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Date : 20100127

Dossier : IMM‑2251‑09

Référence : 2010 CF 95

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :                                                             

ERICK GUSTAVO GONZALEZ ORTEGA

 

demandeur

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision rejetant la demande de résidence permanente d’Erick Gustavo Gonzalez Ortega au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada. L’agente a conclu que la répondante de M. Ortega, Elvia Patricia Rodriguez Martinez, n’avait pas déclaré leur union de fait lors de son obtention de la résidence permanente et qu’elle ne pouvait donc pas par la suite parrainer M. Ortega.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande sera accueillie.

 

CONTEXTE

[3]               Quoique certains faits soient contestés, plusieurs ne le sont pas.

 

[4]               Erick Gustavo Gonzalez Ortega et Elvia Patricia Rodriguez Martinez sont tous deux des citoyens du Mexique. Mme Martinez est entrée au Canada en octobre 2004. Sa demande d’asile a été accueillie et, après avoir fait l’objet d’un contrôle, elle a obtenu la résidence permanente le 24 octobre 2006. Dans le cadre de ce processus, elle devait fournir la liste de tous [traduction] « les membres de sa famille » se trouvant au Canada ou à l’étranger. Elle n’a pas nommé M. Ortega dans la liste et n’a pas non plus mentionné son union avec lui lors de son contrôle.

 

[5]               M. Ortega est entré au Canada en août 2004. Sa demande d’asile a été rejetée le 23 janvier 2006 et sa demande subséquente d’évaluation des risques avant renvoi a été rejetée le 29 janvier 2007. M. Ortega ne s’est pas présenté pour son renvoi en mars 2007 et un mandat d’arrestation a été lancé contre lui. Il n’a jamais été renvoyé du Canada; il vit au Canada sans statut.

 

[6]               Mme Martinez et M. Ortega se sont rencontrés le 24 décembre 2004 et ont commencé à se fréquenter en février 2005. Peu après, Mme Martinez est devenue enceinte. En mai 2005, le couple a commencé à cohabiter. Le 28 décembre 2005, leur fille Katherine Astrid Gonzalez Rodriguez est née. Mme Martinez n’a pas identifié M. Ortega comme père de l’enfant dans le certificat de naissance qu’elle a déposé le 16 février 2006. Le certificat a par la suite été modifié de manière à l’inscrire comme le père de l’enfant.

 

[7]               En avril 2007, Mme Martinez a fait une demande visant à parrainer son conjoint au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada. Cette demande a été rejetée en avril 2009 et c’est cette décision dont M. Ortega sollicite le contrôle judiciaire.

 

[8]               Le fondement du rejet de la demande du demandeur se trouve dans la lettre de la décision, datée du 20 avril 2009, laquelle est rédigée comme suit :

[traduction]

Le paragraphe 125(1) du Règlement indique que, sous réserve du paragraphe (2), n’est pas considéré comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de sa relation avec le répondant, dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle. Dans votre cas, vous n’avez pas démontré que vous avez satisfait à cette exigence parce que votre répondante n’a pas déclaré que vous étiez dans une union de fait avec elle au moment où elle est devenue résidente permanente.

 

 

QUESTIONS

[9]               Le demandeur soulève deux questions :

1.       À l’entrevue du demandeur en avril 2009, l’agente a‑t‑elle commis une erreur en consignant les éléments de preuve présentés par le demandeur et sa conjointe sur leur union?

2.       L’agente a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation de l’union du demandeur avec sa conjointe avant leur mariage?

 

ANALYSE

[10]           Selon le Règlement, les membres d’un couple ne sont dans une union de fait que s’ils sont dans une relation conjugale et qu’ils ont vécu ensemble pendant douze mois. Cela ressort du paragraphe 1(1) et de l’alinéa 125(1)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002‑227. Ces dispositions sont rédigées comme suit :

1.(1)  « conjoint de fait » Personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an.

 

 

 

125. (1) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

 

d) sous réserve du paragraphe (2), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

1.(1)  “common‑law partner” means, in relation to a person, an individual who is cohabiting with the person in a conjugal relationship, having so cohabited for a period of at least one year. 

 

125.(1)  A foreign national shall not be considered a member of the spouse or common‑law partner in Canada class by virtue of their relationship to the sponsor if

 

 

(d) subject to subsection (2), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non‑accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

 

[11]           La question de savoir si la relation d’un couple constitue une cohabitation au sens du Règlement, de manière à faire de ses membres des conjoints de fait, est une question mixte de fait et de droit qui appelle par conséquent l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable : Cai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2007 CF 816; Walia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et l’Immigration), 2008 CF 486.

 

[12]           Selon les procédures de traitement élaborées par le défendeur à l’intention des agents qui procèdent au contrôle de la relation d’un couple, les agents doivent examiner les faits de chaque affaire lorsqu’il faut savoir si une union de fait s’est terminée et, le cas échéant, à quel moment. Cela reflète le critère de common law selon lequel une union de fait est considérée comme rompue ou terminée lorsque « l’un des partenaires n’a plus l’intention de poursuivre la relation conjugale ».

 

[13]           À mon avis, la même sorte d’analyse est requise lorsqu’un couple a vécu ensemble dans une relation conjugale, s’est séparé, puis a recommencé à vivre ensemble dans une relation conjugale. Aux termes du Règlement, il ne s’agit d’une union de fait pertinente que si cette relation a duré douze mois. La question que soulève une rupture de la relation est celle de savoir si, lorsque les parties se réconcilient, l’horloge de douze mois repart à zéro ou si elle se remet à compter et continue à partir du moment où elle s’est arrêtée. Pour répondre à cette question, il faut examiner la nature de la rupture et l’intention des parties.

 

[14]           En l’espèce, il n’est pas clair que l’agente a procédé à un tel examen.

 

[15]           La première question soulevée par le demandeur découle du désaccord des parties sur la question de savoir ce que le couple a dit à l’agente à l’entrevue du mois d’avril 2009. Le déroulement de cette entrevue reposait sur le questionnaire que le demandeur avait rempli. L’une des questions est « Habitez‑vous actuellement avec votre répondant ? » et, si la réponse est « oui », comme ce fut le cas en l’espèce, il est alors demandé au demandeur la « période de cohabitation ». Le demandeur a écrit que cette période allait du 10/05/2005 à 04/2007, une période de quelque 23 mois – sans indication d’interruption. Dans le formulaire de la demande, il lui était demandé de donner toutes les adresses où il avait habité au cours des dix années précédentes. Il a déclaré avoir vécu à Exbury Road de mai/juin 2005 à octobre 2006, à New Seabury Drive d’octobre 2006 à mars 2007, à Bradey Crescent de mars 2007 à septembre 2007 et, depuis lors, à Forge Drive. La propriété à Exbury Road était la résidence de sa conjointe et, selon le document, ils y ont emménagé ensemble en mai 2005. La propriété à Forge Drive est une résidence qu’ils ont achetée ensemble et dans laquelle ils vivent actuellement. Le demandeur n’a donné aucune autre adresse où il a vécu malgré le fait qu’il affirme, de même que sa conjointe, qu’ils se sont séparés pendant une période ayant commencé en février 2006.

 

[16]           Les notes de l’agente indiquent qu’elle leur a demandé pourquoi le nom de M. Ortega ne figurait pas sur le certificat de naissance de leur fille. La répondante a répondu que [traduction] « nous avions des problèmes et nous nous sommes séparés lorsqu’elle est née ». L’on pourrait conclure, comme le demandeur l’a fait valoir devant la Cour, que le fait que la répondante a choisi de ne pas identifier le demandeur comme le père de leur enfant constitue une preuve de l’intention de la répondante de ne pas poursuivre ou de reprendre leur relation conjugale.

 

[17]           Selon les notes de l’agente, elle leur aurait demandé à quel moment [traduction] « exactement » ils avaient été séparés, et ils ont répondu que la séparation avait duré deux mois, jusqu’en mars 2006, mois où ils ont déménagé ensemble à New Seabury Drive. Le dossier dont disposait l’agente indique qu’ils ont déménagé à New Seabury Drive en octobre 2006, et non en mars 2006. Cette contradiction revêt une certaine pertinence vu le désaccord des parties sur la question de savoir combien de temps le demandeur et sa conjointe ont été séparés en 2006. Il a été demandé au demandeur où il a vécu pendant leur séparation et il a déclaré qu’il demeurait chez des amis. Comme il a été signalé plus haut, cela n’a pas été consigné dans sa demande.

 

[18]           Le demandeur et sa conjointe ont chacun déposé, à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, des affidavits dans lesquels ils déclarent sous serment avoir dit à l’agente qu’ils avaient été séparés jusqu’en septembre 2006, mois où ils ont déménagé ensemble de nouveau, soit pendant une période de sept et non de deux mois. Le mois de septembre 2006 comme date de leur réconciliation correspond, plus ou moins, aux dates de résidence que le demandeur a indiquées dans sa demande et aux renseignements qu’il a donnés à l’agente en ce qui concerne leurs résidences.

 

[19]           Le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur dans ses notes et qu’il convient de préférer leurs affidavits à ces notes. Il affirme que, si cela est accepté, le temps cumulatif pendant lequel ils ont cohabité durant les deux périodes était de 11 mois à la date de l’entrevue de sa répondante et qu’il ne satisfaisait par conséquent pas à la définition de conjoint de fait prévue dans le Règlement. Cette analyse n’est pertinente que si l’on conclut que la période de cohabitation de douze mois prévue dans le Règlement peut consister en périodes cumulatives et qu’elle ne doit pas consister en périodes consécutives.

 

[20]           Le défendeur fait valoir qu’il convient de donner la préférence aux notes prises à l’époque où les événements ont eu lieu. Il a fait valoir qu’il faut examiner avec scepticisme la preuve par affidavit du fait que les deux souscripteurs d’affidavit ont un intérêt personnel dans le résultat de l’affaire, alors que l’agente n’en a pas. Si les notes de l’agente sont exactes et que le couple s’est vraiment réconcilié en mars 2006, alors il convient de se demander pourquoi l’agente n’a pas demandé d’explication quant à leur déclaration antérieure selon laquelle ils s’étaient installés à New Seabury Drive en octobre 2006, étant donné qu’ils s’y étaient installés au moment de leur réconciliation. À mon avis, les notes de l’agente étayent jusqu’à un certain point la preuve des souscripteurs d’affidavit selon laquelle l’agente a commis une erreur en prenant note de la réponse à cette question.

 

[21]           Vu ma conclusion, il ne sera pas nécessaire que je tranche la question de savoir si leur séparation a duré deux ou sept mois ou si la décision doit être contrôlée en raison du [traduction] « conflit des faits », pour reprendre l’expression de l’avocat.

 

[22]           Comme il a été indiqué plus haut, l’agente a conclu que le demandeur et sa répondante étaient en union de fait en octobre 2006, au moment de l’entrevue de la conjointe du demandeur. L’agente n’a pu parvenir à cette conclusion que si elle estimait qu’ils avaient cohabité pendant une période de douze mois. Pour arriver à cette conclusion, l’agente devait parvenir à l’une des conclusions suivantes :

1.       Le demandeur et sa conjointe ne se sont jamais séparés, contrairement à ce qu’ils alléguaient.

2.       La séparation s’est produite, mais elle n’a pas mis fin à leur relation et la période s’est poursuivie lorsqu’ils se sont réconciliés.

3.       La séparation a mis fin à la relation, mais il n’est pas nécessaire que les douze mois de cohabitation prévue dans le Règlement soient continus et les deux périodes de cohabitation, interrompue par les deux mois, équivalent cumulativement à plus de douze mois.

 

[23]           La difficulté à laquelle est confrontée la Cour est qu’il est impossible de savoir à laquelle de ces conclusions l’agente est parvenue. Les motifs de l’agente indiqués dans ses notes sont les suivantes :

[traduction]

Je note que le demandeur et la répondante ont déclaré à l’entrevue qu’ils ont interrompu leur relation pendant un mois ou deux vers le moment où la répondante a présenté sa demande de résidence permanente. Cependant, le demandeur et la répondante ont également déclaré que la séparation n’a pas duré longtemps et était due au stress lié au fait d’élever un nouveau né dans un nouveau pays. Le couple a repris sa cohabitation après la brève interruption et ils habitent présentement ensemble.

 

Par conséquent, comme la répondante et le demandeur vivaient ensemble en union de fait au moment où la répondante est devenue une résidente permanente et que la répondante n’a pas révélé ce fait au moment où la résidence permanente lui a été accordée, le demandeur est exclu de la catégorie de la famille.

 

[24]           J’ai à l’esprit l’arrêt VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), dans lequel la Cour a dit que le caractère suffisant des motifs en examinant la fonction des motifs dans un cas particulier. La cour a décrit l’une des fonctions des motifs comme suit :

19  De plus, les motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d’appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d’appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l’organisme d’appel ou de révision d’établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme. Cet aspect est particulièrement important lorsque la décision est assujettie à une norme d’examen fondée sur la retenue.

 

[25]           Comme je l’ai déjà dit, il est impossible dans la présente affaire de savoir à partir des motifs si l’agente a commis une erreur dans sa décision. Il n’était pas nécessaire que les motifs de l’agente soient très détaillés étant donné la nature de la procédure, mais ils sont tout simplement insuffisants. La Cour ne peut savoir sur quelle base la décision a été prise et elle ne peut donc trancher la question de sa raisonnabilité.

 

[26]           Pour les motifs exposés, la demande doit être renvoyée à un agent n’ayant pas participé à la demande pour qu’il l’examine après avoir mené une nouvelle entrevue.

 

[27]           Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et, à mon avis, l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie; la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des époux ou des conjoints de fait au Canada est renvoyée à un nouvel agent pour qu’il rende une décision après avoir rencontré le demandeur et sa conjointe.

 

2.                  Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2251‑09

 

INTITULÉ :                                                   ERICK GUSTAVO GONZALEZ ORTEGA c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 26 janvier 2010

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                                           LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 27 janvier 2010

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John Provart

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OTIS & KORMAN

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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