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Cour fédérale

Federal Court


 

Date :  20100118

Dossier :  IMM-3273-09

Référence :  2010 CF 1

Montréal (Québec), le 18 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

ALAIN NDABAMBARIRE

demandeur

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (la loi) à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) rendue le 29 mai 2009, selon laquelle le demandeur est exclu de l’application de la définition de réfugié au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés des Nations Unies (la Convention) et de la qualité de « personne à protéger » aux termes de l’alinéa 1F(a) de l’article premier de la Convention.

 

Question en litige

[2]               La seule question en litige qui se pose en l’espèce est de savoir si l’exclusion du demandeur par le tribunal est raisonnable?

 

Contexte factuel

[3]               Le demandeur, citoyen du Burundi, a demandé l’asile sur la base des article 96 et 97 de la loi, alléguant craindre avec raison d’être persécuté du fait de son appartenance à un groupe social et de ses opinions politiques et alléguant être personnellement exposé à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités.

 

[4]               Le demandeur allègue qu’en 1996, une mine anti-char a été déposée dans son quartier à Bujumbura près de l’hôpital Prince Louis Rwagasore et qu’une voiture a explosé suite au dépôt de cette mine.  Après une enquête menée par l’État, il fut conclu que Pierre Nkurunziza, membre du Conseil national pour la défense de la démocratie – Forces pour la défense de la démocratie (CNDD/FDD) était responsable de l’explosion. Le demandeur allègue que Pierre Nkurunziza fut condamné à mort.

 

[5]               Le demandeur allègue qu’à l’époque de l’incident, il travaillait au sein de la commission de sécurité de son quartier dans le but de surveiller le quartier et d’annoncer le plus tôt possible, grâce à un système d’alarme et de communication, les attaques génocidaires dirigées contre le quartier.

 

[6]               Le demandeur explique qu’il a été choisi chef du quartier Kiriri/Gatoke à Bujumbura en 1998, et qu’à ce titre, il était responsable du quartier. Son rôle consistait à faire régulièrement des rapports sur la situation de sécurité dans le quartier et ces rapports étaient remis au Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité.

 

[7]               Le demandeur allègue que le chef du quartier a changé en 2000, mais il est demeuré au sein du comité de sécurité du quartier et il s’est également inscrit au sein de l’Association de lutte contre le génocide. Le demandeur précise qu’à cette époque, plusieurs personnes ont été arrêtées, jugées et condamnées par les militaires et les gendarmes. Certaines personnes ont été condamnées à mort pour avoir participé au terrorisme.

 

[8]               Le demandeur allègue que son quartier fut attaqué le 30 avril 2002, tuant son épouse et son fils Alex, alors que lui-même a été blessé à la tête. Le demandeur note que plusieurs assaillants ont ensuite été arrêtés et jugés par les militaires, certains ont été condamnés à mort et d’autres emprisonnés à vie.

 

[9]               En 2005, Pierre Nkurunziza a été élu Président de la République du Burundi. Le demandeur note que le nouveau Président a nommé la même personne qui était Ministre de l’Intérieur au moment où il était chef de quartier de 1998 à 2000 au poste de Ministre de l’Intérieur.

 

[10]           Selon le demandeur, la Ministre de la Justice a décidé de relâcher plus de 2 000 prisonniers en 2006, dont certains avaient préalablement été condamnés à mort et à la prison à perpétuité. Le demandeur croit que ces libérations sont inconstitutionnelles et immorales et il note qu’aucune mesure n’a été prise pour protéger les victimes et les témoins.

 

[11]           Le demandeur allègue qu’il a commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes en février 2006 lui disant qu’on voulait le voir. Selon le demandeur, il était évident que ces appels provenaient de personnes libérées de prison et qui voulaient l’éliminer.

 

[12]           Le demandeur allègue qu’il connaît bien l’actuel Président de la République du Burundi, Pierre Nkurunziza, parce qu’ils ont étudié ensemble à l’Université nationale du Burundi et ils ont fait partie de la même équipe de rugby en 1990 et 1991. Selon le demandeur, le Président pourrait le retrouver afin de se venger, peu importe où il vivrait au Burundi.

 

[13]           Le 4 avril 2006, le demandeur a quitté le Burundi en direction des États-Unis. Il s’est ensuite rendu au Canada où il a demandé l’asile le 11 avril 2006.

 

Décision contestée

[14]           À la lumière de l’ensemble de la preuve tant orale que documentaire devant lui, le tribunal conclut qu’il existe des raisons sérieuses de penser que les groupes d’autodéfense, les comités de surveillance de quartier et les forces armées burundaises ont commis des crimes contre l’humanité au Burundi pendant la période où le demandeur a agi au sein du comité de surveillance de son quartier, soit de 1993 à 2006.

 

[15]           Le demandeur a expliqué que parmi ses fonctions dans la défense de son quartier depuis 1993, il devait surveiller avec précision les gens qui entraient et sortaient du quartier et informer la Défense nationale, la gendarmerie et la police de ces mouvements. Le demandeur a distingué entre la patrouille assurée par les militaires qui se déplaçaient et la surveillance assurée par les résidents du quartier qui se faisait sans bouger en regardant avec des jumelles. Le demandeur a précisé que les militaires et rebelles étaient armés de fusils, de machettes, de poignards alors que les personnes responsables de la surveillance, telles que lui-même, utilisaient des chiens. Le demandeur a également indiqué qu’il participait à des rencontres.

 

[16]           Le demandeur a mentionné qu’il avait été chef de quartier de 1998 à 2000 et son rôle était d’informer les gens du quartier. Le demandeur a écrit plusieurs rapports sur ce qui a été vu pendant la surveillance et il a noté que les événements étaient violents.

 

[17]           De plus, le demandeur a généralement nié la véracité des informations présentées par ces rapports en soumettant que lorsqu’une décision porte sur ce que l’intéressé a fait ou n’a pas fait, il convient de privilégier les éléments de preuve directs et d’accorder moins d’importance aux affirmations générales qui ne reposent sur aucune preuve précise, même si elles semblent émaner de sources fiables (Jalil c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 246, [2006] 4 R.C.F. 471 au para. 39, citant Bedoya c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 1092, 141 A.C.W.S. (3d) 612 au para. 16).

 

[18]           Compte tenu du contexte historique qui a prévalu pendant les années où le demandeur a été engagé dans la surveillance de son quartier, le tribunal a jugé que l’attitude du demandeur n’est pas crédible, alors qu’il attribue la responsabilité de toutes les violations commises dans son pays aux seuls groupes rebelles hutus.

 

[19]           Même si le demandeur a systématiquement nié avoir commis de tels crimes pendant l’audience, il a reconnu avoir collaboré avec l’ensemble des autorités burundaises, notamment la Défense nationale et la Sécurité, pendant toute la période au cours de laquelle il a agi au sein du comité de surveillance de son quartier, soit de 1993 à 2006. Le tribunal remarque que le demandeur était chef de son quartier de 1998 à 2000 et, par conséquent, il était rémunéré par le Ministère de l’Intérieur qui contrôle également la police, et que le chef de quartier était le seul employé du Ministère dans le quartier. Le demandeur devait aussi participer à au moins quatre rencontres chaque mois avec les forces de sécurité, incluant des militaires, des gendarmes et des policiers.

 

[20]           Le demandeur a allégué que tout pays a le droit et l’obligation de se défendre contre l’ennemi et, dans ce contexte, le demandeur s’est impliqué dans la surveillance de son quartier. Le demandeur a indiqué que lorsqu’il était chef de quartier, si une personne était prise en flagrant délit, les autorités étaient alertées et les coupables étaient arrêtées par les autorités, soit la police, les gendarmes ou les soldats. Le demandeur ne savait pas ce qui leur arrivait par la suite, sauf si elles étaient jugées et condamnées.

 

 

[21]           Le tribunal a noté que le demandeur a dit être entré volontairement au sein du comité de surveillance de son quartier et avoir participé pendant plusieurs années au sein de ce comité, étant même chef de quartier pendant quelques années. Le tribunal note que le demandeur aurait pu quitter ce comité de surveillance, mais il est demeuré en poste jusqu’au moment où il y a eu un changement de gouvernement, soit quelques mois avant son départ du Burundi. Le demandeur a admis avoir une connaissance indirecte, c’est-à-dire via les journaux ou la radio, de crimes commis par les forces de défense et de sécurité burundaises, mais le tribunal a évalué qu’il a constamment cherché à minimiser, sinon à nier la portée des crimes commis et même à justifier les actions menées par les militaires, les gendarmes et les policiers, en affirmant que les gestes et exactions commises servaient à protéger l’ensemble de la population burundaise.

 

[22]           Dans sa décision, le tribunal a indiqué en se référant à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale, que les actions d’un demandeur peuvent être plus révélatrices que son témoignage et un simple désaveu ne peut suffire à nier la présence d’une intention commune (Harb c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CAF 39, 238 F.T.R. 194 au para. 27). Le demandeur a expliqué qu’il a continué à collaborer avec les forces militaires pendant les années suivantes car il était de son devoir de continuer à protéger la population de son quartier. Le demandeur a admis qu’il était au courant des agissements des forces militaires burundaises, mais il a noté qu’il était dans le pouvoir des militaires d’agir ainsi et qu’en fait, les agresseurs étaient les groupes rebelles. Le demandeur a aussi admis qu’il avait entendu parler du fait que des civils avaient été tués par l’armée, mais il a justifié cette situation en affirmant que ces civils étaient soit des malfaiteurs, soit des collaborateurs, soit des gens armés.

 

[23]           À la lumière du témoignage du demandeur, le tribunal juge que son acquiescement face aux actes posés par les forces militaires burundaises n’était pas passif, mais s’est manifesté par des gestes concrets pendant de nombreuses années, non seulement par son rôle de surveillance au sein de son quartier, mais également parce qu’il s’est rendu à plusieurs reprises sur des lieux de massacres afin d’enterrer des civils. Le tribunal juge que cet acquiescement est suffisant pour permettre de conclure que le demandeur partageait, de 1993 à 2005, un but commun avec les forces militaires burundaises qui ont commis des crimes contre l’humanité.

 

[24]           Par conséquent, vu l’ensemble de la preuve documentaire et l’ensemble du témoignage du demandeur, et en tenant compte des six facteurs à considérer pour déterminer si un individu est complice de crimes contre l’humanité, le tribunal conclut qu’il existe, au-delà d’un simple soupçon, des raisons sérieuses de penser que le demandeur a été complice de crimes commis par des membres des forces militaires burundaises en raison de son association étroite avec les auteurs de ces crimes. Le demandeur est donc exclu par application de la Convention et de l’article 98 de la loi.

 

Législation pertinente

[25]           Article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 :

Exclusion par application de la Convention sur les réfugiés

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

Exclusion — Refugee Convention

98. A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[26]           Le chapitre premier de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés :

Article premier. – Définition du terme « réfugié »

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

 

 

a) qu’elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l’humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

 

c) qu’elles se sont rendues coupables d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.

Article 1. Definition of the term “refugee”

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

 

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

 

 

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.

 

Norme de contrôle

[27]           La complicité du demandeur et son exclusion en vertu de l’alinéa 1F(a) de la Convention constitue une question mixte de faits et de droit et la norme de contrôle applicable était celle de la décision raisonnable simpliciter (Mankoto c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 294, 149 A.C.W.S. (3d) 1107 au para. 16; Harb au para. 14). Suivant la décision de la Cour suprême dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme applicable est la nouvelle norme de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir au para. 47). La Cour ne doit pas intervenir si la décision du tribunal administratif est raisonnable et elle ne peut substituer son propre avis au seul motif qu’elle aurait pu en venir à une conclusion différente.

 

Arguments du demandeur

[28]           Le demandeur admet s’être contredit mais allègue que le tribunal a exagéré la tenue des imprécisions ou contradictions qu’il a tenté de repérer dans les paroles du demandeur, tel que dans l’affaire Kinyomvyi c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2009 CF 607, [2009] A.C.F. no 737 (QL).

 

[29]           Le demandeur soutient que le tribunal aurait dû faire mention des éléments de preuve directement liés à la question examinée, c’est-à-dire à la question de l’appartenance du demandeur à un organisme coupable d’avoir commis des violations graves contre les droits de la personne. Selon le demandeur, le tribunal a rendu sa décision sans égard aux éléments de preuve pertinents qui étaient favorables au demandeur.

 

[30]           Selon le demandeur, le tribunal a rendu une conclusion hâtive qui n’est pas suffisamment motivée dans les faits et ceci constitue une erreur de droit (La Hoz c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 762, 278 F.T.R. 229 au para. 29).

 

[31]           Le demandeur avance qu’il faisait simplement partie d’un organisme de surveillance du quartier et qu’il était simplement chargé de faire des rapports, il n’était pas armé et il n’avait pas le pouvoir de faire des arrestations. Le demandeur soumet qu’il n’a pas fait partie d’aucun des groupes d’autodéfense mentionnés dans la preuve documentaire présentée par le ministre, il n’a jamais travaillé pour l’armée ni suivi un entraînement militaire. Le demandeur explique que son implication dans la surveillance du quartier se limitait au rôle d’un citoyen qui appelait au secours et qu’il n’aidait l’armée que dans ce sens limité (Ramirez c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1992], 2 C.F. 306, 135 N.R. 390 au para. 16).

 

Arguments du défendeur

[32]           Le défendeur soutient que la décision du tribunal était bien fondée en faits et en droit. Le ministre doit seulement démontrer des raisons sérieuses de penser que le demandeur a participé aux crimes afin de justifier une exclusion aux termes de l’alinéa 1F(a) de la Convention. Cette norme est bien inférieure à celle requise dans le cadre du droit criminel (hors de tout doute raisonnable) ou du droit civil (selon la prépondérance des probabilités ou prépondérance de preuve) (Teganya c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2006 CF 590, 154 A.C.W.S. (3d) 454; Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration) c. Sumaida, [2003] 3 C.F. 66, 179 F.T.R. 148 au para. 77 (C.A.F.); Bazargan c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1996), 205 N.R. 282, 67 A.C.W.S. (3d) 132 à la p. 287 (C.A.F.); Moreno c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] 1 C.F. 298, 159 N.R. 210 à la p. 308 (C.A.F.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] 1 C.F. 433, 163 N.R. 197 à la p. 445 (C.A.F.); Gonzalez c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] 3 C.F. 646, 170 N.R. 302 aux pp. 653-654 (C.A.F.); Ramirez). De même, la complicité dépend essentiellement de l’existence d’une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont (Ramirez; Bazargan).

 

Analyse

[33]           L’objectif premier de la Section F de l’article premier de la Convention est de faire en sorte que ceux qui commettent des crimes graves ne puissent obtenir une protection dans le pays ou ils demandent l’asile.

 

[34]           Une personne peut être reconnue responsable d’un crime même si elle ne l’a pas commis personnellement, c’est-à-dire à titre de complice. Le principe de complicité par association a été décrit comme suit dans Bazargan aux para. 11-12 :

[11] Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une "participation personnelle et consciente" puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318, "dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont". Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

 

[12] Cela dit, tout devient question de faits. Le Ministre n'a pas à prouver la culpabilité de l'intimé. Il n'a qu'à démontrer - et la norme de preuve qu'il doit satisfaire est "moindre que la prépondérance des probabilités" - qu'il a des raisons sérieuses de penser que l'intimé est coupable.

 

[35]           Dans Harb, au paragraphe 11, le juge Décary, au nom de la Cour d’appel fédérale, a expliqué comment cette notion de complicité par association pouvait servir de base à une exclusion sous l’alinéa 1F(a) de la Convention :

Ce n'est pas la nature des crimes reprochés à l'appelant qui mène à son exclusion, mais celle des crimes reprochés aux organisations auxquelles on lui reproche de s'être associé. Dès lors que ces organisations commettent des crimes contre l'humanité et que l'appelant rencontre les exigences d'appartenance au groupe, de connaissance, de participation ou de complicité imposées par la jurisprudence (voir, notamment, Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.); Moreno c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.); Sumaida c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [2000) 3 C.F. 66 (C.A.); et Bazargan c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1996), 205 N.R. 282 (C.A.F.)), l'exclusion s'applique quand bien même les gestes concrets posés par l'appelant lui-même ne seraient pas, en tant que tels, des crimes contre l'humanité. Bref, si l'organisation persécute la population civile, ce n'est pas parce que l'appelant lui-même n'aurait persécuté que la population militaire qu'il échappe à l'exclusion, s'il est par ailleurs complice par association.

 

[36]           En l’espèce, dans sa décision de trente-et-une (31) pages, le tribunal a procédé à une analyse de la preuve documentaire. Cette preuve indique que les groupes d’autodéfense et de surveillance de quartier ainsi que les forces armées burundaises ont commis des violations graves des droits de la personne pendant les années où le demandeur était engagé dans la surveillance de son propre quartier. Ces informations proviennent de sources diverses : d’organisations non gouvernementales : Human Rights Watch et Amnesty International, d’une organisation gouvernementale : le Département d’État des États-Unis et d’une institution internationale : la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies. Le tribunal estime que ces éléments de preuve, même s’ils ne constituent pas nécessairement la meilleure preuve, ont une force probante suffisante pour conclure qu’il ne s’agit pas de simples soupçons (Khan c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2005 CF 1053, 141 A.C.W.S. (3d) 613 au para. 15).

 

[37]           Parmi ces éléments de preuve, le tribunal note qu’en 1997, les forces armées ont presque doublé leurs effectifs. La preuve indique aussi que des milices civiles ont été engagées dans des agressions violentes incluant des meurtres et des viols. Pendant la période où le demandeur a été engagé dans la surveillance de son quartier, les forces armées burundaises ont commis des violations graves des droits de la personne dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre une partie de la population civile pour des motifs d’ordre politique, alors qu’elles soupçonnaient ces civils d’appuyer ou d’éventuellement pouvoir joindre les rangs des rebelles. Des civils ont dû se déplacer et demeurer dans des camps. En 1998, tant les troupes gouvernementales que les insurgés ou rebelles ont tué des civils non armés et ils ont commis d’autres violations graves des droits de la personne, incluant des exécutions arbitraires, des viols, de la torture ainsi que du pillage et la destruction de propriété.

 

[38]           Quiconque fait partie d’un groupe persécuteur qui commet des violations des droits de la personne de façon continue et dans le cadre d’une opération régulière sera considéré comme complice, si l’individu en question a connaissance des actes accomplis par ce groupe, ne prend pas de mesures pour les empêcher ni ne se dissocie du groupe à la première occasion, mais l’appuie (Ryivuze c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 134, 325 F.T.R. 30 au para. 31, citant Penate c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1994] 2 C.F. 79, 71 F.T.R. 171 (C.A.F.). La complicité par association s’établit en analysant la nature des crimes reprochés à l’organisation ou au groupe persécuteur, avec lequel le demandeur a été associé, et ce, même si le groupe persécuteur n’est pas une organisation vouée à des fins limitées et brutales. La complicité par association peut être établie même si la personne visée par la clause d’exclusion n’était pas membre de l’organisation ou du groupe persécuteur. Pour arriver à cette conclusion, un certains nombre de facteurs établis par la jurisprudence doivent être considérés :

 

1. Méthode de recrutement

[39]           En l’espèce, le demandeur s’est porté volontaire pour être surveillant de son quartier en 1993 car, selon lui, il était de son devoir d’assurer la protection et la sécurité de son quartier.

 

2. Poste et rang dans l’organisation

[40]           Le demandeur fut chef de son quartier de 1998 à 2000. Par conséquent, il était le seul employé du Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité à cette époque et il était rémunéré. Le demandeur rédigeait des rapports sur la situation de sécurité dans le quartier qui étaient remis au Ministre de l’Intérieur et de la Sécurité. Le demandeur participait aussi régulièrement à des rencontres. En tant que surveillant, le demandeur s’occupait de vérifier les gens qui entraient et qui sortaient du quartier et il annonçait les attaques aux autorités. Le demandeur reconnaît que plusieurs personnes ont été condamnées pendant le conflit au fil des années.

 

 

3. Nature de l’organisation

[41]           Le comité de surveillance du quartier est un groupe d’autodéfense formé de résidents qui ne sont pas armés. Ils restent sur place et annoncent les attaques et ils n’effectuent pas de patrouille comme l’armée militaire.

 

4. Connaissance des atrocités

[42]           Le demandeur dit ne pas connaître ce qui arrive aux gens qui sont arrêtés par les autorités suite à leurs alertes, sauf si elles sont jugées et condamnées. Le demandeur admet toutefois avoir une connaissance indirecte des crimes commis par les forces de défense et de sécurité burundaises par l’entremise des journaux et de la radio. Le demandeur a aussi expliqué qu’il était parfois présent sur les lieux des massacres après les attaques afin d’aider à enterrer les victimes et aider à déplacer les gens.

 

5. Durée de la participation aux activités de l’organisation

[43]           Le demandeur fut membre du comité de surveillance de quartier de 1993 à 2006, jusqu’à quelques mois avant son départ pour le Canada, suite à l’élection au Burundi en 2005 et au changement de gouvernement qui s’en est suivi.

 

6. Possibilité de quitter l’organisation

[44]           Le demandeur avait la possibilité de quitter le comité de surveillance avant 2006. Toutefois, il explique qu’il est resté car il était de son devoir de protéger la population de son quartier.

 

[45]           La preuve au dossier démontre en effet que le demandeur a eu connaissance des crimes mais ne s’est pas dissocié du comité de surveillance après avoir vu les atrocités commises aux civils et après avoir même aidé à enterrer les cadavres. Ces agissements sont révélateurs de la participation du demandeur aux activités du groupe. Le demandeur est resté en poste jusqu’en 2006 lors du changement de gouvernement. Compte tenu de la preuve, il est difficile de conclure que le demandeur n’était qu’un simple spectateur (Harb au para. 18, où la Cour d’appel fédérale cite avec approbation Bazargan au para. 11) ou qu’il n’avait pas la connaissance (Sivakumar à la p. 442), ou qu’il ne partageait pas de but commun, comme l’a souligné le tribunal.

 

[46]           Le tribunal a appliqué les faits aux facteurs appropriés et il n’a pas commis d’erreur dans son application de la loi.  Il n’était pas déraisonnable pour le tribunal de conclure que ce dernier ne peut être admis au bénéfice du statut de réfugié par l’application de l’alinéa 1F(a) de la Convention, compte tenu de la preuve au dossier, de son témoignage et des principes de droit applicables. À la lumière des principes établis par la jurisprudence, la preuve dans son ensemble permettait au tribunal d’avoir de sérieuses raisons de croire que le demandeur s’était rendu complice par association des crimes prévus à l’alinéa 1F(a) de la Convention.

 

[47]           Pour toutes ces raisons, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Aucune question n’a été proposée pour être certifiée et ce dossier n’en contient aucune.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3273-09

 

INTITULÉ :                                       Alain Ndabambarire c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Ruxandra Cornelia Ipean

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Michel Pépin

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ruxandra Cornelia Iepan

Montréal, Québec

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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