Cour fédérale |
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Federal Court |
Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2010
En présence de monsieur le juge Pinard
Entre :
et
ET DE L’IMMIGRATION et
le ministre de la sécurité publique
ET DE LA PROTECTION CIVILE
Motifs du jugement et jugement
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi) à l’encontre de la décision rendue le 18 avril 2009 par Naomie Alfred, représentante du ministre, Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), laquelle a décidé que la demande d’asile du demandeur était irrecevable, parce qu’il avait obtenu le statut de réfugié dans un autre pays.
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[2] Le demandeur est un citoyen d’Haïti. Il a fui ce pays le 1er mars 2000 et a utilisé un faux passeport américain pour se rendre aux États-Unis. À son arrivée à l’aéroport de Miami, en Floride, il a demandé l’asile. Un juge de l’immigration a accordé l’asile aux États-Unis au demandeur le 18 octobre 2004. Il a présenté une demande de rectification de statut pour le statut de résident permanent en mai 2006, qui lui a été refusée le 2 mars 2009.
[3] Pendant le temps passé aux États-Unis, il y a fait sa vie. Il a achevé ses études secondaires et suivi une formation pour travailler comme mécanicien automobile. Dans son affidavit, daté du 18 mai 2009, le demandeur déclare qu’il est un employé de Firestone depuis janvier 2000. Cela semble être une erreur puisqu’il n’avait pas encore fui Haïti à cette date. Selon son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), il travaille chez Firestone depuis janvier 2008. Le 3 décembre 2006, son fils Marc Andrew est né. Le demandeur n’est pas marié et a un autre enfant, une fille, qui vit à Haïti.
[4] Il soutient avoir reçu un choc lorsqu’il a reçu la lettre l’informant de la décision des services de citoyenneté et d’immigration des États-Unis rejetant sa demande de résidence permanente. Dans la lettre qui lui a été envoyée le 2 mars 2009, les autorités déclaraient qu’en conséquence du rejet, le demandeur avait maintenant [traduction] « un statut d’immigrant illégal » et qu’il était présent aux États-Unis [traduction] « en contravention de la loi » et qu’il était [traduction] « tenu de quitter les États-Unis ». De plus, si le demandeur demeurait aux États-Unis, cela [traduction] « pouvait donner lieu à l’institution d’une procédure de renvoi ».
[5] Le demandeur est arrivé au Canada le 18 avril 2009 et a présenté une demande d’asile. Il a révélé son statut à l’ASFC et a été détenu par crainte qu’il ne prenne la fuite. Le premier contrôle des motifs de sa détention a eu lieu le 21 avril 2009, à l’occasion duquel il a été informé que la mesure de renvoi contre lui entrait en vigueur sept jours après le prononcé de la décision et que l’ASFC pouvait exécuter la mesure de renvoi à n’importe quel moment. Lors du deuxième contrôle des motifs de sa détention, il a été informé que son expulsion avait été fixée pour le 30 avril 2009 et que sa détention était encore maintenue. Le 29 avril 2009, le demandeur a signé une déclaration selon laquelle il souhaitait retourner aux États-Unis. Ce même jour, l’ASFC a décidé d’annuler la mesure de renvoi afin d’effectuer des vérifications auprès des autorités américaines.
[6] Le 6 mai 2009, le troisième contrôle des motifs de la détention du demandeur a eu lieu et le ministre a consenti à sa libération.
[7] Selon la pièce A de l’affidavit supplémentaire d’Omid Maani, conseiller principal en politiques, Citoyenneté et Immigration Canada, déposé le 26 octobre 2009, le statut de réfugié du demandeur n’avait pas pris fin. Dans un affidavit supplémentaire daté du 27 novembre 2009, M. Maani souligne qu’il a reçu des renseignements additionnels de Mme Jennifer Wetmore, agente préposée aux demandes d’asile, Division des demandes d’asile, Opérations, Services de citoyenneté et d’immigration des États-Unis (le CIS), selon quoi [traduction] « le rejet de la demande de rectification de statut était incorrect et le bureau qui a compétence à l’égard de l’affaire l’a rouverte, et l’affaire demeure en suspens devant ce bureau ». En outre, le CIS avait informé le demandeur de sa décision de réexaminer la décision antérieure rejetant la rectification.
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[8] Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent au présent contrôle judiciaire :
101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants : a) l’asile a été conféré au demandeur au titre de la présente loi; b) rejet antérieur de la demande d’asile par la Commission; c) décision prononçant l’irrecevabilité, le désistement ou le retrait d’une demande antérieure; d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé; e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle; f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) — , grande criminalité ou criminalité organisée.
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101. (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if (a) refugee protection has been conferred on the claimant under this Act; (b) a claim for refugee protection by the claimant has been rejected by the Board; (c) a prior claim by the claimant was determined to be ineligible to be referred to the Refugee Protection Division, or to have been withdrawn or abandoned; (d) the claimant has been recognized as a Convention refugee by a country other than Canada and can be sent or returned to that country; (e) the claimant came directly or indirectly to Canada from a country designated by the regulations, other than a country of their nationality or their former habitual residence; or (f) the claimant has been determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality, except for persons who are inadmissible solely on the grounds of paragraph 35(1)(c).
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48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis. (2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.
49. (1) La mesure de renvoi non susceptible d’appel prend effet immédiatement; celle susceptible d’appel prend effet à l’expiration du délai d’appel, s’il n’est pas formé, ou quand est rendue la décision qui a pour résultat le maintien définitif de la mesure. (2) Toutefois, celle visant le demandeur d’asile est conditionnelle et prend effet : a) sur constat d’irrecevabilité au seul titre de l’alinéa 101(1)e); b) sept jours après le constat, dans les autres cas d’irrecevabilité prévus au paragraphe 101(1); c) quinze jours après la notification du rejet de sa demande par la Section de la protection des réfugiés ou, en cas d’appel, par la Section d’appel des réfugiés; d) quinze jours après la notification de la décision prononçant le désistement ou le retrait de sa demande; e) quinze jours après le classement de l’affaire au titre de l’avis visé aux alinéas 104(1)c) ou d).
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48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed. (2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.
49. (1) A removal order comes into force on the latest of the following dates: (a) the day the removal order is made, if there is no right to appeal; (b) the day the appeal period expires, if there is a right to appeal and no appeal is made; and (c) the day of the final determination of the appeal, if an appeal is made. (2) Despite subsection (1), a removal order made with respect to a refugee protection claimant is conditional and comes into force on the latest of the following dates: (a) the day the claim is determined to be ineligible only under paragraph 101(1)(e); (b) in a case other than that set out in paragraph (a), seven days after the claim is determined to be ineligible; (c) 15 days after notification that the claim is rejected by the Refugee Protection Division, if no appeal is made, or by the Refugee Appeal Division, if an appeal is made; (d) 15 days after notification that the claim is declared withdrawn or abandoned; and (e) 15 days after proceedings are terminated as a result of notice under paragraph 104(1)(c) or (d).
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[9] L’ASFC a rendu une décision selon laquelle la demande d’asile du demandeur au Canada était irrecevable. Cette décision s’appuyait sur le FRP du demandeur, l’entrevue tenue le 18 avril 2009 et des documents additionnels présentés par le demandeur, notamment la lettre du 2 mars 2009 et le dossier du juge de l’immigration qui a accueilli la demande d’asile du demandeur aux États-Unis en 2004. Les notes de l’ASFC indiquent également que l’agente a communiqué avec les autorités de l’immigration des États-Unis et a confirmé que le demandeur avait le statut de réfugié aux États-Unis, un pays vers lequel il peut être renvoyé. Ayant été reconnu comme réfugié au sens de la Convention par un autre pays que le Canada, l’alinéa 101(1)d) s’appliquait et sa demande était irrecevable en vertu de la loi.
[10] L’agente a signé une mesure d’exclusion à l’encontre de M. Gaspard. Conformément à l’alinéa 49(2)b) de la Loi, la mesure n’entrait en vigueur que sept jours plus tard. M. Gaspard n’était cependant pas tenu de retourner aux États-Unis immédiatement. L’ASFC a annulé son renvoi aux États-Unis afin d’avoir le temps de vérifier plus avant le statut du demandeur auprès des autorités américaines.
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[11] Le demandeur présente deux arguments : (1) l’agente de l’ASFC a fait abstraction d’éléments de preuve dont elle était saisie, plus particulièrement la lettre du 2 mars provenant des Services de citoyenneté et d’immigration des États-Unis, selon laquelle les États-Unis n’offraient plus de protection au demandeur, malgré une décision antérieure le déclarant réfugié au sens de la Convention; (2) la décision des États-Unis rejetant sa demande de résidence permanente contrevenait aux obligations internationales du pays et devrait être écartée.
[12] Il est clair que ce dernier argument doit être rejeté, car la Cour n’est pas le forum approprié pour examiner une décision rendue par un juge de l’immigration des États-Unis. Toutefois, le premier argument, bien qu’il mérite d’être examiné, est maintenant en effet théorique.
[13] L’aspect crucial de la présente demande est la question de savoir si l’agente de l’ASFC a mal apprécié les éléments de preuve dont elle était saisie lorsqu’elle a accepté l’assurance des Services américains de citoyenneté et d’immigration que le statut de réfugié du demandeur n’avait pas été modifié. Le demandeur semble soutenir que cette décision n’était pas raisonnable, compte tenu du libellé clair de la lettre du 2 mars 2009 indiquant qu’il n’avait plus le statut d’immigrant légal aux États-Unis.
[14] La norme de contrôle applicable est la décision raisonnable, parce que la décision en est une de fait : le demandeur a-t-il été reconnu comme réfugié au sens de la Convention dans un autre pays que le Canada? Le juge Richard Mosley a statué qu’il s’agissait de la norme de contrôle applicable dans Wangden c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2008 CF 1230, aux paragraphes 15 et 17. Cette décision a fait l’objet d’un appel à la Cour d’appel fédérale et la juge Sharlow a prononcé un jugement définitif le 23 novembre 2009, confirmant la décision du juge Mosley (Wangden c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2009 CAF 344). Il est intéressant de souligner que, dans cette affaire, la Cour devait examiner la question de savoir si la décision de l’agente s’appuyait sur une erreur de fait importante, à savoir si l’agente avait commis une erreur en concluant que la demande d’asile était irrecevable pour examen devant la Section de la protection des réfugiés, parce qu’elle avait conclu que le [traduction] « sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi » en vertu de la loi américaine équivalait à la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention.
[15] Selon la preuve des défendeurs présentée au moyen de l’affidavit du professeur David A. Martin, le statut de réfugié et la demande de rectification de statut à titre de résident permanent constituent deux processus différents. Le statut d’un demandeur en qualité de réfugié ou de personne à protéger n’est pas touché du fait que sa demande de résidence permanente a été rejetée. En d’autres mots, le demandeur a cru par erreur que son statut de réfugié avait été révoqué. L’ASFC a eu raison de décider qu’il avait été maintenu et que le demandeur était ainsi visé par l’alinéa 101(1)d) de la Loi.
[16] Il incombait au demandeur d’établir la recevabilité de son renvoi devant la Section de la protection des réfugiés et il ne l’a pas fait. L’agente a fondé sa décision quant à l’irrecevabilité sur les renseignements qu’elle avait obtenus des Services d’immigration et de naturalisation des États-Unis, outre la lettre présentée par le demandeur. Après examen de la preuve dont elle était saisie, l’agente fut convaincue que le statut de réfugié du demandeur n’avait pas été modifié.
[17] À mon avis, la représentante du ministre n’a pas fondé sa décision sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans qu’il soit tenu compte des documents dont elle disposait.
[18] De plus, je constate que, peu importe l’issue d’un contrôle de la décision de l’agente, il semble que l’affidavit supplémentaire d’Omid Maani, daté du 27 novembre 2009, démontre clairement que les autorités de l’immigration des États-Unis estiment que le demandeur a maintenu son statut de réfugié.
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[19] Pour tous les motifs qui précèdent, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 18 avril 2009 par Naomie Alfred, représentante du ministre, Agence des services frontaliers du Canada, laquelle a décidé que la demande d’asile du demandeur était irrecevable, parce qu’il avait obtenu le statut de réfugié dans un autre pays, est rejetée.
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
Réviseur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1995-09
INTITULÉ : Jean Herard GASPARD c. Le ministre de la citoyenneté et de l’immigration et le ministre de la sécurité publique et de la protection civile
LIEU DE L’AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L’AUDIENCE : le 15 décembre 2009
Motifs du jugement
et jugement : le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : le 18 janvier 2010
Comparutions :
Styliani Markaki pour le demandeur
Lisa Maziade pour les défendeurs
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Styliani Markaki pour le demandeur
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. pour les défendeurs
Sous-procureur général du Canada