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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20091211

Dossier : T-891-08

Référence : 2009 CF 1274

Vancouver (Colombie-Britannique), 11 décembre 2009

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN

 

 

ENTRE :

SHAWN RALPH

demandeur

 

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               M. Shawn Ralph (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 16 mai 2008 rendue par le ministre de Pêches et Océans Canada (le ministre). Dans sa décision, le ministre a rejeté l’appel du demandeur relativement au rétablissement de son permis de pêche au flétan noir dans la sous-zone O des zones de pêche OPANO.

 

[2]               Le demandeur, un pêcheur, réside à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).

[3]               Le ministre est responsable de l’administration des ressources halieutiques du Canada en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F‑14 (la Loi). Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le ministre est représenté par le procureur général du Canada (le défendeur) conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

 

Historique

[4]               Les faits suivants sont exposés dans les affidavits et dans les pièces déposés pour le compte des parties. Le demandeur a déposé un affidavit. Le défendeur a déposé l’affidavit de Mme Beverley Green, chef du personnel pour le ministère de Pêches et Océans (MPO ou le ministère).

 

[5]               Le demandeur était titulaire d’un permis de pêche de poisson de fond à l’engin fixe pour la zone 2GHJ 3KL depuis 1990. Sous réserve des conditions du permis, le permis l’autorisait à pêcher toutes les espèces de poissons de fond énumérées à l’annexe I du Règlement de pêche de l’Atlantique de 1985, DORS/86-21. Le flétan noir figure à l’annexe I.

 

[6]               En 1996, le ministère a annoncé que les titulaires de permis de pêche de poissons de fond pour la zone 2GHJ 3KL pouvaient demander un accès limité à la pêche au flétan noir dans la sous-zone O. L’accès était accordé au moyen d’une condition de permis annexée par modification au permis de pêche de poissons de fond valide du pêcheur.

 

[7]               Aux termes d’un document délivré par le MPO le 5 juillet 1996, le permis de pêche du demandeur a été modifié de manière à lui permettre de pêcher le flétan noir exclusivement pendant la période du 5 juillet 1996 au 30 septembre 1996. Voici le texte du préambule et du paragraphe a) de ce document :

[traduction]
Conformément au paragraphe 22(1) du Règlement de pêche (dispositions générales), le permis numéro 000166 est modifié comme suit, lors de la pêche au FLÉTAN NOIR (TURBOT) :

 

a.                   la présente modification est valide pour la période commençant le 5 juillet 1996 et se terminant le 30 septembre 1996. À la fin de cette période, de nouvelles conditions de permis seront imposées.

 

 

[8]               Le document comportait également l’énoncé suivant :

[traduction]
Les présentes conditions constituent une partie intégrante du permis initial n
o 000166 et doivent être jointes au permis. Toutes les autres conditions énoncées relativement au permis initial demeurent en vigueur.

 

 

[9]               Le demandeur n’a pas pêché le flétan noir dans la sous-zone O en 1996. Il n’a pas demandé l’accès à la pêche au flétan noir en 1997, 1998 et 1999. La modification de son permis de 1996 qui lui permettait de pêcher le flétan noir en 1996 a expiré le 30 septembre 1996.

 

[10]           En mai 2000, le ministère a décidé de restreindre l’accès à la pêche au flétan noir dans la sous-zone O. Une politique a été adoptée obligeant les pêcheurs à présenter une preuve de débarquements antérieurs de flétans noirs pour obtenir l’accès à la pêche au flétan noir. La justification des limites de pêche au flétan noir a été énoncée dans une note de service datée du 5 mai 2000. L’accès à cette pêche a été restreint à ceux qui pouvaient faire la preuve de « captures antérieures ».

 

[11]           Dans une lettre datée du 21 juillet 2000, l’avocat du demandeur a écrit au ministère pour demander des renseignements concernant le retrait de toutes les espèces de poisons de fond de son permis de pêche, dans la sous-zone O. La même demande de renseignements a été faite dans deux lettres subséquentes datées du 7 mars 2001 et du 4 février 2002.

 

[12]           Le ministère a répondu dans une lettre non datée signée par M. Tom Perry, chef, Délivrance de permis et appels, dont voici le texte :

[traduction]

La présente vise à répondre à votre lettre datée du 4 février 2002 concernant l’accès de votre client Shawn Ralph à la pêche de poissons de fond dans la sous-zone O.

 

Les pêcheurs qui avaient des débarquements de flétans noirs dans la sous-zone O en 1996 ont le droit de participer à cette pêche. Un permis de pêche pour le flétan noir (turbot) a bien été délivré à M. Ralph le 5 juillet 1996, mais l’examen de nos données sur les prises et l’effort confirme que l’entreprise de M. Ralph ne montre aucun débarquement pour la sous-zone O en 1996.

 

Si M. Ralph a des documents établissant que son entreprise a eu des débarquements de flétans noirs dans la sous-zone O en 1996, veuillez transmettre ces renseignements au soussigné pour un examen plus approfondi.

 

 

[13]           Finalement, le demandeur a été autorisé à interjeter appel devant l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l'Atlantique (OAPPA ou l’Office). L’Office a tenu une audience le 11 décembre 2007.

 

[14]           L’Office a rédigé un résumé de la preuve et des prétentions respectives du demandeur et du ministère. Selon ce résumé, le représentant du ministère a fourni des éléments de preuve relativement à la délivrance du permis. L’autorisation de pêcher le flétan noir consistait en une condition jointe au permis du demandeur. En 2000, l’accès à la pêche au flétan noir était restreint, en vertu des conditions de permis, aux personnes qui pouvaient démontrer des débarquements antérieurs pour cette pêche.

 

[15]           Le représentant du demandeur a déclaré que celui-ci avait eu besoin de procéder à des travaux de mise à niveau de son bateau de pêche pour participer à la pêche au flétan noir qui a lieu dans les eaux nordiques éloignées. Le demandeur n’a pas pêché le flétan noir en 1996. Selon son représentant, le permis de pêche au flétan noir ne comportait aucune exigence qui aurait pu l’amener à penser que des débarquements constituaient une condition de ce permis.

 

[16]           L’Office a recommandé de rejeter l’appel, dans les termes suivants :

[traduction]

L’Office a examiné tous les renseignements communiqués par le demandeur, ses représentants et le ministère de Pêches et Océans. L’Office recommande de rejeter l’appel au motif que M. Ralph n’a pas fait la preuve qu’il avait pêché le flétan noir dans la sous-zone OB antérieurement à l’annonce de mai 2000, qui restreignait l’accès aux pêcheurs ayant des débarquements antérieurs à mai 2000. De plus, M. Ralph n’a présenté aucune preuve ou documentation à l’Office relativement à une demande après 1996 et avant 2000 en vue d’obtenir l’accès à la pêche du flétan noir dans la zone OB. L’Office n’a trouvé aucune circonstance atténuante en l’espèce et elle conclut que les politiques et les procédures du ministère de Pêches et Océans ont été appliquées comme il se devait.

 

 

[17]           Le demandeur a été avisé du rejet de son appel par le ministre dans une lettre datée du 16 mai 2008 dont voici le texte :

 

[traduction]

M. Ralph,

 

L’honorable Loyola Hearn m’a demandé de répondre à votre lettre dans laquelle vous demandiez l’accès à la pêche au flétan noir dans la sous-zone OB. Comme vous le savez, votre demande a été transmise à l’Office des appels relatifs aux permis de pêche de l’Atlantique et une audience a été tenue le 11 décembre 2007 au Battery Hotel & Suites, à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador).

 

Le ministre a rendu sa décision en se fondant sur l’examen approfondi de tous les renseignements dont il disposait et je suis au regret de vous informer que votre appel a été rejeté. Le ministre a conclu que le ministère de Pêches et Océans a correctement interprété la politique de délivrance de permis et l’a correctement appliquée à votre situation.

 

Je suis désolé, je le répète, que la décision ne vous ait pas été favorable.

 

 

Les prétentions des parties

i)          Les prétentions du demandeur

[18]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soutient que l’Office ne s’est pas acquitté de son devoir parce qu’il n’a pas cherché à savoir s’il existait des circonstances atténuantes justifiant de recommander au ministre le rétablissement de son permis de pêche au flétan noir. Le demandeur souligne qu’il a pris des mesures raisonnables pour préparer son bateau de pêche pour des voyages dans des eaux abondantes en glace, soit en mettant à niveau son bateau. Ces travaux de mise à niveau ont été effectués par Glovertown Marine Ltd. Il soutient que l’Office aurait dû considérer que les dépenses de près de 400 000,00 $ engagées à cet égard permettaient d’établir que son engagement financier en vue de faire la pêche au flétan noir pouvait constituer une [traduction] « circonstance atténuante ».  

 

[19]           Le demandeur soutient que la décision du ministre, reposant sur la recommandation déraisonnable de l’Office, est elle-même déraisonnable.

 

ii)         Les prétentions du défendeur

[20]           Le défendeur soutient que, eu égard au régime législatif établi dans la Loi et dans les règlements applicables, la décision du ministre satisfait à la norme de contrôle applicable, soit celle de la décision raisonnable.

 

Analyse et dispositif  

[21]           La première question à trancher est celle de la norme de contrôle judiciaire applicable. Depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les décisions administratives peuvent faire l’objet d’un contrôle suivant la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. Les questions d’équité procédurale et de justice naturelle peuvent faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision correcte; voir Ellis-Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65l. La norme de la décision correcte s’applique aux questions de droit. Généralement, la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions mixtes de fait et de droit et à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. 

 

[22]           À mon avis, la présente demande ne soulève aucune question d’équité procédurale ni aucune question de droit. La contestation de la décision du ministre est liée à la recommandation de l’Office. L’examen de la recommandation elle-même est lié à la preuve présentée et au cadre législatif applicable. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable.

 

[23]           La ministre est responsable de la gestion des pêches. Aux termes de l’article 7 de la Loi, le ministre a le pouvoir discrétionnaire absolu d’octroyer des permis, y compris en ce qui a trait à l’imposition de conditions.

Baux, permis et licences de

Pêche

 

7. (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

Fishery leases and licences

 

7. (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

 

[24]           L’article 7 de la Loi confère au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire relativement à la délivrance de permis en vertu de la Loi. La Cour suprême du Canada s’est prononcée sur l’étendue de ce pouvoir discrétionnaire aux paragraphes 36 et 37 de l’arrêt Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Oceans), [1997] 1 R.C.S. 12, dont voici un extrait :

Je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire d’autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au Ministre par l’art. 7, est, à l’instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l’exigence de justice naturelle, étant donné qu’il n’y a actuellement aucun règlement applicable. Le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l’arbitraire et agir de bonne foi.  Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre:  voir Thomson c. Ministre des Pêches et Océans, C.F. 1re inst., no T‑113‑84, 29 février 1984.

 

[25]           L’article 10 du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 (le Règlement) précise la période pendant laquelle un permis est valide :

 

Date d’expiration des documents

 

10. Sauf indication contraire dans le document, celui-ci expire à l’une des dates suivantes :

a) le 31 décembre de l’année pour laquelle il a été délivré, s’il est délivré pour une année civile;

b) le 31 mars de l’année pour laquelle il a été délivré, s’il est délivré pour un exercice.

Expiration of Documents

 

10. Unless otherwise specified in a document, a document expires

(a) where it is issued for a calendar year, on December 31 of the year for which it is issued; or

(b) where it is issued for a fiscal year, on March 31 of the year for which it is issued.

 

[26]           Le demandeur affirme que sa situation constitue une « révocation » de son « permis de pêche au flétan noir ». Cette affirmation est erronée et n’est pas étayée par la preuve.

 

[27]           Selon la preuve, le demandeur n’a été autorisé à participer à la pêche au flétan noir qu’à la suite d’une modification à son permis de pêche de poissons de fond à l’engin fixe. Il ne lui a jamais été accordé un permis de pêche distinct pour le flétan noir. La permission qui lui a été donnée en 1996 était formulée en termes temporels : le demandeur pouvait pêcher du 5 juillet 1996 au 30 septembre 1996.

 

[28]           Le demandeur n’a pas demandé la permission de participer à la pêche au flétan noir en 1997, 1998 ou 1999. Le dossier dont est saisie la Cour n’indique pas clairement s’il a demandé la « permission » en 2000 ou s’il n’a fait que donner l’instruction à ses avocats d’écrire au ministère.

 

[29]           Quoi qu’il en soit, il ressort clairement de la preuve présentée pour le compte du ministère que la permission de pêcher le flétan noir avait été jointe, à titre de condition de permis, au permis de pêche de poissons de fond à l’engin fixe du demandeur. La condition était valide pour une période précise, conformément aux termes de l’article 10 du Règlement.

[30]           Le demandeur n’a ni demandé ni obtenu un permis de pêche de poissons de fond à l’engin fixe pour les années 1997, 1998 et 1999. L’accès à la pêche au flétan noir en 1996 n’était qu’une condition du permis de pêche de poissons de fond à l’engin fixe et rien n’établit que cette condition constituait une partie intégrante du permis de pêche de poissons de fond à l’engin fixe.

 

[31]           La prétention du demandeur selon laquelle son « permis » de pêche au flétan noir a été révoqué est erronée. La condition qui lui permettait de participer à la pêche au flétan noir relevait du pouvoir du ministre d’accorder ou de retirer un permis, ce pouvoir se rattachant à la responsabilité du ministre de gérer les pêches.

 

[32]           Le ministre, par l’entremise du MPO, est autorisé à énoncer et à appliquer des politiques, y compris des plans de gestion à l’égard de pêches précises. En l’espèce, la restriction limitant l’accès à la pêche au flétan noir a été énoncée dans une circulaire administrative dont l’objet était ainsi décrit : « Restricting Access to Competitive Quotas, in the Sub-area O Turbot Fishery/Limitation de l’accèss aux quotas concurrentiels dans la pêche du flétan noir de la sous-zone O ».

 

[33]           Les politiques relatives à la gestion des pêches de la région de Terre-Neuve comprennent la Politique d’émission des permis pour la pêche dans l’Est du Canada (Ottawa : Ministre des Approvisionnements et services, 1996) (la « politique de délivrance de permis »). L’OAPPA a été créée en application de cette politique. Le chapitre 7 de la politique de délivrance de permis prévoit un processus d’appel pour les personnes qui ne sont pas satisfaites des décisions relatives à la délivrance de permis prises par les employés du MPO. L’article 35 de la politique de délivrance de permis indique en quoi consistent les responsabilités de l’Office. Le paragraphe 35(7) est pertinent eu égard à la présente instance et il dispose :

L'Office des appels relatifs aux permis de pêche de l'Atlantique n'entend que les appels présentés par des pêcheurs dont les appels ont été refusés suite à des audiences tenues par un comité d'appel régional relatif à la délivrance des permis.

 

(a) L'Office n'examine que les appels relatifs à des permis de pêche découlant de l'application de politiques s'adressant aux bateaux de moins de 19,7 m (65 pi) de LHT.

 

(b) L'Office n'entend que les demandes d'appel présentées au cours des trois années suivant la date de la décision visant le permis ou un changement de politique.

 

(c) L'Office formule des recommandations au Ministre sur les appels refusés conformément à l'application du processus d'appel régional et, pour ce faire :

 

 

(i)                  détermine si le requérant a été traité équitablement conformément aux politiques, méthodes et procédures du Ministère;

 

(ii)                détermine si des circonstances atténuantes justifient de déroger aux politiques, méthodes ou procédures établies.

 

 

[34]           L’alinéa 35(7)c) de la politique de délivrance de permis définit le rôle de l’Office, soit celui d’entendre les appels des décisions de délivrance de permis et de faire des recommandations au ministre, en déterminant si l’appelant a été traité équitablement et s’il existe des « circonstances atténuantes » qui justifient une dérogation aux « politiques, méthodes ou procédures établies » (non souligné dans l’original).

 

 

[35]           Dans l’arrêt Jada Fishing Co. Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) et al. (2002), 288 N.R. 237 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a fait aux paragraphes 12 et 13 les observations suivantes sur la relation entre les recommandations de l’Office et la décision du ministre :

 

Il est clair que le ministre a le pouvoir, en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pêches, de rendre, à discrétion, des décisions au sujet des licences d’exploitation de pêcheries. En revanche, la formation n’avait pas cette compétence en vertu de la loi et elle a simplement formulé des recommandations que le ministre était en droit d’accepter ou de rejeter. À première vue, les recommandations de la formation ne sont donc pas, de par leur nature, susceptibles de contrôle. En l’espèce, en raison de l’ampleur de l’avis de demande de contrôle judiciaire présenté au juge Pelletier, je suis convaincu que la Cour peut contrôler une décision discrétionnaire du ministre qui se fonde, en partie, sur une recommandation de la formation.

 

Dans le présent appel, les appelantes cherchent à faire annuler l’ordonnance du juge qui a siégé en révision et elles ne font référence qu’à la « décision » de la formation et à la conduite de celle dernière; il n’y est pas fait mention du ministre. La décision du ministre, en date du 3 avril 1998, est cependant toujours valide. De toute façon, la décision ou recommandation de la formation, qui est inexorablement liée à la décision du ministre, est sans effet juridique, à moins que le ministre ne l’« adopte » en tant qu’un des fondements de sa décision. Je suis d’avis que le présent appel ne peut se poursuivre qu’en tant que contrôle de la décision du ministre fondé sur le paragraphe 18.1(4) de la Loi, bien que l’appel soit présenté sous le couvert d’une contestation de la recommandation de la formation. La Cour contrôle donc, dans le présent appel, l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre.

 

 

[36]           Il s’ensuit que la recommandation de l’Office doit être considérée comme un facteur qui a été pris en compte par le ministre lorsqu’il a pris la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[37]           Le demandeur fait valoir que l’Office ne s’est pas acquitté de son obligation de déterminer s’il existait des circonstances atténuantes justifiant de recommander au ministre de déroger aux politiques, méthodes et procédures ministérielles. Le demandeur soutient que de telles circonstances atténuantes existent en l’espèce puisqu’il a dépensé 400 000,00 $ pour mettre à niveau son bateau de pêche. Il s’appuie sur la décision Decker c. Canada (Procureur général) (2004), 259 F.T.R. 216, dans laquelle le juge O’Keefe a conclu que l’Office avait commis une erreur susceptible de contrôle judiciaire en ne prenant pas en considération l’existence de telles circonstances. Dans cette affaire, la cour a conclu que le ministère avait reconnu que la preuve de dépenses engagées dans l’entreprise de pêche constituait « des circonstances atténuantes ».

 

[38]           En l’espèce, le demandeur soutient qu’il a établi son engagement financier en vue de faire la pêche au flétan noir parce qu’il a engagé des dépenses importantes pour avoir un bateau sécuritaire qui lui permette de pêcher dans les eaux nordiques éloignées. Il attire mon attention sur les travaux qui ont été effectués par Glovertown Marine Ltd.

 

[39]           Or, je ne saurais retenir cet argument. La preuve présentée par le demandeur concernant la mise à niveau de son bateau consiste en une lettre d’une page, datée du 30 mai 2002.  La lettre se lit comme suit :

 

[traduction]

Depuis 1999, les ateliers de réparation de navires à Glovertown ont effectué des rénovations majeures au bateau de pêche mentionné ci-dessus afin qu’il puisse servir à la pêche dans des eaux abondantes en glaces.

 

Voici la liste des réparations majeures effectuées :

 

1. Construction d’une enceinte autour du pont de pêche pour rendre l’aire étanche.

 

2. Replaquage et recadrage du bateau le long de la zone de bordé renforcé avec un matériau beaucoup plus lourd pour mieux protéger le bateau contre la glace.

 

3. Installation d’un réservoir de carburant supplémentaire pour augmenter la capacité.

 

4. Installation d’un réservoir d’eau fraîche supplémentaire pour augmenter la capacité.

 

5. Installation d’un groupe électrogène plus puissant et remplacement du système électrique de 32 volts par un système à courant alternatif de 110 volts.

 

6. Nouvel isolement de la cale à poisson.

 

7. Installation de nouveaux équipements.

 

Tous les travaux énumérés ci-dessus rendront le bateau adapté pour la pêche à plus grande distance du port d’attache pour de plus longues durées et sur des eaux abondantes en glace.

 

En tout, il a dépensé près de 400 000 $ aux ateliers.

 

 

[40]           Selon Govertown Marine Ltd., les réparations ont été effectuées à partir de 1999. Aucun détail n’est donné sur ce qui a été fait exactement en contrepartie de [traduction] « près de 400 000 $ ». Aucune indication n’est donnée quant à un quelconque travail qui aurait été effectué en 1996, 1997 ou 1998. La lettre ne suffit pas à établir un [traduction] « engagement financier » de la part du demandeur en vue de faire la pêche au flétan noir et l’Office n’a pas commis d’erreur en ne le mentionnant pas dans ses recommandations au ministre.

 

[41]           Je fais mienne les observations du défendeur portant qu’il était déraisonnable de la part du demandeur de dépenser plusieurs centaines de milliers de dollars sur son bateau afin de l’utiliser pour la pêche au flétan noir, alors que cette pêche n’est permise que pendant quelques mois.

 

[42]           En conclusion, j’estime qu’une intervention judiciaire dans la décision du ministre n’est pas justifiée. Cette décision était équitablement fondée sur la recommandation de l’Office. La recommandation de l’Office est raisonnable, compte tenu de la preuve présentée. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[43]           Il ne reste que la question des dépens à trancher.

 

[44]           Le défendeur, qui a eu gain de cause dans son opposition à la présente demande de contrôle judiciaire, a droit à la taxation de ses dépens. Je souligne que l’avocat du défendeur est venu d’Halifax en Nouvelle-Écosse. Il s’est présenté devant moi à St. John’s relativement à deux autres affaires, les 2 et 3 juin 2009.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, et les dépens, à taxer, sont adjugés au défendeur, en gardant à l’esprit que l’avocat du défendeur s’est présenté devant moi relativement à deux autres affaires les 2 et 3 juin 2009.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme,

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-891-08

 

INTITULÉ :                                       SHAWN RALPH c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 St. John’s (T.-N.-L.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 juin 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LA juge HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

E. Mark Rogers

 

POUR LE DEMANDEUR

Dean Smith

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rogers Bussey Lawyers

St. John’s (T.-N.-L.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Halifax (N.-É.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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