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Date : 20091216

Dossier : IMM-5285-08

Référence : 2009 CF 1280

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

WEI YANG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire d’une décision datée du 12 novembre 2008 (la décision), par laquelle la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande du demandeur visant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi. 

 

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur prétend être un citoyen de la République populaire de Chine (la Chine) qui craint avec raison d’être persécuté par le régime communiste et le Bureau de la sécurité publique (le BSP) du fait de ses opinions politiques à titre d’adepte du Falun Gong. Le demandeur allègue aussi qu’il est une personne à protéger au motif qu’il serait exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités en Chine.

 

[3]               Le demandeur affirme qu’à l’époque où il était en Chine, une amie l’a appelé et lui a dit que son époux avait été arrêté parce qu’il était un adepte du Falun Gong. Le demandeur s’est caché pour éviter d’être arrêté. Alors qu’il se cachait, il a appris que le BSP s’était rendu chez lui pour l’arrêter.

 

[4]               Le demandeur est arrivé au Canada en décembre 2006. Il a demandé l’asile en janvier 2007.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[5]               La Commission a statué que le demandeur n’avait pas réussi à établir son identité en tant que ressortissant de la Chine. La Commission a examiné le rapport du bureau de la contrefaçon de la GRC et a conclu que les documents que le demandeur avait transmis étaient faux.

 

[6]               S’agissant du permis de conduire du demandeur, la Commission a conclu que la « photo » sur le permis avait été produite au moyen d’une encre en poudre colorée comme celle que l’on utilise dans les imprimantes d’ordinateur. La Commission avait aussi des réserves du fait de l’absence des rickshaws normalement incrustés dans le laminé du permis de conduire. La Commission a rejeté l’explication du demandeur et a statué que, compte tenu de son expérience, le permis était faux.

 

[7]               La Commission a également relevé que le hukou fourni par le demandeur ne portait pas de numéro et qu’il comportait très peu d’éléments de sécurité. La Commission a conclu : « Comme je conclus que le permis de conduire est faux, je dois aussi conclure que le hukou l’est également […] »

 

[8]               La Commission a demandé au demandeur pourquoi il ne possédait pas la carte d’identité de résident qui est délivrée à tous les citoyens de la Chine lorsqu’ils atteignent un certain âge. La Commission n’a pas accepté l’explication du demandeur selon laquelle on lui avait pris sa carte.

 

[9]               En outre, la Commission n’était pas convaincue que le demandeur était un adepte du Falun Gong, puisque le demandeur avait été incapable de répondre à des questions simples concernant le Falun Gong et n’avait pas su faire correctement un exercice du Falun Gong devant la Commission.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[10]           Les questions que soulève la présente demande peuvent être résumées comme suit :

 

1)                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réussi à prouver son identité en tant que ressortissant de la Chine?

2)                 La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le récit du demandeur n’était pas crédible?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES

 

[11]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente affaire :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Crédibilité

 

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, Boardship in a particular social group or political opinion,

 

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a Board of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Credibility

 

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

 

 

 

[12]           La disposition suivante des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, s’applique également dans la présente affaire :

Documents d’identité et autres éléments de la demande

 

7. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

Documents establishing identity and other elements of the claim

 

7. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

 

 

[13]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la Cour suprême du Canada a reconnu que,  bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et de la décision manifestement déraisonnable diffèrent en théorie, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » (Dunsmuir, au paragraphe 44). Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre les deux normes de raisonnabilité en une seule.

 

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a aussi statué qu’il n’était pas nécessaire de procéder systématiquement à l’analyse relative à la norme de contrôle. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette recherche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[15]           Après l’arrêt Dunsmuir, la Cour a appliqué la norme de la décision raisonnable aux conclusions sur la crédibilité. Voir Huang c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1266, [2008] A.C.F. no 1611. Ainsi, il convient d’appliquer la norme de la décision raisonnable pour examiner les deux questions en l’espèce, à savoir : a)  la Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas réussi à prouver son identité en tant que ressortissant de la Chine?, et b) la conclusion de la Commission concernant la pratique du Falun Gong par le demandeur est-elle erronée?

 

[16]           Dans le cadre du contrôle d’une décision en fonction de la norme de la décision raisonnable, la cour de révision s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Autrement dit, la Cour devrait seulement intervenir si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

 

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

Le permis de conduire

 

[17]           Le demandeur a présenté deux pièces d’identité pour prouver son identité, soit un permis de conduire et un hukou. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en traitant ces deux documents.

 

[18]           Le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte du rapport d’expertise de la GRC lorsqu’elle a examiné le permis. Le rapport d’expertise énonçait que l’analyse de l’authenticité du permis n’avait [traduction] « pas été concluante » et que, mis à part l’utilisation d’encre en poudre, [traduction] « le permis, d’une valeur limitée sur le plan de la sécurité, sembl[ait] bon. » En conséquence, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle le permis était faux est incompatible avec les conclusions du rapport d’expertise.

 

[19]           Lorsque la Commission dispose d’une preuve d’expert étayant une allégation du demandeur, elle ne peut pas rejeter cette preuve au profit d’une opinion personnelle sans motiver suffisamment son choix. Voir Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 794, [2005] A.C.F. no 988, Armson c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 101 N.R. 372, 9 Imm. L.R. (2d) 150 (CAF), et Perez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1981] 1 C.F. 753 (CAF). En l’espèce, on a demandé à la GRC de produire des éléments de preuve utiles. Il s’ensuit donc que la Commission ne peut pas rejeter ces éléments de preuve tout simplement parce qu’elle n’est pas d’accord avec le résultat. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

Le hukou

 

[20]           De même, la commission a commis une erreur dans son appréciation du hukou. Le demandeur soutient que la Commission a omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents dans le rapport d’expertise concernant le hukou. De plus, quant à la question de la validité du hukou, la Commission a statué : « Comme je conclus que le permis de conduire est faux, je dois aussi conclure que le hukou l’est également […] »

 

[21]           Or, selon les éléments de preuve que la GRC a produits, l’analyse relative à l’authenticité du hukou n’était [traduction] « pas concluante », et [traduction] « le document ne port[ait] aucun numéro de ménage, chose inhabituelle mais non sans précédent ». La GRC a donc conclu que l’absence de numéro de ménage ne signifiait pas que le document était nécessairement faux. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable relativement au hukou par suite d’une appréciation erronée des éléments de preuve.

 

[22]           Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle le hukou était faux contredit les éléments de preuve produits par la GRC. Par conséquent, la Commission aurait dû donner les raisons qui l’ont poussé à tirer une conclusion qui s’écartait des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[23]           En outre, la Commission affirme que, comme elle a conclu que le permis de conduire était faux, elle devait conclure que le hukou l’était également. Le demandeur soutient que la Commission n’explique pas pourquoi une conclusion défavorable à l’égard d’un document doit nécessairement entraîner le rejet d’un autre document. Chaque document devrait plutôt être examiné isolément, puisqu’aucun élément de preuve n’indique l’existence d’un lien entre les documents. Voir Xu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1528, [2005] A.C.F. no 1885.

 

[24]           La décision de la Commission était fondée sur sa conclusion selon laquelle la Commission ne croyait pas à l’identité alléguée du demandeur, et plus précisément sur ses conclusions relatives au permis de conduire du demandeur et à son hukou et au fait qu’il n’avait pas produit de carte d’identité de résident. Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte de l’ensemble de ses éléments de preuve lorsqu’elle a examiné la question de son identité. Voir Jiang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1292, 68 Imm. L.R. (3d) 127.

 

Falun Gong

 

[25]           Le demandeur soutient en outre que la Commission a aussi commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si les autorités en Chine percevaient le demandeur comme un adepte du Falun Gong. Il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’était pas un adepte du Falun Gong ou, subsidiairement, qu’il pratiquait mal le Falun Gong. Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient que le facteur déterminant tient à la question de savoir si les autorités le perçoivent comme un adepte du Falun Gong et si, de ce fait, il risque d’être arrêté. Voir, par exemple, Ward c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 689, 103 D.L.R. (4th) 1. Le demandeur soutient que, si les autorités le perçoivent comme un adepte du Falun Gong, le fait qu’il en soit un ou non n’est pas pertinent.

 

Le défendeur

           

[26]           Le défendeur soutient que la décision de la Commission était raisonnable et qu’elle se fondait sur l’absence d’éléments de preuve crédibles sur l’identité du demandeur et sur son incapacité à répondre à des questions très simples concernant le Falun Gong.

 

[27]           La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé son identité en tant que ressortissant de la Chine était raisonnable. La Commission a conclu que les deux pièces d’identité que le demandeur avait transmises étaient fausses. Il est loisible à la Commission de conclure que des pièces d’identité sont déraisonnables en raison d’anomalies ou d’incongruités. Lorsque la Commission dispose d’éléments de preuve qui comportent à la fois des renseignements favorables et défavorables, la Commission peut choisir les éléments de preuve qu’elle préfère. Voir, par exemple, Ganiyu-Giwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1995 A.C.F. no 506, au paragraphe 2 (QL). En outre, l’alinéa 170h) de la Loi prévoit que la Commission peut fonder sa décision sur les éléments de preuve que les parties produisent et que la Commission juge crédibles ou dignes de foi.

 

[28]           La conclusion de la Commission concernant le permis était également raisonnable. Le permis avait été imprimé au moyen d’une encre en poudre, et il y manquait les rickshaws normalement incrustés dans le laminé. En outre, le hukou ne portait pas de numéro, et il comportait très peu de dispositifs de sécurité.

 

[29]           Le défendeur invoque la décision Larue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 484, au paragraphe 11 (QL), dans laquelle la Cour a statué que, bien que certaines des conclusions puissent paraître discutables lorsqu’on les prend isolément, lorsque l’ensemble de la preuve permet à la Commission de tirer une conclusion quant à la crédibilité, les tribunaux ne devraient pas intervenir.

 

[30]           Les conclusions du rapport de la GRC n’étaient pas concluantes. La Commission s’est donc appuyée sur les connaissances spécialisées qu’elle avait acquises après avoir traité de nombreuses demandes d’asile présentées par des ressortissants chinois. La Commission a donné au demandeur l’occasion de répondre à ses réserves à l’égard de la documentation. Or, la Commission est arrivée à la conclusion que les explications du demandeur n’étaient pas suffisantes.

 

[31]           Étant donné que le demandeur n’avait pas prouvé son identité, la Commission aurait pu arrêter son examen de la demande à ce moment. Toutefois, dans la présente affaire, la Commission a choisi de poursuivre son analyse en tentant de vérifier l’allégation du demandeur portant qu’il est un adepte du Falun Gong.

 

[32]           Il était raisonnable que l’agent s’attende à ce que le demandeur fasse les exercices correctement, puisque ceux-ci constituaient le fondement de sa demande. Voir Lu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1233, [2006] A.C.F. no 1534, au paragraphe 8, et Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 595, [2007] A.C.F. no 807, aux paragraphes 7 et 8. La Commission a clairement conclu que le demandeur n’était pas un adepte du Falun Gong et ne l’avait jamais été, et que sa demande était sans fondement.

 

[33]           Pour établir une crainte de persécution, il faut prouver à la fois une crainte objective et une crainte subjective. Voir Ward, précité. Compte tenu de la conclusion défavorable de la Commission quant à la crédibilité, le volet objectif n’est pas pertinent puisque le volet subjectif n’a pas été prouvé adéquatement. L’absence de preuve quant au volet subjectif est suffisante pour justifier le rejet de la demande. Voir Mukharji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 721, [2004] A.C.F. no 911, au paragraphe 30, et Ahoua c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1239, [2007] A.C.F. no 1620, au paragraphe 16.

 

ANALYSE

 

[34]           La Commission a conclu que « même si le demandeur d’asile était citoyen de la République populaire de Chine, j’estime, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’est pas, et n’a jamais été, un adepte du Falun Gong. » Cette conclusion est longuement motivée. De plus, étant donné que le demandeur n’a pas su faire un exercice correctement et qu’il a été incapable de répondre à des questions simples concernant le Falun Gong, une telle conclusion est parfaitement raisonnable.

 

[35]           Le demandeur affirme que la Commission a commis des erreurs susceptibles de révision relativement à ses pièces d’identité et à sa pratique du Falun Gong.

[traduction] Bien qu’il soit loisible à la Commission de conclure que le demandeur n’était pas lui-même un adepte du Falun Gong, le tribunal devait ensuite examiner la question de savoir si, malgré l’incapacité du demandeur à démontrer qu’il était un adepte, les autorités en Chine le percevaient comme tel. La persécution doit être appréciée du point de vue de l’auteur de la persécution plutôt que du point de vue du demandeur lui‑même. Par conséquent, le défaut du tribunal d’examiner la manière dont les autorités chinoises auraient perçu le demandeur constitue donc une grave erreur de droit.

 

 

[36]           Ainsi, le demandeur soutient que, même s’il n’est pas un adepte du Falun Gong et ne l’a jamais été, la Commission aurait dû examiner la question de savoir si les autorités chinoises le percevaient comme tel et s’il s’exposait au risque d’être persécuté ainsi qu’à d’autres risques du fait de cette perception. Le demandeur  soutient que la Commission aurait dû demander si le demandeur fréquentait des adeptes du Falun Gong en Chine et qu’elle aurait dû tirer des conclusions de fait sur ce point.

 

[37]           La difficulté que soulève cet argument est que le fondement de l’allégation du demandeur – à savoir qu’il est perçu comme un adepte du Falun Gong et est exposé de ce fait aux risques visés aux articles 96 et 97 – est que le demandeur est effectivement un adepte du Falun Gong. S’il ne l’est pas, l’ensemble de ses prétentions concernant ce qui lui est arrivé dans le passé et les risques auxquels il pourrait être exposé à l’avenir s’effondre. C’est pour cette raison que la Commission a conclu expressément qu’il n’existait « aucun minimum de fondement à [la] demande d’asile [du demandeur] », « qu’il n’[avait] aucune crainte de persécution » et « qu’il ne serait pas exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou encore au risque d’être soumis à la torture en République populaire de Chine. » De fait, la Commission procède à une évaluation approfondie de la crédibilité. Voir Yang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 971, [2003] A.C.F. no 1236. Tout le fondement subjectif de sa demande d’asile disparaît, ce qui est suffisant pour rejeter la demande. Voir Mukharji, précité, au paragraphe 30, et Ahoua, précité, au paragraphe 16.

 

[38]           Comme le souligne le demandeur, la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’était pas un adepte du Falun Gong et ne l’avait jamais été est une conclusion subsidiaire.

 

[39]           En ce qui concerne les conclusions relatives à l’identité, toutefois, il me semble que le rapport de la GRC n’était pas favorable au demandeur. Le rapport indiquait que l’analyse de l’authenticité du permis de conduire n’était [traduction] « pas concluante », de sorte que la Commission était libre d’appliquer ses propres connaissances spécialisées et de tirer les conclusions qu’elle a tirées après avoir interrogé le demandeur. Le demandeur avait été dûment avisé que la Commission avait des réserves au sujet de son identité et qu’il lui faudrait produire des documents acceptables ou justifier de façon raisonnable l’absence de documents. La transcription montre que la Commission a interrogé le demandeur sur ces points. Dans la décision, on explique pourquoi la Commission a jugé les documents communiqués inacceptables ainsi que les raisons que le demandeur a invoquées pour expliquer pourquoi il n’avait pas produit sa carte d’identité de résident. Je suis d’accord avec le défendeur que, bien que la formulation de la décision soit parfois imprécise, le fond reste clair et que la Commission a fourni une explication raisonnable pour motiver ses conclusions relatives à l’identité compte tenu des éléments de preuve dont elle disposait, y compris le témoignage du demandeur. Voir Qiu c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 259, [2009] A.C.F. no 368, aux paragraphes 6, 11 et 14.

 

[40]           En ce qui concerne le hukou, le rapport d’expertise indiquait que l’analyse de son authenticité n’était [traduction] « pas concluante ». Le document ne portait pas de numéro de ménage, [traduction] « chose inhabituelle mais non sans précédent. » La Commission expose des motifs distincts au soutien de son rejet du hukou : il ne portait pas de numéro; l’explication du demandeur n’était pas convaincante; des documents relatifs au pays indiquaient que les hukous portent un numéro; et le hukou comportait très peu de dispositifs de sécurité. Une lecture de l’ensemble de la décision révèle que le hukou n’a pas été rejeté uniquement parce que le permis de conduire avait été rejeté.

 

 

[41]           La Commission a tenu compte du permis de conduire et du hukou, mais elle a accordé beaucoup plus d’importance au fait que le demandeur n’avait pas produit sa carte d’identité de résident et qu’il ne pouvait pas donner d’explication raisonnable à cet égard.

 

[42]           Compte tenu de l’absence de pièces d’identité acceptables, il était raisonnable que l’agent rejette le hukou au motif qu’il ne portait pas de numéro et comportait très peu d’éléments de sécurité. La conclusion tirée par la Commission au sujet du hukou, soit « Comme je conclus que le permis de conduire est faux, je dois aussi conclure que le hukou l’est également […] », ne doit pas être lu hors contexte.  Compte tenu de la décision prise dans son ensemble, je conclus que la Commission ne faisait que souligner, quoique maladroitement, que l’absence de carte d’identité de résident et un permis de conduire non authentique étayent difficilement un hukou qui ne porte pas de numéro et qui comporte très peu d’éléments de sécurité, et qui est probablement également non authentique.

 

[43]           Quoi qu’il en soit, le motif subsidiaire se tient en lui-même. Il n’y avait aucun fondement subjectif ni objectif à la prétention du demandeur fondée sur une affirmation selon laquelle les autorités chinoises voulaient l’arrêter parce qu’il était un adepte du Falun Gong et qu’il pratiquait quotidiennement depuis juin 2005. Comme la Commission l’a souligné, la demande du demandeur n’avait aucun fondement crédible.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre, LL.B., trad.a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5285-08

 

INTITULÉ :                                                   WEI WANG

                                                                        c.

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 26 octobre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

 

POUR LE DEMANDEUR

Brian Bechard

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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