’aura pas besoin de décider si la Commission a directement conclu que cet aspect de la plainte était prescrit compte tenu de la période de prescription d’un an et du fait que la plainte est datée du 31 juillet 2006 parce que les faits sous-jacents indiquent qu’il n’y avait aucun fondement raisonnable permettant de conclure, à la lecture de la lettre du 28 juin 2005, que le CNRC avait refusé de mener une enquête interne. Au contraire, la lettre indiquait que l’enquête interne allait reprendre dès le retour au travail du Dr Grover.

 

[23]           Le troisième acte de représailles qui est allégué dans la plainte est intitulé [traduction] « Juillet 2004 – Un enquêteur externe embauché par le défendeur a “intimidé” le plaignant lors d’une séance de “médiation” ». Cet incident se serait produit avant que le Dr Boiko ne dépose les plaintes relatives aux droits de la personne. La Commission a conclu que cet incident est survenu bien après la période de prescription d’un an. La plainte a été déposée le 31 juillet 2006, soit deux ans après l’incident d’intimidation allégué, sans aucune explication à propos de ce délai de la part du Dr Boiko.  

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[24]           L’article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne interdit à la personne visée par une plainte en matière de droits de la personne d’exercer des représailles contre le plaignant :

14.1 Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer

d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

14.1 It is a discriminatory practice for a person against whom a complaint has been filed under Part III, or any person acting on their behalf, to retaliate or threaten retaliation against the individual who filed the complaint or the alleged victim.

 

[25]           Aux termes de l’article 40 de la Loi, le plaignant doit avoir des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire : 

40. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d’individus ayant des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière.

40. (1) Subject to subsections (5) and (7), any individual or group of individuals having reasonable grounds for believing that a person is engaging or has engaged in a discriminatory practice may file with the Commission a complaint in a form acceptable to the Commission.

 

[26]           Aux termes de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, la Commission peut refuser de statuer sur une plainte en matière de droits de la personne pour certains motifs :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission

statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable

pour un des motifs suivants :

c) la plainte n’est pas de sa compétence;

 

e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to

the Commission that

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission;

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than

one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

 

[27]           Aux termes du paragraphe 42(1) de la Loi, la Commission doit motiver par écrit sa décision de ne pas statuer sur une plainte en matière de droits de la personne :

42. (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Commission motive par écrit sa décision auprès du plaignant dans les cas où elle décide que la plainte est irrecevable.

42. (1) Subject to subsection (2), when the Commission decides not to deal with a complaint, it shall send a written notice of its decision

to the complainant setting out the reason for its decision.

 

 

QUESTION EN LITIGE

[28]           La principale question dont est saisie la Cour est celle de savoir si la Commission a raisonnablement rendu sa décision sur ce qui suit :

           i.      Le CNRC a-t-il exercé des représailles contre le Dr Boiko quand, le 3 novembre 2005, il a décidé de ne pas donner suite à l’un de ses griefs?

 

         ii.      Le CNRC a-t-il exercé des représailles contre le Dr Boiko quand, le 25 juin 2005, il a refusé sa demande visant à procéder à une enquête interne?

 

       iii.      Le CNRC a-t-il exercé des représailles contre le Dr Boiko quand, en juillet 2004, un enquêteur interne embauché par le CNRC a « intimidé » le plaignant lors d’une séance de « médiation »?

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[29]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, 372 N.R. 1, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 62 que la première étape du processus de contrôle judiciaire consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier » : voir aussi Khosa c. Canada (MCI), 2009 CSC 12, le juge Binnie, par. 53.

 

[30]           La norme de contrôle d’une décision rendue en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de la personne où la Commission conclut que la plainte sous-jacente n’est pas fondée est celle de la décision raisonnable : Hartjes c. Canada (Procureur général), 2008 CF 830, la juge Snider, par. 21.

 

[31]           Examinant la décision de la Commission selon la norme de la décision raisonnable, la Cour tiendra compte de « la justification de la décision, [de] la transparence et [de] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que de] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, par. 47; Khosa, précité, par. 59.

 

ANALYSE

[32]           Au départ, la Cour dispose des motifs du jugement et du jugement de la juge Danièle Tremblay-Lamer datés du 18 décembre 2009 dans Boiko, précité. Cette affaire a été entendue le 7 décembre 2009. La juge Tremblay-Lamer a conclu ce qui suit :

1.                  Le Dr Boiko, à la suite de son congédiement, a déposé une plainte contre le CNRC devant la Commission. (Ni la juge Tremblay-Lamer ni moi-même n’avons été saisis de cette plainte.)

2.                  Le 22 août 2004, le Dr Boiko a déposé une plainte contre son superviseur, le Dr Grover, se disant victime de harcèlement. La Commission a rejeté la plainte et a conclu au paragraphe 13 que la preuve ne [traduction] « suffisait pas » à démontrer une discrimination fondée sur la race. Comme je l’ai déjà dit, la juge Tremblay‑Lamer a conclu au paragraphe 32 que les arguments du demandeur n’étaient « pas convaincants, [que] la preuve à l’appui de ces arguments [était] insuffisante et [que] la logique de ces arguments [était] défaillante ». Elle a tiré la conclusion suivante  au paragraphe 37 :

37        … le demandeur n’a [..] pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Commission qu’il a peut-être été victime de discrimination ou de harcèlement, de sorte que le renvoi de la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne était justifié. En outre, il n’a pas réussi à persuader la Cour que la décision de la Commission était déraisonnable.

 

[33]           Les questions qui sont soumises à la Cour dans la présente demande découlent d’une autre plainte déposée par le Dr Boiko selon laquelle le CNRC a exercé des représailles contre lui pour avoir déposé une plainte contre le CNRC. Le Dr Boiko a déposé une plainte contre le CNRC le 13 août 2004 et la plainte contre le Dr Grover le 22 octobre 2004. Selon les plaintes, le CNRC, par l’entremise du Dr Grover, aurait exercé une discrimination contre le Dr Boiko.  

 

[34]           Le juge Rothstein (maintenant juge à la Cour suprême du Canada) a énoncé le critère à appliquer pour justifier le refus de statuer sur une plainte en matière de droits de la personne dans Société canadienne des postes c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 F.T.R. 241, au paragraphe 3 :  

3     La décision que la Commission rend en vertu de l’article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l’ouverture d’une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l’objet d’une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l’enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte. S’il est évident à ses yeux que la plainte relève d’un des motifs d’irrecevabilité énumérés à l’article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.  

 

[Italiques ajoutés.]

 

[35]           Aux termes de l’article 41 de la Loi, il existe deux façons d’établir le bien-fondé d’une plainte pour représailles. La première concerne les cas où la preuve indique que le défendeur entendait user de représailles et la deuxième concerne les cas où le demandeur considère raisonnablement que les mesures prises constituent des représailles pour avoir déposé une plainte relative aux droits de la personne : Wong c. Banque Royale du Canada, [2001] T.C.D.P. n° 11, par. 219. Pour les motifs qui suivent, la Cour arrive à la conclusion qu’il est évident que la Commission a raisonnablement conclu que les faits n’étayaient pas une plainte pour représailles.

 

Question n° 1 :           Le CNRC a-t-il exercé des représailles contre le Dr Boiko quand, le 3 novembre 2005, il a décidé de ne pas donner suite à l’un de ses griefs?

 

 

[36]           La preuve démontre que le CNRC n’a pas pris cette décision. Il voulait reprendre l’enquête sur le grief au moment où le Dr Grover retournerait au travail après son congé de maladie. En fait, le Dr Grover est retourné au travail, mais de manière tellement sporadique qu’il était impossible de poursuivre l’enquête. Les allégations de représailles du demandeur se fondent purement et simplement sur une hypothèse qui ne peut être à l’origine d’une plainte relative aux droits de la personne : Singaravelu c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1103, le juge Harrington, par. 23. Il paraît évident à la Cour que la Commission a raisonnablement conclu que les faits n’étayaient pas une plainte pour représailles. Il n’existe aucun fondement factuel à l’appui de cette allégation ni aucun fondement raisonnable à l’appui d’une plainte pour représailles qui satisferait au critère peu rigoureux servant à justifier la plainte. Par conséquent, la Commission pouvait raisonnablement conclure que la plainte n’était pas de sa compétence parce qu’elle ne satisfaisait pas au critère peu rigoureux qui consiste à établir l’existence d’un motif raisonnable de représailles.

 

Question n° 2 :           Le CNRC a-t-il exercé des représailles contre le Dr Boiko quand, le 25 juin 2005, il a refusé sa demande visant à procéder à une enquête interne?

 

 

[37]           Selon le Dr Boiko, le 25 juin 2005, le CNRC a refusé de mener une enquête interne sur la conduite du Dr Grover à l’égard du Dr Boiko. En fait, il est indiqué dans la lettre datée du 25 juin 2005 (qui est en fait datée du 28 juin 2005) que l’enquête interne reprendra quand le Dr Grover retournera au travail. Les allégations du demandeur s’appuient entièrement sur des conjectures selon lesquelles le CNRC a fait preuve de mauvaise foi. Encore là, à la lumière de ces faits, il était évident qu’aucun fondement raisonnable n’avait permis à la Commission de conclure que la norme peu élevée applicable dans le cadre d’une plainte pour représailles avait été satisfaite. La Commission pouvait raisonnablement arriver à cette décision.

 

 

Question n° 3 :           Le CNRC a-t-il exercé des représailles contre le Dr Boiko quand, en juillet 2004, un enquêteur interne embauché par le CNRC a « intimidé » le plaignant lors d’une séance de « médiation »?

 

 

[38]           Selon le Dr Boiko, en juillet 2004, un enquêteur interne embauché par le CNRC l’a « intimidé » lors d’une séance de « médiation ». Au départ, la Commission a décidé que cette plainte avait été déposée après l’expiration du délai de prescription d’un an. Elle a été déposée le 31 juillet 2006, soit deux ans après cet incident allégué. De plus, compte tenu des faits, cet incident ne pouvait être vu comme des représailles du CNRC contre le Dr Boiko au motif qu’il avait déposé la plainte contre le CNRC parce que le Dr Boiko n’a déposé cette plainte que le 13 août 2004, soit un mois après l’incident d’intimidation. Encore une fois, il paraît évident à la Cour que la Commission a raisonnablement conclu que les faits n’étayaient pas une plainte pour représailles.     

 

CONCLUSION

[39]           La Cour n’est pas indifférente à la situation du Dr Boiko. Ce dernier est probablement un génie scientifique, mais en tant que partie se représentant elle-même, il a présenté à la Cour un dossier qui était difficile à comprendre et parfois incomplet. En fait, le Dr Boiko a continuellement qualifié le dossier de requête du Conseil national de recherches de source de renseignements pertinents pour son affaire. De plus, la Cour a conclu que le Dr Boiko n’avait pas de motifs raisonnables de prétendre que le CNRC avait exercé des mesures de représailles et, par conséquent, de discrimination envers le Dr Boiko parce qu’il avait déposé une plainte contre le Conseil national de recherches. Il était évident que les faits ne pouvaient étayer la plainte pour représailles, sur laquelle la Commission a choisi de ne pas statuer. La demande de contrôle judiciaire de cette décision présentée par le Dr Boiko doit donc être rejetée. 

 

DÉPENS

[40]           Le Conseil national de recherches Canada a demandé les dépens conformément au tarif, y compris les dépens adjugés au CNRC sur la base de la requête du demandeur visant à obtenir des réponses lors du contre-interrogatoire. Cette ordonnance du protonotaire était datée du 23 octobre 2008. Le CNRC a présenté un mémoire de dépens détaillé adéquat sous réserve de quelques rajustements puisque l’audience a duré 3 heures et demie au lieu des sept heures prévues. Le demandeur a affirmé être sans emploi; il est retourné aux études et son revenu provient d’un prêt étudiant. Il n’est donc pas en mesure de payer des dépens. Dans la demande dont a été saisie la juge Tremblay-Lamer, le Dr Boiko a été condamné à des dépens de 3 000 $ payables sans délai.

 

[41]           Le Dr Boiko a aussi dit avoir demandé que les demandes présentées à la Cour soient regroupées afin de ne pas avoir à payer plus d’un mémoire de dépens. La Cour ne fera aucun commentaire sur les motifs de sa décision par laquelle elle a refusé de regrouper les demandes. Toutefois, le Conseil national de recherches n’appuyait clairement pas la fusion des demandes. Cela signifie qu’il fera l’objet de multiples instances et qu’il devra assumer des frais plus élevés pour se défendre contre le Dr Boiko.

 

[42]           Les frais et débours totaux présentés par le CNRC s’élèvent à 7 208,41 $. L’avocat du défendeur a rapidement fait remarquer que ce montant incluait trois heures et demie additionnelles pour l’audience, ce qui représente 1 137,50 $. Par conséquent, les frais et débours totaux présentés par le CNRC passent à 6 070,91 $. Compte tenu du fait que le Dr Boiko est sans emploi et qu’il a demandé que les demandes présentées à la Cour soient regroupées afin de ne pas avoir à payer plusieurs mémoires de dépens, je vais fixer les dépens, comme l’a fait la juge Tremblay-Lamer dans la demande dont elle a été saisie le mois dernier, à 3 000 $ que le Dr Boiko devra payer sans délai au Conseil national de recherches.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens de 3 000 $ payables sans délai.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-463-08

 

INTITULÉ :                                      YURI BOIKO c. CONSEIL NATIONAL DES RECHERCHES CANADA

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Monsieur le juge Kelen

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 1er février 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Yuri Boiko

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Laura Stewart

Stephanie Pearce

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

POUR LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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