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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20091216

Dossier : IMM-2258-09

Référence : 2009 CF 1281

Ottawa (Ontario), le 16 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

NELSON NDEREVA NJERU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire d’une décision rendue à la suite d’un examen des risques avant renvoi (ERAR), datée du 27 mars 2009 (la décision), rejetant la demande du demandeur visant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi. 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est un citoyen du Kenya.

 

[3]               Le demandeur a acheté des terres dont son père et son oncle avaient hérité. Il a payé le prix d’achat à son cousin, Zabed. Toutefois, Zabed a continué à vivre sur les terres sans payer de loyer au demandeur.

 

[4]               En 2004, Zabed a offert d’acheter les terres du demandeur. Le demandeur a accepté et a transféré le titre de propriété des terres à son cousin. Le demandeur était certain que son cousin lui paierait le montant dû. Toutefois, Zabed n’a pas payé l’intégralité du prix d’achat des terres, mais il a tout de même prétendu qu’il en était le propriétaire.

 

[5]               Avec l’aide de deux amis, le demandeur a usé de ruse pour amener son cousin à signer une entente par laquelle il reconnaissait qu’il lui devait de l’argent. Lorsque Zabed s’est aperçu de la supercherie, il a fait incendier les maisons de la famille du demandeur, et il l’a aussi menacé de mort.

 

[6]               Le demandeur a engagé un avocat, qui a écrit une mise en demeure à Zabed. Peu après, un membre de la famille et cinq autres individus inconnus ont attaqué le demandeur et son épouse. Le demandeur a été hospitalisé pendant deux semaines à la suite de cette attaque. L’épouse du demandeur a été violée lors de l’attaque. Peu après, elle a fui au Mexique, où elle réside toujours actuellement.

 

[7]       Après l’attaque, le demandeur a demandé l’aide de la police, mais celle-ci lui a répondu qu’elle n’interviendrait pas parce qu’il s’agissait d’une affaire familiale. Le demandeur a obtenu un visa pour venir participer à un marathon au Canada en mai 2006. Il a demandé l’asile en juin de la même année.

 

[8]       La SPR a rejeté sa demande d’asile au motif que le demandeur pouvait éliminer le risque auquel il était exposé en abandonnant ses prétentions contre son cousin relatives aux terres. La SPR a noté que le demandeur et son cousin étaient parties à une « vendetta personnelle », situation qui ne peut fonder une demande de protection en vertu des articles 97 ou 96. En outre, la SPR a conclu qu’en raison du rôle du cousin du demandeur au sein des Forces spéciales de la police kényane, si son cousin avait voulu trouver le demandeur à l’époque où celui-ci était au Kenya, il aurait été en mesure de le faire.

 

[9]       En conséquence, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas qualité de personne à protéger au sens des alinéas 97(1)a) et b) ni qualité de réfugié au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi.

 

[10]           Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision de la SPR, mais sa demande a été rejetée en mars 2008. Le demandeur a fait une demande d’ERAR en octobre 2008.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[11]           L’agent d’ERAR a reconnu que la décision de la SPR présentait les faiblesses que le demandeur avait alléguées, mais il a conclu : [traduction] « Les conclusions de la SPR ne peuvent pas être contestées dans le contexte d’une demande d’ERAR. » L’agent a cité la décision Kabayaki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32, [2004] A.C.F. no 27, à l’appui de sa conclusion selon laquelle « [l]a procédure d'évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience du statut de réfugié. Cette procédure a pour objet d'évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l'audience et la date du renvoi. »

 

[12]           L’agent a admis les documents que le demandeur avait produits relativement au décès de ses amis, mais il a conclu que [traduction] « la preuve présentée ne permet pas de conclure objectivement que le décès de ces deux individus est relié au différend foncier du demandeur ». En outre, il a conclu que [traduction] «  même s’il y a une preuve objective suffisante pour relier les incidents au différend du demandeur, la preuve ne remet pas en question la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte de persécution du demandeur prend sa source dans une vendetta personnelle ».

 

[13]           L’agent a aussi examiné les éléments de preuve du médecin selon lesquels le demandeur éprouvait peut-être des effets psychologiques post-traumatiques, mais il a conclu que [traduction] « la preuve ne permet pas de conclure que le demandeur souffre actuellement d’un trouble de stress post-traumatique ou qu’il suit actuellement des traitements ».

 

[14]           Pour ce qui concerne la protection de l’État, l’agent a conclu que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait épuisé tous les recours qui étaient à sa disposition dans le pays de sa nationalité. En conséquence, il n’avait pas prouvé qu’il ne pouvait pas compter sur la protection de l’État.

 

[15]           L’agent a aussi examiné les mesures prises par le gouvernement Kenya pour minimiser les abus de pouvoir policiers, notamment la création d’une escouade policière spéciale. En outre, l’agent a noté que le gouvernement avait arrêté certains agents, qu’il avait accusés de corruption et de meurtre.

 

[16]           L’agent a conclu qu’il n’y avait tout au plus qu’une simple possibilité de persécution au sens de l’article 96 de la Loi, et que le demandeur ne serait probablement pas exposé au risque d’être soumis à la torture ni au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97.

 

LES QUESTIONS À TRANCHER

 

[17]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans le cadre de la présente demande :

 

1.                  L’agent a-t-il écarté certains éléments de preuve, retenu seulement certains d’entre eux ou mal compris et mal qualifié les éléments de preuve dont il disposait?

2.                  L’agent a-t-il erré en laissant entendre que le demandeur ne pouvait pas être protégé si sa crainte prenait sa source dans une vendetta personnelle, laquelle ne compte pas parmi les motifs donnant droit à l’asile?

3.                  L’agent a-t-il appliqué le mauvais critère relativement aux nouveaux éléments de preuve et rejeté à tort les nouveaux éléments de preuve que le demandeur avait présentés?

4.                  L’agent a-t-il erré en concluant que le demandeur pouvait compter sur la protection de l’État?

 

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente affaire :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[19]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a admis que même si la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable sont des normes théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fusionnées pour en former une seule : « la raisonnabilité ».

 

[20]           La Cour suprême du Canada dans Dunsmuir a aussi décidé que l’analyse de la norme de contrôle n’a pas besoin d’être menée dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[21]           L’appréciation que l’agent a faite des éléments de preuve et la manière dont il les a traités doivent être contrôlées en fonction de la norme de raisonnabilité. Voir, par exemple, Y.Z. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 749, [2009] A.C.F. no 904, au paragraphe 22.

 

[22]           C’est aussi la norme de raisonnabilité qu’il convient d’appliquer pour contrôler l’examen de la question de la protection de l’État par la Commission. Voir Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 490, [2008] A.C.F. no 624. La raisonnabilité s’applique aussi aux questions de fait (Dunsmuir, au paragraphe 51). Aussi, j’appliquerai la norme de raisonnabilité lorsque j’examinerai la question de savoir si la Commission s’est appuyée sur des conclusions de fait erronées.

 

[23]           Lorsque la Cour effectue le contrôle de la décision selon la raisonnabilité, son analyse tiendra « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[24]           Le demandeur a aussi soulevé la question de l’application du mauvais critère juridique. C’est la décision correcte qu’il convient d’appliquer comme norme pour déterminer si le bon critère juridique a été appliqué. Voir Dunsmuir et Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 511, [2008] A.C.F. no 637, au paragraphe 8. De même, c’est la décision correcte qui s’applique à la question de savoir si une demande fondée sur l’article 97 doit démontrer l’existence d’un lien avec un des motifs prévus à la Convention sur les réfugiés, puisqu’il s’agit d’une question préalable à la formulation du bon critère juridique à appliquer.

LES ARGUMENTS

            Le demandeur

                        Erreurs relatives à la preuve

 

[25]           Le demandeur soutient que l’agent a écarté, mal compris et mal qualifié des éléments de preuve et n’a retenu que certains d’entre eux.

 

[26]           L’agent a accordé beaucoup d’importance aux conclusions de la SPR, selon lesquelles le demandeur ne serait pas exposé aux risques visés à l’article 97. Bien qu’elle ait admis le comportement frauduleux de Zabed, la SPR a conclu que le demandeur pouvait éviter tout préjudice en renonçant à faire valoir ses prétentions contre son cousin.

 

[27]           En s’appuyant sur cette conclusion, l’agent a omis de reconnaître qu’il disposait de nouveaux éléments de preuve qui indiquaient que Zabed cherchait à s’en prendre au demandeur même si celui-ci était absent du Kenya, d’après des lettres de la famille du demandeur. Les éléments de preuve documentaire démontraient que Zabed avait menacé de tuer le demandeur, deux ans après sa fuite du Kenya. En outre, le demandeur avait produit des éléments de preuve suivant lesquels ses amis, qui l’avaient aidé à induire son cousin en erreur, avaient été assassinés après avoir été interrogés au sujet des allées et venues du demandeur.

 

[28]           Ces éléments de preuve n’étaient pas disponibles au moment de l’audience de la SPR, et la SPR n’en disposait donc pas. Le demandeur soutient que l’agent soit a mal interprété ces éléments de preuve, soit les a écartés lorsqu’il a conclu que [traduction] « la preuve présentée ne permet pas de conclure objectivement que le décès de ces deux individus est relié au différend foncier du demandeur ».

 

[29]           Ces éléments de preuve démontrent non seulement les meurtres des amis du demandeur, mais aussi l’existence de menaces pesant toujours sur le demandeur. En effet, ces lettres indiquent clairement que le demandeur était encore menacé plusieurs années après sa fuite du Kenya. Cela contredit l’avis émis par la SPR selon lequel la menace s’estomperait avec le temps si le demandeur renonçait à ses prétentions relatives aux terres.

 

[30]           En outre, ces lettres relient clairement le meurtre de ces gens au différend relatif à la propriété des terres du demandeur. La conclusion de l’agent selon laquelle la preuve est insuffisante est donc déraisonnable. Il ressort de la preuve que l’ami du demandeur s’était vu [traduction] « ordonner de livrer [le demandeur], à défaut de quoi il serait tué ». Il a ensuite été assassiné. La deuxième personne assassinée était intervenue en qualité de témoin à l’acte de transfert des terres, et elle avait aussi été interrogée au sujet des allées et venues du demandeur avant d’être assassinée. Il n’y avait aucun élément de preuve donnant à penser que ces déclarations étaient fausses. L’agent a toutefois conclu que la preuve dont il disposait était insuffisante.

 

[31]           Si l’agent voulait rejeter ces lettres au motif qu’elles manquaient de crédibilité, il devait motiver ce rejet. Voir Bagri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 168 F.T.R. 283, [1999] A.C.F. no 784, et Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 N.R. 236, 15 Imm. L.R. (2d) 199.

 

[32]           Étant donné que l’agent n’a pas rejeté ces lettres au motif qu’elles n’étaient pas crédibles, il ne pouvait pas en écarter le contenu et la pertinence. Voir Cepeda-Gutierrez c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425, aux paragraphes 16 et 17. En effet, au paragraphe 17 de Cepeda, on peut lire : « plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" ».

 

[33]           Le demandeur soutient que les éléments de preuve écartés dans la présente affaire revêtaient une importance fondamentale eu égard au risque auquel il est exposé. En outre, si la SPR avait disposé de ces éléments de preuve, elle aurait très bien pu en arriver à une conclusion différente.

 

[34]           Le demandeur soutient que l’agent a aussi erré en interprétant mal les éléments de preuve médicale dont il disposait. Par exemple, l’agent a rejeté le rapport psychologique au motif que des tests plus poussés devraient être réalisés pour déterminer si le demandeur souffrait de dépression, y compris de symptômes du TSPT; cependant, selon le diagnostic du médecin, le demandeur souffrait d’une grave dépression notamment accompagnée de symptômes du TSPT. L’agent a écarté ce diagnostic. Il s’agit là d’une erreur, puisqu’un « rapport médical doit être examiné en fonction de ce qui y est dit. Or, à sa face même, le rapport appuie le témoignage du demandeur et ne le contredit pas. » (Bagri, précité)

 

Vendetta personnelle

 

[35]           Le demandeur soutient que l’agent a erré en concluant que [traduction] «  même s’il y a une preuve objective suffisante pour relier les incidents au différend du demandeur, la preuve ne remet pas en question la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte de persécution du demandeur prend sa source dans une vendetta personnelle ». Bien que l’article 96 exige un lien avec un des motifs visés à la Convention sur les réfugiés, le demandeur soutient que l’article 97 s’applique notamment aux situations où il n’y a aucun lien, mais où l’intéressé sera soit tué ou torturé ou subira un traitement inhumain s’il est renvoyé.

 

[36]           Le demandeur soutient que le renvoyer pour qu’il risque ensuite d'être tué ou torturé, au motif qu’un tel risque prend sa source dans une vendetta personnelle viole la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), et des obligations internationales relatives aux droits de la personne.

 

Mauvais critère appliqué aux nouveaux éléments de preuve

 

[37]           Le demandeur soutient aussi que l’agent a erré en concluant que sa décision se limitait à examiner les « nouveaux risques ». L’agent peut examiner de nouveaux éléments de preuve relatifs à un risque déjà existant qui démontrent que ce risque subsiste. L’alinéa 113a) de la Loi précise quels éléments de preuve l’agent peut prendre en compte : « des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ».

 

[38]           Le demandeur soutient que cette règle envisage trois possibilités distinctes. Voir Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, 310 F.T.R. 59, au paragraphe 26. Le demandeur soutient que les éléments de preuve que vise cette règle ne sont pas nécessairement limités en fonction de la date à laquelle ils sont survenus. Les éléments de preuve visés se rapportent plutôt aux nouveaux développements dans la situation du demandeur ou dans la situation ayant cours dans le pays. Voir Elezi, au paragraphe 27.

 

[39]           La Cour d’appel fédérale a énuméré les facteurs relatifs à l’admission de nouveaux éléments de preuve en vertu de l’alinéa 113a), qui peuvent se rapporter à la crédibilité, à la pertinence, à la nouveauté, au caractère substantiel et aux conditions légales explicites. Voir Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, 289 D.L.R. (4th) 675, au paragraphe 13.

 

[40]           Le demandeur soutient que l’agent a erré dans son traitement des lettres. Il n’a procédé à aucune analyse au regard des facteurs énumérés dans l’arrêt Raza. L’agent a plutôt conclu que ces éléments de preuve ne révélaient pas un nouveau risque. Bien que les lettres ne révélassent pas un nouveau risque, elles démontraient que le demandeur demeurait exposé à un risque. Le demandeur soutient que l’agent a erré en s’appuyant sur Kabayaki sans appliquer ensuite le critère relatif à la preuve énoncé par la Cour d’appel fédérale dans Raza.

 

[41]           En outre, il ressort clairement de l’arrêt Raza qu’un agent d’ERAR peut réexaminer les conclusions factuelles de la Commission et ses conclusions quant à la crédibilité. En effet, « un ERAR n’a pas uniquement pour objet l’évaluation du risque en fonction du changement de circonstances depuis l’audition de la demande d’asile. L’agent d’ERAR doit également examiner si les nouveaux éléments de preuve sont susceptibles de contredire une conclusion de fait, notamment quant à la crédibilité, tirée par la SPR. » Voir Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 101, 79 Imm. L.R. (3d) 12. Voir aussi Win c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1154, [2008] A.C.F. no 1434.

 

[42]           Le demandeur soutient que de nouveaux éléments de preuve ont été présentés à l’agent qui démontraient que le demandeur avait de nouveaux motifs de se croire exposé à des risques et qui contredisaient directement l’analyse de la SPR selon laquelle les risques auxquels il était exposé pourraient se dissiper avec le temps s’il renonçait à sa créance contre son cousin.

 

[43]           L’agent a rejeté les éléments de preuve du demandeur parce qu’il a conclu qu’ils n’avaient pas de valeur probante, et non parce qu’ils consistaient en des lettres rédigées par des parties intéressées et non assermentées, comme l’a soutenu le défendeur. L’agent a omis de fournir des motifs raisonnables pour justifier son rejet de ces éléments de preuve.

 

La protection de l’État

 

[44]           Enfin, le demandeur soutient que l’agent a erré dans son analyse de la protection de l’État. Dans la décision Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, 308 F.T.R. 54, au paragraphe 15, le juge Campbell a conclu que, dans le cadre de l’examen de la question de savoir si un État a fait ou non de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, il faut procéder à une analyse contextuelle portant non seulement sur l’encadrement légal, mais également sur la capacité et l’efficacité du régime de protection de l’État.

 

[45]           Le demandeur soutient que l’agent n’a procédé à aucune analyse ni à aucune application sérieuses du droit relatif à la protection de l’État.

 

[46]           En outre, l’agent n’a pas tenu compte du fait que le demandeur avait demandé de l’aide à la police à de nombreuses occasions. Ainsi, l’agent a commis une erreur de droit en écartant des éléments de preuve pertinents et en tirant des conclusions qui contredisaient les éléments de preuve dont il disposait.

 

Le défendeur

 

[47]           Le défendeur affirme que le rejet de la demande d’ERAR résulte de l’incapacité du demandeur à prouver, selon la prépondérance de la preuve, qu’il serait exposé à un risque s’il retournait au Kenya. Le demandeur a simplement produit des lettres de membres de sa famille non assermentés qui alléguaient que Zabed le recherchait toujours. De ce fait, l’agent n’a commis aucune erreur lorsqu’il a conclu que les nouveaux éléments ne prouvaient pas des risques éventuels.

 

[48]           Le défendeur soutient que l’agent n’a pas erré lorsqu’il a conclu que la crainte de persécution du demandeur trouvait sa source dans une vendetta personnelle, et que le demandeur ne pouvait donc pas bénéficier de la protection prévue à l’article 96. Voir, par exemple, Kang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1128, [2005] A.C.F. no 1400, au paragraphe 10, et Starcevic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1370, [2008] A.C.F. no 1748, au paragraphe 10.

 

[49]           En outre, le fait que l’auteur de la persécution soit aussi un représentant de l’État ne fait pas d’une vendetta personnelle une persécution fondée sur un motif visé par la Convention. Voir Mia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 Canlii 14882 (CF), paragraphes 14 à 18.

 

La protection de l’État

 

[50]           Le défendeur soutient qu’une protection efficace constitue une norme trop exigeante au chapitre de la protection de l’État. Le critère correct tient à la question de savoir si la protection est adéquate ou non. Le défendeur soutient que procéder autrement reviendrait à mettre à la charge du décideur le fardeau d’établir la protection de l’État. Voir, par exemple, Samuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762, [2008] A.C.F. no 946, aux paragraphes 10 et 13.

 

[51]           Le défendeur soutient aussi que l’agent a examiné les éléments de preuve contraires avant de conclure que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. En conséquence, aucune erreur n’a été commise. Voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598, au paragraphe 1, et Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.).

 

                        Aucune preuve nouvelle de risques

 

[52]           En conclusion, le défendeur soutient que le demandeur a simplement évoqué à nouveau des risques que la Commission avait rejetés, de même que la Cour en refusant l’autorisation de pourvoi, plutôt que de produire de nouvelles preuves de risques. En outre, le défendeur soutient que le demandeur a produit de nombreux documents qui ont été rejetés à juste titre parce qu’ils ne répondaient pas au critère applicable aux nouveaux éléments de preuve. En effet, ces documents ne faisaient que confirmer des faits que la SPR avait admis avant de rejeter la demande d’asile du demandeur. En conséquence, aucune erreur susceptible de révision n’a été commise.

 

[53]           De plus, le demandeur n’a pas produit d’éléments de preuve ayant une valeur probante suffisante au soutien de sa prétention relative à des risques éventuels. Il a plutôt produit des lettres rédigées par des parties intéressées non assermentées. La Cour a admis que de tels éléments de preuve sont lacunaires. Voir, par exemple, Ferguson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1067, 74 Imm. L.R. (3d) 306, au paragraphe 27. En outre, il faut faire preuve de retenue à l’égard de l’évaluation et de la pondération de la preuve auxquelles l’agent a procédé, et la Cour ne devrait pas intervenir si la décision appartient à la gamme des décisions raisonnables.

 

[54]           L’agent a examiné convenablement les documents du demandeur et a conclu que les lettres émanant de membres de sa famille non assermentés ne suffisaient pas pour prouver un risque éventuel.

 

 


 

ANALYSE

 

[55]           La SPR a conclu que « selon la prépondérance des probabilités, le tribunal ne peut conclure que le demandeur d’asile est exposé à un risque reconnu ou protégé aux termes de l’article 97 de la LIPR ».

 

[56]           La SPR a aussi conclu « [qu']une vendetta personnelle ne pouvait constituer un motif pour conférer le statut de réfugié. En conséquence, le tribunal conclut que la crainte du demandeur d'asile à l’égard de son cousin/ses cousins n'a aucun lien avec l'un des motifs prévus dans la définition de réfugié au sens de la Convention à l’article 96 de la LIPR. »

 

[57]           Il est clair que la SPR a conclu que les risques auxquels le demandeur est exposé (et qu’elle appelle une « vendetta personnelle ») ne peuvent pas être reliés à des motifs de persécution visés à l’article 96. En revanche, la question est moins claire de savoir si la SPR a conclu que les risques auxquels le demandeur était exposé, ou une vendetta personnelle, ne pouvaient pas donner droit à une protection en vertu de l’article 97.

 

[58]           D’une part, la SPR affirme que « le choix personnel du demandeur d’asile de poursuivre ses tentatives de récupérer les terres ou d’être payé pour les terres en litige, sans égard au fait que cela pourrait lui valoir des blessures, représente une vendetta personnelle et n’est pas protégé par l’article 97 de la LIPR ».

 

[59]           D’autre part, la SPR mentionne ensuite le fardeau de preuve applicable sous le régime des alinéas 97(1)a) et b) comme si elle procédait à une analyse du risque au regard de l’article 97, puis elle conclut qu'elle « est d'avis que le demandeur d’asile est en mesure d'éliminer tout risque auquel il est exposé en modifiant son propre comportement ».

 

[60]           En dernière analyse, la SPR semble dire que les risques auxquels le demandeur est exposé sont aussi exclus du champ d’application de l’article 97 parce que : a) une vendetta personnelle ne constitue pas un risque visé à l’article 97; b) selon la prépondérance de la preuve, le demandeur n’a pas démontré qu’il était exposé à un risque visé à l’article 97. C’est ce que je crois comprendre des motifs de la SPR lorsque celle-ci affirme que « le tribunal ne peut conclure que le demandeur d’asile est exposé à un risque reconnu ou protégé aux termes de l’article 97 de la LIPR ».

 

[61]           Dans sa décision, l’agent de l’ERAR conclut que [traduction] « la preuve ne remet pas en question la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte de persécution du demandeur prend sa source dans une vendetta personnelle ».

 

[62]           Bien que cela ne soit pas tout à fait clair, je crois comprendre que l’agent affirme qu’il n’y a toujours pas de lien avec l’article 96 parce que le demandeur demeure engagé dans une vendetta personnelle.

 

[63]           Pour ce qui concerne l’article 97, l’agent ne semble formuler aucune conclusion précise selon laquelle le demandeur serait exposé à des risques non visés à cet article. En outre, dans sa décision, l’agent semble tenir pour acquis que ces risques sont visés à l’article 97, puisque l’agent procède à une analyse de la protection de l’État, ce qui ne serait pas nécessaire s’il n’y avait aucun risque visé à l’article 97.

 

[64]           L’agent n’explique pas pourquoi il adopte une démarche différente de celle de la SPR quant à l’article 97.

 

[65]           Pour ajouter à la confusion, l’agent formule dans sa décision une conclusion aux termes de laquelle il semble dire qu’il a procédé aussi bien à une analyse au regard de l’article 96 qu’à une analyse au regard de l’article 97 :

                        [traduction]

Après avoir soigneusement examiné l’affaire dont je suis saisi et les conditions qui ont cours dans le pays et avoir pris en compte la situation personnelle du demandeur, je conclus que le demandeur n’est exposé qu’à rien de plus qu'une simple possibilité de persécution au sens de l’article 96 de la LIPR et je conclus que le demandeur ne serait probablement pas exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités au sens de l’article 97 de la LIPR s’il était renvoyé au Kenya.

 

 

[66]           Quoi qu’il en soit, les nouveaux éléments de preuve que le demandeur a produits et les nouveaux risques dont il a démontré l’existence ont établi l’existence d’un risque qui va au-delà de la vendetta personnelle qui a pu exister dans le passé, même à supposer qu’il se soit bien agi d’une « vendetta personnelle » en l’espèce.

 

[67]           Le demandeur est au Canada depuis le 25 mai 2006, et il n’a pas cherché à faire valoir se prétentions contre son cousin depuis qu’il est au Canada. Il a produit de nouveaux éléments de preuve qui démontrent que son cousin – membre d’un corps policier d’élite au Kenya – a continué à le rechercher, qu’il a tué ses amis et qu’il entend le tuer lui aussi.

 

[68]           L’agent semble admettre ces nouveaux éléments de preuve, et il procède à leur appréciation :

                        [traduction]

Les documents 5 et 6 confirment le décès de deux individus. L’avocat note qu’un des individus était intervenu comme témoin à l'acte de transfert de propriété de terres entre le demandeur et son cousin et il soupçonne le décès d’être relié au différend foncier du demandeur. L’autre individu était le meilleur ami du demandeur. Le décès de cet ami est relaté dans une lettre de la sœur du demandeur. Celle-ci note dans cette lettre que l’individu a été abattu par des bandits qui prétendaient être des policiers qui avaient interrogé l’individu pour savoir où se trouvait le demandeur.

 

La preuve présentée ne permet pas de conclure objectivement que le décès de ces deux individus est relié au différend foncier du demandeur. Cependant, même s’il y a une preuve objective suffisante pour relier les incidents au différend du demandeur, la preuve ne remet pas en question la conclusion de la SPR selon laquelle la crainte de persécution du demandeur prend sa source dans une vendetta personnelle.

 

[69]           L’agent admet ces éléments de preuve. Il ne remet pas en question leur crédibilité, pas plus qu’il n’exprime de réserves quant à leur source. Tout ce qu’il dit, c’est que [traduction] « [l]a preuve présentée ne permet pas de conclure objectivement que le décès de ces deux individus est relié au différend foncier du demandeur ».

 

[70]           Cette conclusion est déraisonnable à deux égards. Tout d’abord, l’agent méconnait le fait que ces éléments de preuve, qui sont postérieurs à l’audience de la SPR, n’établissent pas seulement deux meurtres : ils démontrent aussi que des menaces ont été proférées à l’endroit du demandeur qui pourraient être mises à exécution si le demandeur est renvoyé. L’agent semble écarter, ou méconnaître complètement, cet aspect crucial d’éléments de preuve qu’il a admis. Or, cette question est très importante puisque la SPR a fondé sa décision, au moins en partie, sur sa propre conjecture selon laquelle les menaces émanant du cousin s’estomperaient avec le temps, alors que les éléments de preuve démontrent que tel n’a pas été le cas.

 

[71]           Deuxièmement, les lettres relient au demandeur le meurtre des deux hommes au Kenya. Pour ce qui concerne le meilleur ami du demandeur qui a été assassiné, il ressort des éléments de preuve que plusieurs hommes sont entrés chez lui et qu’on lui a ordonné de livrer le demandeur, à défaut de quoi il serait tué. Après avoir atermoyé, il a été abattu. La deuxième victime était intervenue en qualité de témoin à l’acte de transfert du droit de propriété des terres, et elle a aussi été interrogée avant son décès au sujet des allées et venues du demandeur. Il n’y avait aucun motif de considérer que ces lettres étaient sans rapport avec le différend qui oppose le demandeur à son cousin ni, chose plus importante, avec les risques auxquels le demandeur pourrait être exposé s’il était renvoyé.

 

[72]           Pour des motifs analogues, je trouve également problématique la conclusion de l’agent concernant les éléments de preuve médicale selon laquelle [traduction] « bien que les deux évaluations citées mentionnent des caractéristiques d’un trouble de stress post-traumatique, la preuve ne permet pas de conclure que le demandeur souffre actuellement d’un trouble de stress post-traumatique ou qu’il suit actuellement des traitements ».

 

[73]           Ce que l’agent omet de noter, c’est que le médecin expose un diagnostic selon lequel le demandeur souffre d’une grave dépression notamment accompagnée de symptômes de TSPT. En d’autres mots, l’agent rejette les éléments de preuve médicale en raison de ce qu’ils ne disent pas et écarte par ailleurs complètement ce qu’ils disent effectivement de pertinent relativement à la cause du plaignant. Voir Bagri, précité, au paragraphe 11.

 

[74]           Tous ces problèmes seraient peut-être sans conséquence si seulement on pouvait admettre l’analyse de la question de la protection de l’État à laquelle procède l’agent. Or, cette analyse est brève, et elle tient dans le peu de mots qui suivent :

                        [traduction]

L’avocat cite l’arrêt Ward c. Canada dans ses observations et affirme [traduction] : « Bien que l’agent de persécution en l’espèce ne soit pas l’État, M. Njeru a des motifs valables de demander à être protégé ». L’avocat affirme que les forces de sécurité tuent des gens arbitrairement et illégalement, mais que le gouvernement prend peu de mesures pour faire respecter la loi.

 

Dans l’arrêt Ward c. Canada, la Cour suprême du Canada a confirmé que l’État est présumé être capable de protéger ses citoyens, et qu’en conséquence, le demandeur devait présenter une [traduction] « confirmation claire et convaincante » que l’État est incapable de le protéger ou n’est pas prêt à le faire. Il incombe au demandeur de démontrer qu’il a épuisé tous les recours qui étaient à sa disposition dans le pays de sa nationalité. Le demandeur en l’espèce n’a pas fait cette démonstration.

 

Bien que je reconnaisse que l’impunité constitue un grave problème au Kenya, comme le souligne le document de 2008 du Département d’État des États-Unis intitulé « Country Report on Human Rights in Kenya », je note aussi qu'il ressort de ce document que le gouvernement a pris certaines mesures pour battre en brèche les abus de pouvoir policiers au cours de l’année. À cet égard, le gouvernement a créé une escouade policière spéciale qui comprend des détectives en civil ayant pour tâche de lutter contre la corruption de policiers dans le contexte des arrestations reliées à la circulation routière. Le gouvernement a arrêté et accusé certains agents à différents titres, notamment pour corruption et pour meurtre.

 

 

[75]           Nous n’avons qu’une affirmation non étayée selon laquelle le demandeur n’a pas épuisé tous les recours qui étaient à sa disposition au Kenya. Cela est loin de constituer une analyse convenable des questions relatives à la protection de l’État, particulièrement dans un pays comme le Kenya où, comme même l’agent l’admet, [traduction] « l’impunité constitue un grave problème » et où il n'y a pas primauté du droit. Les propos de la juge Tremblay-Lamer dans Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2008] A.C.F. no 625 (Q.L.), au paragraphe 20, sont instructifs ici :

Les décisionnaires doivent par conséquent apprécier avec soin la preuve dont ils sont saisis et laissant voir que le [pays d’origine], bien qu’il veuille protéger ses citoyens, peut bien ne pas être en mesure de le faire. Cette appréciation doit notamment prendre en compte la situation générale ayant cours dans le pays d’origine du demandeur, toutes les mesures que celui-ci a effectivement prises et sa relation avec les autorités.

 

[76]           Il n’y a rien eu qui s’approchât même d’une telle analyse en l’espèce. Après avoir reconnu que l’impunité constituait un grave problème au Kenya, l’agent semble avoir pensé qu’il pouvait écarter ce fait parce que [traduction] « le gouvernement a pris certaines mesures pour battre en brèche les abus de pouvoir policiers au cours de l’année ». L’agent n’explique nulle part pourquoi il pense que la prise de « certaines mesures » a eu pour effet d’atténuer la gravité du problème d’« impunité » au Kenya.

 

[77]           La décision présente d’autres aspects problématiques, mais ceux que j’ai évoqués ci-dessus posent des problèmes fondamentaux et rendent la décision complètement déraisonnable. La Cour n’est pas du tout convaincue que l’agent a véritablement examiné la situation du demandeur et les conditions d’impunité qui ont cours au Kenya.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE

 

1.                  que la demande est accueillie, que la décision est annulée et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour un nouvel examen;

2.                  qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2258-09          

 

INTITULÉ :                                       NELSON NDEREVA NJERU

                                                            c.

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 novembre 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 décembre 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hadayt Nazami

 

POUR LE DEMANDEUR

Ada Mok

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

Hadayt Nazami

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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