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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20100108

Dossier : T-1053-09

Référence : 2010 CF 25

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2010

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

 

ENTRE :

 

SHAHIDA NAVID BHATTI

 

demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Shahida Navid Bhatti (la demanderesse) interjette appel, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), de la décision rendue par le juge de la citoyenneté le 14 mai 2009, rejetant sa demande de citoyenneté. Mme Bhatti n’est pas représentée par un avocat devant la Cour et ne parle pas anglais couramment. J’ai autorisé sa fille, Reema Navid, à l’assister.

 

Le contexte

[2]               Mme Bhatti est une citoyenne du Pakistan âgée de 50 ans. Sa langue maternelle est l’ourdou. Le 5 août 2002, elle est entrée au Canada avec le statut de résidente permanente et le 31 juillet 2007, elle a présenté une demande de citoyenneté, en même temps que d’autres membres de sa famille.

 

[3]               Mme Bhatti souffre d’hypertension et de diabète. Elle risque de devenir aveugle et a une très mauvaise vision. Son état exige qu’elle subisse divers traitements, qu’elle trouve pénibles et douloureux.

 

[4]               Le 17 mars 2009, elle a reçu une convocation à une entrevue aux fins de l’obtention de sa citoyenneté. On l’a avisée qu’on lui poserait des questions afin d’établir si elle avait une connaissance suffisante de l’anglais ou du français ainsi que du Canada. Mme Bhatti a comparu devant le juge de la citoyenneté le 8 avril 2009.

 

La décision contestée

[5]               Dans l’avis au ministre, le juge de la citoyenneté a déclaré :

[traduction]

La demanderesse ne répond pas aux exigences relatives aux aptitudes linguistiques et à la connaissance du Canada. Voir les épreuves ci‑jointes pour plus de détails. [Souligné dans l’original.]

 

[6]               L’annexe A était ainsi rédigée :

[traduction]

 

À l’audience, la demanderesse n’a pas été en mesure de confirmer des informations relatives à sa demande ou de répondre à des questions simples en anglais.

 

 

[7]               Dans l’annexe, on précise également que la demanderesse a été incapable de répondre correctement à trois des sept catégories de questions : la Charte canadienne des droits et libertés, la procédure électorale au Canada et l’histoire politique et sociale ainsi que la géographie du Canada.

 

[8]               Dans la lettre avisant Mme Bhatti de sa décision, le juge de la citoyenneté a déclaré avoir conclu que celle‑ci n’avait pas une connaissance suffisante de l’anglais ou du français. Il a renvoyé à l’article 14 du Règlement sur la citoyenneté (le Règlement), qui exige de la demanderesse qu’elle comprenne des déclarations élémentaires. Le juge lui a fourni les explications suivantes :

[traduction]

À l’audience, vous n’avez pas été en mesure de confirmer des informations relatives à votre demande ou de répondre à des questions simples en anglais.

 

 

[9]               Le juge de la citoyenneté a conclu que Mme Bhatti n’avait pas obtenu la note de passage à l’examen des connaissances.

 

[10]           Finalement, le juge de la citoyenneté a déclaré que, en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi, il avait examiné s’il y avait lieu de recommander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’accorder la citoyenneté à la demanderesse en l’exemptant de répondre aux exigences concernant les aptitudes linguistiques et la connaissance du Canada, pour des raisons d’ordre humanitaire, comme le prévoit le paragraphe 5(3) de la Loi, ou de lui recommander d’attribuer la citoyenneté à la demanderesse en application du paragraphe 5(4) afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse. Le juge de la citoyenneté a conclu qu’aucune preuve n’avait été produite à l’audience justifiant qu’il fasse une telle recommandation.

 

[11]           J’ai décidé d’accueillir l’appel et de renvoyer l’affaire devant un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision. Il y a lieu de tenir compte de la possibilité de recommander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière favorable en application des paragraphes 5(3) ou 5(4) de la Loi.

 

Les dispositions légales

[12]            Les dispositions pertinentes de la Loi sont les suivantes :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

[…]

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

[...]

 (3) Pour des raisons d’ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter :

a) dans tous les cas, des conditions prévues aux alinéas (1)d) ou e);

[…]

(4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution.

 

14. (3) En cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté en informe sans délai le demandeur en lui faisant connaître les motifs de sa décision et l’existence d’un droit d’appel.

[…]

 

 

15. (1) Avant de rendre une décision de rejet, le juge de la citoyenneté examine s’il y a lieu de recommander l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) ou (4) ou 9(2), selon le cas.

 5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

. . .

 (d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

. . .

 (3) The Minister may, in his discretion, waive on compassionate grounds,

(a) in the case of any person, the requirements of paragraph (1)(d) or (e);

. . .

(4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

 

 

 

14. (3) Where a citizenship judge does not approve an application under subsection (2), the judge shall forthwith notify the applicant of his decision, of the reasons therefore and of the right to appeal.

. . .

 

15. (1) Where a citizenship judge is unable to approve an application under subsection 14(2), the judge shall, before deciding not to approve it, consider whether or not to recommend an exercise of discretion under subsection 5(3) or (4) or subsection 9(2) as the circumstances may require.

 

Règlement sur la citoyenneté (DORS/93-246) :

14. Une personne possède une connaissance suffisante de l’une des langues officielles au Canada si, à l’aide de questions rédigées par le ministre, il est établi à la fois :

a) qu’elle comprend, dans cette langue, des déclarations et des questions élémentaires;

b) que son expression orale ou écrite dans cette langue lui permet de communiquer des renseignements élémentaires ou de répondre à des questions.

 

14. The criteria for determining whether a person has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada are, based on questions prepared by the Minister,

(a) that the person comprehends, in that language, basic spoken statements and questions; and

(b) that the person can convey orally or in writing, in that language, basic information or answers to questions.

 

Les points en litige

[13]           Je conclus qu’il y a deux points en litige en l’espèce. Le premier point est soulevé par Mme Bhatti, qui demande essentiellement à la Cour de conclure que le juge de la citoyenneté a rendu une décision déraisonnable à l’égard de l’examen portant sur ses aptitudes linguistiques et sa connaissance du Canada, et qui prétend qu’il a commis une erreur en ne l’exemptant pas de ces exigences pour des raisons d’ordre humanitaire ou en ne recommandant pas qu’elle obtienne la citoyenneté afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse. Je conclus qu’il y a un deuxième point en litige en ce qui a trait à la pertinence des motifs du juge de la citoyenneté.

 

La norme de contrôle

[14]           Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre de la décision rendue par un juge de la citoyenneté. Je reproduis l’analyse concise du droit que monsieur le juge Michael Kelen a effectuée dans la décision Amoah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 775, aux paragraphes 14 et 15, relativement à la norme de contrôle adéquate.

La Cour a statué que la norme de contrôle applicable à la décision d’un juge de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable : Zhao c. Canada (MCI), 2006 CF 1536, 306 F.T.R. 206, le juge Russell, au paragraphe 45; Chen c. Canada (MCI), 2006 CF 85, 145 A.C.W.S. (3d) 770, le juge Phelan, au paragraphe 6. Avant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, les décisions discrétionnaires prises en vertu des paragraphes 5(3) et 5(4) étaient également soumises à la norme de la décision manifestement déraisonnable : Arif c. Canada (MCI), 2007 CF 557, 157 A.C.W.S. (3d) 557, le juge Blais, au paragraphe 8. Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a éliminé comme norme de contrôle la décision manifestement déraisonnable. Depuis l'arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à toutes les décisions des juges de la citoyenneté est celle de la décision raisonnable simpliciter : Canada (MCI) c. Aratsu, 2008 CF 1222, le juge Russell, aux paragraphes 16 à 20.

Dans l’examen de la décision d’un juge de la citoyenneté à la lumière de la norme de la décision raisonnable, la Cour s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). La Cour n’intervient que si la décision ne correspond pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

 

[15]           L’interprétation des lois soulève une question de droit et la norme de contrôle est la décision correcte; il n’est donc pas nécessaire de faire preuve de déférence à l’égard du juge de la citoyenneté : voir l’arrêt Dunsmuir. Finalement, les questions d’équité procédurale sont des questions de droit et sont par conséquent contrôlables selon la décision correcte : Pourzand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 395, au paragraphe 21.

 

Analyse

[16]           Mme Bhatti admet ne pas parler anglais couramment. Toutefois, elle a lu ses observations devant moi lentement, à un rythme régulier; son articulation était excellente et sa prononciation correcte. Mme Bhatti affirme connaître suffisamment le Canada et les responsabilités incombant aux citoyens pour devenir Canadienne. Elle soutient avoir bien répondu aux questions que le juge de la citoyenneté lui a posées. Elle déclare lui avoir parlé de sa famille, de ses ennuis de santé, à savoir de son hypertension, de son diabète, des douloureux traitements hebdomadaires qu’elle subit pour ses yeux (photocoagulation panrétinienne) ainsi que des grands risques qu’elle a de devenir aveugle. Elle affirme que le juge a semblé la croire et qu’il ne lui a pas demandé de produire de preuves de ses ennuis de santé. Elle croit que le juge de la citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté parce qu’elle a [traduction] « répondu en peu de mots », et non par des phrases complètes, comme, affirme‑t‑elle, le juge lui avait demandé de faire. Pour finir, elle déclare qu’elle est la seule parmi tous les membres de sa famille qui se trouvent au Canada à ne pas détenir la citoyenneté canadienne. Elle n’est pas citoyenne canadienne parce que, comme elle l’a déclaré : [traduction] « J’ai diabète depuis 27 ans, vision pas bonne. »

 

[17]           Reema Navid, la fille de Mme Bhatti, affirme avoir été présente lorsque sa mère a comparu à l’audience de citoyenneté. Elle affirme que sa mère a bien répondu aux questions, en peu de mots. Mme Navid ajoute que sa mère a parlé au juge de la citoyenneté de ses traitements au laser, de son diabète et de son hypertension. Elle soutient que sa mère n’a pas pu lire les questions de l’examen des connaissances aux fins de l’obtention de la citoyenneté parce que la police des caractères était trop petite. Elle m’a montré les observations que sa mère avait préparées : la police utilisée était très grande; Mme Navid dit que c’est la seule taille de police que sa mère peut lire. Au sujet de sa mère, elle a déclaré : [traduction] « Elle ne voit pas vraiment. »

 

[18]           Aucun avocat ne représente Mme Bhatti devant la Cour. Sa compréhension de la procédure de la Cour est des plus rudimentaire et la présentation de son affaire est fondamentalement viciée. Elle a présenté la plupart de ses éléments de preuve comme étant des arguments. Dans le cadre d’un appel, la preuve est constituée du dossier et des affidavits. Les observations ne sont pas des preuves. La Cour a l’obligation d’offrir certains accommodements aux parties qui ne sont pas représentées par un avocat. Toutefois, cette obligation ne peut justifier de passer outre aux règles de preuve : Scheuneman c. Canada (Développement des ressources humaines Canada), 2003 CFPI 37, au paragraphe 4; Kalevar c. Parti Libéral du Canada, 2001 CFPI 1261, aux paragraphes 22 à 26; Gilling c. Canada, [1998] A.C.F. n° 952 (QL), au paragraphe 1; Jones c. Canada, 2009 CF 46, au paragraphe 29.

 

[19]           Le récit de Mme Bhatti présenté dans ses observations, les questions qu’on lui a posées et les réponses qu’elle a fournies, ses ennuis de santé et leurs conséquences sur sa vision, les traitements douloureux qu’elle doit subir, sa faculté de lire ou encore le fait que toute sa famille a obtenu la citoyenneté canadienne sont autant d’éléments qui n’apparaissent pas dans l’affidavit de la demanderesse. Sa fille n’a pas non plus présenté ces informations additionnelles dans un affidavit.

 

[20]           Le ministre a affirmé avec raison qu’il s’agissait d’éléments de preuve qui n’étaient pas recevables devant la Cour. En l’espèce, le ministre a le droit de se limiter à répondre aux éléments de preuve produits régulièrement devant la Cour.

 

[21]           L’affidavit de Mme Bhatti comprend des lettres de médecins et des rapports relatifs à ses problèmes de santé. Encore une fois, le ministre a à juste titre affirmé que ces éléments n’étaient pas recevables dans la mesure où ils ont tous été établis à une date postérieure à celle à laquelle Mme Bhatti a comparu devant le juge de la citoyenneté, soit le 8 avril 2009. Le présent appel n’est pas un appel de novo et il doit être jugé sur la base du dossier qui a été présenté au juge de la citoyenneté. Voir Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536.

 

[22]           Finalement, Mme Bhatti déclare avoir appris au juge de la citoyenneté qu’elle souffrait d’hypertension et de diabète, ajoutant qu’il ne lui a pas demandé de lui fournir de plus amples informations à ce sujet. Toutefois, dans son affidavit, Mme Bhatti ne dit pas avoir informé le juge de la citoyenneté de ses problèmes de vision et de leurs répercussions sur sa capacité à étudier et à répondre aux exigences en matière d’aptitudes linguistiques et de connaissance du Canada. Le juge de la citoyenneté a déclaré qu’il n’y avait aucun élément de preuve justifiant qu’il recommande au ministre d’exempter Mme Bhatti des exigences relatives aux aptitudes linguistiques ou à la connaissance du Canada pour des raisons d’ordre humanitaire, ou encore qu’il lui recommande d’attribuer la citoyenneté à Mme Bhatti afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse.

 

[23]            Il n’y a simplement pas suffisamment d’éléments de preuve pour juger du caractère raisonnable de la décision du juge de la citoyenneté.

 

[24]           Cela m’amène au second point en litige. Le paragraphe 14(3) de la Loi exige qu’en cas de rejet de la demande, le juge de la citoyenneté fasse connaître au demandeur les motifs de sa décision.

 

[25]            Dans la décision Pourzand c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 395, au paragraphe 21, le juge Russell a qualifié l’insuffisance des motifs de questions d’équité procédurale et de justice naturelle, questions assujetties à la décision correcte :

Les questions d’équité procédurale sont de pures questions de droit qui sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. […] La troisième question qui a été soulevée au sujet de la suffisance des motifs est également une question d’équité procédurale et de justice naturelle et elle est également assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186 (CanLII), 2007 CF 186, au paragraphe 15; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 486 (CanLII), (2004), 250 F.T.R. 303, 2004 CF 486 au paragraphe 9; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565 (CanLII), 2005 CF 565, au paragraphe 9).

 

 

[26]            Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Li, 2008 CF 275, au paragraphe 6, le juge Blanchard a déclaré que les motifs devaient être suffisants pour permettre à la cour d’appel de s’acquitter de son rôle, une erreur susceptible de contrôle étant commise quand le juge de la citoyenneté ne motive pas suffisamment sa décision :

La Loi impose aux juges de la citoyenneté l’obligation de motiver leurs décisions. Les motifs doivent  être suffisants pour permettre à la cour d’appel de s’acquitter de son rôle. La jurisprudence établit que le juge de la citoyenneté commet une erreur susceptible de contrôle en ne motivant pas suffisamment une décision. Voir : Seiffert c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. nº 1326, au paragraphe 9, et Ahmed c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. nº 1415, au paragraphe 12.

 

[27]           Le juge de la citoyenneté n’a fourni que des motifs laconiques pour conclure que Mme Bhatti n’avait pas une connaissance suffisante de l’anglais. Ses motifs étaient ainsi formulés :

[traduction]

 

À l’audience, vous n’avez pas été en mesure de confirmer des informations relatives à votre demande ou de répondre à des questions simples en anglais. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[28]           Le dossier révèle que l’agent de citoyenneté qui a examiné le dossier de Mme Bhatti a conclu que l’anglais de celle‑ci était [traduction] « satisfaisant ». Le juge de la citoyenneté avait le droit de lui faire passer un examen oral après qu’elle eut passé l’examen écrit visant à évaluer sa connaissance d’une langue officielle; voir la décision Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 836. Il devait toutefois expliquer dans ses motifs comment il était parvenu à la conclusion voulant que les aptitudes linguistiques de Mme Bhatti soient insuffisantes.

 

 

[29]           Le juge de la citoyenneté a déclaré que Mme Bhatti n’avait pas pu [traduction] « confirmer » les informations contenues dans sa demande. La confirmation ne constitue pas nécessairement un examen de langue, dans la mesure où d’après Le Nouveau Petit Robert (2000), il s’agit d’affirmer l’exactitude d’une information. L’article 14 du Règlement énonce les conditions permettant d’établir qu’une personne possède une connaissance suffisante de l’une des langues officielles, à savoir que cette personne comprend des déclarations et des questions élémentaires et que son expression orale ou écrite lui permet de répondre à des questions ou de communiquer des renseignements élémentaires. Ces conditions ne comprennent pas l’aptitude à confirmer des informations.

 

[30]           En outre, le juge de la citoyenneté n’a pas précisé quelles étaient les [traduction] « questions simples » auxquelles Mme Bhatti n’avait pas été en mesure de répondre. En l’absence d’autres informations, je ne suis pas en mesure de lever la contradiction qui existe entre la preuve versée au dossier, selon laquelle la connaissance de l’anglais de Mme Bhatti est satisfaisante, et la conclusion du juge de la citoyenneté voulant que ce ne soit pas le cas.

 

[31]           En ce qui a trait aux résultats de l’examen des connaissances, il ne sert à rien de renvoyer au dossier dans la mesure où le ministre a exercé ses droits conformément au paragraphe 318(2) des Règles des Cours fédérales (DORS/98-106), s’opposant à la transmission des questions d’examen posées à Mme Bhatti pour évaluer sa connaissance du Canada ainsi que des réponses données par celle-ci. Le défendeur prétend que la communication de ces questions nuirait au caractère secret de l’examen, vu que d’autres personnes pourraient les mémoriser. Je comprends les préoccupations du ministre, mais je ne serai pas en mesure d’évaluer les conclusions tirées par le juge de la citoyenneté à l’égard des résultats de la demanderesse si je ne peux pas consulter l’examen de celle‑ci.

 

[32]           Enfin, Mme Bhatti a joint à son affidavit des copies de rapports médicaux. Ces rapports confirment qu’elle souffre de sérieux problèmes de santé. Dans une lettre datée du 5 juillet 2009, un ophtalmologue a déclaré que Mme Bhatti souffrait de rétinopathie diabétique sévère, un état qui l’affectait déjà avant qu’elle comparaisse devant le juge de la citoyenneté le 8 avril 2009. Même si cet élément de preuve n’a pas été présenté au juge de la citoyenneté, je suis convaincu que Mme Bhatti souffrait déjà de ce mal avant l’audience. Mme Bhatti a dû imprimer ses observations dans une police singulièrement grande afin d’être en mesure de les lire devant la Cour, ce qui a prouvé qu’elle voyait mal; une copie de ces observations a été versée au dossier.

 

[33]           Même si le juge de la citoyenneté a conclu que Mme Bhatti n’avait avancé aucune raison à l’audience justifiant qu’il recommande au ministre de l’exempter des exigences relatives aux aptitudes linguistiques ou à la connaissance du Canada, je reconnais que l’état de santé de Mme Bhatti est sérieux. Ses problèmes de vue l’ont gênée dans la préparation de son examen de citoyenneté. Elle n’en a pas parlé à l’audience, mais elle aurait dû le faire, dans la mesure où ces problèmes font en sorte qu’il lui est difficile d’étudier et de passer toute forme d’examen des connaissances par écrit.

 

[34]           Les problèmes de santé de Mme Bhatti, particulièrement en ce qui a trait à sa mauvaise vision, sont autant d’éléments qui devraient être pris en considération dans le contexte d’une audience tenue devant un juge de la citoyenneté.

 

Conclusion

[35]           L’appel sera accueilli. L’affaire sera renvoyée devant un autre juge de la citoyenneté, qui aura pour directive d’envisager l’opportunité de recommander au ministre d’exempter la demanderesse de l’examen des connaissances pour des raisons d’ordre humanitaire ou de recommander qu’il lui attribue la citoyenneté afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse.

 

[36]           Lorsqu’elle comparaîtra devant cet autre juge de la citoyenneté, Mme Bhatti devra s’assurer de verser à son dossier des rapports médicaux, rédigés de manière à pouvoir être compris des profanes, relativement à ses problèmes de vue et à ses ennuis de santé.

 

[37]           Étant donné que Mme Bhatti n’était pas représentée par un avocat, je ne rendrai aucune ordonnance relativement aux dépens.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  L’appel est accueilli.

2.                  L’affaire est renvoyée devant un autre juge de la citoyenneté, qui aura pour directive d’envisager l’opportunité de recommander au ministre d’exempter la demanderesse de l’examen des connaissances pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément au paragraphe 5(3) de la Loi sur la citoyenneté, ou de recommander qu’on lui attribue la citoyenneté afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse, comme le prévoit le paragraphe 5(4) de cette même loi.

3.                   Je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 

___ « Leonard S. Mandamin »____

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alya Kaddour‑Lord, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1053-09

 

INTITULÉ :                                       SHAHIDA NAVID BHATTI

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 15 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mandamin       

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 8 janvier 2010

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shahida Navid Bhatti

 

LA DEMANDERESSE, POUR SON PROPRE COMPTE

 

Me Jocelyn Espejo Clarke

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s.o.

 

LA DEMANDERESSE, POUR SON PROPRE COMPTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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