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Cour fédérale

Federal Court

 

 

Date :  20091223

Dossier :  IMM-2952-09

Référence :  2009 CF 1308

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Boivin 

 

ENTRE :

NATALYA CHSHERBAKOVA

ANATOLIY CHSHERBAKOV

 

demandeurs

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) datée le 26 mai 2009, selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni de personnes à protéger.

 

Question en litige

[2]               Les questions en litige sont les suivantes :

- Le tribunal a-t-il erré en concluant que les demandeurs n’étaient pas crédibles?

- Le tribunal a-t-il violé les principes d’équité procédurale?

 

[3]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Contexte factuel

[4]               La demanderesse, Natalya Chsherbakova et son fils, Anatoliy Chsherbakov, sont citoyens du Kazakhstan. La demanderesse est la représentante désignée de son fils.

 

[5]               Les demandeurs allèguent qu’ils résidaient dans la ville d’Almaty au Kazakhstan avant de venir au Canada. Ils soutiennent qu’ils ont dû fuir ce pays parce qu’ils sont pourchassés, depuis avril 2006, par l’ex-conjoint de la demanderesse, Turgun Salibekov, qui est un haut gradé de la police d’Almaty. Les demandeurs allèguent fuir la violence conjugale et la persécution qu’ils ont subi de la part de l’ex-conjoint de la demanderesse.

 

[6]               La demanderesse est arrivée au Canada le 21 novembre 2006 et les demandeurs ont demandé l’asile le 1 décembre 2006.

 

 

 

Décision contestée

[7]               Le tribunal est d’avis que les demandeurs ne sont pas réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger, parce qu’ils n’ont pas établi la crédibilité de leurs allégations.

 

[8]               Le tribunal a trouvé le récit des demandeurs non crédible. Plus précisément, le tribunal a conclu que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence de l’agent persécuteur. Aussi, les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils ont vécu au Kazakhstan pendant la période pertinente.

 

Norme de contrôle

[9]               Lorsqu’il est question de crédibilité et d’appréciation de la preuve, il est bien établi en vertu du paragraphe 18.1(4)(d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, que la Cour n’interviendra que si la décision est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon arbitraire ou abusive ou si la décision est rendue sans égard à la preuve.

 

[10]           D’ailleurs, le tribunal est un tribunal spécialisé et ses conclusions en matière de crédibilité sont des questions de fait. La Cour ne devrait donc intervenir qu’en cas d’erreur manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), (1993), 160 N.R. 315, 42 A.C.W.S. (3d) 886 (C.A.F.)).

 

[11]           L’évaluation de la crédibilité et l’appréciation de la preuve relèvent de la compétence du tribunal administratif qui doit apprécier l’allégation d’une crainte subjective d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 au par. 14). Avant la décision Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable dans des circonstances semblables était celle de la décision manifestement déraisonnable. Depuis, il s’agit de la décision raisonnable.

 

[12]           La violation d’équité procédurale est, quant à elle, soumise à la norme de contrôle de la décision correcte (Ha c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2004 CAF 49, [2004] 3 R.C.F. 195; Dunsmuir).

 

Analyse

[13]           La demanderesse a allégué devant le tribunal qu’elle craint son ex-conjoint - un dénommé Salibekov - car elle fut victime de violence sexuelle par ce dernier.  Toutefois, la Cour est d’avis que la demanderesse n’a pas soumis de preuve probante au soutien de sa demande d’asile.  Plus précisément, l’absence de preuve documentaire au soutien de leurs prétentions a fortement miné la crédibilité des demandeurs.

 

[14]           Notamment, la demanderesse soutient qu’elle a habité avec Salibekov pendant deux ans, de 2004 à 2006 mais n’a pu déposer aucune photographie d’elle et lui ou de lui seul, parce qu’elle dit ne plus rien vouloir savoir de lui.

 

[15]           La demanderesse soutient également que Salibekov est un haut gradé de la police d’Almaty, mais elle n’a aucun document officiel ou public qui pourrait corroborer l’existence de ce dernier. La demanderesse n’a pas de preuve de résidence, ni encore de preuve qu’elle a vécu à cette adresse avec Salibekov, ni de permis de conduire, ni de copie de son rapport d’impôt au Canada.

 

[16]           La demanderesse soutient qu’elle a quitté le Kazakhstan avec un faux passeport le 21 novembre 2006.  Aucun document, que ce soit un billet d’avion, une carte d’embarquement, un ticket de bagage, une facture d’un commerce de l’aéroport, n’a été présenté au tribunal pouvant établir quand elle a quitté le Kazakhstan. Elle soutient avoir tout donné à son passeur mais cette explication demeure insuffisante. Comme l’a souligné le juge Nadon dans l’affaire Elazi c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), (2000), 191 F.T.R. 205, 100 A.C.W.S. (3d) 649 au para. 17 :

 

« J’en profite pour ajouter qu’il est tout à fait raisonnable pour la Section du Statut de donner une grande importance au passeport d’un demandeur ainsi qu’à son billet d’avion.  Ces documents, à mon avis, sont des documents essentiels pour démontrer l’identité d’un demandeur et son périple pour venir au Canada.  À moins de présumer qu’un demandeur du statut de réfugié est effectivement un réfugié, il m’apparaît déraisonnable d’excuser la perte de ces documents à moins de motifs sérieux.  Il est trop facile, à mon avis, pour un demandeur de simplement affirmer qu’il a soit perdu ses documents ou que le passeur les a repris.  Si la Section du Statut insiste à ce que ces documents soient produits, il est possible que les passeurs auront à changer leurs méthodes.

 

De diminuer l’importance du passeport et du billet d’avion comme documents devant être produits ou d’excuser leur non-production pour toutes sortes de motifs, ne sert, à mon avis, qu’à encourager tous ceux qui ne pensent qu’à prendre avantage d’un système ayant comme seul but de permettre à de véritables réfugiés de venir au Canada. »

 

 

 

[17]           En somme, vu l’absence de documents, la demanderesse n’a pu corroborer son récit.

 

[18]           Finalement, questionné à savoir la frontière de quel pays était la plus proche d’Almaty, le fils de la demanderesse a répondu la Chine et l’Ouzbékistan alors qu’Almaty est à moins de 30 kilomètres du Kyrgystan.  Ce dernier n’a pu nommer les grandes avenues d’Almaty, ni le nom de la rue de l’école qu’il a pourtant fréquenté pendant sept ans.

 

[19]           Cette Cour a souvent noté que le tribunal peut tirer une conclusion défavorable du fait qu’un revendicateur d’asile n’a pas produit une preuve corroborante pour étayer son témoignage lorsque le tribunal a des préoccupations concernant sa crédibilité (Sinnathamby c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 473, 105 A.C.W.S. (3d) 725; Muthiyansa c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2001 CFPI 17, 103 A.C.W.S. (3d) 809; Quichindo c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CFPI 350, 115 A.C.W.S. (3d) 680).

 

[20]           Les demandeurs allèguent que le tribunal n’avait aucune raison de rejeter certaines pièces aux dossiers sans motif valable notamment en se basant sur le fait qu’il existe un trafic de documents de faux.  À la lecture de la décision du tribunal, la Cour est plutôt d’avis que le tribunal a rejeté les documents sur la base du témoignage des demandeurs auxquels le tribunal n’a accordé aucune crédibilité et c’est uniquement de façon subsidiaire et complémentaire que le tribunal fait référence au trafic de faux documents.  Ainsi, et il est de jurisprudence constante, lorsqu’une personne est jugée non crédible, cette conclusion s’étend à tous les éléments de preuve qu’elle a présentés (Herman c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2008 CF 1077, 75 Imm. L.R. (3d) 82 au par. 27; Sheikh c. Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration), [1990] 3 C.F. 238, 112 N.R. 61 (C.A.F.)).

 

[21]           Les demandeurs soutiennent également que le tribunal a violé les principes d’équité procédurale en ne respectant pas son engagement lors de l’audition du 26 mars 2009 de ne pas rendre une décision finale sans avoir fait venir au préalable le contenu du dossier de demande de visa du demandeur auprès de l’ambassade du Canada à Moscou afin de pouvoir donner une chance aux demandeurs d’établir une résidence légale au Kazakhstan durant la période de 2004 à 2006.  Sur ce point, la Cour est également en désaccord avec les demandeurs.  Une lecture des notes sténographiques permet de constater qu’il y a eu des échanges entre le procureur des demandeurs et le tribunal.  Les échanges pertinents au dossier du tribunal sont les suivants :

 

« Q. : C’est pour ça justement, que … Alors généralement ils l’envoient.  Quand Immigration, quand il y a une demande d’asile, c’est pour ça que j’étais étonné, ils n’ont pas inclus le formulaire de demande de visa pour le fils Anatole.

R. : Hm-hum.  Bien comme vous voulez.  Parce que si on fait ça on va faire d’autres recherches aussi hein? On va faire authentifier les documents puis on va faire plein de choses.  Mais si c’est ça que vous voulez.  Je vais le demander.  Ça ne devrait pas être compliqué à obtenir. (p.251)

 

- Donc je vais prendre tout ça en délibéré puis je me réserve le droit de – de demander … Je vais le demander le document du visa là.  Je vais voir si ça vaut la peine d’aller plus loin aussi là peut être, l’authentification de certains documents.  Ça je vous tiendrai au courant si nécessaire. (p. 259) »

                                                            (Nous soulignons)

 

 

[22]           Toutefois, à la lecture des échanges, la Cour est d’avis que le tribunal n’a pris aucun engagement face au procureur des demandeurs.  Au contraire, en concluant à la fin de l’audience de la façon dont il l’a fait, le tribunal a indiqué qu’il prenait cette question sous réserve et a mentionné de plus qu’il ferait le suivi "si nécessaire".  Sur la base de ces échanges, la Cour ne peut conclure à un engagement de la part du tribunal de faire venir au préalable le contenu du dossier de demande de visa du fils demandeur avant de prendre une décision.  Conséquemment, la Cour rejette la prétention à l’effet que le tribunal a violé les principes d’équité procédurale en ne respectant pas sa propre procédure.

 

[23]           Ainsi, devant l’absence de preuve probante corroborant le récit et le témoignage des demandeurs, le tribunal a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et n’a pas violé les principes d’équité procédurale.

 

[24]           Les parties n’ont soumis aucune question à certifier et ce dossier n’en contient aucune.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2952-09

 

INTITULÉ :                                       Natalya CHSHERBAKOVA et Anatoliy CHSHERBAKOV c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 décembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 décembre 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Alain Joffe

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Alexandre Tavadian

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Joffe

Avocat

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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